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d'avoir fait entrer tant d'ignorans dans des mystères si hauts, d'avoir inspiré à tant de savans une humble soumission, et d'avoir persuadé tant de choses incroyables, à des incrédules (1) ?

Mais le miracle des miracles, si je puis parler de la sorte, c'est qu'avec la foi des mystères, les vertus les plus éminentes et les pratiques les plus pénibles se sont répandues par toute la terre. Les disciples de Jésus-Christ l'ont suivi dans les voies les plus difficiles. Souffrir tout pour la vérité, a été parmi ses enfans un exercice ordinaire; et pour imiter leur Sauveur ils ont couru aux tourmens avec plus d'ardeur que les autres n'ont fait aux délices. On ne peut compter les exemples ni des riches qui se sont appauvris pour aider les pauvres, ni des pauvres qui ont préféré la pauvreté aux richesses, ni des vierges qui ont imité sur la terre la vie des anges, ni des pasteurs charitables qui se sont faits tout à tous, toujours prêts à donner à leur troupeau nonseulement leurs veilles et leurs travaux, mais encore leurs propres vies. Que dirai-je de la pénitence et de la mortification? Les juges n'exercent pas plus sévèrement la justice sur les criminels, que les pécheurs pénitens l'ont exercée sur eux-mêmes. Bien plus, les innocens ont puni en eux avec une rigueur incroyable cette pente prodigieuse que nous avons au péché. La vie de saint Jean-Baptiste, qui parut si surprenante aux Juifs, est devenue commune parmi les fidèles; les déserts ont été peuplés de ses imitateurs; et il y a eu tant de solitaires, que des

() Aug. de Civit. Dei, lib. xxI, cap. vu; lib, XXII, cap. V : tom. VII, col. 626, 658 et seq.

solitaires plus parfaits ont été contraints de chercher des solitudes plus profondes ; tant on a fui le monde, tant la vie contemplative a été goûtée.

Tels étoient les fruits précieux que devoit produire l'Evangile. L'Eglise n'est pas moins riche en exemples qu'en préceptes, et sa doctrine a paru sainte, en produisant une infinité de saints. Dieu, qui sait que les plus fortes vertus naissent parmi les souffrances, l'a fondée par le martyre, et l'a tenue durant trois cents ans dans cet état, sans qu'elle eût un seul moment pour se reposer. Après qu'il eut fait voir, par une si longue expérience, qu'il n'avoit pas besoin du secours humain ni des puissances de la terre pour établir son Eglise, il y appela enfin les empereurs, et fit du grand Constantin un protecteur déclaré du christianisme. Depuis ce temps, les rois ont accouru de toutes parts à l'Eglise; et tout ce qui étoit écrit dans les prophéties, touchant sa gloire future, s'est accompli aux yeux de toute la

terre.

Que si elle a été invincible contre les efforts du dehors, elle ne l'est pas moins contre les divisions intestines. Ces hérésies, tant prédites par JésusChrist et par ses apôtres, sont arrivées, et la foi persécutée par les empereurs souffroit en même temps des hérétiques une persécution plus dangereuse. Mais cette persécution n'a jamais été plus violente que dans le temps où l'on vit cesser celle des païens. L'enfer fit alors ses plus grands efforts pour détruire par elle-même cette Eglise que les attaques de ses ennemis déclarés avoient affermie. A peine commençoit-elle à respirer par la paix que

