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2o. La Chine n'a point changé d'habitans; la postérité

Langue Chinoife. du premier peuple qui eft venu s'y établir, y fubsiste encore aujourd'hui. Si, dans la fuite, à des époques connues, des révolutions ont opéré le mélange de la nation primitive avec quelques autres peuples, il paroît du moins, par les monumens les plus authentiques, que la Langue ancienne est restée la dominante, & que les nouveaux Colons l'ont apprise & parlée, comme les Tartares Mantchoux depuis leur conquête.

3°. Les Lettrés les plus inftruits & les plus circonfpects conviennent unanimement que les premiers chapitres du Chou-king furent écrits fous le regne d'Yao (2300 ans avant J. C.), ou au plus tard fous celui de Yu: on y rapporte, mot pour mot, plufieurs difcours de ces premiers Empereurs, & il n'eft pas vraisemblable de croire que Langue de ces Princes ait été différente de celle de l'Hiftorien.

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4°. Le temps a refpecté le compliment adreffé par un vieillard à Yao, & la réponse que lui fit ce Prince (*),,

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(*) Yao faifoit la vifite de fon Empire; un vieillard s'écria du milieu de la foule » Que le Ciel, ô grand Monarque! prolonge vos jours pendant bien des → années, vous accorde une nombreuse postérité, & vous rende le maître de tous » les tréfors du monde «!» Vous vous trompez dans vos fouhaits, lui répondit Yao: de grandes richeffes entraînent beaucoup de foins; une nombreuse poftérité caufe bien des chagrias; & une longue vie fouvent fe flétrit d'elle» même «. -» Avoir de grandes richeffes, reprit le vieillard, & les verfer dans » le fein des malheureux, eft une fource de plaifirs: fi le Ciel accorde une poftérité vertueufe & innocente, plus elle eft nombreuse, plus il eft doux d'être » pere: fi la vertu regne dans le monde, on n'a jamais affez vécu avec ceux qui » la pratiquent; fi elle eft négligée, on va la cultiver dans la folitude, & l'on » s'éleve ensuite, sur un nuage de lumiere, jusqu'au trône du Chang-ti. “....

On a auffi confervé deux chanfons faites fous le même regne (*).

5°. Les plus anciennes infcriptions de la Chine font toutes en Chinois, même celle que Yu fit graver fur un rocher, près de la fource du fleuve Jaune, lorsque Yao le chargea d'en diriger le cours.

6o. Séparés de tous les peuples du monde par leur constitution politique comme par les barrieres naturelles de leur Empire, les Chinois n'ont rien emprunté de la Littérature étrangere. Leurs King, dépofitaires de leur Histoire, de leurs Loix & de la Doctrine des premiers temps, étoient les feuls Livres auxquels fe rapportoient toutes leurs études : la fortune & les honneurs étoient attachés à l'intelligence de ces monumens littéraires. Confidérés comme modeles de goût, on y puifoit les regles de l'art d'écrire; on les copioit, on les apprenoit par cœur, on s'efforçoit d'en imiter le style : aujourd'hui encore tout Lettré qui se pique de bien écrire n'oferoit employer un feul mot qui ne fe trouvât pas confacré dans les King & autres anciens Livres claffiques. Les Empereurs eux-mêmes en imitent scrupuleusement le style & les tournures dans les Edits qu'ils publient. Ce respect pour l'antiquité étoit une difpofition peu propre à permettre & à favorifer les innovations dans la Langue.

Quant au Chinois vulgaire, qu'on parle aujourd'hui, il est difficile de croire qu'il n'ait pas éprouvé plufieurs

(*) Voici l'une de ces chanfons : » Quand le foleil commence fa course, je » me mets au travail; & quand il defcend fous l'horizon, je me laisse tomber » dans les bras du fommeil. Je bois l'eau de mon puits, je me nourris des fruits de

mon champ: qu'ai-je à gagner ou à perdre à la puiffance de l'Empereur « ?:

Langue Chinoife.

changemens. Les plus confidérables n'ont cependant afLangue Chinoise. fecté que la prononciation; celle-ci, fi l'on en juge par les rimes des plus anciens vers, paroît en effet avoir varié pour certains mots, qui toutefois font en affez petit nombre. Ces différences doivent être légeres & bien peu fenfibles : les Acteurs Chinois représentent encore aujourd'hui des Pieces de théatre qui ont plus de mille ans d'existence, & elles font entendues dans toute la Chine.

