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tout, et qui fait tout par sa parole, tant à cause qu'il fait tout par raison, qu'à cause qu'il fait tout sans peine, et que pour faire de si grands ouvrages il ne lui en coûte qu'un seul mot, c'est-àdire qu'il ne lui en coûte que de le vouloir.

Et pour suivre l'histoire de la création, puisque nous l'avons commencée, Moïse nous a enseigné que ce puissant architecte, à qui les choses coûtent si peu, a voulu les faire à plusieurs reprises, et créer l'univers en six jours, pour montrer qu'il n'agit pas avec une nécessité, ou par une impétuosité aveugle, comme se le sont imaginé quelques philosophes. Le soleil jette d'un seul coup, sans se retenir, tout ce qu'il a de rayons: mais Dieu, qui agit par intelligence et avec une souveraine liberté, applique sa vertu où il lui plaît, et autant qu'il lui plaît et comme, en faisant le monde par sa parole, il montre que rien ne le peine; en le faisant à plusieurs reprises, il fait voir qu'il est le maître de sa matière, de son action, de toute son entreprise, et qu'il n'a en agissant d'autre règle que sa volonté toujours droite par elle-même.

Cette conduite de Dieu nous fait voir aussi que tout sort immédiatement de sa main. Les peuples et les philosophes qui ont cru que la terre mêlée avec l'eau, et aidée, si vous le voulez, de la chaleur du soleil, avoit produit d'elle-même par sa propre fécondité les plantes et les animaux, se sont trop grossièrement trompés. L'Ecriture nous a fait entendre que les élémens sont stériles, si la parole de Dieu ne les rend féconds. Ni la terre, ni l'eau, ni l'air n'auroient jamais eu les plantes ni les ani

maux que nous y voyons, si Dieu, qui en avoit fait et préparé la matière, ne l'avoit encore formée par sa volonté toute-puissante, et n'avoit donné à chaque chose les semences propres pour se multiplier dans tous les siècles.

Ceux qui voient les plantes prendre leur naissance et leur accroissement par la chaleur du soleil, pourroient croire qu'il en est le créateur. Mais l'Ecriture nous fait voir la terre revêtue d'herbes et de toute sorte de plantes avant que le soleil ait été créé, afin que nous concevions que tout dépend de Dieu seul.

Il a plu à ce grand ouvrier de créer la lumière, avant même que de la réduire à la forme qu'il lui a donnée dans le soleil et dans les astres; parce qu'il vouloit nous apprendre que ces grands et magnifiques luminaires, dont on nous a voulu faire des divinités, n'avoient par eux-mêmes ni la matière précieuse et éclatante dont ils ont été composés, ni la forme admirable à laquelle nous les voyons réduits.

Enfin le récit de la création, tel qu'il est fait par Moïse, nous découvre ce grand secret de la véritable philosophie, qu'en Dieu seul réside la fécondité et la puissance absolue. Heureux, sage, tout-puissant, seul suffisant à lui-même, il agit sans nécessité comme il agit sans besoin; jamais contraint ni embarrassé par sa matière, dont il fait ce qu'il veut, parce qu'il lui a donné par sa seule volonté le fond de son être. Par ce droit souverain, il la tourne, il la façonne, il la meut sans peine : tout dépend immédiatement de lui; et si, selon l'ordre établi dans la nature, BOSSUET. xxxv.

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une chose dépend de l'autre, par exemple, la naissance et l'accroissement des plantes, de la chaleur du soleil, c'est à cause que ce même Dieu, qui a fait toutes les parties de l'univers, a voulu les lier les unes aux autres, et faire éclater sa sagesse par ce merveilleux enchaînement.

Mais tout ce que nous enseigne l'Ecriture sainte sur la création de l'univers, n'est rien en comparaison de ce qu'elle dit de la création de l'homme.

Jusqu'ici Dieu avoit tout fait en commandant : << Que la lumière soit; que le firmament s'étende >> au milieu des eaux; que les eaux se retirent; que » la terre soit découverte, et qu'elle germe; qu'il » y ait de grands luminaires qui partagent le jour » et la nuit; que les oiseaux et les poissons sortent » du sein des eaux ; que la terre produise les ani» maux selon leurs espèces différentes (1) ». Mais quand il s'agit de produire l'homme, Moïse lui fait tenir un nouveau langage : «< Faisons l'homme, » dit-il (2), à notre image et ressemblance ».

