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il est vrai, ne ftatuèrent pas que les femmes de leurs villains leur appartiendraient, ils fe bornèrent aux filles; la raison en eft plaufible. Les filles font honteufes, il faut un peu de tems pour les apprivoifer. La majefté des loix les fubjugue tout - d'uncoup; les fiancées donnaient donc fans réfiftance la première nuit de leurs noces au feigneur châtelain, ou au baron, quand il les jugeait dignes de cet honneur.

On prétend que cette jurifprudence commença en Ecoffe; je le croirais volontiers : les feigneurs Ecoffais avaient un pouvoir encor plus abfolu fur leurs clans, que les barons Allemands & Français fur leurs fujets.

Il est indubitable que des abbés, des évêques s'attribuèrent cette prérogative en qualité de feigneurs temporels : & il n'y a pas bien longtems que des prélats fe font défiftés de cet ancien privilège pour des redevances en argent, auxquelles ils avaient autant de droit qu'aux pucelages des filles.

Mais remarquons bien que cet excès de tyrannie ne fut jamais approuvé par aucune loi publique. Si un feigneur ou un prélat avait affigné pardevant un tribunal réglé une fille fiancée à un de ses vaffaux, pour venir lui payer fa redevance, eût perdu, fans doute fa caufe avec dépens.

il

Saififfons cette occafion d'affurer qu'il n'y a jamais eu de peuple un peu civilifé qui ait établi des loix formelles contre les mœurs; je ne crois pas qu'il y en ait un feul exemple. Des abus s'établiffent, on les tolère; ils paffent en coutume; les voyageurs les prennent pour des loix fondamentales. Ils .ont vu, difent-ils, dans l'Afie de faints mahométans bien craffeux marcher tout nuds, & de bonnes dévotes venir leur baiser ce qui ne mérite pas de l'être; mais je les défie de trouver dans l'Alcoran une permiffion à des gueux de courir tout nuds & de faire baifer leur vienie par des dames.

On me citera pour me confondre le Phallum que les Egyptiens portaient en proceffion, & l'idole Jaganat des Indiens. Je répondrai que cela n'eft pas plus contre les mœurs que de s'aller faire couper le prépuce en cérémonie à l'âge de huit ans. On a porté dans quelques-unes de nos villes le faint prépuce en proceffion; on le garde encor dans quelques facrifties, fans que cette facétie ait caufé le moindre trouble

dans les familles. Je puis encor affurer qu'aucun concile, aucun arrêt de parlement n'a jamais ordonné qu'on fêterait le faint prépuce.

J'appelle loi contre les mœurs une loi publique, qui me prive de mon bien, qui m'ôte ma femme pour la donner à un autre ; & je dis que la chofe eft impoffible.

Quelques voyageurs prétendent qu'en Lapponie des maris font venus leur offrir leurs femmes par politeffe; c'est une plus grande politeffe à moi de les croire. Mais je leur foutiens qu'ils n'ont jamais trouvé cette loi dans le code de la Lapponie ; de· même que vous ne trouverez ni dans les conftitutions d'Allemagne, ni dans les ordonnances des rois de France, ni.dans les regiftres du parlement d'Angleterre, aucune loi pofitive qui adjuge le droit de cuiffage aux barons.

Des loix abfurdes, ridicules, barbares, vous en trouverez partout; des loix contre les mœurs nulle part.

LE CURÉ DE CAMPAGNE.

UN

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dis-je, un curé? un iman même, un talacuré, que poin, un brame doit avoir honnêtement de quoi vivre. Le prêtre en tout pays doit être nourri de l'autel, puisqu'il fert la république. Qu'un fanatique fripon ne s'avife pas de dire que je mets au niveau un curé & un brame, que j'afsocie la vérité avec l'impofture. Je ne compare que les fervices rendus à la fociété ; je ne compare que la peine & le falaire.

ici

Je dis que quiconque exerce une fonction pénible doit être bien payé de fes concitoyens ; je ne dis pas qu'il doive régorger de richeffes, fouper comme Lucullus, être infolent comme Clodius. Je plains le fort d'un curé de campagne obligé de difputer une gerbe de blé à fon malheureux paroiffien, de plaider contre lui, d'exiger la dixme des lentilles, & des pois. d'être hai, & de hair, de consumer sa misérable vie dans des querelles continuelles, qui aviliffent l'ame autant qu'elles l'aigriffent.

Je plains encore davantage le curé à portion congrue, à qui des moines, nommés gros décimateurs, ofent donner un falaire de quarante ducats, pour aller faire, pendant toute l'année, à deux ou trois milles de fa maison, le jour, la nuit, au foleil, à la pluie, dans les neiges, au milieu des glaces, les fonctions les plus désagréables, & fouvent les plus inutiles. Cependant l'abbé, gros décimateur, boit fon vin de Volney de Baune, de Chambertin, de Silleri, mange fes perdrix & fes faifans, dort fur le duvet avec fa voifine, & fait bâtir un palais. La difproportion eft trop grande.

On imagina du tems de Charlemagne que le clergé, outre ses terres, devait pofféder la dixme des terres d'autrui : & cette dixme eft au moins le quart en comptant les frais de culture. Pour affurer ce payement, on ftipula qu'il était de droit divin. Et comment était-il de droit divin? DIEU étaitil defcendu fur la terre pour donner le quart de mon bien à l'abbé du Mont - Caffin, à l'abbé de St. Denis, à l'abbé de Foulde? non pas, que je fache. Mais on trouva qu'autrefois dans le défert d'Ethan, d'Oreb, de Cadés - Barné, on avait donné aux lévites quarante - huit villes, & la dixme de tout ce que la terre produifait.

