Images de page
PDF
ePub

pour s'épargner la honte d'une seconde défaite (g), il avoit donné ordre au porteur de les lire seulement à Fulgence. Celui-ci refusa d'abord de répondre par écrit, à moins qu'on ne lui permît de tirer une copie des objections; il ne laissa pourtant pas d'entreprendre une ample et modeste réfutation de l'arianisme, que nous avons encore sous le titre de Trois Livres au roi Trasimond. Le prince, charmé de la beauté et de la solidité de cet ouvrage, permit au saint de demeurer à Carthage. Le zèle de Fulgence ne resta point oisif dans cette ville; il travailloit sans cesse à affermir les fidèles, et à démasquer les subtilités des hérétiques. L'église de Carthage voyoit augmenter de jour en jour, et la ferveur, et le nombre de ses enfans. Les évêques ariens, furieux des pertes continuelles que faisoit leur secte, s'en plaignirent amèrement à Trasimond, lui peignirent Fulgence comme un homme dangereux, et firent jouer tant de ressorts, qu'il fut renvoyé en Sardaigne, en 520.

Le saint étant sur le point de s'embarquer, vit un catholique, nommé Juliatus, qui fondoit en larmes. << Ne vous affligez point, lui dit-il, mon absence ne >> sera pas longue. Nous verrons la foi de J. C. fleu>> rir dans ce royaume, et il sera bientôt permis d'en » faire une profession ouverte. Mais ne divulguez » point ce que je vous confie sous le secret. » L'événement justifia la prédiction. Son humilité lui faisoit cacher les miracles qu'il opéroit ; et il avoit coutume de dire à ce sujet : «On peut être doué du don des » miracles, et cependant perdre son ame. Les mi>> racles n'assurent point le salut; ils peuvent, à la » vérité, procurer de l'estime et des applaudisse» mens mais que servira-t-il à un homme d'être » estimé sur la terre, s'il est ensuite condamné aux » supplices de l'enfer ? » Si par ses prières il obte

(g) C'est que saint Fulgence avoit inséré les premières objec tions dans la réponse qu'il y avoit faite, et la défaite du roi étoit. par-là devenue publique.

noit la guérison des infirmes, son humilité la lui faisoit attribuer à la miséricorde divine, et aux causes naturelles.

De retour à Cagliari, Fulgence bâtit un nouveau monastère. Son attention étoit extrême, lorsqu'il s'agissoit de pourvoir aux besoins des moines, sur-tout dans leurs maladies; mais il ne leur permettoit jamais de rien demander. Sa maxime étoit qu'il falloit tout recevoir comme venant de la main de Dieu c'est-à-dire, avec résignation et avec reconnoissance. Il n'inculquoit rien tant que la nécessité de mortifier sa volonté propre, parce qu'il savoit que c'étoit là un des plus sûrs moyens de parvenir au comble de la perfection.

Trasimond étant mort en 523, Hildéric son fils lui succéda. Ce dernier avoit toujours eu un penchant secret pour les catholiques; mais il n'avoit pu si bien le cacher, qu'il ne fût découvert; et son père qui en craignoit les suites, lui fit jurer, avant de mourir qu'il n'accorderoit jamais la liberté à ceux qui tenoient pour la consubstantialité du Verbe. Hildéric, afin d'éluder l'obligation qu'il se croyoit imposée par son serment, signa, du vivant même de son père, un ordre pour rouvrir les églises catholiques. Mak heureusement, il ne soutint point cette première démarche ; et comme il étoit d'un caractère foible, il ne put se résoudre à quitter l'hérésie, et à professer ouvertement la vraie foi. Cependant les évêques orthodoxes furent rappelés. Le vaisseau qui les portoit ayant abordé à Carthage, cette ville fit éclater la plus grande joie. Le rivage retentissoit d'acclamations et de cris d'alégresse, qui redoublèrent lorsqu'on vit paroître Fulgence. Les confesseurs ne furent pas plutôt à terre, qu'ils allèrent rendre grâces à Dieu dans l'église de Saint-Agilée (h). Une multitude innombrable de peuple les accompagna. Tan

(h) Saint Agilée, martyr de Carthage, est honoré le 25 de Janvier et le 15 d'Octobre. Son église étoit sur le bord de la mer. Saint Augustin y prêcha le jour de sa fète.

dis qu'ils étoient en chemin, il survint tout-à-coup une grande pluie. On comprit combien Fulgence étoit respecté, par l'attention que plusieurs prirent d'étendre sur lui leurs manteaux, afin de le mettre à couvert.

Le saint évêque quitta Carthage pour retourner à son église. Il n'y fut pas plutôt arrivé, qu'il se mit à travailler à la réformation des abus qu'une longue persécution y avoit introduits.

L'activité de son zèle fut si bien tempérée par la douceur, qu'il gagna les pécheurs les plus endurcis. Il avoit un talent singulier pour instruire, ce qui faisoit que ses discours produisoient les plus grands fruits. Boniface, évêque de Carthage, l'ayant entendu prêcher, fondit en larmes, et remercia Dieu d'avoir donné un tel pasteur à son église. Son humilité étoit sans bornes, et l'amour qu'il avoit pour cette vertu, lui faisoit sacrifier jusqu'à ses droits les plus incontestables. C'est ce qui arriva au concile de Junque, tenu en 524. L'évêque Quod-vult-Deus lui ayant disputé injustement la préséance, fut condamné par les pères du concile, qui voulurent que Fulgence gardât son rang. Le premier ne se soumit que par nécessité à cette décision, et resta persuadé qu'on avoit fait injure à la dignité de son siége. Le saint, pour ôter tout sujet de scandale à son frère, obtint dans un autre concile (i), encore plus par ses prières que par ses raisons, que Quod-vult- Deus prendroit séance devant lui. Bel exemple pour ceux qui soutiennent avec chaleur des droits souvent chimériques!

