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Cérémonial public & particulier des Chinois; &c. ૯.

de la perfonne à qui s'adreffe la lettre. On écrit à côté en plus petits caracteres le nom de la province, de la ville ou du lieu où elle réfide; on écrit enfin sur cette même enveloppe jusqu'à la date de la dépêche. Ce fecond fac se colle par le haut & par le bas, & le cachet s'imprime sur ces deux endroits, avec ces mots, Hou-fong, c'està-dire, gardé & fcellé.

La maniere de faluer à la Chine, même entre particuliers d'un état médiocre, eft bien moins expéditive que la nôtre. Là, on ne s'en tient pas quitte pour une révérence, ou un simple coup de chapeau. Le falut ordinaire confifte à joindre les mains devant la poitrine, à les remuer d'une maniere affectueufe, & à courber tant foit peu la tête, en se difant réciproquement Tfin-tfin, mot de compliment qui fignifie tout ce qu'on veut, à peu près comme les nôtres. La perfonne qu'on rencontre est - elle d'un rang fupérieur? alors on doit joindre les mains, les élever au dessus du front, les rabaisser jusqu'à terre, & incliner profondément tout le corps.

Que deux perfonnes de connoiffance fe rencontrent après une absence un peu longue, on les voit tomber à genoux vis-à-vis l'une de l'autre, fe courber enfuite jufqu'à terre, fe relever, & recommencer la même cérémonie jusqu'à deux ou trois fois. Dans les entrevues les plus ordinaires, le comment vous portez-vous? a lieu. Fort bien, répond celui à qui on fait cette demande, grace à votre abondante félicité, Cao-lao-ye-hung-fo. Lorsqu'ils voyent un homme qui fe porte bien, ils lui disent Yungfo, c'est-à-dire, la profpérité eft peinte fur votre visage, vous avez un visage heureux.

Quand

Quand un Chinois fe donne quelque peine pour en obli- -Cérémonial public ger un autre : Ah! lui dit ce dernier, vous prodiguez & particulier des votre cœur ! Le fervice eft-il rendu? Ste-pou-tfin, dit Chinois ; &c. l'obligé, mes remercîmens ne peuvent avoir de fin. S'agitil d'une offre honnête? on répond, Pou-can, pou-can, pou-can, je n'ofe, je n'ose, je n'ofe. Il eft auffi d'ufage, même à la fin d'un fomptueux banquet, de dire à ceux qu'on vient de régaler, Yeou-man, ou bien Tai-man, nous vous avons bien mal reçu, nous vous avons bien mal traité. On ignore comment ce propos puéril existoit chez nous avant que nous puffions rien favoir de ce qui fe paffoit à la Chine.

Encore un mot fur le falut. Lorfque deux Mandarins, d'un rang égal, fe rencontrent dans la rue, ils ne fortent point de leur chaise, ils baissent les mains jointes, les relevent jusqu'au front, & recommencent ce falut jusqu'à ce qu'ils aient ceffé de le voir. Mais fi l'un des deux est fupérieur à l'autre, celui-ci fait arrêter fa chaife; s'il eft à cheval, il en descend, & fait une profonde révérence au Mandarin fon fupérieur. Au furplus, la politesse est répandue à la Chine dans les villages comme dans les villes mêmes; &, comme on l'a érigée en loi, elle n'est guere plus fincere dans les uns que dans les autres.

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CHAPITRE IX.

Suite du précédent. Maniere de converfer; formules qu'on obferve en certains cas.

UN Chinois qui adresse la parole à son supérieur, ne Maniere de con- parle jamais ni à la premiere, ni à la feconde perfonne:

verfer, &c.

il ne dira point je, il ne dira point vous; il dira, par exemple, s'il s'agit d'un fervice rendu : Le fervice que fa Seigneurie a rendu à fon petit ferviteur, m'a été extrêmement fenfible. Un fils qui parle à fon pere ne fe qualifiera point de fon fils, mais de fon petit-fils, fût-il l'aîné de la famille & pere de famille lui-même.

