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vrage du seul raisonnement humain. Loin de lui commettre la guérison d'une telle maladie, Dieu a achevé de le confondre par le mystère de la croix; et tout ensemble il a porté le remède jusqu'à la source du mal.

L'idolâtrie, si nous l'entendons, prenoit sa naissance de ce profond attachement que nous avons à nous-mêmes. C'est ce qui nous avoit fait inventer des dieux semblables à nous; des dieux qui en effet n'étoient que des hommes sujets à nos passions, à nos foiblesses et à nos vices: de sorte que, sous le nom des fausses divinités, c'étoit en effet leurs propres pensées, leurs plaisirs et leurs fantaisies que les Gentils adoroient.

Jésus-Christ nous fait entrer dans d'autres voies. Sa pauvreté, ses ignominies et sa croix le rendent un objet horrible à nos sens. Il faut sortir de soimême, renoncer à tout, tout crucifier pour le suivre. L'homme arraché à lui-même, et à tout ce que sa corruption lui faisoit aimer, devient capable d'adorer Dieu et sa vérité éternelle dont il veut dorénavant suivre les règles.

Là périssent et s'évanouissent toutes les idoles, et celles qu'on adoroit sur des autels, et celles que chacun servoit dans son cœur. Celles-ci avoient élevé les autres. On adoroit Vénus, parce qu'on se laissoit dominer à l'amour sensuel, et qu'on en aimoit la puissance. Bacchus, le plus enjoué de tous les dieux, avoit des autels, parce qu'on s'abandonnoit et qu'on sacrifioit, pour ainsi dire, à la joie des sens, plus douce et plus enivrante que le vin. Jésus-Christ, par le mystère de sa croix, vient imprimer dans les

cœurs l'amour des souffrances, au lieu de l'amour des plaisirs. Les idoles qu'on adoroit au dehors furent dissipées, parce que celles qu'on adoroit au dedans ne subsistoient plus : le cœur purifié, comme dit Jésus-Christ lui-même (1), est rendu capable de voir Dieu; et l'homme, loin de faire Dieu semblable à soi, tâche plutôt, autant que le peut souffrir son infirmité, à devenir semblable à Dieu.

Le mystère de Jésus-Christ nous a fait voir comment la divinité pouvoit sans se ravilir être unie à notre nature, et se revêtir de nos foiblesses. Le Verbe s'est incarné : celui qui avoit la forme et la nature de Dieu, sans perdre ce qu'il étoit, a pris la forme d'esclave (2). Inaltérable en lui-même, il s'unit et il s'approprie une nature étrangère. O hommes, vous vouliez des dieux qui ne fussent, à dire vrai, que des hommes, et encore des hommes vicieux! c'étoit un trop grand aveuglement. Mais voici un nouvel objet d'adoration qu'on vous propose; c'est un Dieu et un homme tout ensemble; mais un homme qui n'a rien perdu de ce qu'il étoit en prenant ce que nous sommes. La divinité demeure immuable, et sans pouvoir se dégrader, elle ne peut qu'élever ce qu'elle unit avec elle.

Mais encore qu'est-ce que Dieu a pris de nous ? nos vices et nos péchés? à Dieu ne plaise: il n'a pris de l'homme que ce qu'il y a fait, et il est certain qu'il n'y avoit fait ni le péché ni le vice. Il y avoit fait la nature; il l'a prise. On peut dire qu'il avoit fait la mortalité avec l'infirmité qui l'accompagne, parce qu'encore qu'elle ne fût pas du premier des(1) Matt. v. 8. — (2) Philip. 11. 6, 7.

sein, elle étoit le juste supplice du péché, et en cette qualité elle étoit l'œuvre de la justice divine. Aussi Dieu n'a-t-il pas dédaigné de la prendre; et en prenant la peine du péché sans le péché même, il a montré qu'il étoit, non pas un coupable qu'on punissoit, mais le juste qui expioit les péchés des

autres.

De cette sorte, au lieu des vices que les hommes mettoient dans leurs dieux, toutes les vertus ont paru dans ce Dieu - homme; et afin qu'elles y parussent dans les dernières épreuves, elles y ont paru au milieu des plus horribles tourmens. Ne cherchons plus d'autre Dieu visible après celui-ci : il est seul digne d'abattre toutes les idoles ; et la victoire qu'il devoit remporter sur elles est attachée à sa croix.

