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Ode Chinoife.

Que la vue fe promene agréablement fur ce payfage! Un fleuve coule paifiblement dans la plaine, & l'embellit du long canal que forment fes eaux. Au midi, des montagnes s'élevent majestueusement en amphithéatre : à l'autre rive, des rofeaux & des pins toujours verds appellent les Zéphyrs & le frais. Lieux charmans ! ceux qui vous habitent vivent en freres. Jamais la difcorde n'y fait entendre fa voix. Quelle gloire fera la vôtre ! Le Prince dont vous êtes l'héritage vous a choifis pour son séjour. Déjà le plan de fon palais eft tracé; des murs fuperbes s'élevent; on bâtit de grands portiques à l'orient & à l'occident. Hâtez-vous de venir, grand Prince, hâtezvous de venir; les plaifirs & les jeux vous attendent. Que je reconnois bien votre fageffe à la folidité des fondemens qu'on bat à coups redoublés! Ni les pluies, ni les orages ne les renverferont jamais. Jamais l'infecte qui rampe ou qui marche ne pénétrera dans votre demeure. La garde qui veille eft quelquefois furprise; le trait le plus rapide peut gauchir; la colombe effrayée oublie de voler, & le faifan fuit mal devant l'aigle : mais les obftacles fondent & s'évanouiffent devant vous. Que ces colonnades s'annoncent avec grandeur ! que ces falles font vaftes! de hautes colonnes en foutiennent le lambris; la lumiere les éclaire & les pénetre de toutes parts. C'eft ici que repofe mon Prince; c'eft ici qu'il dort fur de longues nattes, tiffues avec art. J'ai fait un fonge, me dit-il en s'éveillant, expliquez-en les myfteres. Prince, votre fonge ne vous annonce rien que d'heureux. Vous avez vu des ours & des dragons; les ours marquent la naissance d'un héritier, & les dragons celle d'une Princeffe. Ma prédiction eft accomplie. Il vient de naître cet héritier fi défiré. Couché dans fon berceau, il fe joue avec un fceptre. Toute la magnificence qui l'environne ne peut en adoucir pour lui la contrainte. Il pouffe des cris, mais ce font des cris de Héros. Confolez-vous, illuftre enfant; la pourpre dont vous êtes vêtu vous dit que vous êtes né pour le trône & pour notre bonheur. Je vois auffi une Princeffe humblement enveloppée dans fes langes. Une brique, symbole de

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Poéfie des Chinois.

fon fexe, eft à fes côtés. Puiffe-t-elle être fans vices, fi elle eft fans Poéfie des Chinois, vertus ! Sa deftinée ne l'appelle qu'aux foins inquiétans du ménage; mais ils peuvent la conduire à la gloire. Puiffent fes auguftes parens l'y voir arriver, & jouir de toutes les louanges qu'elle aura méritées!

La douce & touchante fenfibilité qui regne dans la Piece fuivante, y fera aisément reconnoître le caractere de la plaintive Elégie.

Plaintes d'une epoufe légitime répudiée.

Semblables à deux nuages qui fe font unis au haut des airs, & que les plus violens orages ne fauroient féparer, nous étions liés F'un à l'autre par un éternel hymen ; nous ne devions plus faire qu'un cœur. La moindre divifion, caufée par la colere ou le dégoût, eût été un crime; & toi, tel que celui qui arrache les herbes & laiffe la racine, tu me bannis de ta maison, comme fi, infidele à ma gloire & à ma vertu, je n'étois plus digne d'être ton épouse & pouvois ceffer de l'être ! Regarde le ciel, & juge-toi. Hélas ! que je m'éloigne avec peine ! mon cœur m'entraîne vers la maison que j'ai quittée. L'ingrat! il ne m'a accompagnée que quelques pas; il m'a laiffée à fa porte; il trouvoit doux de me quitter. Tu adores donc le nouvel objet de tes feux adulteres, & vous êtes déjà comme un frere & une fœur, qui fe font vus dès leur enfance! Va, ton infidélité fouillera ton nouvel hymen & en empoisonnera les douceurs. O ciel ! cet hymen, tu le célebres avec joie. Je fuis devenue vile à tes yeux, tu ne veux plus de moi; & moi, je ne voudrai plus de tes repentirs. Quelles ne furent pas mes peines fur le fleuve rapide où je voguois avec toi! à quels travaux ne me fuis-je pas dévouée pour les intérêts de ta maison? je me facrifiois pour te rendre heureux. Tous les cœurs qui font venus vers toi, c'est moi qui les ai attirés : & tu ne peux plus m'aimer ! Tu me hais même, tu me méprifes, & m'oublies. Ainfi donc c'est la fortune que tu aimois dans ton épouse, & j'ai perdu tous mes charmes dès que je t'ai rendu

heureux! Que de douceurs & de félicité je préparois à notre vieilleffe! une autre t'en dédommagera; & je languirai dans l'opprobre & la Poéfie des Chinois, douleur. Hélas! que tes derniers regards étoient terribles! ils ne refpiroient que la haine & la fureur. Mes maux font fans remede. 11 s'offenfe de ma tendreffe, & rougit de mes bienfaits.

L'Ode fuivante, fur l'amitié fraternelle, eft un des morceaux de Poéfie les plus eftimés à la Chine.

