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de plus admirable que le concert avec lequel ces deux saints. gouvernèrent le monastère pendant six ans. Jamais iln'y eut de division parmi eux ; chacun étudioit la volonté de son collégué pour s'y conformer. Félix étoit chargé du temporel, et Fulgence de l'instruction.

La paix dont les deux abbés jouissoient fut troublée quelque temps après, par une incursion des Numides, qui ravagerent tout le pays. Forcés de sortir de leur monastère, ils se réfugièrent à Sicca-Vénéria, ville de la province proconsulaire d'Afrique. Un prêtre arien du voisinage, informé qu'ils enseignoient la consubstantialité du Verbe, les fit arrêter, et les condamna à être frappés rudement. Les bourreaux s'étant saisis de Fulgence, Félix leur cria: « Epar»gnez mon frère que la foiblesse de sa complexion » met hors d'état de souffrir ce supplice. Tournez >> votre colère contre moi qui suis fort et robuste. » Le prêtre leur ordonne de commencer par Félix, qui reçoit les coups dont on le charge avec autant de joie que de patience. On tombe ensuite sur Fulgence avec une cruauté inouïe. Epuisé de forces, et près de succomber sous la violence du mal, il s'écrie qu'il a quelque chose à dire au prêtre. Son dessein étoit de se ménager par-là quelques momens de relâche, Le prêtre ne doutant point qu'il ne voulût abjurer sa foi, ordonne aux bourreaux de cesser; mais il ne tarde pas à être détrompé. Honteux d'avoir paru oublier sa cruauté, il entre dans de nouveaux transports de rage, et commande de redoubler les tourmens. Non content de cette barbarie, il fait raser les cheveux et la barbe aux deux confesseurs meurtris de coups, puis les dépouille ignominieusement, et les renvoie dans un état affreux. Les Ariens euxmêmes en furent indignés, et leur évêque offrit à Fulgence de punir le prêtre, s'il l'exigeoit. Le saint répondit que la vengeance étoit interdite au chrétien, et que pour eux, ils ne perdroient ni le fruit de leur patience, ni la gloire d'avoir souffert des

opprobres pour J. C. Les deux abbés, pour se soustraire désormais à la fureur des hérétiques, se retirèrent à Ididi sur les frontières de la Mauritanie.

Fulgence, animé du désir d'une plus haute perfection, s'embarqua à Alexandrie pour aller visiter les déserts de l'Egypte, renommés par la sainteté des anciens solitaires qui les avoient habités. Le vaisseau ayant abordé en Sicile, Eulalius, évêque de Syracuse, qui passoit avec les moines tout le temps qu'il pouvoit dérober aux fonctions de l'épiscopat, le détourna de ce voyage, en lui disant que le pays où il alloit étoit séparé de la communion de Pierre par un schisme perfide (c). Il ajouta que l'Egypte étant remplie d'hérétiques, il falloit, lorsqu'on y demeuroit, ou communiquer avec eux, ou être privé des sacremens.

Fulgence prit donc le parti de rester en Sicile. Quoiqu'il reçût très-peu de chose pour sa subsistance, il trouvoit encore le moyen d'assister les pauvres, et d'exercer l'hospitalité. Eulalius rempli d'admiration, se reprocha son peu de ferveur à pratiquer ces vertus, et se proposa toujours dans la suite le beau modèle qu'il avoit eu sous les yeux.

Le saint confesseur, au lieu de son voyage d'Egypte, en fit un à Rome pour visiter les tombeaux des Apôtres. Comme il passoit un jour par la place nommée Palma Aurea, il aperçut Théodoric, roi d'Italie, élevé sur un trône superbement paré ; il étoit environné du sénat et de la cour la plus brillante, Rome n'ayant rien épargné pour recevoir ce prince avec la plus grande magnificence. « Ah! s'écria Ful»gence à la vue de ce spectacle, si Rome terrestre » est si belle, quelle doit être la Jérusalem céleste ! >> Si, dans cette vie périssable, Dieu environne d'un » si grand éclat les partisans et les amateurs de la » vanité, quel honneur, quelle gloire, quelle féli» cité prépare-t-il donc à ses saints dans le ciel ! » (c) A communione Petri perfida dissensio separavit. Vit. S. Fulg. c. 12.

Ceci arriva vers la fin de l'année 500, lorsque Théo doric fit sa premiere entrée à Rome (d).

Peu de temps après, Fulgence retourna en Afri que, où il fut reçu avec une joie incroyable. Il bâtit dans la Byzacène un monastère, qui fut bientôt rempli d'un grand nombre de personnes de piété. La dignité de supérieur ne s'accordant point avec son humilité, il forma le projet d'y renoncer. Il alla s'enfermer dans un petit monastère situé sur le bord de la mer là, il partageoit son temps entre la lecture, la prière et les exercices de la mortification; il s'occupoit encore à faire des nattes et des parasols de feuilles de palmier. Mais il ne goûta pas longtemps les douceurs de la solitude; on le découvrit, et l'évêque Fauste, qui avoit des droits sur lui, l'obligea de quitter sa retraite pour venir reprendre le gouvernement de son monastère.

