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L'esprit qui avoit trompé le premier homme goûtoit alors tout le fruit de sa séduction, et voyoit l'effet entier de cette parole, « Vous serez comme » des dieux ». Dès le moment qu'il la proféra, il songeoit à confondre en l'homme l'idée de Dieu avec celle de la créature, et à diviser un nom dont la majesté consiste à être incommunicable. Son projet lui réussissoit. Les hommes, ensevelis dans la chair et dans le sang, avoient pourtant conservé une idée obscure de la puissance divine, qui se soutenoit par sa propre force, mais qui, brouillée avec les images venues par leurs sens, leur faisoit adorer toutes les choses où il paroissoit quelque activité et quelque puissance. Ainsi le soleil et les astres qui se faisoient sentir de si loin, le feu et les élémens dont les effets étoient si universels, furent les premiers objets de l'adoration publique. Les grands rois, les grands conquérans qui pouvoient tout sur la terre, et les auteurs des inventions utiles à la vie humaine, eurent bientôt après les honneurs divins. Les hommes portèrent la peine de s'être soumis à leurs sens : les sens décidèrent de tout, et firent, malgré la raison, tous les dieux qu'on adora sur la terre.

Que l'homme parut alors éloigné de sa première institution, et que l'image de Dieu y étoit gâtée ! Dieu pouvoit-il l'avoir fait avec ces perverses inclinations qui se déclaroient tous les jours de plus en plus? et cette pente prodigieuse qu'il avoit à s'assujettir à toute autre chose qu'à son seigneur naturel, ne montroit-elle pas trop visiblement la main étrangère, par laquelle l'œuvre de Dieu avoit été si profondément altérée dans l'esprit humain, qu'à peine

pouvoit-on y en reconnoître quelque trace? Poussé par cette aveugle impression qui le dominoit, il s'enfonçoit dans l'idolâtrie, sans que rien le pût retenir. Un si grand mal faisoit des progrès étranges. De peur qu'il n'infectât tout le genre humain, et n'éteignît tout-à-fait la connoissance de Dieu, ce grand Dieu appela d'en haut son serviteur Abraham, dans la famille duquel il vouloit établir son culte, et conserver l'ancienne croyance tant de la création de l'univers que de la providence particulière avec laquelle il gouverne les choses humaines.

Abraham a toujours été célèbre dans l'Orient. Ce n'est pas seulement les Hébreux qui le regardent comme leur père. Les Iduméens se glorifient de la même origine. Ismaël, fils d'Abraham, est connu parmi les Arabes comme celui d'où ils sont sortis (1). La circoncision leur est demeurée comme la marque de leur origine, et ils l'ont reçue de tout temps, non pas au huitième jour, à la manière des Juifs, mais à treize ans, comme l'Ecriture nous apprend qu'elle fut donnée à leur père Ismaël (2) : coutume qui dure encore parmi les Mahométans. D'autres peuples Arabes se ressouviennent d'Abraham et de Cétura, et ce sont les mêmes que l'Ecriture fait sortir de ce mariage (3). Ce patriarche étoit Chaldéen; et ces peuples, renommés pour leurs observations astronomiques, ont compté Abraham comme un de leurs plus savans observateurs (4). Les histo

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(1) Gen. XVI, XVII. (2) Gen. xvii. 25. Joseph. Ant. lib. 1, cap. 13, al. 12. (3) Gen. xxv. Alex. Polyh. apud. Jos. Ant. lib. 1, cap. 16, · (4) Beros. Hecat. Eupol. Alex. Polyh. et al. apud Jos. Ant.

al. 15.

riens de Syrie l'ont fait roi de Damas, quoique étranger et venu des environs de Babylone; et ils racontent qu'il quitta le royaume de Damas pour s'établir dans le pays des Chananéens, depuis appelé Judée (1). Mais il vaut mieux remarquer ce que l'histoire du peuple de Dieu nous rapporte de ce grand homme. Nous avons vu qu'Abraham suiyoit le genre de vie que suivirent les anciens hommes, avant que tout l'univers eût été réduit en royaumes. Il régnoit dans sa famille, avec laquelle il embrassoit cette vie pastorale tant renommée pour sa simplicité et son innocence; riche en troupeaux, en esclaves, et en argent, mais sans terres et sans domaine (2); et toutefois il vivoit dans un royaume étranger, respecté, et indépendant comme un prince (3). Sa piété et sa droiture protégée de Dieu, lui attiroit ce respect. Il traitoit d'égal avec les rois qui recherchoient son alliance", et c'est de là qu'est venue l'ancienne opinion qui l'a lui-même fait roi. Quoique sa vie fût simple et pacifique, il savoit faire la guerre, mais seulement pour défendre ses alliés opprimés (4). Il les défendit, et les vengea par une victoire signalée : il leur rendit toutes leurs richesses reprises sur leurs ennemis, sans réserver autre chose que la dixme qu'il offrit à Dieu, et la part qui appartenoit aux troupes auxiliaires qu'il avoit menées au combat. Au reste, après un si