Ce n'est plus cette parole impérieuse et dominante; c'est une parole plus douce, quoique non moins efficace. Dieu tient conseil en lui-même ; Dieu s'excite lui-même, comme pour nous faire voir que l'ouvrage qu'il va entreprendre surpasse tous les ouvrages qu'il avoit faits jusqu'alors.

Faisons l'homme. Dieu parle en lui-même; il parle à quelqu'un qui fait comme lui, à quelqu'un dont l'homme est la créature et l'image : il parle à un autre lui-même ; il parle à celui par qui toutes choses ont été faites, à celui qui dit dans son Evan(1) Gen. 1. 3, etc.

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· (2) Ibid. 26.

gile : «< Tout ce que le Père fait, le Fils le fait sem» blablement (1) ». En parlant à son Fils, ou avec son Fils, il parle en même temps avec l'Esprit toutpuissant, égal et coéternel à l'un et à l'autre.

C'est une chose inouie dans tout le langage de l'Ecriture, qu'un autre que Dieu ait parlé de luimême en nombre pluriel; faisons. Dieu même, dans l'Ecriture, ne parle ainsi que deux ou trois fois, et ce langage extraordinaire commence à paroître lorsqu'il s'agit de créer l'homme.

Quand Dieu change de langage, et en quelque façon de conduite, ce n'est pas qu'il change en luimême; mais il nous montre qu'il va commencer, suivant des conseils éternels, un nouvel ordre de choses.

Ainsi l'homme, si fort élevé au-dessus des autres créatures dont Moïse nous avoit décrit la génération, est produit d'une façon toute nouvelle. La Trinité commence à se déclarer, en faisant la créature raisonnable dont les opérations intellectuelles sont une image imparfaite de ces éternelles opérations par lesquelles Dieu est fécond en lui-même.

La parole de conseil, dont Dieu se sert, marque que la créature qui va être faite, est la seule qui peut agir par conseil et par intelligence. Tout le reste n'est pas moins extraordinaire. Jusque - là nous n'avions point vu, dans l'histoire de la Genèse, le doigt de Dieu appliqué sur une matière corruptible. Pour former le corps de l'homme, lui-même prend de la terre (2); et cette terre arrangée sous une telle main reçoit la plus belle figure qui eût

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encore paru dans le monde. L'homme a la taille droite, la tête élevée, les regards tournés vers le ciel : et cette conformation, qui lui est particulière, lui montre son origine et le lieu où il doit tendre.

Cette attention particulière, qui paroît en Dieu quand il fait l'homme, nous montre qu'il a pour lui un égard particulier, quoique d'ailleurs tout soit conduit immédiatement par sa sagesse.

Mais la manière dont il produit l'ame, est beaucoup plus merveilleuse : il ne la tire point de la matière ; il l'inspire d'en haut; c'est un souffle de vie qui vient de lui-même.

Quand il créa les bêtes, il dit : « Que l'eau pro» duise les poissons » ; et il créa de cette sorte les monstres marins, et toute ame vivante et mouvante qui devoit remplir les eaux. Il dit encore : «< Que » la terre produise toute ame vivante, les bêtes à » quatre pieds et les reptiles (1) ».

C'est ainsi que devoient naître ces ames vivantes d'une vie brute et bestiale, à qui Dieu ne donne pour toute action que des mouvemens dépendans du corps. Dieu les tire du sein des eaux et de la terre: mais cette ame dont la vie devoit être une imitation de la sienne, qui devoit vivre comme lui de raison et d'intelligence, qui lui devoit être unie en le contemplant et en l'aimant, et qui pour cette raison étoit faite à son image, ne pouvoit être tirée de la matière. Dieu, en façonnant la matière, peut bien former un beau corps; mais en quelque sorte qu'il la tourne et la façonne, jamais il n'y trouvera son image et sa ressemblance. L'ame faite à son (1) Gen. 1. 20, 24.

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