Plusieurs siéges avoient été long-temps sans pasteurs, à l'occasion d'un édit du roi Trasamond ou Trasimond, par lequel il étoit défendu d'ordonner des évêques orthodoxes. Les catholiques, résolus de pourvoir aux besoins des églises vacantes, n'eurent point d'égard à l'édit du prince. Cette fermeté généreuse coûta la liberté à Victor, primat de Carthage, qui s'étoit montré très-zélé dans une conjoncture aussi critique. Fulgence, informé que plusieurs villes le vouloient avoir pour évêque, resta caché durant tout le temps des élections. On fit en vain les perquisitions les plus exactes, il fut impossible de découvrir le lieu de sa retraite ; et ce ne fut qu'après avoir jugé qu'il n'étoit plus question de lui,

qu'il

'il retourna à son monastère. Cependant la ville de Ruspe (e) étoit toujours sans pasteur; elle demanda le saint tout d'une voix. On court aussitôt au monastère ; on le tire de sa cellule malgré lui, et on

(d) Théodoric, qui commença à régner en Italie l'an 493, avoit toujours fait sa résidence à Ravenne.

(e) C'est la petite ville appelée aujourd'hui Alfaques dans la dépendance de Tunis.

l'ordonne

l'ordonne évêque du consentement du primat que Trasimond faisoit toujours garder.

Cette nouvelle dignité n'apporta aucun changement dans sa manière de vivre. Jamais il ne portoit l'orarium (f); hiver et été, il n'étoit vêtu, comme dans son monastère, que d'une tunique fort pauvre. Il marchoit souvent nu pieds, se couchoit tout habillé, et se levoit toujours pour prier avant l'office de la nuit; il se nourrissoit de légumes, de racines et d'œufs, sans admettre le moindre assaisonnement. Il ne diminua rien de ses austérités, même dans sa vieillesse ; il consentit seulement à user d'un peu d'huile, à cause de la foiblesse de sa vue. Il falloit des raisons de santé bien pressantes pour l'obliger à faire usage du vin; encore le trempoit-il avec tant d'eau, qu'il n'en pouvoit sentir le goût. Depuis son entrée dans l'état monastique jusqu'à sa mort, il ne fut jamais possible de le déterminer à manger de la viande. Sa modestie, sa douceur, son humilité, le firent aimer de tout le monde, même du diacre Félix, qui s'étoit opposé à son élection. Le saint ne se vengea des intrigues de cet ambitieux, qu'en le recevant et en le traitant avec la charité la plus cordiale.

Son grand amour pour la retraite lui inspira le dessein de bâtir un monastère à Ruspe auprès de son église, et il en destinoit le gouvernement à Félix son ancien ami; mais Trasimond l'exila en Sardaigne, avec six autres évêques catholiques, avant qu'il eût commencé l'exécution de ce projet.

Quoique Fulgence fût le plus jeune de ces respectables exilés, tous cependant le consultoient dans leurs doutes. Il étoit leur oracle; c'étoit lui qui porton la parole, et qui prenoit la plume dans le besoin. L'éclat de ses belles qualités étoit encore rehaussé par la modestie et l'humilité avec lesquelles il proposoit son sentiment. Jamais il ne préféra son avis à

(f) L'orarium étoit une écharpe de toile dont les évêques se servoient dans ce temps-là, et d'où est venue notre étole,

Tome 1.

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celui des autres; jamais il ne chercha à le faire prévaloir.

Le pape Symmaque, par une charité digne du père commun des fidèles, avoit soin de fournir aux différens besoins des confesseurs de J. C. (1). Nous avons encore une lettre qu'il leur écrivit (2), et dans laquelle il employoit les plus puissans motifs pour les consoler et les encourager. Il ajoutoit à l'occasion des reliques de saint Nazaire et de saint Romain qu'il leur envoyoit : « Que l'exemple et la protection (3) » de ces généreux soldats de J. C. vous animent, >> vous qui êtes ses confesseurs, à combattre coura» geusement pour le Seigneur. » Fulgence s'étant associé quelques personnes, 'fit une espèce de monastère de la maison qu'il habitoit à Cagliari. Les affligés y alloient chercher de la consolation; les pauvres y trouvoient une ressource assurée dans leurs misères. Les habitans du pays avoient recours à Fulgence comme à un oracle, dont les réponses décidoient leurs différens sans appel. Dans cette retraite, le saint composa plusieurs savans traités pour consoler et instruire les fidèles d'Afrique.

Trasimond, informé que Fulgence étoit le plus puissant défenseur de la doctrine catholique, fut curieux de le voir, et le manda à Carthage. Il lui fit remettre un écrit, ou recueil d'objections, avec or-, dre d'y donner une réponse nette et précise. Le saint fit sans hésiter ce qu'on exigeoit de lui, en composant un livre qu'on croit être le même que celui qui a pour titre : Réponse aux dix objections. Le roi admira tout à la fois son humilité et la force de ses raisons, sans cependant renoncer à ses préjugés. Pour les catholiques, ils triomphèrent de l'éclatante victoire que leur foi avoit remportée sur l'arianisme. Trasimond envoya encore d'autres objections; mais

(1) Anastas. in Symmac. Baronius ad an. 504. Fleuri, 1. 31. (2) Inter opera Ennodii, et t. IV, conc. Lab. col. 1300. (3) Patrocinia.

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