Images de page
PDF
ePub

image, et qui peut être heureuse en le possédant, doit être produite par une nouvelle création : elle doit venir d'en haut; et c'est ce que signifie ce souffle de vie (1), que Dieu tire de sa bouche.

Souvenons-nous que Moïse propose aux hommes charnels, par des images sensibles, des vérités pures et intellectuelles. Ne croyons pas que Dieu souffle à la manière des animaux. Ne croyons pas que notre ame soit un air subtil, ni une vapeur déliée. Le souffle que Dieu inspire, et qui porte en lui-même l'image de Dieu, n'est ni air ni vapeur. Ne croyons pas que notre ame soit une portion de la nature divine, comme l'ont rêvé quelques philosophes. Dieu n'est pas un tout qui se partage. Quand Dieu auroit des parties, elles ne seroient pas faites. Car le créateur, l'être incréé ne seroit pas composé de créatures. L'ame est faite, et tellement faite, qu'elle n'est rien de la nature divine; mais seulement une chose faite à l'image et ressemblance de la nature divine; une chose qui doit toujours demeurer unie à celui qui l'a formée : c'est ce que veut dire ce souffle divin; c'est ce que nous représente cet esprit de vie.

Voilà donc l'homme formé. Dieu forme encore de lui la compagne qu'il lui veut donner. Tous les hommes naissent d'un seul mariage, afin d'être à jamais, quelque dispersés et multipliés qu'ils soient, une seule et même famille.

Nos premiers parens ainsi formés sont mis dans ce jardin délicieux, qui s'appelle le Paradis: Dieu se devoit à lui-même de rendre son image heureuse.

(1) Gen. 11. 7.

Il donne un précepte à l'homme, pour lui faire sentir qu'il a un maître; un précepte attaché à une chose sensible, parce que l'homme étoit fait avec des sens; un précepte aisé, parce qu'il vouloit lui rendre la vie commode tant qu'elle seroit in

nocente.

L'homme ne garde pas un commandement d'une si facile observance : il écoute l'esprit tentateur, et il s'écoute lui-même, au lieu d'écouter Dieu uniquement; sa perte est inévitable; mais il la faut considérer dans son origine aussi bien que dans ses suites.

Dieu avoit fait au commencement ses anges, esprits purs et séparés de toute matière. Lui, qui ne fait rien que de bon, les avoit tous créés dans la sainteté; et ils pouvoient assurer leur félicité en se donnant volontairement à leur créateur. Mais tout ce qui est tiré du néant est défectueux. Une partie de ces anges se laissa séduire à l'amour-propre. Malheur à la créature qui se plaît en elle-même, et non pas en Dieu! elle perd en un moment tous ses dons. Etrange effet du péché ! ces esprits lumineux devinrent esprits de ténèbres : ils n'eurent plus de lumières qui ne se tournassent en ruses malicieuses. Une maligne envie prit en eux la place de la charité; leur grandeur naturelle ne fut plus qu'orgueil; leur félicité fut changée en la triste consolation de se faire des compagnons dans leur misère; et leurs bienheureux exercices au misérable emploi de tenter les hommes. Le plus parfait de tous, qui avoit aussi été le plus superbe, se trouva le plus malfaisant, comme le plus malheureux. L'homme,

que

Dieu avoit mis un peu au-dessous des anges (1), en l'unissant à un corps, devint à un esprit si parfait un objet de jalousie : il voulut l'entraîner dans sa rebellion, pour ensuite l'envelopper dans sa perte. Les créatures spirituelles avoient, comme Dieu même, des moyens sensibles pour communiquer avec l'homme qui leur étoit semblable dans sa partie principale. Les mauvais esprits, dont Dieu vouloit se servir pour éprouver la fidélité du genre humain, n'avoient pas perdu le moyen d'entretenir ce commerce avec notre nature, non plus qu'un certain empire qui leur avoit été donné d'abord sur la créature corporelle. Le démon usa de ce pouvoir contre nos premiers parens. Dieu permit qu'il leur parlât en la forme d'un serpent, comme la plus convenable à représenter la malignité avec le supplice de cet esprit malfaisant, ainsi qu'on le verra dans la suite. Il ne craint point de leur faire horreur sous cette figure. Tous les animaux avoient été également amenés aux pieds d'Adam pour en recevoir un nom convenable, et reconnoître le souverain que Dieu leur avoit donné (2). Ainsi aucun des animaux ne causoit de l'horreur à l'homme, parce que, dans l'état où il étoit, aucun ne lui pouvoit nuire.