La Langue Chinoise, auffi extraordinaire que le peuple qui la parle, ne peut être comparée à aucune des Langues connues: elle fuit une marche que ne peut faire faifir aucune loi d'analogie. Elle est dépourvue d'alphabet. Tous les mots qui la compofent font monofyllabiques & en affez petit nombre. Ces mots restent toujours tels, c'est-à-dire monofyllabiques, lors même qu'on en réunit deux pour indiquer une feule chofe: foit qu'on les écrive ou qu'on les prononce, ils restent toujours distincts & défunis, & ne se fondent jamais en un feul, comme les mots François bon & jour le mêlent pour former le mot unique bonjour.

Ces mots monofyllabiques ne produisent jamais qu'un feul fon. Lorsqu'on les écrit avec l'alphabet Européen, ils commencent par les lettres ch, tch, f, gou j, i, h, 1, m, n, ng, p, f, tf, v, ou : les lettres finales font a, e, i, o, ou, u, l, n, ng. Le milieu des mots eft occupé par des voyelles & des confonnes qui ne donnent qu'un feul fon, & fe prononcent toujours en monofyllabes. On ne prononce point le-a-o, ki-e-ou, mais leao, kieou; comme nous difons en François ail, beau, & non o-e-il, be-a-u.

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La Langue Chinoife ne contient qu'environ 330 mots élémentaires & radicaux : quelques Dictionnaires Chinois Langue Chinoise. en comptent jufqu'à 484. Ce petit nombre d'expreffions femble, au premier coup d'œil, devoir conftituer une Langue pauvre & monotone. Mais on fe gardera bien d'attribuer cette indigence à la Langue Chinoife, quand on faura que le fens de ces mots primitifs fe multiplie presque à l'infini par l'abondance & la variété des accens, des inflexions, des aspirations, & autres changemens de la voix qui les prononce.

Les Chinois diftinguent deux accens principaux, le ping, c'est-à-dire, uni, fans élever ni baiffer la voix; & le tfe, c'est-à-dire, modulé par l'abaiffement ou l'élévation de la voix. L'accent ping fe divife encore en thing, clair, & en tcho, obfcur; ou, fi l'on veut, en muet & en ouvert. L'accent the fe fubdivife auffi en chang, élevé; en kiu, abaisse; & en jou, rentrant. Le ton eft chang, lorfqu'on éleve la voix en finiffant, comme quand on prononce fortement & avec humeur la négative non; il est kiu, quand on baiffe la voix, comme le fait un enfant timide qui prononce foiblement l'i d'un oui, qu'on lui arrache à regret. Quand l'accent est jou, on retire fa voix & on l'avale en quelque forte, comme un homme qui, par un mouvement de surprise ou de respect, s'interrompt & hésite fur la finale d'un mot. L'aspiration, qui a lieu pour certains mots qui commencent par les lettres c, k, p, t, ajoute encore à toutes ces variétés.

Ces différences de prononciation suffisent pour changer totalement le fens des mots. Donnons quelques exemples. Le mot ichu, prononcé en allongeant l'u & en

éclairciffant la voix, fignifie Maître, Seigneur; s'il est Langue Chinoife, prononcé d'un ton uniforme avec l'u prolongé, il fignifie pourceau. Prononcez le légérement & avec vîteffe, il signifiera cuisine; articulé d'une voix forte,' mais qui s'affoibliffe vers la fin, il veut dire colonne.

Le mot tsin préfentera différens fens, felon qu'il fera différemment accentué ou prononcé. Tsin fignifie falive; tšiñ, parens ; tšiù, efpece de riz; tsin, totalement; tšiń, dormir; tsin, épuifer; tsin, nom de riviere, &c.

Le mot po, felon les diverses inflexions de la voix, offre onze fignifications différentes; il exprime tour à tour, verre, bouillir, vanner le riz, préparer, liberal, vieille femme, rompre ou fendre, tant foit peu, arrofer, incline, captif. Il ne faut pas croire, comme l'ont dit quelques Relateurs, que les Chinois chantent en parlant. Toutes ces inflexions de voix font fi fines & fi légeres qu'elles échappent à la plupart des Etrangers. Ces accens fi fugitifs font cependant très-fenfibles pour l'oreille d'un Chinois, qui les saisit avec autant de facilité qu'un François entend les diverses prononciations des mots l'eau, l'os, lots, qui ne frappent que d'un même fon l'oreille d'un Anglois ou d'un Allemand.

L'union & le mariage des mots Chinois est une autre cause féconde de leur multiplication. Par l'affemblage & la diverse combinaison de ces monofyllabes élémentaires, le Chinois exprime tout ce qu'il veut; il modifie, étend, reftreint le fens du mot radical, & donne à sa pensée toute la justesse & la précifion dont elle est susceptible. Mou, par exemple, fignifie arbre, bois : uni à d'autres mots, il acquiert de nouveaux fens. Mou-leao fignifie

du

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