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avoit faite comme il avoit fait toutes les autres; mais à cause de leur péché dont ils étoient les seuls auteurs au reste, que leur nature les éloignoit si peu de Dieu, que Dieu ne dédaignoit pas de s'unir à eux en se faisant homme, et leur donnoit pour médiateur, non point ces esprits célestes que les philosophes appeloient démons, et que l'Ecriture appeloit anges; mais un homme, qui joignant la force d'un Dieu à notre nature infirme, nous. fît un remède de notre foiblesse.

Que si l'orgueil des Platoniciens ne pouvoit pas se rabaisser jusqu'aux humiliations du Verbe fait chair, ne devoient-ils pas du moins comprendre que l'homme, pour être un peu au-dessous des anges, ne laissoit pas d'être comme eux capable de posséder Dieu; de sorte qu'il étoit plutôt leur frère que leur sujet, et ne devoit pas les adorer, mais adorer avec eux, en esprit de société, celui qui les avoit faits les uns et les autres à sa ressemblance? C'étoit donc non-seulement trop de bassesse, mais encore trop d'ingratitude au genre humain, de sacrifier à d'autre qu'à Dieu; et rien n'étoit plus aveugle que le paganisme, qui, au lieu de lui réserver ce culte suprême, le rendoit à tant de démons.

C'est ici que l'idolâtrie, qui sembloit être aux abois, découvrit tout-à-fait son foible. Sur la fin des persécutions, Porphyre, pressé par les Chrétiens, fut contraint de dire que le sacrifice n'étoit pas le culte suprême; et voyez jusqu'où il poussa l'extravagance. Ce Dieu très-haut, disoit-il (1), ne

(1) Porphyr. de Abstin. lib. 11. Aug. de Civ. Dei, lib. x, pass.

BOSSUET. Xxxv.

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recevoit point de sacrifice : tout ce qui est matériel est impur pour lui, et ne peut lui être offert. La parole même ne doit pas être employée à son culte, parce que la voix est une chose corporelle: il faut l'adorer en silence, et par de simples pensées; tout autre culte est indigne d'une majesté si haute.

Ainsi Dieu étoit trop grand pour être loué. C'étoit un crime d'exprimer comme nous pouvons ce que nous pensons de sa grandeur. Le sacrifice, quoiqu'il ne soit qu'une manière de déclarer notre dépendance profonde, et une reconnoissance de sa souveraineté, n'étoit pas pour lui. Porphyre le disoit ainsi expressément; et cela qu'étoit-ce autre chose qu'abolir la religion, et laisser tout-à-fait sans culte celui qu'on reconnoissoit pour le Dieu des dieux?

Mais qu'étoit-ce donc que ces sacrifices que les Gentils offroient dans tous les temples? Porphyre en avoit trouvé le secret. Il y avoit, disoit-il, des esprits impurs, trompeurs, malfaisans, qui, par un orgueil insensé, vouloient passer pour des dieux, et se faire servir par les hommes. Il falloit les appaiser, de peur qu'ils ne nous nuisissent (1). Les uns plus gais et plus enjoués se laissoient gagner par des spectacles et des jeux : l'humeur plus sombre des autres vouloit l'odeur de la graisse, et se repaissoit de sacrifices sanglans. Que sert de réfuter ces absurdités? Enfin les Chrétiens gagnoient leur cause. Il demeuroit pour constant que tous les dieux auxquels on sacrifioit parmi les Gentils étoient des esprits malins, dont l'orgueil s'attribuoit la divinité :

(1) Porph. de Abstin. lib. 11, apud Aug. de Civ. Dei, lib. vIII, cap. x111; tom. vii, col. 201.

de sorte que l'idolâtrie, à la regarder en elle-même, paroissoit seulement l'effet d'une ignorance brutale; mais à remonter à la source, c'étoit une œuvre menée de loin, poussée aux derniers excès par des esprits malicieux. C'est ce que les Chrétiens avoient toujours prétendu; c'est ce qu'enseignoit l'Evangile ; c'est ce que chantoit le Psalmiste : « Tous les dieux >> des Gentils sont des démons; mais le Seigneur a » fait les cieux (1) ».

