Images de page
PDF
ePub

noient sa place. Le moment étoit venu, où la vérité, mal gardée dans la mémoire des hommes, ne pouvoit plus se conserver sans être écrite ; et Dieu ayant résolu d'ailleurs de former son peuple à la vertu par des lois plus expresses et en plus grand nombre, il résolut en même-temps de les donner par écrit,

Moïse fut appelé à cet ouvrage. Ce grand homme recueillit l'histoire des siècles passés; celle d'Adam, celle de Noé, celle d'Abraham, celle d'Isaac, celle de Jacob, celle de Joseph, ou plutôt celle de Dieu même et de ses faits adrnirables.

Il ne lui fallut pas déterrer de loin les traditions de ses ancêtres. Il naquit cent ans après la mort de Jacob. Les vieillards de son temps avoient pu converser plusieurs années avec ce saint patriarche : la mémoire de Joseph et des merveilles que Dieu avoit faites par ce grand ministre des rois d'Egypte étoit encore récente. La vie de trois ou quatre hommes remontoit jusqu'à Noé, qui avoit vu les enfans d'Adam, et touchoit, pour ainsi parler, à l'origine des choses.

:

Ainsi les traditions anciennes du genre humain, et celles de la famille d'Abraham n'étoient pas malaisées à recueillir la mémoire en étoit vive; et il ne faut pas s'étonner si Moïse, dans sa Genèse, parle des choses arrivées dans les premiers siècles, comme de choses constantes, dont même on voyoit encore, et dans les peuples voisins, et dans la terre de Chanaan, des monumens remarquables.

Dans le temps qu'Abraham, Isaac et Jacob avoient habité cette terre, ils y avoient érigé partout des monumens des choses qui leur étoient arrivées. On

y montroit encore les lieux où ils avoient habité ; les puits qu'ils avoient creusés dans ces pays secs, pour abreuver leur famille et leurs troupeaux; les montagnes où ils avoient sacrifié à Dieu, et où il leur étoit apparu; les pierres qu'ils avoient dressées ou entassées pour servir de mémorial à la postérité ; les tombeaux où reposoient leurs cendres bénites. La mémoire de ces grands hommes étoit récente, non-seulement dans tout le pays, mais encore dans tout l'Orient, où plusieurs nations célèbres n'ont jamais oublié qu'elles venoient de leur race.

Ainsi quand le peuple Hébreu entra dans la terre promise, tout y célébroit leurs ancêtres ; et les villes et les montagnes, et les pierres mêmes y parloient de ces hommes merveilleux, et des visions étonnantes par lesquelles Dieu les avoit confirmés dans l'ancienne et véritable croyance.

Ceux qui connoissent tant soit peu les antiquités, savent combien les premiers temps étoient curieux d'ériger et de conserver de tels monumens, et combien la postérité retenoit soigneusement les occasions qui les avoient fait dresser. C'étoit une des manières d'écrire l'histoire: on a depuis façonné et poli les pierres; et les statues ont succédé après les colonnes aux masses grossières et solides, que les premiers temps érigeoient.

On a même de grandes raisons de croire que dans la lignée où s'est conservée la connoissance de Dieu, on conservoit aussi par écrit des mémoires des anciens temps. Car les hommes n'ont jamais été sans ce soin. Du moins est-il assuré qu'il se faisoit des cantiques que les pères apprenoient à leurs en

fans; cantiques qui, se chantant dans les fêtes et dans les assemblées, y perpétuoient la mémoire des actions les plus éclatantes des siècles passés.

De là est née la poésie, changée dans la suite en plusieurs formes, dont la plus ancienne se conserve encore dans les odes et dans les cantiques, employés par tous les anciens, et encore à présent par les peuples qui n'ont pas l'usage des lettres, à louer la divinité et les grands hommes.

Le style de ces cantiques, hardi, extraordinaire, naturel toutefois, en ce qu'il est propre à représenter la nature dans ses transports, qui marche pour cette raison par de vives et impétueuses saillies, affranchi des liaisons ordinaires que recherche le discours uni, renfermé d'ailleurs dans des cadences nombreuses qui en augmentent la force, surprend l'oreille, saisit l'imagination, émeut le cœur,' et s'imprime plus aisément dans la mémoire.

