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m'embarquai sur le Rhône avec deux mousque-
taires de notre troupe, qui étoient du Pont-Saint-
Esprit. Nous nous embarquâmes, il y a huit jours,
dans un vaisseau tout neuf et bien couvert, que
nous, avions retenu exprès avec le
le meilleur patron
du pays; car il n'y a pas trop de sûreté de se mettre
sur le Rhône qu'à bonnes enseignes: néanmoins,
comme il n'avoit point plu du tout devers Lyon,
le Rhône étant fort bas, il avoit perdu beaucoup
de sa rapidité ordinaire.

On pouvoit sans difficulté
Voir ses naïades toutes nues
Et qui, honteuses d'être vues
Pour mieux cacher leur nudité

1.92 Cherchoient des places inconnues.

Ces nymphes sont de gros rochers bið
Auteurs de mainte sépulture,

Et dont l'effroyable figure

Fait changer de visage aux plus hardis nochers.

Nous fumes deux jours sur le Rhône, et nous couchâmes à Vienne et à Valence. J'avois commencé dès Lyon à ne plus guère entendre le langage du pays, et à n'être plus intelligible moi-même. Ce malheur s'accrut à Valence, et Dieu voulut qu'ayant demandé à une servante un pot de chambre, elle mit un réchaud sous mon lit. Vous pou vez vous imaginer les suites de cette maudite aven ture, et ce qui peut arriver à un homme endormi qui se sert d'un réchaud dans ses nécessités de nuit. Mais

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c'est encore bien pis dans ce pays. Je vous jure que j'ai autant besoin d'un interprète, qu'un Moscovite en auroit besoin dans Paris. Néanmoins je com mence à m'apercevoirque c'est un langage mêléd'es pagnol et d'italien; et comme j'entends assez bien ces deux langues, j'y ai quelquefois recours pouren tendre les autres et pour me faire entendre. Mais il arrive souvent que je perds toutes mes mesures comme il arriva hier qu'ayant besoin de petits clous à broquette pour ajuster ma chambre, j'envoyai le valet de mon oncle en ville, et lui dis de m'acheter deux ou trois cents de broquettes ; :il m'apporta incontinent trois bottes d'allumettes. Jugez s'il y'a sujet d'enrager en de semblables malentendus; cela iroit à l'infini, si je voulois dire tous les inconvénients qui arrivent aux nouveaux venus en ce pays, comme moi.o

Au reste, pour la situation d'Usez, vous saurez qu'elle est sur une montagne fort haute, et cette montagne n'est qu'un rocher continuel, si bien qu'en quelque ue temps qu'il fasse on peut aller à pied sec tout autour de la ville. Les campagnes qui l'environnent sont toutes couvertes d'oliviers, qui portent les plus belles olives du monde, mais bien trompeuses pourtant; car j'y ai été attrapé moimême. Je voulus en cueillir quelques unes au premier olivier que je rencontrai, et je les mis dans ma bouche avec le plus grand appétit qu'on puisse avoir; mais Dieu me préserve de sentir jamais une amertume pareille à celle que je sentis! J'en eus la

bouche toute perdue plus de quatre heures durant: et l'on m'a appris depuis qu'il falloit bien des lessives et des cérémonies pour rendre les olives douces comme on les mange. L'huile qu'on en tire sert ici de beurre, et j'appréhendois bien ce changement; mais j'en ai goûté aujourd'hui dans les sauces, et, sans mentir, il n'y a rien de meilleur. On sent bien moins l'huile qu'on ne sentiroit le meilleur beurre de France. Mais c'est assez vous parler d'huile, et vous pourrez me reprocher, plus justement qu'on ne faisoit à un ancien orateur, que mes ouvrages sentent trop l'huile.ust midla

Il faut vous entretenir d'autres choses, ou plutôt remettre cela à un autre voyage, pour ne vous pas ennuyer. Je ne me saurois empêcher de vous dire un mot des beautés de cette province. On m'en avoit dit beaucoup de bien à Paris; mais, sans mentir, on ne m'en avoit encore rien dit au prix de ce qui en est et pour le nombre et pour l'excellence; il n'y a pas une villageoise, pas une savetière, qui ne disputât de beauté avec les Fouillon et les Menneville. Si le pays, de soi, avoit un peu de délicaitesse, et que les rochers y fussent un peu moins fréquents, on le prendroit pour un vrai pays Cythere. Toutes les femmes y sont éclatantes, et sly ajustent d'une façon qui leur est la plus naturelle du monde. Et pour ce qui est de leur personne,.

verus, corpus solidum et succi plenum.

de

Mais comme c'est la première chose dont on m'a

dit de me donner de garde, je ne veux pas en parler davantage; aussi-bien ce seroit profaner une maison de bénéficier comme celle où je suis, que d'y faire de longsdiscours sur cette matière: Domus mea, domus orationis. C'est pourquoi vous devez vous attendre que je ne vous en parlerai plus du tout. On m'a dit soyez aveugle. Si je ne le puis être tout-à-fait, il faut du moins que je sois muet. -Gar, voyez-vous, il faut être régulier avec les réguliers, comme j'ai été loup avec vous, autres loups vos compères. Adiousias.

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I

et avec les

(od 710 Usez, 15 novembre 1661.

Ly a aujourd'hui huit jours que je partis du PontSaint-Esprit et que je vins à Usez, où je fus reçu de mon oncle avec toute sorte d'amitié. Il m'a

Quarter of sỳ shu cOS BUC

a

donné une chambre auprès de lui, et il prétend que je soulagerai un peu dans le grand nombre de ses affaires. Je vous assure qu'il en a beaucoup; non seulement il fait toutes celles du diocèse, mais il a même l'administration de tous

les

revenus

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Racine étoit chez son oncle, chanoine de SainteGeneviève.d un'b adorskas of eand neovact of tops:

chapitre, jusqu'à ce qu'il ait payé quatre-vingt mille livres de dettes, où le chapitre s'est engagé. II. s'y entend tout-à-fait, et il n'y a point de dom Côme dans son affaire. Avec tout cet embarras, il a encore celui de faire bâtir. Il est fort fâché de ce que je n'ai point apporté de démissoire; il m'auroit déjà mené à Avignon pour y prendre la tonsure; et la raison de cela est que le bénéfice qui viendra à vaquer est à sa nomination. Si vous poùviez me faire avoir un démissoire, vous m'obligeriez infiniment; il faudra l'envoyer demander à Soissons. Au reste, nous ne laisserons pas d'aller à Avignon, car mon oncle veut m'acheter des livres, et il veut que j'étudie. Je ne demande pas mieux, et je vous assure que je n'ai pas encore eu la curiosité de voir la ville d'Usez, ni quelque personne que ce soit. Il est bien aise que j'apprenne un peu 'de théologie dans saint Thomas, et j'en suis tombé d'accord fort volontiers. Enfin, je m'accorde plus aisément du monde à tout ce qu'il témoigne toutes les tendresses possibles, bles, Il me de mande tous les jours mon ode de la paix; et non seulement lui, mais tous les chanoines m'en demandent. J'avois négligé d'en apporter des exem plaires : si vous en avez avez encore, je vous pri d'en faire bien couper les marges et de me les en

voyer.

il me

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Moine dont Racine se plaint encore dans la suite, et qui le traversa dans la recherche d'un bénéfice.

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