Aucun arbre ne peut être comparé au Tchang-ti que le printemps a couronné de mille fleurs; aucun homme ne peut être comparé à un frere. Un frere pleure fon frere avec des larmes véritables. Son cadavre fût-il fufpendu fur un abîme à la pointe d'un rocher, ou enfoncé dans l'eau infecte d'un gouffre, il lui procurera un tombeau. La tourterelle gémit seule dans le filence des bois; mais moi, dans mon affliction, j'ai un frere qui la partage. L'ami le plus tendre ne cherche qu'à confoler ma douleur; mon frere la fent comme moi: c'eft la fienne. La colere peut bien fe gliffer dans notre demeure & flétrir nos cœurs de fon fouffle empoisonné; mais, dès que le péril en approche, mon frere me fait un abri de fon corps. Quelle joie pour lui de me voir délivré ! quel plaifir de me voir heureux ! On partage fon bonheur avec fes parens; la présence d'un frere l'augmente. Les fêtes les plus agréables font celles où je vois le mien; le feftin le plus délicieux eft celui où il eft affis à mes côtés : fa préfence épanouit mon ame; je la verfe toute entiere dans fon fein. L'amitié fraternelle a toutes les tendreffes de l'amour. Une épouse aimable & vertueufe vous enivre des douceurs de l'hymen ; des enfans dignes de vous comblent vos défirs: voulez-vous affurer votre bonheur ? que l'amitié fraternelle le cimente. Le Kin & le Che dans un concert, foutiennent & embelliffent toutes les voix. O amitié fraternelle ! heureufes les familles où tu regnes ! Tes charmes y attirent toutes les vertus & en éloignent tous les vices.

Une aimable Philofophie n'eft point étrangere aux Poëtes Chinois; ils favent en répandre le charme jufque

dans leurs plus petites Pieces. La fuivante offre le tableau

Poéfie des Chinois de l'infouciance d'un Sage de la Chine, dans fa retraite.

Mon palais eft une petite chambre qui a trois fois ma longueur. La magnificence n'y eft jamais entrée; mais la propreté n'en fort jamais. Une natte eft mon lit; une toile doublée, ma couverture; cela fuffit pour m'affeoir le jour, & pour dormir la nuit. D'un côté eft une lampe, de l'autre un vafe d'odeurs. Le chant des oifeaux, le fifflement du vent, le murmure d'une fontaine, font le feul bruit que j'entends. Ma fenêtre peut fe fermer, & ma porte s'ouvrir; mais ce n'eft que pour les Sages: les méchans la fuient. Je ne me rafe point comme un Bonze; je ne jeûne pas comme un Tao-ssé. La vérité habite dans mon cœur, l'innocence guide mes actions. Sans maître & fans disciple, je n'use pas ma vie à rêver des riens & à écrire des mots; encore moins à aiguifer des traits de fatire, ou à farder des louanges. Je n'ai ni vûes ni projets; la gloire me touche auffi peu que les richeffes; & toutes les voluptés ne me coutent pas un défir. Jouir de ma folitude & de mon repos eft ma grande affaire. Le loifir me vient de tous côtés, & le fracas me fuit. Je confidere le ciel, & je m'encourage; je regarde la terre, & je me confole. Je fuis dans le monde fans y être. Un jour m'amene un jour; une année eft fuivie d'une année: la derniere me conduira au port, & j'aurai vécu & j'aurai vécu pour moi.

L'Empereur Kien-long, qui depuis cinquante ans occupe le trône de la Chine, eft un des plus grands Poëtes & des meilleurs Lettrés de fon Empire. On fe rappelle fon Poëme fur Moukden, dont on a publié une Traduction en 1770, & où l'on trouve des morceaux de la plus grande Poéfie. La grande collection Chinoise fur l'agriculture renferme encore plufieurs Pieces de ce Monarque fur divers fujets champêtres, fur un champ nouvellement défriché, fur une féchereffe, fur les travaux de l'été, fur

une pluie qui a fauvé le riz, fur une plaine bien enfemencée, fur une belle maifon, fur une grêle, &c. On Poéfie des Chinois lui doit auffi un Eloge du thé. En relifant fon Poëme, nous nous fommes arrêtés fur le morceau fuivant, que nos Lecteurs nous fauront gré fans doute de leur reproduire : il n'arrive pas fouvent qu'on ait à lire des vers, faits par un Poëte qui commande à deux cent millions d'hommes.

Le Poëte-Empereur expose toutes les beautés qui diftinguent le pays de fes ancêtres : il décrit, dans ce fragment, le fpectacle qu'offre la mer dans le golfe de Leaotong, & célebre enfuite les montagnes qui environnent la ville de Moukden. » La mer, la vafte mer, qui, ré» tréciffant peu à peu fes bords, s'avance dans nos terres » pour y former un golfe, non moins fécond en richesses qu'en agrémens, eft elle feule un des plus raviffans fpectacles que la Nature puisse offrir. Tantôt, comme un étang tranquille, elle ne laiffe voir fur fa surface » unie que le plus gracieux azur; tantôt, avec un léger » murmure, qui imite les fons encore un peu fourds » d'un vent qui veut fraîchir, elle avance & retire alter"nativement ses eaux; quelquefois fe courrouçant avec

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fureur, elle mugit, fe gonfle, écume, & vient avec » précipitation frapper le rivage qu'elle ne peut engloutir; » fouvent par des ondulations fucceffives, dont la forme & l'agitation font au deffus de l'art du pinceau, elle femble » vouloir fuir & s'épancher en entier, pour fe procurer un lit différent de celui qu'elle occupe. Si elle monte, c'eft pour defcendre; fi elle defcend, c'eft pour re» monter; jufqu'à ce qu'après les changemens les plus » variés, elle redevienne encore ce qu'elle étoit aupa

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