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CHAPITRE II.

Poéfie des Chinois.

NIQUEMENT Occupés des études utiles qui peuvent les Poéfie des Chinois. conduire à la fortune, les Chinois, en général, attachent peu de prix à la Poésie. Rarement l'art de faire des vers attire l'attention & les récompenfes du Gouvernement. On s'y livre par goût, par défœuvrement; mais on n'en fait point profeffion. On dit d'un Lettré qu'il a le talent de faire de bons vers, à peu près comme on loueroit, en Europe, un Capitaine de Dragons de favoir bien jouer du violon. Le goût de la Poéfie eft cependant affez généralement répandu, & il est peu d'Ecrivains Chinois qui ne lui aient confacré quelque partie de leurs loisirs : on cite même, comme très-extraordinaire, l'exemple du célebre Tfeng-nan-fong qui n'a jamais fait de vers; on le compare, pour cette raifon, à la fleur Hai-tang, qui feroit la plus belle & la plus parfaite des fleurs, fi elle n'étoit point fans odeur.

Quand les regles font puifées dans la Nature, elles font à peu près par-tout les mêmes : auffi la poétique Chinoife ne s'écarte-t-elle pas beaucoup de celle d'Horace & de Boileau. On peut en juger par les préceptes expofés dans ce fragment d'un Livre Chinois, intitulé Ming-tchong. » Pour qu'un » Poëme foit bon, il faut que le fujet en foit intéres» fant, & traité d'une maniere attachante; le génie doit

" y dominer, & fe foutenir par les graces, le brillant » & le fublime de la diction. Le Poëte doit parcourir » d'un vol rapide la plus haute sphere de la Philofophie,

» mais fans s'écarter jamais des fentiers étroits de la vé» rité, ni s'y arrêter pesamment. Le bon goût ne lui par» donne que les écarts qui l'approchent de fon but, & le » lui font voir fous un point de vue plus piquant. Mal» heur à lui, s'il parle fans dire des chofes, ou fans les » dire avec cette force, ce feu & cette énergie qui les " montrent à l'efprit, comme les couleurs aux yeux. L'é» lévation des penfées, la continuité des images, la dou» ceur de l'harmonie font la vraie Poéfie. Il faut débuter » avec noblesse, peindre tout ce qu'on dit, laisser entre» voir ce qu'on néglige, ramener tout au but, & y ar» river en volant. La Poéfie parle le langage des paf"sions, du sentiment, de la raison; mais en prêtant sa » voix aux hommes,' elle doit prendre le ton de l'âge, » du rang, du fexe, & des préjugés de chacun...... 66.

La versification Chinoise a ses regles, & elle n'est pas moins hériffée de difficultés que la verfification Françoife. Le choix des mots poétiques eft fur-tout très-embarraffant. Les vers Chinois n'admettent que les expreffions les plus énergiques, les plus pittorefques, les plus harmonieuses, & il faut toujours les employer dans le fens que les Anciens leur ont donné. Dans une des éditions qu'on a faites des Poéfies de l'Empereur Kang-hi (mort en 1722), on a pouffé l'attention jusqu'à justifier par des exemples tirés des plus grands Poëtes, toutes les expreffions dont ce Prince s'est servi. Un pareil travail annonce & suppose dans une Nation un goût févere & délicat. Chaque vers ne peut contenir qu'un certain nombre de mots : tous doivent être rangés felon les regles de la quantité, & terminés par une rime. Le nombre des

Poéfie des Chinois

vers qui compofent les ftrophes n'eft point déterminé ; Poéfie des Chinois. mais elles doivent offrir la même fuite & la même diftribution de rimes. Le petit nombre de mots poétiques que contient la Langue Chinoise, a forcé d'alléger un peu le joug de la rime: on permet aux Poëtes un vers blanc fur quatre.

Les Poëtes Chinois n'ont pas la ressource des fictions attachantes de notre Mythologie. Ils fuppléent de plusieurs manieres aux agrémens qu'en emprunte la Poéfie Européenne: 1o. par des métaphores hardies & ingénieuses, qui s'accordent avec le génie de leur Langue. L'aigle, par exemple, fe nomme dans leurs vers l'Hôte des nues; le geai, l'oifeau de la parole; une natte fur laquelle on se couche, le royaume du fommeil ; l'agneau, le tetteur à genoux; la tête, le fanctuaire de la raifon; l'eftomac, le laboratoire des alimens; les yeux, les étoiles du front; les oreilles, les Princes de l'ouïe; le nez, la montagne des fources, &c. 2°. Ils fe fervent de plufieurs noms d'animaux dans un fens allégorique : ainfi le dragon, le tigre, l'épervier, l'hirondelle, leur tiennent lieu de Jupiter, de Mars, de Mercure, de Flore. 3°. Souvent ils empruntent les belles expreffions de leurs King, qu'ils favent placer à propos: pour dire un époux & une épouse, ils fe ferviront du mot Tong-fin, qui n'ont qu'un cœur, expreffion du Chi-king. Ils appelleront les veuves & les orphelins Tienkiong, pauvres du ciel. 4°. Ils favent tirer un grand parti des mœurs & des ufages de la haute antiquité,' dont ils confervent les Sentences & imitent quelquefois les manieres de parler. Leur Histoire, les actions & les reparties de leurs Empereurs, les maximes des anciens Let

