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songeois seulement que je n'étois qu'à quatorze ou quinze lieues de vous, cela me mettoit en train, et c'étoit bien autre chose quand je vous voyois en personne; c'étoit alors que les paroles ne me cou toient rien, et que je causois d'assez bon cœur ; au lieu qu'aujourd'hui je ne yous vois qu'en idée; et quoique je songe assez fortement à vous, je ne saurois pourtant empêcher qu'il n'y ait cent cinquante lieues entre vous et votre idée. Ainsi il m'est un peu difficile de m'échauffer; et quand mes lettres seroient assez heureuses pour vous plaire, que me sert cela? J'aimerois mieux recevoir un soufflet, ou un coup de poing de vous, comme cela m'étoit assez ordinaire, qu'un grand merci qui viendroit de si loin. Après tout, il vous faut écrire, et il m'en faut revenir là; mais que vous mander? Sans mentir, je n'en sais rien pour le présent. Faites-moi une grace, donnez-moi temps jusqu'au premier ordinaire pour our y songer, et je vous promets de

faire merveille; j'y travaillerai plutôt jour et nuit. Aussi-bien vous avez plusieurs affaires; vous avez à préparer le logis au Saint-Esprit, qui doit venir dans huit jours à l'hôtel de Luines: travaillez donc à le recevoir comme il mérite, et moi je tra vaillerai à vous écrire comme vous méritez. Comme ce n'est pas une petite entreprise, vous trouverez bon que je m'y prépare avec un peu de loisir. Ne

IM. le duc de Chevreuse.

soyez point en colère de ce que j'ai tant tardé à m'acquitter de ce que je vous dois ; c'est bien assez que je sois si loin de votre présence, sans me bannir encore de votre esprit.

LETTRE XI.

A M. LE VASSEUR.

Usez, 28 décembre 1661.

DIEU merci, voici de vos lettres. Que vous en êtes devenu grand ménager! J ai vu que vous étiez libéral, et il ne se passoit guère de semaines, lorsque vous étiez à Bourbon, que vous ne m'écrivissiez une fois ou deux, et non seulement à moi, mais à des gens à qui vous n'aviez presque jamais parlé, tant les lettres vous coûtoient peu. Maintenant elles sont plus clair-semées, et c'est beaucoup d'en recevoir une en deux mois. J'étois très en peine de ce changement, et j'enrageois de voir qu'une si belle amitié se fût ainsi évanouie: En dextra fidesque! m'écriois-je.

E'l cor pien di sospir, parea un Moñgibello, i E lorsqu'heureusement votre lettre m'est venue tirer de toutes ces inquiétudes, et m'a appris que la raison pourquoi vous ne m'écriviez pas, c'est que mes lettres étoient trop belles. Qu'à cela ne tienne, Racine. 5.

monsieur, il me sera fort aisé d'y remédier; et il m'est si naturel de faire de méchantes lettres, que j'espère, avec la grace de Dieu, venir bientôt à bout de n'en faire pas de trop belles. Vous n'aurez pas sujet de vous plaindre à l'avenir, et j'attends dès à présent des réponses par tous les ordinaires. Mais parlons plus sérieusement; avouez que tout au contraire vous croyez les vôtres trop belles pour être si facilement communiquées à de pauvres provinciaux comme nous. Vous avez raison, sans doute, et c'est ce qui me fâche le plus; car il ne vous est pas aisé, comme à moi, de faire de mauvaises lettres; et ainsi je suis fort en danger de n'en guère recevoir.

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Après tout, si vous saviez la manière dont je les reçois, vous verriez qu'elles ne sont pas profanées pour tomber entre mes mains: car, outre que je les reçois avec toute la vénération que méritent les belles choses, c'est qu'elles ne me demeurent pas long-temps, et elles ont le vice dont vous accusez les miennes injustement, qui est de courir les rues; et vous diriez qu'en venant en Languedoc elles se veulent accommoder à l'air du pays; elles se communiquent à tout le monde, et ne craignent point la médisance: aussi savent-elles bien qu'elles en sont à couvert; chacun les veut voir, et on ne les lit pas tant pour apprendre des nouvelles que pour voir la façon dont vous les savez débiter. Continuez donc, s'il vous plaît, ou plutôt commencez tout de bon à m'écrire, quand ce ne ce ne seroit

que par charité. Je suis en danger d'oublier bientôt le peu de françois que je sais; je le désapprends tous les jours, et je ne parle tantôt plus que le langage de ce pays, qui est aussi peu françois que le bas breton. 1

Ipse mihi videor jam dedidicisse latinè,

Nam didici geticè sarmaticèque loqui

J'ai cru qu'Ovide vous faisoit pitié quand vous songiez qu'un si galant homme que lui étoit obligé à parler scythe lorsqu'il étoit relégué parmi ces barbares; cependant il s'en faut beaucoup qu'il fût si à plaindre que moi. Ovide possédoit si bien toute l'élégance romaine, qu'il ne la pouvoit jamais oublier; et quand il seroit revenu à Rome après un exil de vingt années, il auroit toujours fait taire les plus beaux esprits de la cour d'Auguste au lieu que, n'ayant qu'une petite teinture du bon françois, je suis en danger de tout perdre en moins de six mois, et de n'être plus intelligible si je reviens jamais à Paris. Quel plaisir aurez-vous quand je serai devenu le plus grand paysan du monde? Vous ferez bien mieux de m'entretenir un peu dans le langage qu'on parle à Paris : vos lettres me tiendront lieu de livres et d'académie.

1. Ces plaintes, l'exactitude de l'orthographe de ces lettres écrites à la hâte, les coups de crayon qu'on trouve de lui sur les remarques et le Quinte-Curce de Vaugelas, prouvent combien il avoit à coeur de bien posséder la langue françoise.o ob squt of dowodfod dy

Mais à propos d'académie, que le pauvre Pelisson est à plaindre, et que la conciergerie est un méchant poste pour un bel esprit! Tous les beaux esprits du monde ne devroient-ils pas faire une solennelle députation au roi pour demander sa grace? Les Muses elles-mêmes devroient-elles pas se rendre visibles afin de solliciter pour lui? Nec vos, Pierides, nec stirps Latonia, vestro

sne

Docta sacerdoti turba tulistis opem

Mais on voit peu de gens que la protection des Muses ait sauvés des mains de la justice: il eût mieux valu pour lui qu'il ne se fût jamais mêlé que de belles choses, et la condition de roitelet en laquelle il s'étoit métamorphosé lui eût été bien plus avantageuse que celle de financier, Cela doit apprendre à M. l'Avocat que le solide n'est pas toujours le plus sûr, puisque M. Pelisson ne s'est perdu que pour l'avoir préféré au creux : et sans mentir, quoiqu'il fasse bien creux sur le Parnasse, on y pourtant plus à son aise que dans la conciergerie: et il n'y a point de plaisir d'avoir place dans les histoires tragiques, dussent-elles être écrites de la main de M. Pelisson lui-même. dolp

est

Je salue M. l'Avocat, et je diffère de lui écrire, afin de laisser un peu passer ce reste de mauvaise humeur que sa maladie lui a laissé, et qui lui feroit peut-être maltraiter les lettres que je lui enverrois.

علم لماست

Racine en veut toujours à ce M. l'Avocat, qui avoit

sans cesse à la bouche le mot de creux:

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