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faut donner au premier, au second et au troisième service, les entremêts qu'il y faut mêler, et encore quelque chose de plus; car nous prétendons faire un festin à quatre services, sans compter le dessert. J'ai la tête si remplie de toutes ces belles choses, que je vous en pourrois faire un long entretien; mais c'est une matière trop creuse sur le papier, outre que, n'étant pas bien confirmé dans cette science, je pourrois bien faire quelque pas de clerc si j'en parlois encore long-temps.

Je vous prie de m'envoyer les Lettres Provinciales. Nos moines sont de sots ignorants qui n'étudient point du tout; aussi je ne les vois jamais, et j'ai conçu une certaine horreur pour cette vie fainéante de moines que je ne pourrai pas bien dissimuler. Pour mon oncle, il est fort sage, fort habile homme, peu moine, et grand théologien. On parle beaucoup d'un évêque qui est adoré dans cette province; M. le prince de Conti va faire ses pâques chez lui.

Je vous dirai une petite histoire assez étrange. Une jeune fille d'Usez, qui logeoit assez près de chez nous, s'empoisonna hier elle-même avec de l'arsenic, pour se venger de son père qui l'avoit querellée trop rudement du reste elle étoit très sage. Telle est l'humeur des gens de ce pays-ci; ils portent les passions jusqu'au dernier excès.

:

Il étoit gouverneur du Languedoc. Racine. 5.

Je suis fort serviteur de la belle Manon,
Et de la petite Nanon;

Gar je crois que c'est là le nom

Dont on nomma votre seconde :

Et je salue aussi ce beau petit mignon
Qui doit bientôt venir au monde.

LETTRE XXII.

AU MEME.

Usez, 6 juin 1662.

Mon oncle est encore malade, ce qui me touche sensiblement; car je vois que ses maladies ne viennent que d'inquiétude et d'accablement ; il a mille affaires, toutes embarrassantes; il a payé plus de trente mille livres de dettes, et il en découvre tous les jours de nouvelles: vous diriez que nos moines avoient pris plaisir à se ruiner. Quoique mon oncle se tue pour eux, il reconnoît de plus en plus leur mauvaise volonté; et avec cela il faut qu'il dissimule tout. M. • d'Usez témoigne toute sorte de confiance en lui; mais il n'en attend rień: cet évêque a des gens affamés à qui il donne tout. Mon oncle est si lassé de tant d'embarras, qu'il me pressa hier de recevoir son bénéfice par résignation. Cela me fit trembler, voyant l'état où sont les affaires; et je sus si bien lui représenter ce que c'étoit

que de s'engager dans des procès, et au bout du compte demeurer moine sans titre et sans liberté, que lui-même est le premier à m'en détourner, outre que je n'ai pas l'âge, parcequ'il faut être prêtre: car, quoiqu'une dispense soit aisée, ce seroit nouvelle matière de procès. Enfin il en vient jus que-là qu'il voudroit trouver un bénéficier séculier qui voulût de son bénéfice, à condition de me résigner celui qu'il auroit. Il est résolu de me mener à Avignon pour me faire tonsurer, afin qu'en tout cas, s'il vient quelque chapelle, il la puisse impétrer. S'il venoit à vaquer quelque chose dans votre district, souvenez-vous de moi. Je crois qu'on n'en murmurera pas à Port Royal, puis qu'on voit bien que je suis ici dévoué à l'église. Excusez si je vous importune, mais vous y êtes accoutumé.

LETTRE XXIII. © 200

Caravali palubky AU MÊME.sion celi zupuke Usez, 13 juin 1662

J'écaIVIS la semaine passée à dom Côme pour le disposer à nous abandonner le bénéfice il répond qu'il est à sa bienséance. Il seroit à ma bienséance autant qu'à la sienne. La méchante condition que d'avoir affaire à dom Côme je crois

que cet homme-là est né pour ruiner toutes mes affaires.

On fait ici la moisson: on voit un tas de moissonneurs, rôtis du soleil, qui travaillent comme des démons; et quand ils sont hors d'haleine, ils se jettent à terre au soleil même, dorment un moment, et se relèvent aussitôt. Je ne vois cela que de mes fenêtres; je ne pourrois être un moment dehors sans mourir, l'air est aussi chaud que dans un four allumé. Pour m'achever, je suis tout le jour étourdi d'une infinité de cigales, qui ne font que chanter de tous côtés, mais d'un chant le plus perçant et le plus importun du monde. Si j'avois autant d'autorité sur elles qu'en avoit le bon saint François, je ne leur dirois pas comme lui: Chantez, ma sœur la cigale; mais je les prierois bien fort de s'en aller faire un tour jusqu'à la Ferté-Milon, si vous êtes encore, pour vous faire part d'une si belle harmonie.

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On

Notre évêque a toujours son projet de réforme; mais il appréhende d'aliéner les esprits de la province: il se voit déjà désert, ce qui le fâche; il reconnoît bien qu'on ne fait la cour dans ce pays-ci qu'à ceux dont on attend du bien. S'il établit une fois la réforme, il sera abandonné même de ses valets. lui impute qu'il aime à dominer, et qu'il aime mieux avoir dans son église des moines dont il prétend disposer, quoique peut-être il se trompe, que des chanoines séculiers qui le portent un peu plus haut. Les politiques en ces sortes d'affaires disent que

les particuliers sont plus maniables qu'une communauté, et que les moines n'ont pas toute déférence pour les évêques:

Koyaal one LETTRE XXIV:

A M. LE VASSEUR.

Usez, 4 juillet 1662

Que UE vous tenez bien votre gravité espagnole! Il paroit bien qu'en apprenant cette langue vous avez pris un peu de l'humeur de la nation. Vous n'allez plus qu'à pas comptés, et vous écrivez une lettre en trois mois. Je ne vous ferai pas davantage de reproches, quoique j'eusse bien résolu ce matin de vous en faire. J'avois étudié tout ce qu'il y a de plus, rude et de plus injurieux dans les cinq langues que vous aimez; mais votre lettre est arrivée à midi, et m'a fait perdre la moitié de ma colère. N'êtes vous pas fort plaisant avec vos cinq langues? Vous voudriez justement que mes lettres fussent des Calepins, et encore des lettres galantes pour amuser vos dames. Ne croyez pas que ma bibliothèque soit fort grosse.le nombre de mes livres est trèsborné, encore ne sont-ce pas des livres à conter fleurettes: ce sont des sommes de théologie latine, des méditations espagnoles, des histoires italiennes, des pères grecs, et pas un françois; voyer

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