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des hymnes qu'on leur chantoit, et des peintures que l'on consacroit dans leurs temples. Ainsi le crime étoit adoré, et reconnu nécessaire au culte des dieux. Le plus grave des philosophes défend de boire avec excès, si ce n'étoit dans les fêtes de Bacchus et à l'honneur de ce dieu (1). Un autre, après avoir sévèrement blâmé toutes les images malhonnêtes, en excepte celles des dieux, qui vouloient être honorés par ces infamies (2). On ne peut lire sans étonnement les honneurs qu'il falloit rendre à Vénus, et les prostitutions qui étoient établies pour l'adorer (3). La Grèce, toute polie et toute sage qu'elle étoit, avoit reçu ces mystères abominables. Dans les affaires pressantes, les particuliers et les républiques vouoient à Vénus des courtisanes (4), et la Grèce ne rougissoit pas d'attribuer son salut aux prières qu'elles faisoient à leur déesse. Après la défaite de Xerxès et de ses formidables armées, on mit dans le temple un tableau où étoient représentés leurs vœux et leurs processions, avec cette inscription de Simonides, poète fameux : « Celles-ci » ont prié la déesse Vénus, qui pour l'amour d'elles » a sauvé la Grèce ».

S'il falloit adorer l'amour, ce devoit être du moins l'amour honnête: mais il n'en étoit pas ainsi. Solon, qui le pourroit croire, et qui attendroit d'un si grand nom une si grande infamie? Solon; dis-je, établit à Athènes le temple de Vénus la prostituée (5),

(1) Plat. de Leg. lib. VI. - (2) Arist. Polit. lib. vii, cap. 17. — (3) Baruch. vi. 10, 42, 43. Herod. lib. 1, c. 199. Strab. lib. vIII. — (4) Athen. I. xiii. (5) Ibid.

ou de l'amour impudique. Toute la Grèce étoit pleine de temples consacrés à ce Dieu, et l'amour conjugal n'en avoit pas un dans tout le pays.

Cependant ils détestoient l'adultère, dans les hommes et dans les femmes la société conjugale étoit sacrée parmi eux. Mais quand ils s'appliquoient à la religion, ils paroissoient comme possédés par un esprit étranger, et leur lumière naturelle les abandonnoit.

La gravité romaine n'a pas traité la religion plus sérieusement, puisqu'elle consacroit à l'honneur des dieux les impuretés du théâtre et les sanglans spectacles des gladiateurs, c'est-à-dire, tout ce qu'on pouvoit imaginer de plus corrompu et de plus barbare.

Mais je ne sais si les folies ridicules qu'on mêloit dans la religion n'étoient pas encore plus pernicieuses, puisqu'elles lui attiroient tant de mépris. Pouvoit-on garder le respect qui est dû aux choses divines, au milieu des impertinences que contoient les fables, dont la représentation ou le souvenir faisoient une si grande partie du culte divin? Tout le service public n'étoit qu'une continuelle profanation, ou plutôt une dérision du nom de Dieu; et il falloit bien qu'il y eût quelque puissance ennemie de ce nom sacré, qui ayant entrepris de le ravilir, poussât les hommes à l'employer dans des choses si méprisables, et même à le prodiguer à des sujets si indignes.

Il est vrai que les philosophes avoient à la fin reconnu qu'il y avoit un autre Dieu que ceux que le vulgaire adoroit: mais ils n'osoient l'avouer. Au

(1).

contraire, Socrate donnoit pour maxime, qu'il falloit que chacun suivît la religion de son pays Platon, son disciple, qui voyoit la Grèce et tous les pays du monde remplis d'un culte insensé et scandaleux, ne laisse pas de poser comme un fondement de sa république (2), « qu'il ne faut jamais >> rien changer dans la religion qu'on trouve établie, >> et que c'est avoir perdu le sens que d'y penser ». Des philosophes si graves, et qui ont dit de si belles choses sur la nature divine, n'ont osé s'opposer à l'erreur publique, et ont désespéré de la pouvoir vaincre. Quand Socrate fut accusé de nier les dieux que le public adoroit, il s'en défendit comme d'un crime (3); et Platon, en parlant du Dieu qui avoit formé l'univers, dit qu'il est difficile de le trouver, et qu'il est défendu de le déclarer au peuple (4). Il proteste de n'en parler jamais qu'en énigme, de peur d'exposer une si grande vérité à la moquerie.

