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entrer un certain nombre de personnes, qui, placées dans

la cour, jouiffent auffi du spectacle qu'on n'a point pré- Repas des Chinois.
paré pour elles. Les femmes même peuvent y prendre
part fans être apperçues. Elles voyent les Acteurs à tra-
vers une jaloufie faite de bambous entrelacés, & de fils
de foie à réseaux, qui les dérobe elles-mêmes à tous les
regards.

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Le repas commence, non par manger, mais par boire; & ce doit toujours être du vin pur. Cependant il faut que le Maître-d'hôtel, après avoir mis un genou à terre, invite d'abord les conviés à prendre la taffe. Chacun prend la fienne des deux mains, l'éleve jufqu'au front, la ramene plus bas que la table, & la porte enfuite à sa bouche : ils boivent tous ensemble, & lentement, & à trois ou quatre reprises. Le Maître de la maifon n'oublie pas de les inviter à tout boire; il en donne l'exemple, & leur montre à tous le fond de fa taffe, pour exciter chacun à l'imiter.

C'est toujours tandis que l'on boit que les mets changent fur chaque table. On en fert fucceffivement jufqu'à vingt-quatre à chaque convive, tous en gras, & tous en forme de ragoût. Les Chinois ne font point ufage de couteaux dans leurs repas. Deux petits bâtons pointus, ornés d'ivoire ou d'argent, leur tiennent lieu de fourchettes. N'oublions pas de dire que l'on ne commence à manger qu'après y avoir été auffi invité par le Maître-d'hôtel, & que la même cérémonie fe renouvelle toutes les fois qu'il s'agit de boire un nouveau coup de vin, ou d'attaquer un nouveau mets.

L'équivalent de notre potage, c'est-à-dire, du bouillon,

foit de poiffon, foit de viande, n'eft fervi que vers le Repas des Chinois. milieu du repas. Il eft contenu dans un vase de porcelaine, & accompagné de petits pains ou de petits pâtés. On les faifit avec les petits bâtons; on les trempe dans le bouillon, & on les mange fans attendre aucun signal, fans être obligé de se trouver en mesure avec les autres convives. Le repas fe continue, & l'étiquette reprend toute fa rigueur, jufqu'au moment où l'on apporte le thé. On le prend, & on fe leve pour passer dans une autre falle ou dans le jardin. C'est un moment de repos ménagé entre le repas & le deffert; c'eft auffi ce moment les Comédiens faififfent pour dîner à leur `tour.

que

Le deffert eft, comme l'a été le feftin, composé de vingt à vingt-quatre plats. Ce font des fucreries, des fruits, des compottes, des jambons, des canards falés, qu'on a fait cuire, où plutôt fécher au foleil; ce font enfin de petits poiffons, ou des coquillages marins. Les mêmes cérémonies qui ont précédé le repas, précedent le deffert pour fe remettre à table. Chacun finit par fe placer où il étoit d'abord. On apporte de plus grandes taffes : le Maître de la maison invite à boire plus largement; & il en donne encore l'exemple, qui, pour l'ordinaire, est

imité.

Ces feftins commencent vers le déclin du jour, & ne finiffent qu'à minuit. L'usage eft, comme en Angleterre, de donner quelque argent pour les domestiques : c'est la qualité de celui qui régale qui décide fi l'on doit donner plus ou moins; & c'est à lui-même qu'eft portée cette petite contribution. Il fait quelques difficultés, accepte enfin, & fait figne à un de fes domeftiques de prendre

cet

cet argent pour le diftribuer. Au furplus, cet ufage a feulement lieu quand le repas eft accompagné de la Comédie.

Chacun retourne enfuite chez foi, porté dans sa chaise, & précédé de plufieurs domestiques. Ceux-ci portent de grandes lanternes de papier huilé, où les qualités, & quelquefois les noms de leurs Maîtres font écrits en gros caracteres. Quiconque rifqueroit de marcher à une telle heure fans cet appareil, feroit arrêté par la garde. On n'oublie pas, le jour suivant, de remercier l'Amphitryon de la veille.

par un billet

Les Tartares ont apporté quelques changemens dans l'ancienne étiquette des repas Chinois. On ne faluoit alors qu'à la Chinoise; on falue maintenant à la Chinoife & à la Tartare. Quelques-uns des mets, actuellement usités & inconnus auparavant, dérivent auffi du même changement de domination. Il n'est pas non plus indifférent d'ajouter ici que les Cuifiniers Tartares valent mieux que

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les Cuifiniers Chinois.

