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de prêter à une de fes amies. L'éventail parvint à l'Empereur; il vit les vers, & ordonna qu'ils feroient lus dans Poéfie des Chinois l'affemblée de tous les Princes de fon Sang, toutes les fois qu'ils feroient convoqués au palais, & qu'on ajoutât qu'ils étoient de fon oncle. Ce ne fut qu'après des lectures multipliées, que l'Empereur fit grace à ce Prince de cette humiliante leçon.

C'est par une fuite de cette furveillance févere fur tout ce qui peut porter atteinte aux mœurs, que tous les Romans, en général, font prohibés par les Loix. Le même Empereur régnant en a flétri trois, qui paffent d'ailleurs pour des chef-d'œuvres : le premier, parce qu'il tend à affoiblir l'horreur naturelle du meurtre, a été noté du caractere tao, couteau, poignard; le fecond, qui eft un Roman plein de diableries & de forcelleries, a été marqué du caractere fie, faux, menfonger; & le troisieme, du caractere in, impur, déshonnéte, parce qu'il contient des aventures galantes & trop licencieuses. Cependant la Police, moins févere que les Loix, permet les Romans & les Historiettes qui présentent un but utile, & qui n'ont rien de dangereux pour les mœurs. Tout Auteur qui écrit contre le Gouvernement eft puni de mort, ainfi que ceux qui ont concouru à l'impreffion ou à la diftribution de fes Ouvrages.

Xxxx ij

Pieces dramatiques, &c.

מ

"

» encore de plaire au delà des Pyrénées & de la mer.
» L'action de la Piece Chinoife dure vingt-cinq ans,
» comme dans les farces monftrueufes de Sakespear & de
Lopez de Vega, qu'on a nommées Tragédies; c'est un
» entaffement d'événemens incroyables...... On croit lire
» les mille & une Nuits en action & en scenes: mais,
malgré l'incroyable, il y regne de l'intérêt ; &, malgré
» la foule des événemens, tout eft de la clarté la plus
» lumineuse ce font-là deux grands mérites en tout
» temps & chez toutes nations; & ce mérite manque à
beaucoup de nos Pieces modernes. Il est vrai la
que
» Piece Chinoise n'a pas d'autres beautés : unités de
» temps & d'action, développement de fentimens, pein-
»ture des mœurs, éloquence, raison, paffion, tout lui
» manque ; & cependant, comme je l'ai déjà dit, l'Ou-
» vrage eft fupérieur à tout ce que nous faifions alors «.

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Les Lettrés Chinois travaillent peu pour le théatre, & recueillent peu de gloire de leurs productions en ce genre, parce que la Comédie eft plutôt tolérée que permise à la Chine. Les anciens Sages de la nation l'ont constamment décriée & regardée comme un art corrupteur. La premiere fois qu'il eft fait mention de Pieces de théatre dans l'Hiftoire, c'est pour louer un Empereur de la dynastie des Chang d'avoir profcrit cette forte de divertiffemens frivoles & dangereux. Siuen-ti, de la dynastie des Tcheou, reçut des remontrances par lefquelles on l'engageoit à éloigner de fa Cour ce genre de fpectacles, dont l'effet devoit être funeste pour les mœurs. Un autre Empereur fut privé des honneurs funéraires, pour avoir trop aimé le théatre & fréquenté des Comédiens. C'est par une fuite

de cette maniere de penfer, qui eft universelle à la Chine, que toutes les falles de spectacle, mises sur le même rang que les maifons de proftitution, font reléguées dans les fauxbourgs des villes. Les Gazettes Chinoifes s'empreffent de publier le nom du plus obfcur légionnaire qui s'eft montré avec courage dans un combat; elles annonceront à tout l'Empire l'acte de piété filiale, le trait de modeftie & de pudeur d'une fimple fille des champs; mais les Auteurs de ces papiers feroient punis, s'ils ofoient infulter à la nation jufqu'à l'entretenir du jeu & des fuccès d'un Mime, du genre de danfe, des graces, & de la figure

d'une Hiftrionne.