Parmi tous les peuples du monde, celui où de tels cantiques ont été le plus en usage, a été le peuple de Dieu. Moïse en marque un grand nombre (1), qu'il désigne par les premiers vers, parce que le peuple savoit le reste. Lui-même en a fait deux de cette nature. Le premier (2) nous met devant les yeux le passage triomphant de la mer Rouge, et les ennemis du peuple de Dieu, les uns déjà noyés, et les autres à demi-vaincus par la terreur. Par le second (3), Moïse confond l'ingratitude du peuple, en célébrant les bontés et les merveilles de Dieu. Les siècles suivans l'ont imité. C'étoit Dieu et ses (2) Exod. xv. — (3) Deut

(1) Num. xxi. 14, 17, 18, 27, etc. —

XXXII

[ocr errors]

œuvres merveilleuses qui faisoient le sujet des odes qu'ils ont composées : Dieu les inspiroit lui-même ; et il n'y a proprement que le peuple de Dieu où la poésie soit venue par enthousiasme.

Jacob avoit prononcé dans ce langage mystique les oracles qui contenoient la destinée de ses enfans, afin que chaque tribu retînt plus aisément ce qui la touchoit, et apprît à louer celui qui n'étoit pas moins magnifique dans ses prédictions que fidèle à les accomplir.

Voilà les moyens dont Dieu s'est servi pour conserver jusqu'à Moïse la mémoire des choses passées. Ce grand homme, instruit par tous ces moyens, et élevé au-dessus par le Saint-Esprit, a écrit les œuvres de Dieu avec une exactitude et une simplicité qui attire la croyance et l'admiration, non pas à lui, mais à Dieu même.

Il a joint aux choses passées, qui contenoient l'origine et les anciennes traditions du peuple de Dieu, les merveilles que Dieu faisoit actuellement pour sa délivrance. De cela il n'allègue point aux Israélites d'autres témoins que leurs yeux. Moïse ne leur conte point des choses qui se soient passées dans des retraites impénétrables, et dans des antres profonds il ne parle point en l'air : il particularise, et circonstancie toutes choses, comme un homme qui ne craint point d'être démenti. Il fonde toutes leurs lois et toute leur république sur les merveilles qu'ils ont vues. Ces merveilles n'étoient rien moins que la nature changée tout-à-coup, en différentes occasions, pour les délivrer, et pour punir leurs ennemis; la mer séparée en deux, la terre

entr'ouverte, un pain céleste, des eaux abondantes tirées des rochers par un coup de verge, le ciel qui leur donnoit un signal visible pour marquer leur marche, et d'autres miracles semblables qu'ils ont vu durer quarante ans.

Le peuple d'Israël n'étoit pas plus intelligent ni plus subtil que les autres peuples, qui s'étant livrés à leurs sens ne pouvoient concevoir un Dieu invisible. Au contraire, il étoit grossier et rebelle autant ou plus qu'aucun autre peuple. Mais ce Dieu invisible dans sa náture se rendoit tellement sensible par de continuels miracles, et Moïse les inculquoit avec tant de force, qu'à la fin ce peuple charnel se laissa toucher de l'idée si pure d'un Dieu qui faisoit tout par sa parole, d'un Dieu qui n'étoit qu'esprit, que raison et intelligence.

De cette sorte, pendant que l'idolâtrie si fort augmentée depuis Abraham couvroit toute la face de la terre, la seule postérité de ce patriarche en étoit exempte. Leurs ennemis leur réndoient ce témoignage; et les peuples où la vérité de la tradition n'étoit pas encore tout-à-fait étéinte s'écrioient avec étonnement (1): « On ne voit point d'idole en >> Jacob; on n'y voit point de présages superstitieux, » on n'y voit point de divinations ni de sortilèges : » c'est un peuple qui se fie au Seigneur son Dieu, » dont la puissance est invincible ».

Pour imprimer dans les esprits l'unité de Dieu, et la parfaite uniformité qu'il demandoit dans son culte, Moïse répète souvent (2), que dans la Terrepromise ce Dieu unique choisiroit un lieu dans le(2) Deut. XII, XIV, XV, XVI, XVII, etc.

(1) Num. xx111. 21, 22, 23.

« PrécédentContinuer »