trés,

trés, leur fournissent encore un grand nombre d'allufions

fines, agréables, & fouvent pleines de force. Par exemple, Poéfie des Chinois. un Peintre de la dynastie des Tang, lorfqu'il avoit à peindre un tigre en fureur, avoit coutume de ne jamais prendre le pinceau qu'après avoir beaucoup bu: de là Hoa-hou, peindre le tigre, fignifie aujourd'hui bien boire. Un Philofophe, pour se soustraire à la perfécution, s'étoit retiré dans un désert, où il ne trouva qu'une fource d'eau vive & des pêchers: de là vient l'expreffion Tao-yuen, pécher & fource, pour fignifier la folitude du Sage. Un Empereur ayant apperçu une haie de gros bambous, dont les pieds étoient entourés de rejetons vigoureux, avoit dit: Voilà le fymbole d'un pere heureux en enfans! Par allusion à ce mot, les Poëtes ont dit depuis Tchou-fun, rejeton de bambou, pour défigner un fils digne de fucceder à fon pere. Une veuve, dont parle l'Hiftoire, s'étoit coupé le nez pour n'être pas forcée de convoler en de fecondes noces : dire d'une femme qu'elle ne fe coupera pas le nez, est devenu une expression très-satirique. Ces exemples prouvent que le génie, l'imagination, l'enthousiasme ne fuffifent point pour faire un Poëte Chinois; il faut qu'à ces dons de la Nature il joigne encore les richeffes de l'érudition, qu'on n'acquiert que par l'étude & le travail.

Le Chi-king est le dépôt le plus précieux des anciennes Poéfies Chinoises; il occupe le troifieme rang parmi les Livres canoniques. Ce Recueil contient trois cents Pieces de vers, extraites d'une collection beaucoup plus confidérable qui fe conservoit dans la Bibliotheque impériale des Tcheou. Cet Ouvrage est dû à Confucius, qui le rédigea l'an 484 V v v v

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Poéfie des Chinois.

avant l'Ere Chrétienne. Le Chi-king est divisẻ en trois parties: la premiere, intitulée Koue-fong, Maurs des royaumes, contient les Poéfies & Chanfons qui avoient cours parmi le peuple, & que les Empereurs, lorfqu'ils faifoient la vifite de l'Empire, ordonnoient de recueillir, pour juger par elles de l'état des mœurs publiques. La feconde, qui a pour titre Ya, excellence, fe partage en Ta-ya & Siao-ya, grande & petite excellence: ces deux fections renferment des Odes, des Chanfons, des Cantiques, des Elégies, des Satires, des Epithalames, &c. La troifieme partie, nommée Song, louanges, offre des Cantiques & des Hymnes qu'on chantoit dans les facrifices, & dans les cérémonies pratiquées en l'honneur des ancêtres. Tous les Lettrés conviennent que plufieurs de ces Pieces de vers datent du temps de Ouen-ouang & de Vou-ouang, fon fils, c'est-à-dire, qu'elles remontent jusqu'à la fin du XIIe fiecle avant notre Ere : les autres parurent fous les différens regnes des Empereurs fuivans jufqu'à Confucius. Les éloges des Chinois ne tariffent point lorfqu'ils parlent de la fublimité, de la douceur, du naturel & du goût antique de ces Poéfies; ils avouent que tous les âges fuivans n'ont rien produit qui puiffe leur être comparé: Les fix vertus, difent-ils, font comme l'ame du Chi-king; aucun fiecle n'a flétri les fleurs brillantes dont elles y font couronnées, & aucun fiecle n'en fera éclore d'auffi belles.

Pour donner une idée plus précife de la Poéfie Chinoife, nous rapporterons quelques Pieces du Chi-king, traduites par un Miffionnaire, que la Miffion de Pe-king a perdu depuis quelques années.

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