C'est-à-dire qu'elle est attachée à une folie apparente. << Car les Juifs, poursuit saint Paul (1), de» mandent des miracles », par lesquels Dieu en remuant avec éclat toute la nature, comme il fit à la sortie d'Egypte, il les mette visiblement au-dessus de leurs ennemis ; « et les Grecs ou les Gentils cher>> chent la sagesse » et des discours arrangés, comme ceux de leur Platon et de leur Socrate. « Et nous, » continue l'apôtre, nous prêchons Jésus-Christ » crucifié, scandale aux Juifs », et non pas miracle; << folie aux Gentils et non pas sagesse <<< mais » qui est aux Juifs et aux Gentils appelés à la con>> noissance de la vérité, la puissance et la sagesse » de Dieu, parce qu'en Dieu, ce qui est fou est plus » sage que toute la sagesse humaine, et ce qui est » foible est plus fort que toute la force humaine ». (1) I. Cor. 1. 22, 23, 24, 25.

Voilà le dernier coup qu'il falloit donner à notre superbe ignorance. La sagesse où l'on nous mène est si sublime, qu'elle paroît folie à notre sagesse ; et les règles en sont si hautes, que tout nous y paroît un égarement.

Mais si cette divine sagesse nous est impénétrable en elle-même, elle se déclare par ses effets. Une vertu sort de la croix, et toutes les idoles sont ébranlées. Nous les voyons tomber par terre, quoique soutenues par toute la puissance romaine. Ce ne sont point les sages, ce ne sont point les nobles, ce ne sont point les puissans qui ont fait un si grand miracle. L'œuvre de Dieu a été suivie; et ce qu'il avoit commencé par les humiliations de Jésus-Christ, il l'a consommé par les humiliations de ses disciples. << Considérez, mes frères», c'est ainsi que saint Paul achève son admirable discours(1), « considérez >> ceux que Dieu a appelés parmi vous », et dont il a composé cette Eglise victorieuse du monde. « Il y » a peu de ces sages » que le monde admire; «< il y » a peu de puissans et peu de nobles : mais Dieu a » choisi ce qui est fou selon le monde, pour con» fondre les sages; il a choisi ce qui étoit foible, » pour confondre les puissans; il a choisi ce qu'il y >> avoit de plus méprisable et de plus vil, et enfin ce » qui n'étoit pas, pour détruire ce qui étoit; afin » que nul homme ne se glorifie devant lui ». Les apôtres et leurs disciples, le rebut du monde, et le néant même, à les regarder par les yeux humains, ont prévalu à tous les empereurs et à tout l'empire. Les hommes avoient oublié la création, et Dieu l'a (1) I. Cor. 1. 26, 27, 28, 29.

renouvelée

renouvelée en tirant de ce néant son Eglise, qu'il a rendue toute-puissante contre l'erreur. Il a confondu avec les idoles toute la grandeur humaine qui s'intéressoit à les défendre; et il a fait un si grand ouvrage, comme il avoit fait l'univers, par la seule force de sa parole.

CHAPITRE XXVI.

Diverses formes de l'idolatrie : les sens, l'intérét, l'ignorance, un faux respect de l'antiquité, la politique, la philosophie, et les hérésies viennent à son secours : l'Eglise triomphe de tout.

L'IDOLATRIE nous paroît la foiblesse même, et nous avons peine à comprendre qu'il ait fallu tant de force pour la détruire. Mais au contraire, son extravagance fait voir la difficulté qu'il y avoit à la vaincre; et un si grand renversement du bon sens montre assez combien le principe étoit gâté. Le monde avoit vieilli dans l'idolâtrie, et enchanté par ses idoles il étoit devenu sourd à la voix de la nature qui crioit contre elles. Quelle puissance falloit - il pour rappeler dans la mémoire des hommes le vrai Dieu si profondément oublié, et retirer le genre humain d'un si prodigieux assoupissement?

Tous les sens, toutes les passions, tous les intérêts combattoient pour l'idolâtrie. Elle étoit faite pour le plaisir les divertissemens, les spectacles, et enfin la licence même y faisoient une partie du culte divin. Les fêtes n'étoient que des jeux; et il n'y avoit nul endroit de la vie humaine d'où la pudeur fût bannie avec plus de soin qu'elle l'étoit des mystères 24

BOSSUET. Xxxv.

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