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aux plus riches dans ces deux occafions, c'est de faire préparer un festin, & de traiter à leurs dépens toute la famille. Ajoutons que le festin semble avoir été préparé pour les ancêtres, & que l'hommage en est d'abord fait à leur mémoire. Ce n'eft qu'après cette offrande qu'on se permet d'y toucher.

Ces hommages, rendus aux ancêtres dans la falle qui leur eft confacrée, ne difpenfent point les Chinois de vifiter, une ou deux fois l'année, leur vraie fépulture. C'est, pour l'ordinaire, au mois d'Avril qu'ils rempliffent ce devoir. On commence par arracher les herbes & les brouffailles qui environnent le fépulcre; après quoi on renouvelle les marques de refpect, de reconnoiffance, & de douleur ordinaire, c'est-à-dire, dans les mêmes formes qu'au moment des obfeques. De là, on dépofe fur le tombeau du vin & des viandes, qui enfuite forment le dîner des affiftans.

Tels font les honneurs que rendent les Chinois à leurs parens qui ceffent d'être, & qu'ils continuent de rendre conftamment à leur mémoire. Ce ne fut peut-être d'abord parmi eux qu'un simple usage, dicté la feule impulpar fion de la Nature; c'est maintenant une loi qu'ils ne braveroient pas impunément. Confucius leur a dit: Rendez aux morts les mêmes devoirs que s'ils étoient préfens & pleins de vie. C'étoit un confeil; mais, à la Chine, les confeils de Confucius font devenus des préceptes.

Il eft fuperflu d'obferver qu'à la Chine les familles trèspauvres n'entretiennent point de falle pour honorer les manes de leurs ancêtres. Tout fe réduit à placer les noms de leurs plus proches parens défunts dans le lieu le plus

Obfeques.

Oujjucs,

apparent

de leurs maifons. Ce n'eft point chez la partie pauvre d'un peuple qu'on doit chercher ses mœurs, ses usages, fon caractere: elle ne peut ni donner le ton, ni

même le recevoir.

CHAPITRE XI I.

Coup-d'ail fur le caractere général des Chinois.

IL faudroit avoir été contemporain des premiers ChiCoup-d'œil fur le nois, pour ofer dire quel étoit leur caractere primitif. carattere général Celui qu'ils ont maintenant leur fut donné : c'est le fruit

des Chinois.

d'une longue difcipline, & de quatre mille ans d'habitude. Montagne a dit qu'elle devenoit une seconde nature : il est du moins certain qu'elle atténue, qu'elle détériore beaucoup la premiere. En voici un exemple frappant. Parcourez les différentes Provinces de France; vous trouverez dans chacune, des nuances, des traits de caractere qui diftinguent leurs divers habitans, qui rappellent même leur origine différente. C'est que le bâton & les Rites n'y donnent jamais aucun fignal. Parcourez l'Empire de la Chine; tout vous femblera fondu dans le même creufet, & façonné par le même moule.

Il en résulte que la Nation Chinoise forme, en général, une Nation douce, affable, polie jufqu'au fcrupule, mefurée dans tout ce qu'elle fait, & attentive à bien combiner ce qu'elle doit faire; moins furveillante à ne point hasarder sa bonne foi, qu'à ne point compromettre sa prudence; se méfiant de l'Etranger & le trompant; trop

prévenue

prévenue en faveur de ce qu'elle est, pour fentir ce qu'elle

n'est pas, & de ce qu'elle fait, pour chercher à mieux Coup d'œil fur le caractere général s'instruire. Il faut l'envisager comme un antique monu- des Chinois. ment, respectable par sa date, admirable dans quelquesunes de fes parties, défectueux dans quelques autres, mais dont quarante fiecles d'existence attestent l'immuable folidité.

Cette bafe fi folide ne porte que fur un feul point d'appui, fur cette foumiffion graduée, qui, du sein d'une famille, s'éleve de proche en proche jusqu'au trône. A cela près, le Chinois a fes paffions & fes caprices que les Loix mêmes ne s'efforcent pas toujours de réprimer. Il est né plaideur; & là, comme autre part, il peut, à son gré, se ruiner à la fuite des Tribunaux. Il aime l'argent; & ce qui pafferoit pour ufure en France, n'est qu'une rétribution autorisée à la Chine. Il est vindicatif, fans aimer les voies de fait: elles lui font interdites ; mais il se venge communément par adreffe, & dès-lors avec impunité. Les grands crimes font rares chez les Chinois; les vices le font moins; & les Loix ne les recherchent, ne les puniffent que quand la décence publique eft outragée.

Les mœurs des Tartares conquérans de la Chine different, par de fortes nuances, des mœurs de la Nation conquife. Ils n'ont pris d'elle que des ufages, & ont gardé leur caractere. Le Tartare est obligeant, libéral, ennemi de toute diffimulation, & plus occupé à jouir de sa fortune qu'à l'augmenter. Il apporte dans les travaux, même du cabinet, une pénétration qui en abrege pour lui les difficultés, & dans les affaires cette activité expéditive,

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qui en eft l'ame. Un jugement prompt, rapide, le fert Coup-d'œil fur le mieux, & toujours plus à propos, que la profonde & tarcaractere général dive méditation du Chinois. En un mot, c'est des Chinois. d'avoir fur celui-ci l'afcendant des armes, le Tartare peut encore lutter avec lui fur tout le refte.

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Mais voulez-vous trouver parmi les Chinois de la franchife, une bienveillance fecourable, de la vertu enfin? cherchez-la moins dans les villes qu'au fein de la campagne, dans cette claffe d'hommes livrés aux travaux de l'agriculture. Le Laboureur Chinois déploie fouvent des qualités morales qui illuftreroient des hommes d'un rang plus élevé. Il semble que la vie agrefte inspire naturellement la bienfaisance: on recueille fans ceffe les préfens de la Nature, & on s'accoutume à les répandre. Il faudroit au furplus n'avoir pas la moindre notion des Annales de la Chine, pour ignorer qu'elle a produit de grands Hommes dans tous les genres & puifés dans toutes les claffes. Ce peuple, tel qu'il existe, est, à coup sûr, pour tout le reste de la terre, le plus curieux monument que nous ait transmis la haute antiquité..

LIVRE I V.

LITTÉRATURE, SCIENCES ET ARTS
DES CHINOIS.

LA

CHAPITRE PREMIER.

Langue Chinoife.

Langue Chinoise eft non feulement une des Langues les plus anciennes de l'Univers; elle joint encore Langue Chinoife. à cet avantage celui d'être probablement la seule des premiers âges qui foit encore parlée & vivante. Mais cette Langue n'a-t-elle pas varié, n'a-t-elle fubi aucune altération pendant le cours de quatre mille ans, & le Chinois moderne eft-il véritablement celui que parloient les contemporains d'Yao? On ne peut l'affurer, & appuyer cette affertion de preuves rigoureuses; mais toutes les vraisemblances semblent fe réunir pour établir cette identité; & faire croire que le fond de cette Langue est conftamment refté le même.

1°. On n'apperçoit dans l'Histoire, ni même dans les traditions les plus fabuleuses, aucun fait qui porte à douter que la Langue des premiers Chinois ait été différente de celle que parlent les Chinois modernes.

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