Ecoutons maintenant comment le démon lui parla, et pénétrons le fond de ses artifices. Il s'adresse à Eve, comme à la plus foible: mais en la personne d'Eve, il parle à son mari aussi bien qu'à elle « Pourquoi Dieu vous a-t-il fait cette dé»fense (3) »? S'il vous a faits raisonnables, vous devez savoir la raison de tout ce fruit n'est pas

:

[merged small][merged small][ocr errors][merged small]

rien ne

un poison; « vous n'en mourrez pas (1) ». Voilà par où commence l'esprit de révolte. On raisonne sur le précepte, et l'obéissance est mise en doute. « Vous serez comme des dieux (2) », libres et indépendans, heureux en vous-mêmes, sages par vousmêmes : «< vous saurez le bien et le mal vous sera impénétrable. C'est par ces motifs que l'esprit s'élève contre l'ordre du Créateur, et audessus de la règle. Eve à demi gagnée regarda le fruit, dont la beauté promettoit un goût excellent (3). Voyant que Dieu avoit uni en l'homme l'esprit et le corps, elle crut qu'en faveur de l'homme il pourroit bien encore avoir attaché aux plantes des vertus surnaturelles, et des dons intellectuels aux objets sensibles. Après avoir mangé de ce beau fruit, elle en présenta elle-même à son mari. Le voilà dangereusement attaqué. L'exemple et la complaisance fortifient la tentation : il entre dans les sentimens du tentateur si bien secondé; une trompeuse curiosité, une flatteuse pensée d'orgueil, le secret plaisir d'agir de soi-même, et selon ses propres pensées, l'attire et l'aveugle; il veut faire une dangereuse épreuve de sa liberté, et il goûte avec le fruit défendu la pernicieuse douceur de contenter son esprit les sens mêlent leur attrait à ce nouveau charme; il les suit, il s'y soumet, et il s'en fait le captif, lui qui en étoit le maître.

En même temps tout change pour lui. La terre ne lui rit plus comme auparavant ; il n'en aura plus rien que par un travail opiniâtre : le ciel n'a plus cet air serein: les animaux qui lui étoient tous, (1) Gen. 111. 4. (2) Ibid. 5. - (3) Ibid. 6.

jusqu'aux plus odieux et aux plus farouches, un divertissement innocent, prennent pour lui des formes hideuses: Dieu, qui avoit tout fait pour son bonheur, lui tourne en un moment tout en supplicę. Il se fait peine à lui-même, lui qui s'étoit tant aimé. La rebellion de ses sens lui fait remarquer en lui je ne sais quoi de honteux (1). Ce n'est plus ce premier ouvrage du créateur où tout étoit beau; le péché a fait un nouvel ouvrage qu'il faut cacher. L'homme ne peut plus supporter sa honte, et voudroit pouvoir la couvrir à ses propres yeux. Mais Dieu lui devient encore plus insupportable. Ce grand Dieu, qui l'avoit fait à sa ressemblance, et qui lui avoit donné des sens comme un secours nécessaire à son esprit, se plaisoit à se montrer à lui sous une forme sensible: l'homme ne peut plus souffrir sa présence. Il cherche le fond des forêts (2) pour se dérober à celui qui faisoit auparavant tout son bonheur. Sa conscience l'accuse avant que Dieu parle. Ses malheureuses excuses achèvent de le confondre. Il faut qu'il meure : le remède d'immortalité lui est ôté; et une mort plus affreuse, qui est celle de l'ame, lui est figurée par cette mort corporelle à laquelle il est condamné.

Mais voici notre sentence prononcée dans la sienne. Dieu, qui avoit résolu de récompenser son obéissance dans toute sa postérité, aussitôt qu'il s'est révolté le condamne, et le frappe, non-seulement en sa personne, mais encore dans tous ses enfans, comme dans la plus vive et la plus chère partie de lui-même nous sommes tous maudits dans notre (1) Gen. 111. 7. — (3) Ibid. 8.

« PrécédentContinuer »