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Secte du Dieu Foé ou Fo.

c'est du néant que tout eft forti ; c'est au néant que tout doit retourner; & c'est là qu'aboutissent toutes nos espérances.

Ses Disciples répandirent une infinité de fables après fa mort. Ils affurerent que leur Maître étoit toujours vivant, qu'il étoit déjà né huit mille fois, & qu'il avoit paru fucceffivement fous la figure de finge, de lion, de dragon, d'éléphant, &c. Parmi ses Disciples, il y en eut un qui lui fut plus cher que les autres, auquel il confia ses plus intimes pensées, & qu'il chargea du foin de répandre fa doctrine. Les Chinois l'appellent Moo-kia-yé. Il lui défendit de chercher à appuyer fes dogmes de preuves & de longs raisonnemens; il lui prescrivit de mettre seulement à la tête des Livres qu'il publieroit: C'eft ainfi que je l'ai appris. Dans un de ses Ouvrages, le même Fo avoit fait mention d'un autre Maître encore plus ancien que lui, que les Chinois nomment O-mi-to, & les Japonois Amida. Les Bonzes affurent que celui-ci parvint à une fi éminente sainteté, qu'il suffit aujourd'hui de l'invoquer pour obtenir au moment même le pardon des plus grands crimes. Auffi les Chinois, dans toutes les circonftances, ont-ils fans ceffe à la bouche ces deux noms, O-mi-to, Fo!

CHAPITRE V.

Partage de la Secte de Fo. Impoftures & Charlatanifme

LES

des Bonzes.

Es dernieres paroles de Fo mourant jeterent beaucoup Partage de la Seite de trouble & de divifions parmi fes Difciples. Les uns de Fo. Impostures continuerent de s'en tenir à la premiere doctrine; d'autres,

& sharlatanisme

des Borges.

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en embraffant la feconde, formerent une Secte d'athées. Un troisieme parti voulut les concilier toutes deux, & Partage de la Seite de Fo. Impoftures donna lieu à la célebre distinction de doctrine extérieure & & charlatanifme de doctrine intérieure, dont l'une devoit naturellement des Bonzes. précéder, & difpofer les Efprits à recevoir l'autre. La doctrine extérieure, disent-ils, est à la doctrine intérieure ce que le cintre est à la voûte qu'on veut élever; lorsque celle-ci eft formée, on renverse le cintre devenu inutile. Il en eft de même des deux Loix extérieure & intérieure lorsqu'on s'eft élevé à l'intelligence de la feconde, la premiere doit être abandonnée.

:

Nous ne nous arrêterons point à développer toutes les erreurs que préfente cette doctrine intérieure; il fuffira d'indiquer les idées fondamentales de ce fyftême, pour en faire connoître l'extravagance & l'absurdité. Le néant est le principe & la fin de tout ce qui existe; c'est du néant que nos premiers parens ont tiré leur origine, & c'est au néant qu'ils font retournés après leur mort. Tous les êtres ne different les uns des autres que par leur figure & leurs qualités. On peut fabriquer d'un même métal un homme, un lion, ou tout autre animal: fi l'on fond enfuite ces différens morceaux, ils perdront auffi-tôt leurs figures & leurs qualités refpectives, & ne formeront plus qu'une feule & même substance. Il en eft de même de tous les êtres animés ou inanimés : quoique variés par leur forme & leurs qualités, ils ne font tous qu'une même chose, provenue du même principe, qui est le néant. Ce principe univerfel eft très-pur, exempt de toute altération, très-fubtil, trèssimple; il est dans un repos continuel; il n'a ni vertu, ni puiffance, ni intelligence: bien plus, fon effence confifte

de Fo. Impoftures

des Bonzes.

à être fans action, fans intelligence, fans défirs. Pour Partage de la Seite être heureux, il faut, par de continuelles méditations, & charlatanisme par de fréquentes victoires fur foi-même, s'efforcer de se rendre femblable à ce principe, &, pour y parvenir, s'accoutumer à ne faire rien, à ne vouloir rien, à ne sentir rien, à ne désirer rien. Dès que l'on parvient à cet état heureux d'infenfibilité, il n'est plus question de vices ou de vertus, de peines ou de récompenfes, de providence, d'immortalité pour les ames. Toute la fainteté confiste à ceffer d'être, à fe confondre avec le néant; plus l'homme se rapproche de la nature de la pierre ou d'un tronc d'arbre, plus il fe perfectionne; enfin c'eft dans l'indolence & l'immobilité, dans la ceffation de tout défir & de tout mouvement du corps, dans l'anéantiffement & la fufpenfion de toutes les facultés de l'ame & de l'efprit, que confiftent la vertu & le bonheur. Dès le moment où l'homme s'eft élevé à ce degré de perfection, il n'eft plus pour lui de viciffitudes, d'avenir, de tranfmigrations à craindre, parce qu'il a ceffé d'être, & qu'il eft devenu parfaitement semblable au Dieu Fo.

