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A la vérité, cette opinion, loin de prévaloir parmi les Juifs, y a été détestée. Mais comme ils ne connoissent plus rien dans les temps qui leur sont marqués par leurs prophéties, et qu'ils ne savent par où sortir de ce labyrinthe, ils ont fait un article de foi de cette parole que nous lisons dans le Talmud (1): << Tous les termes qui étoient marqués pour la venue >> du Messie sont passés »; et ont prononcé d'un commun accord: : << Maudits soient ceux qui suppu>> teront les temps du Messie » : comme on voit dans une tempête, qui a écarté le vaisseau trop loin de sa route, le pilote désespéré abandonner son calcul, et aller où le mène le hasard.

Depuis ce temps, toute leur étude a été d'éluder les prophéties où le temps du Christ étoit marqué : ils ne se sont pas souciés de renverser toutes les traditions de leurs pères, pourvu qu'ils pussent ôter aux Chrétiens ces admirables prophéties; et ils en sont venus jusques à dire que celle de Jacob ne regardoit pas le Christ.

Mais leurs anciens livres les démentent. Cette prophétie est entendue du Messie dans le Talmud (2), et la manière dont nous l'expliquons se trouve dans leurs Paraphrases (3), c'est-à-dire dans les commentaires les plus authentiques et les plus respectés qui soient parmi eux.

Nous y trouvons en propres termes, que la maison et le royaume de Juda, auquel se devoit réduire un jour toute la postérité de Jacob et tout le peuple

(1) Gem. Tr. San. c. x1. Moses Maimon. in Epit. Tal. Is. Ahrau. de Cap. fidei. (2) Gem. Tr. Sanhed. c. XI. (3) Paraph. Onkelos, Jonathan, et Jerosol. Vide Polyg. Ang.

d'Israël, produiroit toujours des juges et des magistrats, jusqu'à la venue du Messie, sous lequel il se formeroit un royaume composé de tous les peuples.

C'est le témoignage que rendoient encore aux Juifs, dans les premiers temps du christianisme, leurs plus célèbres docteurs et les plus reçus. L'ancienne tradition, si ferme et si établie, ne pouvoit être abolie d'abord; et quoique les Juifs n'appliquassent pas à Jésus-Christ la prophétie de Jacob, ils n'avoient encore osé nier qu'elle ne convînt au Messie. Ils n'en sont venus à cet excès que longtemps après, et lorsque pressés par les Chrétiens ils ont enfin aperçu que leur propre tradition étoit

contre eux.

Pour la prophétie de Daniel, où la venue du Christ étoit renfermée dans le terme de quatre cent quatre-vingt-dix ans, à compter depuis la vingtième année d'Artaxerxe à la Longue-main comme ce terme menoit à la fin du quatrième millénaire du monde, c'étoit aussi une tradition très-ancienne parmi les Juifs, que le Messie paroîtroit vers la fin de ce quatrième millénaire, et environ deux mille ans après Abraham. Un Elie, dont le nom est grand parmi les Juifs, quoique ce ne soit pas le prophète, l'avoit ainsi enseigné avant la naissance de JésusChrist; et la tradition s'en est conservée dans le livre du Talmud (1). Vous avez vu ce terme accompli à la venue de notre Seigneur, puisqu'il a paru en effet environ deux mille ans après Abraham, et vers l'an 4000 du monde. Cependant les Juifs ne (1) Gem. Tr. San. c. XI.

l'ont pas connu; et frustrés de leur attente, ils ont dit que leurs péchés avoient retardé le Messie qui devoit venir. Mais cependant nos dates sont assurées, de leur aveu propre; et c'est un trop grand aveuglement, de faire dépendre des hommes un terme que Dieu a marqué si précisément dans Daniel.

C'est encore pour eux un grand embarras de voir que ce prophète fasse aller le temps du Christ avant celui de la ruine de Jérusalem; de sorte que ce dernier temps étant accompli, celui qui le précède le doit être aussi.

