Juifs établis à la noms des Livres Chinois, & qu'ils s'en fervoient pour exprimer l'Etre fuprême & la premiere cause. que "En fortant de la Synagogue, on trouve une falle j'eus la curiofité de voir; je n'y remarquai qu'un grand nombre de caffolettes. Ils me dirent que c'étoit le lieu où ils honoroient leurs Chim-gins, ou les Grands Hommes de leur Loi. La plus grande de ces caffolettes, qui est pour le Patriarche Abraham, le Chef de leur Loi, eft au milieu de cette falle. Après celle-là, font celles d'Isaac, de Jacob & de fes douze enfans, qu'ils appellent Chelcum-pai-fe, les douze lignées ou les douze tribus d'Ifraël : enfuite font celles de Moïfe, d'Aaron, de Jofué, d'Efdras, & de plufieurs autres perfonnes illuftres, foit hommes, foit femmes. » Quand nous fortîmes de ce lieu-là, on nous conduifit en la falle des hôtes pour nous entretenir. Comme les titres des Livres de l'Ancien Teftament étoient écrits en Hébreu à la fin de ma Bible, je les montrai au Cham-kiao ou Chef de la Synagogue : il les lut quoiqu'ils fuffent assez mal écrits, & il me dit que c'étoient les noms de leur Chin-kim ou du Pentateuque. Alors prenant ma Bible, & le Cham-kiao fon Berefith (c'eft ainfi qu'ils nomment le Livre de la Genefe), nous confrontâmes les defcendans d'Adam jufqu'à Noé, avec l'âge d'un chacun, & nous trouvâmes entre l'un & l'autre une parfaite conformité. Nous parcourûmes enfuite en abrégé les noms & la chronologie de la Genese, de l'Exode, du Lévitique, des Nombres & du Deuteronome, ce qui compofe le Pentateuque de Moïfe. Le Chef de la Synagogue me dit Chine. qu'ils appeloient ces cinq Livres Berefith, Veelefemoth, Vaiicra, Vaiedabber & Haddebarim, & qu'ils les divifoient Juifs établis à la en cinquante-trois volumes; favoir, la Genese en douze volumes, l'Exode en onze, & les trois Livres fuivans, en dix volumes chacun, qu'ils appellent Kuen. Ils m'en ouvrirent quelques-uns, & me les présenterent à lire; mais ne fachant pas l'Hébreu, comme j'ai déjà dit, cela fut inutile. » Les ayant interrogés fur les titres des autres Livres de la Bible, le Chef de la Synagogue me répondit en général qu'ils en avoient quelques-uns, mais que les autres leur manquoient, & qu'il y en avoit qu'ils ne connoiffoient pas. Quelques-uns des affiftans m'ajouterent qu'il S'étoit perdu quelques Livres dans l'inondation du Hoangho, dont j'ai parlé. Pour compter sûrement fur ce que je viens de rapporter, il feroit néceffaire de favoir la Langue Hébraïque, car fans cela on ne pourra s'affurer de rien. » Ce qui me furprend davantage, c'eft que leurs anciens Rabbins aient mêlé plusieurs contes ridicules avec les véritables faits de l'Ecriture, & cela jusque dans les cinq Livres de Moïfe. Ils me dirent à ce sujet de fi grandes extravagances, que je ne pus m'empêcher d'en rire ; ce qui me fit foupçonner que ces Juifs pourroient bien être des Talmudistes, qui corrompent le fens de la Bible. Il n'y a qu'un homme habile dans l'Ecriture & dans la Langue Hébraïque, qui puiffe démêler ce qui en est. » Ce qui me confirme dans le foupçon que j'ai formé, c'est que ces Juifs m'ajouterent que fous la dynastie des Chine. Ming (*), le P. Fi-lo-te (le P. Rodriguez de Figueredo), Juifs établis à la & fous la dynastie régnante, le P. Ngen-li-ke (le P. Chrétien Enriquez) allerent plufieurs fois à leur Synagogue pour traiter avec eux; mais comme ces deux favans hommes ne se mirent pas en peine d'avoir un exemplaire de leur Bible, cela me fait croire qu'ils la trouverent corrompue par les Talmudiftes, & non pas pure & fincere comme elle étoit avant la naiffance de Jéfus-Chrift. Ces Juifs, qu'on appelle à la Chine Tiao-kin-kiao, gardent encore plufieurs cérémonies de l'Ancien Testament; par exemple, la circoncifion, qu'ils difent avoir commencé au Patriarche Abraham, ce qui eft vrai; les Azimes, l'Agneau pascal, en mémoire & en action de graces de la fortie d'Egypte & du paffage de la mer Rouge à pied fec, le Sabbat, & d'autres fêtes de l'ancienne Loi. » Tous ces Juifs