Fulgence, de retour à Ruspe, reprit ses fonctions ordinaires, et les exerça avec une ferveur toujours. nouvelle jusqu'en l'an 532. Sentant alors que sa fin approchoit, il se retira dans un monastère de la petite île de Circine, pour se préparer au passage de l'éternité. Mais les besoins et les plaintes de son troupeau le rappelèrent à Ruspe quelque temps avant (i) Le concile de Suffète, tenu la même année.

sa mort. Durant sa dernière maladie, qui lui causoit des douleurs très-aiguës, et qui fut de 70 jours, il ne cessoit de répéter ces belles paroles: «Seigneur, » donnez-moi présentement la patience, et ensuite » le pardon (k). »

Les médecins étant d'avis qu'il prît les bains : << Est-ce qu'ils pourront, répondit-il, empêcher un >> homme mortel de mourir, quand il est parvenu à >> la fin de sa course?» Dans son agonie, il fit assembler ses clercs et ses moines; comme ils fondoient tous en larmes, il les consola, demanda pardon à ceux qu'il auroit pu offenser, et après leur avoir donné des instructions courtes, mais touchantes, il mourut tranquillement, en 533, à l'âge de 65 ans. On avoit une telle vénération pour ses vertus, qu'on l'enterra dans l'église contre la coutume de ce tempslà. Nous lisons dans l'histoire de sa vie, que Pontien, évêque voisin, apprit, par une vision, qu'il jouissoit de la bienheureuse immortalité. Ce grand homme s'étoit proposé saint Augustin pour modèle: il se faisoit gloire d'être son disciple; aussi s'appliqua-t-il continuellement à imiter sa conduite, à étudier sa doctrine, et à se pénétrer de son esprit.

Le nom de saint Fulgence est marqué au i.er Janvier dans plusieurs calendriers faits peu de temps après sa mort, et dans le calendrier romain. Quelques-uns le mettent au 6 Mai, jour où se fit la translation de ses reliques dans la ville de Bourges, qui possède encore ce précieux trésor (7).

(k) Domine, da mihi modò patientiam, et posteà indulgentiam.

(1) On met cette translation vers l'an 714. ( Voy. Baillet et le Gal. Chr. nov. t. I, pag. 121. ) L'histoire que nous en avons est une production du 10. siècle, qui mérite peu de créance; mais la tradition constante de l'église et du diocèse de Bourges ne permet pas de contester la réalité de la translation. (V. l'Hist. litt. de la Fr. t. VĮ, p. 206. ) L'église de Bourges où se gardent les reliques de saint Fulgence, porte le nom de ce saint. Son chef est dans l'église du séminaire archiepiscopal, qui était anciennement une abbaye appelée Montermoyen.

Notice des écrits de saint Fulgence.

Les écrits qui nous restent de saint Fulgence, sont, 1.o les Livres des deux Prédestinations à Monime, composés vers l'an 521. Le saint docteur emploie le premier à montrer que, dans le sentiment de S. Augustin, Dieu ne prédestine point les hommes au péché, mais seulement à la peine ou au supplice qu'ils ont mérité par leurs péchés. Il prouve, dans le second, que le sacrifice est offert à la sainte Trinité, au nom de laquelle l'église catholique confère le baptême, et il répond ensuite aux objections des Ariens. Dans le troisième, il réfute les Ariens qui abusoient de ces paroles, le Verbe étoit avec Dieu, pour autoriser leurs impiétés.

2.° Réponses aux dix objections des Ariens, composées vers T'an 521. Ces objections avoient été envoyées par le roi Trasimond; elles étoient fort longues, et d'un style aussi obscur que barbare; le saint les réduisit, les divisa par articles, et y joignit des réponses aussi claires que solides.

3. Les trois Livres au roi Trasimond. Ils contiennent des réponses à diverses questions proposées au saint de la part du roi Trasimond. L'arianisme y est très-bien réfuté.

4. Plusieurs Lettres. La première est adressée à un jeune Seigneur, dont la femme, malade à l'extrémité, avoit fait vœu de continence : il y est prouvé qu'un tel vœu exige le consentement .nutuel des deux époux. Dans la seconde, saint Fulgence console une dame romaine, nommée Galla, de la mort de son mari, et l'exhorte à pratiquer les vertus propres à l'état de viduité. Ces vertus sont la continence, la simplicité dans les parures et les ameublemens, la frugalité, l'aumône, etc. On trouve dans la lettre adressée à Proba, sœur de Galla, de très-belles choses sur l'excellence de la virginité, sur la tempérance, la mortification, l'humilité. L'autre lettre à Proba est une bonne instruction sur la prière et la componction du cœur. La lettre à l'abbé Eugipius est un éloge de la charité fraternelle, dont le principal fruit est de prier pour le prochain. Il est prouvé dans la lettre au sénateur Théodore, que l'exemple des grands influe beaucoup sur les autres hommes, et que l'humilité fait la vraie grandeur du chrétien. La lettre à une vertueuse dame nommée Vénantie, renferme une vive exhortation à l'esprit de pénitence, et des avis salutaires contre le désespoir.

5. Le Livre de la Foi orthodoxe à Donat. C'est une explication exacte des mystères de la Trinité et de l'Incarnation. Donat, dont il est ici question, étoit un jeune Seigneur très-vertueux, qui avoit demandé à notre saint la solution d'une difficulté qui lui avoit été proposée par les Ariens.

6.o Le Livre à Victor contre le Sermon de Fastidiosus, prêtre arien, aussi décrié par ses mœurs licencieuses que par sa doctrine impie. Il fut composé vers l'an 523.

« PrécédentContinuer »