Eh bien, gros décimateurs, allez à Cadés - Barné ; habitez les quarante-huit villes qui font dans ce défert inhabitable; prenez la dixme des cailloux que la terre y produit ; & grand bien vous faffe.

Mais Abraham ayant combattu pour Sodome donna la dixme à Melchifedec prêtre & roi de Salem. Eh bien combattez pour Sodome, mais que Melchifedec ne me prenne pas le bled que j'ai femé.

Dans un pays chrêtien de douze cent mille lieues quarrées, dans tout le Nord, dans la moitié de l'Allemagne, dans la Hollande, dans la Suiffe, on paye le clergé de l'argent du trésor royal. Les tribunaux n'y retentiffent point des procès mûs entre les feigneurs & les curés, entre le gros & le petit décimateur, entre le pasteur demandeur, & l'ouaille intimée, en conféquence du troifiéme concile de Latran dont l'ouaille n'a jamais entendu parler.

Le roi de Naples cette année 1772, vient d'abolir la dixme

dans une de ses provinces; les curés font mieux payés, & la
province le bénit.

Les prêtres Egyptiens, dit-on, ne prenaient point la dixme.
Non, mais on nous affure qu'ils avaient le tiers de toute l'E-
gypte en propre. O miracle! ô chofe du moins difficile à
croire! ils avaient le tiers du pays, & ils n'eurent pas bien-
tôt les deux autres !

Ne croyez pas, mon cher lecteur, que les Juifs, qui étaient un peuple de col roide, ne se foient jamais plaints de l'impôt de la dixme.

Donnez-vous la peine de lire le Talmud de Babilone; & fi vous n'entendez pas le caldaïque, lifez la traduction faite par Gilbert Gaumin, avec les notes, le tout imprimé par les foins de Fabricius. Vous y verrez l'avanture d'une pauvre veuve avec le grand - prêtre Aaron, & comment le malheur de cette veuve fut cause de la querelle entre Dathan, Coré & Abiron d'un côté, & Aaron de l'autre.

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No.297.

Une veuve n'avait qu'une feule brebis, elle voulut la ton- Pag. 165 dre: Aaron vient qui prend la laine pour lui; elle m'appar,,tient, dit-il, felon la loi, Tu donneras les prémices de la laine à DIEU. La veuve implore en pleurant la protection de Coré. Coré va trouver Aaron. Ses prières font inutiles; Aaron ,, répond que par la loi la laine eft à lui. Coré donne quelque ,, argent à la femme & s'en retourne plein d'indignation.

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99

Quelque tems après la brebis fait un agneau, Aaron revient & s'empare de l'agneau. La veuve vient encor pleu,,rer auprès de Coré qui veut en vain fléchir Aaron. Le grand,, prêtre lui répond, il est écrit dans la loi, Tout mâle premier né de ton troupeau appartiendra à ton DIEU; il mangea l'agneau, & Coré s'en alla en fureur.

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La veuve au défespoir tue fa brebis. Aaron arrive encor
il en prend l'épaule & le ventre; Coré vient encor se plain-
dre. Aaron lui répond, il est écrit, Tu donneras le ventre
& l'épaule aux prêtres.

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La veuve ne pouvant plus contenir fa douleur, dit anathême à fa brebis. Aaron alors dit à la veuve, il eft écrit, Tout ce qui fera anathême dans Ifraël sera à toi, & il em" porta la brebis toute entière. “

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Ce qui n'est pas fi plaifant, mais ce qui eft fort fingulier c'eft que dans un procès entre le clergé de Rheims & les bourgeois, cet exemple tiré du Talmud fut cité par l'avocat des citoyens. Gaumin affure qu'il en fut témoin. Cependant, on peut lui répondre que les décimateurs ne prennent pas tout au peuple, les commis des fermes ne le fouffriraient pas. Chacun partage, comme il est bien juste.

Au refte, nous penfons que ni Aaron, ni aucun de nos curés ne se font appropriés les brebis & les agneaux des veuves de notre pays.

Nous ne pouvons mieux finir cet article honnête du Curé de campagne que par ce dialogue, dont une partie a déja été imprimée.

SECTION SECOND E.

DIALOGUE.

ARISTON.

Eh bien, mon cher Téotime, vous allez donc être curé de campagne ?

TEO TIME.

Oui; on me donne une petite paroiffe, & je l'aime mieux qu'une grande. Je n'ai qu'une portion limitée d'intelligence & d'activité ; je ne pourais certainement pas diriger foixante & dix mille ames, attendu que je n'en ai qu'une; un grand troupeau m'effraye, mais je pourai faire quelque bien à un petit. J'ai étudié affez de jurifprudence pour empêcher, autant que je le pourai, mes pauvres paroiffiens de fe ruiner en procès. J'ai affez de connaiffance de l'agriculture pour leur donner quelquefois des confeils utiles. Le feigneur du lieu & fa femme font d'honnêtes gens qui ne font point dévots, & qui m'aideront à faire du bien. Je me flatte que je vivrai affez heureux, & qu'on ne fera pas malheureux avec moi.

ARISTON.

N'êtes-vous pas fâché de n'avoir point de femme ? ce ferait une grande confolation; il ferait doux après avoir prôné,

chanté,

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