ne composent aujourd'hui que sept familles, dont voici les noms: Thao, Kin, Che, Cao, Theman, Li, & Ngai. Ces familles s'allient les unes aux autres, fans se mêler avec les Hoei-hoei, ou les Mahométans, avec lefquels ils n'ont rien de commun, foit pour les Livres, foit pour les cérémonies de leur Religion; il n'y a pas même jufqu'à leurs mouftaches qui net foient tournées d'une autre maniere. » Ils n'ont de Synagogue que dans la capitale de la Province de Ho-nan. Je n'y ai point vu d'autel, mais feulement la chaire de Moïse, avec une caffolette, une lon (*) Les Ming commencerent à régner en 1368, & perdirent le trône en 1644 gue table, & de grands chandeliers avec des chandelles Chine. de fuif. Leur Synagogue a quelque rapport, avec nos Juifs établis à la églifes d'Europe; elle eft partagée, en trois nefs; celle du milieu eft occupée par la table des parfums, la chaire de Moïfe & le tableau de l'Empereur, avec les taber nacles dont j'ai parlé, où ils gardent les treize exemplaires du Pentateuque de Moife. Ces tabernacles, font faits en maniere d'arche, & cette nef du milieu eft co le chœur de la Synagogue; les deux autres font destinées à prier & à adorer Dieu. On va tout autour de la Synagogue par le dedans. comm "Comme il y a eu autrefois, & qu'il y a encore aujourd'hui parmi eux des Bacheliers & des Kien-fens, qui eft un degré différent de celui de Bachelier, je pris la liberté de leur demander s'ils honoroient Confucius : ils me répondirent qu'ils l'honoroient de la même maniere que les autres Lettrés de la Chine l'honorent, & qu'ils affiftoient avec eux aux cérémonies folennelles qui fe font dans les falles de leurs Grands Hommes. Ils m'ajouterent qu'au printemps & en automne ils rendoient à leurs ancêtres les honneurs qu'on a coutume de leur rendre à la Chine, dans la falle qui eft auprès de la Synagogue; qu'à la vérité ils ne leur préfentoient pas des viandes de cochons, mais d'autres animaux ; que dans les cérémonies ordinaires ils fe contentoient de préfenter des porcelaines pleines de mets & de confitures, ce qu'ils accompagnoient de parfums & de profondes révérences ou prof ternemens. Je leur demandai encore fi dans leurs maisons ou dans la falle de leurs morts, ils avoient des tablettes en l'honneur de leurs ancêtres. Ils me répondirent qu'ils Chine. ne se servoient ni de tablettes ni d'images, mais seuleJuifs établis à la ment de quelques caffolettes. Il faut cependant en exceprer leurs Mandarins, pour lefquels feuls on met dans la falle des ancêtres une tablette où leur nom & le degré de leur Mandarinat font marqués «‹. Le P. Gozani ajoute que ces Juifs, dans leurs infcriptions, appellent leur Loi la Loi d'Ifraël, Yfelals-kiao; qu'ils lui donnent encore les noms de Kou-kiao, Loi ancienne; de Tien-kiao, Loi de Dieu; & de Tiao-kin-kiao, pour fignifier qu'ils s'abstiennent du fang, & qu'ils coupent les nerfs & les veines des animaux qu'ils tuent, afin que tout le fang s'écoule plus aifément. Ils lui dirent que leurs ancêtres venoient d'un royaume d'Occident, nommé le royaume de Juda, que Jofué conquit après être forti de l'Egypte & avoir paffé la mer Rouge & traversé le défert; que le nombre des Juifs qui fortirent d'Egypte étoit de foixante ouan, c'est-à-dire, de fix cent mille hommes. Ils lui parlerent des Livres des Juges, de David, de Salomon, d'Ezéchiel, qui ranima des offemens fecs & arides; de Jonas, qui fut trois jours dans le ventre de la baleine, &c.; d'où l'on voit qu'outre le Pentateuque, ils ont encore plufieurs autres Livres de l'Ecriture Sainte. Ils apprirent au même Missionnaire, que leur alphabet étoit compofé de vingt-fept lettres; mais que dans l'ufage ordinaire ils ne fe fervoient que de vingt-deux : ce qui s'accorde avec ce que dit S. Jérôme, que les Hébreux ont vingt-deux lettres, dont cinq font doubles, où du moins s'écrivent d'une maniere différente. Ces Juifs n'allument point de feu & ne font rien cuire le Samedi ; mais ils préparent dès le Vendredi tout ce qui leur |