Croira-t-on qu'une philofophie auffi bizarre ait pu trouver des partifans à la Chine? Cependant l'Empereur Kaotfong en fut tellement épris, qu'il abdiqua l'Empire, pour fe livrer avec plus de liberté à la pratique de cette extravagante doctrine, qui anéantit toute morale, tend au renversement de la fociété, & à l'extinction de tous les rapports qui lient les hommes entre eux.

La doctrine extérieure, plus à la portée du peuple, est auffi celle qui a le plus de Sectateurs. Voici quels font les dogmes & les maximes que prêchent les Bonzes, partisans

de

Partage de la Secte de Fo. Impostures

de cette doctrine. Ils admettent la diftinction entre le bien & le mal; ils annoncent qu'il y aura après la mort des récompenfes pour les bons, des châtimens pour les & charlatanisme méchans, dans des lieux deftinés aux ames des uns & des des Bonzes. autres. Ils disent que le Dieu Fo eft venu fur la terre pour fauver les hommes, & remettre dans la voie du falut ceux qui s'en écartent; que c'est par lui que leurs péchés font expiés, & que lui feul leur procure une heureuse renaiffance pour la vie future. Ils prescrivent l'observation rigoureufe de cinq préceptes : le premier défend de tuer aucune créature vivante, de quelque nature qu'elle foit; le fecond, de prendre le bien d'autrui; le troisieme, de fe fouiller par l'impureté; le quatrieme, de mentir ; le cinquieme, de boire du vin. Ils recommandent fur-tout aux peuples la pratique de certaines œuvres de miféricorde; par exemple, de traiter bien les Bonzes, de leur bâtir des monasteres, des temples, & de leur fournir tout ce qui eft néceffaire à leur fubfistance, afin que, par le fecours de leurs prieres & des pénitences qu'ils s'impofent, ils puiffent mériter l'exemption des peines dues à leurs péchés. Dans les funérailles de vos parens, brûlez, leur difent-ils, des papiers dorés & argentés, des habits, des étoffes de foie; ces matieres fe changeront en efpeces véritables d'or & d'argent, en vêtemens précieux dans l'autre monde, & toutes ces richeffes feront fidélement tranfmifes à vos peres. Malheur à vous, fi vous ne vous montrez dociles à ces faints préceptes! votre ame sera livrée, après votre mort, aux plus cruels tourmens, & affujettie aux plus dégoûtantes métamorphofes. Vous renaîtrez sous la forme de chien, de rat, de ferpent, de

Eeee

Partage de la Secte

de Fo. Impoftures & charlatanisme des Bonzes.

cheval, de mulet, & vous n'éprouverez qu'une fuité de tranfmigrations funeftes & douloureuses.

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Il est difficile d'imaginer combien ces préfages, ces menaces pour l'avenir font d'impreffion fur l'efprit du crédule Chinois. On en jugera par quelques faits, rapportés par le Pere Le Comte dans fes Mémoires. » Je me fouviens, dit-il, qu'étant dans la Province de Chan-fi, » on m'appela un jour pour donner le baptême à un ma» lade : c'étoit un vieillard de foixante-dix ans, qui vivoit » d'une petite pension dont l'Empereur l'avoit gratifié. » Dès que j'entrai dans fa chambre : Que je vous fuis obligé, mon Pere, me dit-il; vous m'allez délivrer de » bien des peines.— Non feulement, lui répondis-je, le baptême délivre de l'enfer, mais il conduit encore à une » vie bienheureufe. Quel bonheur pour vous d'aller au Ciel jouir éternellement de Dieu !-Je n'entends pas bien, repartit le malade, ce que vous me dites; & peut-être aussi ne me fuis-je pas bien expliqué: Vous faurez, mon Pere, que je vis depuis long-temps des bienfaits de l'Empereur. » Les Bonzes, parfaitement bien inftruits de ce qui fe passe » en l'autre Monde, m'affurent que, par reconnoissance, je ferai obligé, après ma mort, de le fervir, & qu'infailliblement mon ame paffera dans l'un de fes chevaux de pofte, pour porter dans les Provinces les dépéches de la Cour. C'est pour cela qu'ils m'exhortent à bien faire mon » devoir, dès que j'aurai pris poffeffion de ce nouvel état; » à ne point broncher, à ne point ruer, à ne mordre, à ne blesser perfonne...... Courez bien, me difent-ils, mangez » peu, foyez patient; par-là vous attirerez la compassion des » Dieux, qui fouvent d'une bonne béte font à la fin un

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