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homme de qualité & un Mandarin confidérable. Je vous

de Fo. Impoftures

» avoue, mon Pere, que cette pensée me fait frémir, & je Partage de la Seite n'y songe jamais fans trembler ; j'y songe néanmoins toutes & charlatanisme » les nuits, & il me femble quelquefois, durant le fommeil, des Bonzes. » que je fuis déjà fous le harnois, prêt à courir au premier

» coup de fouet du Poftillon. Je me réveille tout en eau & à
demi-troublé, ne fachant plus fi je fuis encore homme, ou
» !
fi je fuis devenu cheval. Mais hélas ! que deviendrai-je,
quand ce ne fera plus un fonge ?.... Voici donc, mon Pere,

» le parti que j'ai pris. On m'a dit que ceux de votre Re

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ligion ne font pas fujets à ces miferes; que les hommes

y font toujours hommes, & qu'ils fe trouvent tels en l'autre » Monde qu'ils étoient en celui-ci. Je vous fupplie de me » recevoir parmi vous. Je fais bien que votre Religion eft difficile à obferver; mais fût-elle encore plus rude, je fuis prêt à l'embrasfer, &, quoi qu'il m'en coute, j'aime encore » mieux étre Chrétien que de devenir béte.

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» Ce discours & l'état préfent du malade me firent compassion; mais faisant ensuite réflexion que Dieu fe » fert même de la fimplicité & de l'ignorance pour con» duire les hommes à la vérité, je pris de là occasion de

le détromper de fes erreurs, & de le mettre dans la » voie du falut. Je l'inftruifis long-temps; il crut enfin, » & j'eus la confolation de le voir mourir, non seule» ment avec des fentimens plus raisonnables, mais en» core avec toutes les marques d'un bon Chrétien «<.

Quoique la fuperftition Chinoise ait exceffivement multiplié le nombre des idoles; quoique chaque famille foit très-occupée du foin d'honorer celles qu'elle a choifies & adoptées, il ne paroît cependant pas que le peuEeee ij

Partage de la Secte

ple conferve toujours un respect bien fincere pour tous de Fo. Impostures ces prétendus Dieux. Il leur arrive souvent d'être aban& charlatanisme donnés comme des Dieux impuiffans, lorfqu'ils tardent des Bonzes. trop à accorder les faveurs qu'on leur demande; alors l'adorateur fe laffe & porte ailleurs fon encens. D'autres, moins modérés, les traitent avec le plus profond mépris, les chargent de coups & d'injures: Comment, chien d'Efprit, lui difent-ils, nous te logeons dans un temple commode, tu es bien doré, bien nourri, bien encenfe, &, après tous ces foins que nous nous donnons, tu es affez ingrat pour nous refufer ce qui nous eft néceffaire? Enfuite on lie le Dieu avec des cordes, on le traîne dans les ruiffeaux des rues, où on l'abreuve de boues & d'immondices, pour lui faire payer toutes les paftilles dont on l'a précédemment parfumé. Si, durant cette exécution, il arrive que ces dévots furieux obtiennent par hafard ce qu'ils avoient fouhaité, alors ils reportent en cérémonie l'idole dans fa niche, après l'avoir bien lavée, bien effuyée; ils se profternent même à fes pieds, & lui font diverfes excufes : A la vérité, lui difent-ils, nous nous fommes un peu trop preffés; mais, au fond, n'avez-vous pas tort d'être fi difficile? Pourquoi vous faire battre fans néceffité? Vous en couteroit-il davantage d'accorder les chofes de bonne grace? Cependant ce qui est fait est fait ; n'y fongeons plus on vous redorera, pourvu que vous ne vous fouveniez plus du paffé.

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core le

Un fait affez plaifant, arrivé dans la Province de Nan➜ king du temps du P. Le Comte, peut faire connoître enpeu de cas que les Chinois font quelquefois de leurs Dieux. Un Particulier, dont la fille unique étoit

de Fo. Impoftures

malade, après avoir inutilement employé l'art des Médecins, s'avifa d'implorer le fecours de fes Dieux. Partage de la Secte Prieres, offrandes, aumônes, facrifices, tout fut mis & charlatanisme en œuvre pour obtenir cette précieuse guérison: les Bon- des Bonzes. zes, que ces dons engraiffoient, en répondoient sur la foi d'une idole, dont ils vantoient beaucoup le pouvoir. Cependant cette fille mourut; & fon pere, outré de douleur, réfolut de s'en venger, & d'accuser l'idole dans les formes. Il porta donc sa plainte par-devant le Juge fa du lieu. Après avoir vivement représenté, dans cet écrit, la conduite fourbe de cette injufte Divinité, il prétendoit qu'on devoit lui infliger un châtiment exemplaire, pour avoir manqué à fa parole. » Si l'Esprit a pu guérir ma » fille, ajoutoit il, c'eft donc efcroquerie toute pure

d'avoir pris mon argent & de la laiffer mourir. S'il n'a » pas ce pouvoir, de quoi se mêle-t-il? & de quel droit » prend-il la qualité de Dieu? Eft-ce pour rien que » nous l'adorons, & que toute la Province lui offre des » facrifices «? En forte qu'il concluoit, vu l'impuiffance où la malice de cette idole, à ce que fon temple fût rafé, fes Miniftres ignominieufement chaffés, & ellemême punie en fa propre & privée perfonne.

