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Le Fong-choui est un autre préjugé Chinois, l'un des plus extravagans peut-être dont foit capable l'efprit humain. Ils entendent par ce mot, qui fignifie vent & eau, l'heureuse ou funefte fituation d'une maison, d'une fépulture, & de tout édifice quelconque. Si, à côté de la maifon d'un Chinois, un voifin imprudent en conf truit une autre qui ne foit pas dans le même plan; fi l'angle que forme fa couverture eft tellement dirigé qu'il prenne en flanc le mur ou le toit de la maison ancienne, c'en eft affez pour croire que tout eft perdu; la terreur faifit le propriétaire de l'ancien logis; lui & toute sa poftérité feront fans ceffe en butte à l'influence finiftre de ce malheureux angle. L'érection du nouveau bâtiment devient l'époque d'une haine implacable entre les deux familles, & fournit souvent la matiere d'un procès dont on occupe les premiers Tribunaux. Lorfque les plaintes judiciaires n'ont aucun fuccès, il ne reste qu'une resfource au propriétaire vexě; c'eft de faire élever, fur le milieu de fon toit, un énorme monftre ou dragon en terre cuite; ce monftre jette un regard terrible fur l'angle funeste, & ouvre une gueule effroyable comme pour engloutir ce finiftre Fong-choui: alors on se trouve un peu plus en sûreté.

C'est le parti que prit le Gouverneur de Kien-tchang, pour se garantir de l'église des Jéfuites, qui, bâtie fur une hauteur, dominoit fon palais. Il ne fe raffura pas même entiérement fur les bons offices qu'il attendoit de ce dragon préservateur : il eut encore la fage précaution de tourner un peu de biais fes principaux appartemens, & de faire élever, à deux cents pas de l'églife, une

Autres fuperftitions Chinoifes.

efpece de corps de logis ou de large façade, haute de Autres fuperfti- trois étages, pour rompre encore mieux les influences tions Chinoises. du Tien-tchu-tang (de l'églife du Seigneur du Ciel). Il arriva malheureusement que la mort du fucceffeur de ce Gouverneur fut attribuée à cette même façade : ce Mandarin, attaqué d'une groffe fluxion fur la poitrine, crachoit des flegmes fort blancs; on ne douta point qu'ils ne fuffent caufés par ce corps de logis, dont les murailles étoient très - blanches. On les barbouilla fur le champ de noir, dans l'efpérance qu'elles produiroient un effet contraire. Mais le Mandarin mourut, & l'on conclut que cette utile précaution avoit été employée trop tard.

On ne finiroit point fi l'on vouloit rapporter toutes les idées fuperftitieufes des Chinois fur ce qui concerne la fituation plus ou moins heureuse des maisons, fur l'afpect qu'on doit donner aux portes, fur le jour & la maniere dont on doit conftruire le fourneau où l'on cuit le riz. Mais où ils apportent le plus de foins pour s'afsurer un favorable Fong-choui, c'est dans le choix du terrein & de la position des fépultures. Des charlatans n'ont point d'autre profeffion que celle de défigner les montagnes, les collines, & les autres lieux d'un favorable afpect pour ces fortes de monumens; & lorsqu'un Chinois eft perfuadé de la jufteffe de cette indication, il n'est point de fommes qu'il ne facrifie pour obtenir la propriété de ce fortuné terrein. La plupart des Chinois font convaincus que toutes les profpérités & toutes les infortunes de la vie dépendent du Fong-choui. Si tels & tels ont plus d'efprit & de talens, s'ils font élevés

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de bonne heure au grade de Docteur, s'ils parviennent à des Mandarinats diftingués, s'ils ont plus d'enfans s'ils font fujets à moins de maladies graves, fi, dans la carriere du commerce, toutes leurs spéculations réuffiffent, ce n'eft point, felon eux, à leur intelligence, à leur activité, à leur probité qu'ils en font redevables, mais uniquement à un heureux Fong-choui; c'est que leurs maisons & les fépultures de leurs ancêtres font favorablement fituées.

Autres fuperfti tions Chinoifes.

CHAPITRE VI I.

Juifs établis à la Chine.

Chine.