Et toutefois, Monseigneur, étrange aveuglement du genre humain ! l'idolâtrie réduite à l'extrémité, et confondue par elle-même, ne laissoit pas de se soutenir. Il ne falloit que la revêtir de quelque apparence, et l'expliquer en paroles dont le son fût agréable à l'oreille, pour la faire entrer dans les esprits. Porphyre étoit admiré. Jamblique, son sectateur, passoit pour un homme divin, parce qu'il savoit envelopper les sentimens de son maître de termes qui paroissoient mystérieux, quoiqu'en effet ils ne signifiassent rien. Julien l'Apostat, tout fin qu'il étoit, fut pris par ces apparences; les païens mêmes le racontent (2). Des enchantemens vrais ou faux, que ces philosophes vantoient, leur austérité mal entendue, leur abstinence ridicule qui alloit jusqu'à faire un crime de manger les animaux, leurs purifications superstitieuses, enfin leur contemplation qui s'évaporoit en vaines pensées, et leurs paroles aussi peu solides qu'elles sembloient magnifiques, imposoient au monde. Mais je ne dis pas le fond. La sainteté des mœurs chrétiennes, le mépris

(1) Ps. xcv. 5. — (2) Eunap. Maxim. Oribas. Chrysanth. Ep. Jul. ad Jamb. Amm. Marcell. lib. xx11, xxIII, xxv.

des plaisirs qu'elle commandoit, et plus que tout cela J'humilité qui faisoit le fond du christianisme, offensoit les hommes; et si nous savons le comprendre, l'orgueil, la sensualité et le libertinage étoient les seules défenses de l'idolâtrie.

L'Eglise la déracinoit tous les jours par sa doctrine, et plus encore par sa patience. Mais ces esprits malfaisans, qui n'avoient jamais cessé de tromper les hommes, et qui les avoient plongés dans l'idolâtrie, n'oublièrent pas leur malice. Ils suscitèrent dans l'Eglise ces hérésies que vous avez vues. Des hommes curieux, et par-là vains et remuans, voulurent se faire un nom parmi les fidèles, et ne purent se contenter de cette sagesse sobre et tempérée que l'apôtre avoit tant recommandée aux Chrétiens (1). Ils entroient trop avant dans les mystères, qu'ils prétendoient mesurer à nos foibles conceptions: nouveaux philosophes, qui mêloient les raisonnemens humains avec la foi, et entreprenoient de diminuer les difficultés du christianisme, ne pouvant digérer toute la folie que le monde trouvoit dans l'Evangile. Ainsi successivement, et avec une espèce de méthode, tous les articles de notre foi furent attaqués: la création, la loi de Moïse fondement nécessaire de la nôtre, la divinité de JésusChrist, son incarnation, sa grâce, ses sacremens, tout enfin donna matière à des divisions scandaleuses. Celse et les autres nous les reprochoient (2). L'idolâtrie sembloit triompher. Elle regardoit le christianisme comme une nouvelle secte de philosophie qui avoit le sort de toutes les autres, et (1) Rom. XII. 3. (2) Orig. cont. Cels, lib. IV, V, VI.

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comme elles, se partageoit en plusieurs autres sectes. L'Eglise ne leur paroissoit qu'un ouvrage humain prêt à tomber de lui-même. On concluoit qu'il ne falloit pas, en matière de religion, raffiner plus que nos ancêtres, ni entreprendre de changer le monde. Dans cette confusion de sectes qui se vantoient d'être chrétiennes, Dieu ne manqua pas à son Eglise. Il sut lui conserver un caractère d'autorité que les hérésies ne pouvoient prendre. Elle étoit catholique et universelle elle embrassoit tous les temps; elle s'étendoit de tous côtés. Elle étoit apostolique; la suite, la succession, la chaire de l'unité, l'autorité primitive lui appartenoit (1). Tous ceux qui la quittoient, l'avoient premièrement reconnue, et ne pouvoient effacer le caractère de leur nouveauté, ni celui de leur rebellion. Les païens eux-mêmes la regardoient comme celle qui étoit la tige, le tout d'où les parcelles s'étoient détachées, le tronc toujours vif que les branches retranchées laissoient en son entier. Celse, qui reprochoit aux Chrétiens leurs divisions, parmi tant d'églises schismatiques qu'il voyoit s'élever, remarquoit une église distinguée de toutes les autres, et toujours plus forte, qu'il appeloit aussi pour cette raison la grande Eglise. << Il y en a, disoit-il (2), parmi les Chrétiens

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qui ne reconnoissent pas le Créateur, ni les tra» ditions des Juifs »; il vouloit parler des Marcionites «< mais, poursuivoit-il, la grande Eglise les reçoit ». Dans le trouble qu'excita Paul de Samo

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