L'affaire parut importante au Juge; il la renvoya au Gouverneur, lequel, ne voulant rien avoir à démêler avec les Dieux, pria le Vice-Roi de l'examiner. Celuici, après avoir écouté les Bonzes, qui paroiffoient fort alarmés, appela leur partie, & lui confeilla de fe défifter de ses poursuites. » Vous n'êtes pas fage, lui dit-il, » de vous brouiller avec ces fortes d'Efprits; ils font » naturellement malins, & je crains qu'ils ne Vous

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Partage de la Seite de Fo. Impostures & charlatanifme des Bonzes.

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jouent un mauvais tour. Croyez-moi, écoutez les pro"positions d'accommodement que les Bonzes vous fe»ront de leur part. Ils m'affurent que l'idole entendra » raison de fon côté, pourvu que du vôtre vous ne pouffiez pas les chofes à la derniere extrémité «.

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Mais cet homme, qui étoit au désespoir de la mort de fa fille, protesta toujours qu'il périroit plutôt que de rien relâcher de fes droits. Mon parti eft pris, Seigneur, répondit-il; l'idole s'eft perfuadé qu'elle pouvoit impunément commettre toutes fortes d'injuftices, & que perfonne ne feroit affez hardi pour l'attaquer; mais elle n'en eft pas où elle penfe, & l'on verra bientôt lequel eft le plus méchant & le plus intraitable de nous deux.

Le Vice-Roi, ne pouvant plus reculer, fit inftruire le procès, & en donna cependant avis au Confeil fouverain de Pe-king, qui évoqua l'affaire, & manda les parties: elles comparurent quelque temps après. L'idole ne manqua point de partifans parmi les Avocats; ceux à qui les Bonzes offrirent de l'argent pour la défendre, trouverent fon droit incontestable, & parlerent avec tant de chaleur, que le Dieu en perfonne n'eût pas mieux plaidé fa caufe. Mais ils avoient affaire à un homme encore plus habile, qui avoit déjà eu la précaution de faire précéder ses raisons d'une forte fomme d'argent, dont il s'étoit fervi pour mieux inftruire fes Juges, perfuadé que le diable feroit bien fin s'il pouvoit tenir contre ce dernier argument. En effet, après plufieurs plaidoiries, il gagna pleinement fon procès. L'idole fut condamnée, comme inutile dans l'Empire, à un exil perpétuel; on rafa fon temple; & les Bonzes, qui repré

aveu,

sentoient sa personne, furent exemplairement châtiés. La crédulité fuperftitieufe du peuple eft foigneufement Partage de la Secte de Fo. Impoftures entretenue par les exhortations de ces Bonzes : gens fans & charlatanisme élevés dès l'enfance dans la molleffe, l'oifiveté & des Bonzes. le dégoût du travail, la plupart ne fe dévouent à cet état que par la néceffité de fubfifter. Aufli n'eft-il point d'artifice qu'ils n'emploient pour extorquer les dons des dévots adorateurs de Fo: rien n'eft plus fréquent à la Chine que le récit des traits d'adreffe, mis en ufage par ces pieux efcrocs. En voici un qui peut égayer nos Lecteurs, & que nous empruntons des Mémoires fur l'état préfent de la Chine.

Deux de ces Bonzes, errans dans la campagne, apperçurent dans la cour d'un riche payfan deux ou trois gros canards. Sur le champ ils fe profternerent devant la porte, & commencerent à gémir & à pleurer amérement. La Fermiere, qui les vit de fa chambre, fortit auffi-tôt pour apprendre le fujet de leur douleur. Nous favons, lui dirent-ils, que les ames de nos peres font paf fées dans le corps de ces animaux, & la crainte où nous fommes que vous ne les faffiez mourir, nous fera infailliblement mourir nous-mêmes de douleur. Il est vrai, dit la paysanne, que nous avions réfolu de les vendre; mais puifque ce font vos peres, je vous promets de les conferver. Ce n'étoit pas ce que les Bonzes prétendoient. Ah! lui direntils, votre mari peut-être n'aura pas la même charité, & vous pouvez compter que nous perdrons la vie, s'il leur arrive quelque accident. Enfin, après un long entretien, certe bonne femme fut fi touchée de leur douleur apparente, qu'elle leur confia les canards, pour les nourrir durant

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