lui donna Constantin; et voilà qu'Arius, ce malheureux prêtre, lui suscite de plus grands troubles qu'elle n'en avoit jamais soufferts. Constance, fils de Constantin, séduit par les Ariens dont il autorise le dogme, tourmente les catholiques par toute la terre; nouveau persécuteur du christianisme, et d'autant plus redoutable, que sous le nom de JésusChrist il fait la guerre à Jésus-Christ même. Pour comble de malheurs, l'Eglise ainsi divisée tombe entre les mains de Julien l'Apostat, qui met tout en œuvre pour détruire le christianisme, et n'en trouve point de meilleur moyen que de fomenter les factions dont il étoit déchiré. Après lui vient un Valens, autant attaché aux Ariens que Constance, mais plus violent. D'autres empereurs protègent d'autres hérésies avec une pareille fureur. L'Eglise apprend, par tant d'expériences, qu'elle n'a pas moins à souffrir, sous les empereurs chrétiens, qu'elle avoit souffert sous les empereurs infidèles; et qu'elle doit verser du sang pour défendre, non-seulement tout le corps de sa doctrine, mais encore chaque article particulier. En effet, il n'y en a aucun qu'elle n'ait vu attaqué par ses enfans. Mille sectes et mille hérésies sorties de son sein se sont élevées contre elle. Mais si elle les a vues s'élever, selon les prédictions de Jésus-Christ, elle les a vues tomber toutes, selon ses promesses, quoique souvent soutenues par les empereurs et par les rois. Ses véritables enfans ont été, comme dit saint Paul, reconnus par cette épreuve; la vérité n'a fait que se fortifier quand elle a été contestée, et l'Eglise est demeurée inébranlable.

CHAPITRE XXI.

Réflexions particulières sur le châtiment des Juifs, et sur les prédictions de Jésus-Christ qui l'avoient marqué.

PENDANT que j'ai travaillé à vous faire voir sans interruption la suite des conseils de Dieu, dans la perpétuité de son peuple, j'ai passé rapidement sur beaucoup de faits qui méritent des réflexions profondes. Qu'il me soit permis d'y revenir, pour ne vous laisser pas perdre de si grandes choses.

Et premièrement, Monseigneur, je vous prie de considérer avec une attention plus particulière la chute des Juifs, dont toutes les circonstances rendent témoignage à l'Evangile. Ces circonstances nous sont expliquées par des auteurs infidèles, par des Juifs, et par des païens, qui, sans entendre la suite des conseils de Dieu, nous ont raconté les faits importans par lesquels il lui a plu de la déclarer.

Nous avons Josephe, auteur juif, historien trèsfidèle, et très-instruit des affaires de sa nation, dont aussi il a illustré les antiquités par un ouvrage admirable. Il a écrit la dernière guerre, où elle a péri, après avoir été présent à tout, et y avoir lui-même servi son pays avec un commandement considérable.

Les Juifs nous fournissent encore d'autres auteurs très-anciens, dont vous verrez les témoignages. Ils ont d'anciens commentaires sur les livres de l'Ecriture, et entre autres les Paraphrases chaldaïques qu'ils impriment avec leurs Bibles. Ils ont leur livre qu'ils nomment Talmud, c'est-à-dire Doctrine, qu'ils ne respectent pas moins que l'Ecriture elle-même.

C'est un ramas des traités et des sentences de leurs anciens maîtres; et encore que les parties dont ce grand ouvrage est composé ne soient pas toutes de la même antiquité, les derniers auteurs qui y sont cités ont vécu dans les premiers siècles de l'Eglise. Là, parmi une infinité de fables impertinentes, qu'on voit commencer pour la plupart après les temps de notre Seigneur, on trouve de beaux restes des anciennes traditions du peuple Juif, et des preuves pour le convaincre.

Et d'abord il est certain, de l'aveu des Juifs, que la vengeance divine ne s'est jamais plus terriblement ni plus manifestement déclarée, qu'elle fit dans leur dernière désolation.

C'est une tradition constante, attestée dans leur Talmud, et confirmée par tous leurs Rabbins, que, quarante ans avant la ruine de Jérusalem, ce qui revient à peu près au temps de la mort de JésusChrist, on ne cessoit de voir dans le temple des choses étranges. Tous les jours il y paroissoit de nouveaux prodiges, de sorte qu'un fameux Rabbin s'écria un jour : « O temple, ô temple, qu'est-ce » qui t'émeut, et pourquoi te fais-tu peur à toi>> même (1) »?

Qu'y a-t-il de plus marqué que ce bruit affreux qui fut ouï par les prêtres dans le sanctuaire le jour de la Pentecôte, et cette voix manifeste qui sortit du fond de ce lieu sacré : « Sortons d'ici, sortons » d'ici ». Les saints anges protecteurs du temple déclarèrent hautement qu'ils l'abandonnoient, parce

(1) R. Johanan fils de Zacaï, Tr. de fest. Expiat.

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