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Dans quel abîme étoit le genre humain, qui ne pouvoit supporter la moindre idée du vrai Dieu ? Athènes, la plus polie et la plus savante de toutes les villes grecques, prenoit pour athées ceux qui parloient des choses intellectuelles (5); et c'est une des raisons qui avoit fait condamner Socrate. Si quelques philosophes osoient enseigner que les statues n'étoient pas des dieux comme l'entendoit le vulgaire, ils se voyoient contraints de s'en dédire ; encore après cela étoient-ils bannis comme des im

(1) Xenoph. Memor. lib. 1. -- (2) Plat. de Leg. lib. v. Socr. apud Plat. et Xenoph. (4) Ep. 11 ad Dionys. Laert, lib. 11. Socг. 1. Plat.

(3) Apol.

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(5) Diog.

pies par sentence de l'Aréopage (1). Toute la terre étoit possédée de la même erreur : la vérité n'y osoit paroître. Le Dieu créateur du monde n'avoit de temple ni de culte qu'en Jérusalem. Quand les Gentils y envoyoient leurs offrandes, ils ne faisoient autre honneur au Dieu d'Israël, que de le joindre aux autres dieux. La seule Judée connoissoit sa sainte et sévère jalousie, et savoit que partager la religion entre lui et le autres dieux, étoit la détruire.

CHAPITRE XVII.

Corruptions et superstitions parmi les Juifs: fausses doctrines des Pharisiens.

CEPENDANT, à la fin des temps, les Juifs mêmes qui le connoissoient, et qui étoient les dépositaires de la religion, commencèrent, tant les hommes vont toujours affoiblissant la vérité, non point à oublier le Dieu de leurs pères, mais à mêler dans la religion des superstitions indignes de lui. Sous le règne des Asmonéens, et dès le temps de Jonathas, la secte des. Pharisiens commença parmi les Juifs (2). Ils s'acquirent d'abord un grand' crédit par la pureté de leur doctrine, et par l'observance exacte de la loi : joint que leur conduite étoit douce, quoique régulière, et qu'ils vivoient entre eux en grande union. Les récompenses et les châtimens de la vie future, qu'ils soutenoient avec zèle, leur attiroient beaucoup d'honneur (3). A la fin, l'ambition se mit parmi eux. Ils voulurent gouverner, et en effet ils se don

(1) Diog. Laert. lib. 11. Stilp. —. (2) Joseph. Antiq. lib. x111, cap. 9, al. 5. — (3) Ibid. cap. 18, al. 10. Id. de Bello Jud. lib. 11, c. 7, al. 8.

nèrent un pouvoir absolu sur le peuple : ils se rendirent les arbitres de la doctrine et de la religion, qu'ils tournèrent insensiblement à des pratiques superstitieuses, utiles à leur intérêt et à la domination qu'ils vouloient établir sur les consciences; et le vrai esprit de la loi étoit prêt à se perdre.

*

A ces maux se joignit un plus grand mal', l'orgueil et la présomption; mais une présomption qui alloit à s'attribuer à soi-même le don de Dieu. Les Juifs accoutumés à ses bienfaits, et éclairés depuis tant de siècles de sa connoissance, oublièrent que sa bonté seule les avoit séparés des autres peuples, et regardèrent sa grâce comme une dette. Race élue et toujours bénie depuis deux mille ans, ils se jugèrent les seuls dignes de connoître Dieu, et se crurent d'une autre espèce que les autres hommes qu'ils voyoient privés de sa connoissance. Sur ce fondement, ils regardèrent les Gentils avec un insupportable dédain. Etre sorti d'Abraham selon la chair, leur paroissoit une distinction qui les mettoit naturellement au-dessus de tous les autres; et enflés d'une si belle origine, ils se croyoient saints par nature, et non par grâce: erreur qui dure encore parmi eux. Ce furent les Pharisiens, qui cherchant à se glorifier de leurs lumières, et de l'exacte observance des cérémonies de la loi, introduisirent cette opinion vers la fin des temps. Comme ils ne songeoient qu'à se distinguer des autres hommes, ils multiplièrent sans bornes les pratiques extérieures, et débitèrent toutes leurs pensées, quelque contraires qu'elles fussent à la loi de Dieu, comme des traditions authentiques.

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