LA découverte d'une Synagogue, dans un Empire aussi reculé, est trop intéreffante pour que nous omettions d'en Juifs établis à la parler. Cette colonie Juive parut à la Chine fous la dynastie des Han, qui commencerent à régner l'an 206 avant J. C. Elle eft aujourd'hui réduite à un petit nombre de familles, & elle n'a d'établiffement qu'à Cai-fong, capitale de la Province de Ho-nan. C'est au P. Gozani, Jéfuite, que nous devons la premiere connoiffance de ces Juifs Chinois : nous allons l'entendre faire lui-même l'hiftoire de fa découverte.

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» Pour ce qui regarde ceux qu'on appelle ici Tiaokin-kiao, il y a deux ans que j'allai les voir, dans la pensée que c'étoient des Juifs, & dans la vue d'y chercher l'Ancien Teftament. Mais comme je n'ai aucune connoiffance de la Langue Hébraïque, & que je trouvai de grandes difficultés, j'abandonnai cette entreprise, dans

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Juifs établis à la

Chine.

la crainte de n'y pas réuflir. Néanmoins, depuis que vous m'avez marqué que je vous ferois plaifir de m'informer de ces gens-là, je l'ai fait avec tout le foin & toute l'exactitude dont je fuis capable.

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»Je leur fis d'abord amitié; ils y répondirent, & ils eurent l'honnêteté de me venir voir. Je leur rendis leur visite dans leur Lipaï-fou, c'est-à-dire, leur Synagogue, où ils étoient tous affemblés, & où j'eus avec eux de longs entretiens. Je vis leurs Infcriptions, dont les unes font en Chinois & les autres en leur Langue. Ils me montrerent leurs Kims (*) ou Livres de Religion, & me laifferent entrer jusque dans le lieu le plus fecret de leur Synagogue', où il ne leur eft pas permis à eux-mêmes d'entrer. C'eft un endroit réfervé à leur Cham-kiao, c'est-à-dire, au Chef de la Synagogue, qui n'y entre jamais qu'avec un profond refpect.

Il Y avoit fur des tables treize tabernacles, dont chacun étoit environné de petits rideaux. Le facré Kim de Moïse (c'est le Pentateuque) étoit renfermé en chacun de ces tabernacles, dont douze représentoient les douze tribus d'Ifraël, & le treizieme, Moïfe. Ces Livres étoient écrits fur de longs parchemins, & pliés fur des rouleaux. J'obtins du Chef de la Synagogue qu'on tirât les rideaux d'un de ces tabernacles, & qu'on dépliât un de ces parchemins, ce qu'on fit. Il me parut être écrit d'une écriture très-nette & très-diftincte. Un de ces Livres fut heureusement fauvé de la grande inondation du fleuve

(*) Nous confervons l'orthographe des mots Chinois du P. Gozani, qui n'eft pas toujours la même que celle des nouveaux Millionnaires.

Hoang-ho, qui fubmergea la ville de Cai-fong-fou, capitale

Chine.

de cette Province. Comme les lettres de ce Livre ont été Juifs établis à la mouillées, & qu'elles font prefque à demi-effacées, ces Juifs ont eu foin d'en faire faire douze copies, qu'ils gardent foigneufement dans les douze tabernacles dont je viens de parler.

» On voit encore en deux autres endroits de cette Synagogue, plufieurs anciens coffres où ils confervent avec foin un grand nombre de petits Livres, dans lesquels ils ont divifé le Pentateuque de Moïfe, qu'ils appellent Takim, & les autres Livres de leur Loi. Ils fe fervent de ces Livres pour prier; ils m'en montrerent quelquesuns qui me parurent être écrits en Hébreu ; les uns étoient neufs & les autres vieux, & à demi-déchirés. Tous ces Livres font confervés avec plus de foin que s'ils étoient d'or ou d'argent.

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Il y a, au milieu de leur Synagogue, une chaire magnifique & fort élevée, avec un beau couffin brodé. C'est la chaire de Moïfe, dans laquelle les Samedis (ce font leurs Dimanches), & les jours les plus folennels, ils mettent le Livre du Pentateuque & en font la lecture. On y voit auffi un Van-fui-pai, ou un tableau où eft écrit le nom de l'Empereur; mais il n'y a ni statues ni images. Leur Synagogue regarde l'Occident, & quand ils prient Dieu, ils fe tournent de ce côté-là, & l'adorent fous le nom de Tien, de Cham-Tien, de Cham-ti, de Teao-van-voe-tché, c'est-à-dire, de Créateur de toutes chofes ; & enfin de Van-voe-tchu-tcai, c'est-à-dire, de Gouverneur de l'Univers. Ils me dirent qu'ils avoient pris ces Hhhh ij

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