Souvent auffi il fe fervira de fon nom, c'est-à-dire, du nom qu'il porte à cette époque; car on donne fucceffivement aux Chinois des noms conformes à leur âge & à leur rang. Le nom de famille eft celui qu'on leur donne à leur naiffance; il eft commun à tous ceux qui descendent du même aïeul. Un mois après, le pere & la mere donnent un petit nom à leur fils; & c'eft, pour l'ordinaire, celui d'une fleur, d'un animal, &c. Ce nom change lorfque le jeune homme fréquente, avec fuccès, les écoles publiques : c'est alors le Maître qui l'en gratifie, & l'éleve le joint à son nom de famille. Parvenu à l'âge viril, c'est à fes amis qu'il demande un nouveau nom, & c'est celui qu'il conferve toute fa vie, à moins qu'il ne parvienne à quelque dignité. Alors il en obtient un relatif à sa place & à fes talens. On ne doit plus lui en donner d'autre, pas

:

même celui de fa famille mais là, comme ailleurs, les hommes d'un rang beaucoup plus élevé se dispensent de cette attention.

On a parlé de la pompe qui accompagne un Vice-Roi lorfqu'il fort de fon palais. Les honneurs qu'on lui rend lorfqu'il quitte une Province, après l'avoir bien gouvernée, font d'un genre bien plus flatteur pour lui; car ils font volontaires. A peine il quitte la ville capitale, qu'il trouve fur fon chemin, durant deux ou trois lieues, des tables rangées d'espace en efpace. Elles font entourées d'une longue piece de foie qui pend jusqu'à terre: on y brûle des parfums; elles font garnies, même en plein jour, de bougies allumées; elles font chargées de légumes, de viandes, & de fruits. Le thé & le vin qu'on fe propose de lui offrir occupent d'autres tables.

Le peuple fe met à genoux fur fon paffage, & courbe la tête jusqu'à terre : les uns pleurent, du moins ils font semblaut de pleurer; les autres le prient de descendre pour recevoir les derniers témoignages de leur reconnoiffance : d'autres lui préfentent le vin & les mets préparés pour lui; d'autres lui tirent fréquemment fes bottes, & lui en donnent de nouvelles. Ces bottes, qui ont fervi un instant au Mandarin, deviennent un monument précieux. Celles qu'on lui enleve les premieres, font placées, dans une espece de cage, au dessus de la porte par où il a quitté la ville les autres font confervées par fes amis, avec le même foin qu'un Guerrier François emploieroit à garder l'épée de Turenne ou celle de Bayard.

:

Qqqq ij

Maniere de con

verfer, &c.

Chinois, &c.

CHAPITRE X.

Mercantillage des Chinois. Leur maniere d'acheter & de vendre. Defiance réciproque & fondée.

Nous ne fommes point les Panegyristes des Chinois.

Mercantillage des C'eft le pays du monde où la défiance est le plus, néceffaire; elle eft même autorifée par l'ufage & par la Loi. Celui qui achete doit porter avec lui fa balance, autrement il risque fort d'être trompé fur le poids des pieces qu'on doit lui rendre. On a déjà dit que le poids feul en regle la valeur. La maxime du Marchand est que l'ache teur a pour principe de donner toujours le moins qu'il peut, & qu'il ne donneroit rien du tout, fi le vendeur confentoit. Celui-ci, par la même raison, se croit fondé à tirer de l'autre le plus qu'il lui eft poffible. Ce n'eft pas le Marchand, difent-ils, qui trompe, c'eft l'acheteur qui fe trompe lui-même.

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Y

C'eft quelque chofe de prodigieux que le commerce intérieur de la Chine. Celui de l'Europe entiere ne peut pas lui être comparé; de même que le commerce extérieur des Chinois ne foutiendroit pas la comparaifon avec celui d'une feule des grandes Puiffances commerçantes de l'Europe.

Le grand nombre de canaux & de rivieres dont la Chine eft pourvue, facilite le transport des marchandises de toute efpece; & l'extrême population en accélere le débit. Tel Marchand apporte dans une ville jusqu'à fix mille

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