Paffons à l'éloquence Chinoife. Elle eft moins fondée fur des préceptes que fur l'imitation des anciens chefd'œuvres, confacrés comme des modeles dans l'art oratoire. Cette éloquence ne confifte pas dans un certain arrangement de périodes harmonieuses; elle réfulte d'expreffions vives, de métaphores nobles, de comparaisons hardies, & fur-tout de l'emploi heureux des maximes & des fentences des anciens Sages. Les Loix la mettent à portée d'influer fur le gouvernement de l'Etat, non pas comme dans les anciennes Républiques en parlant directement au peuple affemblé, mais par les écrits & les remontrances qu'elle peut adreffer à l'Empereur & à ses Miniftres. Dans ces fortes d'Ecrits, qui exigent la plus févere circonspection, l'éloquence doit se borner à inftruire, réfuter, reprendre, émouvoir, faire fentir la néceffité des réformes; & il faut qu'elle produife ces effets à l'aide de peu de lignes, & dans une premiere lecture: on n'y souffre dès-lors aucun ornement déplacé, point

Pieces dramati

ques, &c.

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de mot oifif, de raifonnement foible, de citation ambiguë, de preuve équivoque. Méditez jour & nuit, dit Ly-tfé, pour écrire dix caracteres d'une remontrance, & effacez-en fix. La foudre part de tous les côtés du trône; une fyllabe fuffit pour l'allumer, & elle iroit porter la mort jufqu'au fond de l'Empire.

L'Empereur Kang-hi a fait imprimer & publier un Recueil de Remontrances, qu'il a enrichi de fes propres remarques on y trouve raffemblé ce que chaque fiecle a produit de meilleur en ce genre. La Traduction de cet Ouvrage offriroit peut-être le moyen le plus sûr de connoître & de bien apprécier l'éloquence Chinoise. Les Miffionnaires affurent qu'un grand nombre de ces Remontrances peuvent aller de pair avec les meilleurs Ouvrages des grands Orateurs de Rome & d'Athenes.

Les difcours académiques n'obtiennent pas plus de fuccès à la Chine que dans certaines contrées de l'Europe. Ces Pieces d'éloquence, qu'on nomme Chi-ouen, font ordinairement les productions des Lettrés qui aspirent aux grades ou cherchent à s'y maintenir. Un bruyant étalage de mots qui ne fignifient rien, dés images gigantefques, des pensées fauffes mais brillantes, & tout le clinquant du bel-efprit Chinois, fe trouvent réunis dans ces compofitions, auxquelles un texte tiré des King fert ordinairement de bafe. Tous les bons Lettrés, partisans de l'élégante précision & de la fimplicité mâle des Anciens, gémiffent fur le faux goût qu'a introduit cette éloquence académique : ils défignent les Auteurs de toutes ces bagatelles oratoires fous le nom de Kiu-keou, Mouché, bouches d'or & langues de bois,

Les

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ques, &c.

Les Rhéteurs Chinois comptent un nombre prodigieux d'efpeces d'éloquence: il est même difficile de concevoir Pieces dramatiqu'une nation ait pu fixer & déterminer autant de nuances différentes dans l'art de perfuader. Je me borne à quelques efpeces principales la nomenclature entiere des autres deviendroit faftidieuse. Ces Rhéteurs diftinguent: éloquence des chofes, dont la vérité fait toute la force & la parure; éloquence de fentiment & de conviction, qui eft comme un épanchement de l'ame de l'Orateur; éloquence de candeur & de naïveté, qui écarte le doute & le foupçon; éloquence d'enchaînement & de combinaison, qui est le fruit de l'étude & de la méditation ; éloquence de franchise, qui ne ménage rien & ne cache rien; éloquence de merveilleux, qui subjugue la raison par l'imagination; éloquence de fingularité & d'étonnement, qui contredit les vérités reçues, & féduit par l'appât des découvertes; éloquence d'illufion & d'artifice, qui donne le change en détournant l'attention, & féduit le cœur par un pathétique attendriffant; éloquence de Métaphysique & de fubtilités, qui fe tient toujours dans les nues, & en impose aux fimples à force de leur dire des choses inintelligibles; éloquence de vieux langage, qui affecte de copier le ton des Anciens, & fe prévaut de leur autorité; éloquence de grandeur & de majesté, qui, par la force du génie, s'éleve jusqu'au fublime des King; éloquence d'images, qui plaît comme les fleurs; éloquence d'abondance & de rapidité, qui étale fes raifons, accumule fes Preuves, multiplie fes autorités; éloquence de douceur de ftyle & d'infinuation, qui eft pour l'efprit comme la lumiere de la lune pour les yeux; éloquence de profon

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