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On a déjà dit que tous leurs mets ont la forme du ragoût; mais tous d'un goût très-varié, très-piquant, & tous bien moins difpendieux que les nôtres. » Les Cui» finiers de France, dit le P. du Halde, qui ont le plus » raffiné sur ce qui peut réveiller l'appétit, feroient furpris de voir que les Cuifiniers de la Chine ont porté » l'invention, en matiere de ragoût, encore plus loin qu'eux, & à bien moins de frais «. Des épiceries & des herbes fortes, combinées à différentes dofes, produifent cette diverfité. Ils favent auffi, avec de fimples féves qui croiffent dans leur pays ou qu'ils tirent de la

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Nann

Repas des Chinois.

Province de Chan-tong, & avec la farine de riz & de Repas des Chinois, blé, préparer une infinité de mets, tous différens par la forme & par le goût.

On fera peu étonné d'apprendre que les méts les plus en usage dans les feftins des Grands, les plus eftimés des convives, font les nids de certains oifeaux, & des nerfs de cerf. On fait fécher ceux-ci au foleil; on les couvre de muscade & de fleur de poivre, & on les renferme avec foin, pour y recourir dans l'occasion. Veulent-ils en faire usage? ils les amolliffent en les trempant dans de l'eau de riz, les font cuire dans de l'eau de chevreau, & les affaifonnent de plufieurs épiceries.

Quant aux nids, ils viennent des rochers qui bordent les mers du Tong-king, de Java, de la Cochinchine, &c. Ce font ceux que fe fabriquent certains oiseaux dont le plumage ressemble beaucoup à celui de nos hirondelles; leur maniere de conftruire eft auffi à peu près la même, excepté que les nids des premiers font formés de petits poiffons qu'ils favent lier l'un à l'autre avec l'écume de la mer. On les détache du rocher auffi-tôt que les petits ont pris. leur effor; car ce n'eft point à l'oifeau qu'on en veut, c'est à fon nid. On remplit des barques entieres de cette denrée, qui devient une branche de commerce intéressante pour ces cantons. La propriété de ce fingulier comeftible eft de relever agréablement le goût des viandes qu'on lui affocie.

D'autres mets figurent encore avantageusement dans ces grands repas, & pourront fonner mal à l'oreille des Apicius de l'Europe. Un Mandarin Chinois mange avec délices la chair des jumens fauvages, les pattes d'ours, les

pieds de divers animaux féroces. La plupart de ces viandes leur viennent de Siam, de Camboye, & de la Tartarie. Repas des Chinois. Le fel dont on les couvre avant de les faire partir, en prévient la corruption. Ajoutons que les Chinois ne manquent ni de gibier, ni de volaille, ni de poissons, ni d'oifeaux de riviere.

Les habitans des Provinces méridionales se nourrissent plus communément de riz que de blé, quoique cette denrée ne manque point à la Chine. On en fait de petits pains, qui fe cuisent au bain-marie, en moins d'un quart d'heure, & qui font très tendres. Ils en valent mieux, au goût des Européens, lorsqu'on les fait un peu rôtir après leur premiere cuiffon. On fait auffi dans la Province de Chantong une espece de galette de blé, dans laquelle on infere quelques herbes appétiffantes. Ce mélange produit un pain agréable.

Leurs vins n'ont nul rapport avec les nôtres, ni par l'efpece, ni par le goût; ils ne les tirent point de la vigne, mais du riz. Celui qui fert à cet usage est d'une espece particuliere, & il y a différentes façons de l'employer. La plus ordinaire est de laisser tremper le riz dans l'eau, durant vingt ou trente jours, & d'y jeter fucceffivement des ingrédiens de différente nature; enfuite on le fait cuire, & lorfqu'il a été liquéfié au feu, il fermente à l'inftant, & se couvre d'une écume vaporeuse, assez semblable à celle de nos vins nouveaux. Un vin très-pur fe trouve fous cette écume; on le tire au clair, & on le verse dans des vases de terre bien verniffés. On fait, de la lie qui refte, une eau-de-vie qui n'est guere moins forte que celle d'EuNnnn ij

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