Josephe s'est ici trompé trop grossièrement (1). H a bien compté les semaines qui devoient être suivies de la désolation du peuple Juif; et les voyant accomplies dans le temps que Tite mit le siége devant Jérusalem, il ne douta point que le moment de la perte de cette ville ne fût arrivé. Mais il ne considéra pas que cette désolation devoit être précédée de la venue du Christ et de sa mort; de sorte qu'il n'entendit que la moitié de la prophétie.

Les Juifs qui sont venus après lui ont voulu suppléer à ce défaut. Ils nous ont forgé un Agrippa descendu d'Hérode, que les Romains, disent-ils, ont fait mourir un peu devant la ruine de Jérusalem; et ils veulent que cet Agrippa, Christ par son titre de roi, soit le Christ dont il est parlé dans Daniel : nouvelle preuve de leur aveuglement. Car outre que cet Agrippa ne peut être ni le Juste, ni le Saint des saints, ni la fin des prophéties, tel que devoit

(1) Antiq. lib. x, c. ult. De Bell. Jud. lib. vì. cap. 4, al. lib. v1,

cap. 2.

être

être le Christ que Daniel marquoit en ce lieu; outre que le meurtre de cet Agrippa, dont les Juifs étoient innocens, ne pouvoit pas être la cause de leur désolation, comme devoit être la mort du Christ de Daniel : ce que disent ici les Juifs est une fable. Cet Agrippa descendu d'Hérode fut toujours du parti des Romains: il fut toujours bien traité par leurs empereurs, et régna dans un canton de la Judée long-temps après la prise de Jérusalem, comme l'atteste Josephe et les autres contemporains (1).

Ainsi tout ce qu'inventent les Juifs, pour éluder les prophéties, les confond. Eux-mêmes ils ne se fient pas à des inventions si grossières; et leur meilleure défense est dans cette loi qu'ils ont établie de ne supputer plus. les jours du Messie. Par-là ils ferment les yeux volontairement à la vérité, et renoncent aux prophéties où le Saint-Esprit a luimême compté les années : mais pendant qu'ils y renoncent, ils les accomplissent, et font voir la vérité de ce qu'elles disent de leur aveuglement et de leur chute.

Qu'ils répondent ce qu'ils voudront aux prophéties: la désolation qu'elles prédisoient leur est arrivée dans le temps marqué; l'événement est plus fort que toutes leurs subtilités; et si le Christ n'est venu dans cette fatale conjoncture, les prophètes en qui ils espèrent les ont trompés.

(1) Joseph. de Bello Jud. lib. vn, cap. 24, al. 5. Justus Tiber. Biblioth. Phot. cod. xxxш; pag. 19.

BOSSUET. XXXV.

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CHAPITRE XXIV.

Circonstances mémorables de la chute des Juifs : suite de leurs fausses interprétations.

Er pour achever de les convaincre, remarquez deux circonstances qui ont accompagné leur chute et la venue du Sauveur du monde : l'une, que la succession des pontifes, perpétuelle et inaltérable depuis Aaron, finit alors; l'autre, que la distinction des tribus et des familles, toujours conservée jusqu'à ce temps, y périt, de leur aveu propre.

Cette distinction étoit nécessaire jusques au temps du Messie. De Lévi devoient naître les ministres des choses sacrées. D'Aaron devoient sortir les prêtres et les pontifes. De Juda devoit sortir le Messie même. Si la distinction des familles n'eût subsisté jusqu'à la ruine de Jérusalem, et jusqu'à la venue de Jésus-Christ, les sacrifices judaïques auroient péri devant le temps, et David eût été frustré de la gloire d'être reconnu pour le père du Messie. Le Messie est-il arrivé; le sacerdoce nouveau, selon l'ordre de Melchisedech, a-t-il commencé en sa personne, et la nouvelle royauté qui n'étoit pas de ce monde a-t-elle paru: on n'a plus besoin d'Aaron, ni de Lévi, ni de Juda, ni de David, ni de leurs familles. Aaron n'est plus nécessaire dans un temps où les sacrifices devoient cesser, selon Daniel (1). La maison de David et de Juda a accompli sa destinée lorsque le Christ de Dieu en est sorti; et comme si les Juifs renonçoient eux-mêmes à leur espérance,

(1) Dan. IX. 27.

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