lib. 1, cap. 8, al. §; et Euseb. Præp. Ev. lib. ix, c. 16, 17, 18, 19, 20, etc.

(1) Nic. Damas, lib. 1v Hist, univ. in Excerpt. Vales. p. 491; et ap. Jos. Ant. lib. 1, c. 8; et Euseb. Præp. Ev. lib. 1x, cap. 16. (2) Gen. (3) Gen. XIV, XXI. 22, 27. XXIII. 6. (4) Genes. XIV.

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grand service, il refusa les présens des rois avec une magnanimité sans exemple, et ne put souffrir qu'aucun homme se vantât d'avoir enrichi Abraham. Il ne vouloit rien devoir qu'à Dieu qui le protégeoit, et qu'il suivoit seul avec une foi et une obéissance parfaite.

Guidé par cette foi, il avoit quitté sa terre natale pour venir au pays que Dieu lui montroit. Dieu, qui l'avoit appelé, et qui l'avoit rendu digne de son alliance, la conclut à ces conditions.

Il lui déclara qu'il seroit le Dieu de lui et de șes enfans (1), c'est-à-dire qu'il seroit leur protecteur, et qu'ils le serviroient comme le seul Dieu créateur du ciel et de la terre.

Il lui promit une terre (ce fut celle de Chanaan) pour servir de demeure fixe à sa postérité, et de siége à la religion (2).

Il n'avoit point d'enfans, et sa femme Sara étoit stérile. Dieu lui jura par soi-même, et par son éternelle vérité, que de lui et de cette femme naîtroit une race qui égaleroit les étoiles du ciel et le sable de la mer (3).

Mais voici l'article le plus mémorable de la promesse divine. Tous les peuples se précipitoient dans l'idolâtrie. Dieu promit au saint patriarche qu'en lui et en sa semence toutes ces nations aveugles, qui oublioient leur créateur, seroient bénites (4), c'està-dire rappelées à sa connoissance, où se trouve la véritable bénédiction.

Par cette parole Abraham est fait le père de tous (1) Gen. XII, XVII. -- (2) Ibid. (3) Gen. XII. 2. XV. 4, 5. XVII. 19. (4) Gen. x1, 3. xviii. 18.

les croyans, et sa postérité est choisie pour être la source d'où la bénédiction doit s'étendre par toute la terre.

En cette promesse étoit enfermée la venue du Messie tant de fois prédit à nos pères, mais toujours prédit comme celui qui devoit être le Sauveur de tous les Gentils et de tous les peuples du monde.

Ainsi ce germe béni, promis à Eve, devint aussi le germe et le rejeton d'Abraham.

Tel est le fondement de l'alliance; telles en sont les conditions. Abraham en reçut la marque dans la circoncision (1), cérémonie dont le propre effet étoit de marquer que ce saint homme appartenoit à Dieu avec toute sa famille.

Abraham étoit sans enfans quand Dieu commença à bénir sa race. Dieu le laissa plusieurs années sans lui en donner. Après il eut Ismaël, qui devoit être père d'un grand peuple, mais non pas de ce peuple élu, tant promis à Abraham (2). Le père du peuple élu devoit sortir de lui et de sa femme Sara qui étoit stérile. Enfin treize ans après Ismaël, il vint cet enfant tant désiré : il fut nommé Isaac (3), c'est-àdire ris, enfant de joie, enfant de miracle, enfant de promesse, qui marque par sa naissance que les vrais enfans de Dieu naissent de la grâce.

Il étoit déjà grand ce bénit enfant, et dans un âge où son père pouvoit espérer d'en avoir d'autres enfans, quand tout-à-coup Dieu lui commanda de l'immoler (4). A quelles épreuves la foi est-elle exposée ? Abraham mena Isaac à la montagne que (2) Gen. x11, XV. 2. XVI. 3, 4. XVII. 20. XXI, 13.

(1) Gen. XVII. ➡ (3) Gen. XXI. 2, 3.

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