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la loi de Moïse comme celle que tout le peuple et tous ses docteurs regardoient de tout temps comme leur règle. Les prêtres et les lévites sont disposés par les villes; leurs fonctions et leur rang sont réglés << selon qu'il étoit écrit dans la loi de Moïse ». Si le peuple fait pénitence, c'est des transgressions qu'il avoit commises contre cette loi : s'il renouvelle l'alliance avec Dieu par une souscription expresse de tous les particuliers, c'est sur le fondement de la même loi, qui pour cela est « lue hautement, distinctement, » et intelligiblement, soir et matin durant plusieurs » jours, à tout le peuple assemblé exprès », comme la loi de leurs pères; tant hommes que femmes entendant pendant la lecture, et reconnoissant les préceptes qu'on leur avoit appris dès leur enfance. Avec quel front Esdras auroit-il fait lire à tout un grand peuple, comme connu, un livre qu'il venoit de forger ou d'accommoder à sa fantaisie, sans que personne y remarquât la moindre erreur, ou le moindre changement? Toute l'histoire des siècles passés étoit répétée depuis le livre de la Genèse jusqu'au temps où l'on vivoit. Le peuple, qui si souvent avoit secoué le joug de cette loi, se laisse charger de ce lourd fardeau sans peine et sans résistance, convaincu par expérience que le mépris qu'on en avoit fait avoit attiré tous les maux où on se voyoit plongé. Les usures sont réprimées selon le texte de la loi, les propres termes en étoient cités; les mariages contractés sont cassés, sans que personne réclamât. Si la loi eût été perdue, ou en tout cas oubliée, auroit-on vu tout le peuple agir naturellement en conséquence de cette loi, comme l'ayant eue toujours présente? Comment

est-ce que tout ce peuple pouvoit écouter Aggée, Zacharie et Malachie qui prophétisoient alors, qui comme les autres prophètes leurs prédécesseurs ne leur prêchoient que « Moïse et la loi que Dieu lui » avoit donnée en Horeb (1) » : et cela comme une chose connue et de tout temps en vigueur dans la nation? Mais comment dit-on, dans le même temps, et dans le retour du peuple, que tout ce peuple admira l'accomplissement de l'oracle de Jérémie touchant les soixante-dix ans de captivité (2)? Ce Jérémie, qu'Esdras venoit de forger avec tous les autres prophètes, comment a-t-il tout d'un coup trouvé créance? Par quel artifice nouveau a-t-on pu persuader à tout un peuple, et aux vieillards qui avoient vu ce prophète, qu'ils avoient toujours attendu la délivrance miraculeuse qu'il leur avoit annoncée dans ses écrits? Mais tout cela sera encore supposé : Esdras et Néhémias n'auront point écrit l'histoire de leur temps; quelque autre l'aura faite sous leur nom; et ceux qui ont fabriqué tous les autres livres de l'ancien Testament auront été si favorisés de la postérité, que d'autres faussaires leur en auront supposé à eux-mêmes, pour donner créance à leur imposture.

On aura honte sans doute de tant d'extravagances; et au lieu de dire qu'Esdras ait fait tout d'un coup paroître tant de livres si distingués les uns des autres par les caractères du style et du temps, on dira qu'il y aura pu insérer les miracles et les prédictions qui les font passer pour divins: erreur plus grossière encore que la précédente, puisque ces miracles et 4.- (2) II. Par. xxxvI. 21, 22. I. Esdr. 1. 1.

(1) Mal. IV.

ces prédictions sont tellement répandus dans tous ces livres, sont tellement inculqués et répétés si souvent, avec tant de tours divers et une si grande variété de fortes figures, en un mot, en font tellement tout le corps, qu'il faut n'avoir jamais seulement ouvert ces saints livres, pour ne voir pas qu'il est encore plus aisé de les refondre, pour ainsi dire, tout-à-fait, que d'y insérer les choses que les incrédules sont si fâchés d'y trouver. Et quand même on leur auroit accordé tout ce qu'ils demandent, le miraculeux et le divin est tellement le fond de ces livres, qu'il s'y retrouveroit encore, malgré qu'on en eût. Qu'Esdras, si on veut, y ait ajouté après coup les prédictions des choses déjà arrivées de son temps celles qui se sont accomplies depuis, par exemple sous Antiochus et les Machabées, et tant d'autres que l'on a vues, qui les aura ajoutées? Dieu aura peut-être donné à Esdras le don de prophétie, afin que l'imposture d'Esdras fût plus vraisemblable; et on aimera mieux qu'un faussaire soit prophète, qu'Isaïe, ou que Jérémie, ou que Daniel : ou bien chaque siècle aura porté un faussaire heureux, que tout le peuple en aura cru; et de nouveaux imposteurs, par un zèle admirable de religion, auront sans cesse ajouté aux livres divins, après même que le Canon en aura été clos, qu'ils se seront répandus avec les Juifs par toute la terre, et qu'on les aura traduits en tant de langues étrangères. N'eût-ce pas été, à force de vouloir établir la religion, la détruire par les fondemens? Tout un peuple laisse-t-il donc changer si facilement ce qu'il croit être divin, soit qu'il le croie par raison ou par erreur? Quelqu'un

peut-il espérer de persuader aux Chrétiens, ou même aux Turcs, d'ajouter un seul chapitre ou à l'Evangile, ou à l'Alcoran? Mais peut-être que les Juifs étoient plus dociles que les autres peuples, ou qu'ils étoient moins religieux à conserver leurs saints livres? Quels monstres d'opinions se faut-il mettre dans l'esprit, quand on veut secouer le joug de l'autorité divine, et ne régler ses sentimens, non plus que ses mœurs, que par sa raison égarée?

CHAPITRE XXVIII.

Les difficultés qu'on forme contre l'Ecriture sont aisées à vaincre par les hommes de bon sens et de bonne foi.

Qu'on ne dise pas que la discussion de ces faits est embarrassante: car, quand elle le seroit, il faudroit ou s'en rapporter à l'autorité de l'Eglise et à la tradition de tant de siècles, ou pousser l'examen jusqu'au bout, et ne pas croire qu'on en fût quitte pour dire qu'il demande plus de temps qu'on n'en veut donner à son salut. Mais au fond, sans remuer avec un travail infini les livres des deux Testamens, il ne faut que lire le livre des Psaumes, où sont recueillis tant d'anciens cantiques du peuple de Dieu, pour y voir, dans la plus divine poésie qui fut jamais, des monumens immortels de l'histoire de Moïse, de celle des Juges, de celle des Rois, imprimés par le chant et par la mesure dans la mémoire des hommes. Et pour le nouveau Testament, les seules Epîtres de saint Paul, si vives, si originales, si fort du temps, des affaires et des mouvemens qui étoient alors, et enfin d'un caractère si

marqué; ces Epîtres, dis-je, reçues par les églises auxquelles elles étoient adressées, et de là communiquées aux autres églises, suffiroient pour convaincre les esprits bien faits, que tout est sincère et original dans les Ecritures que les apôtres nous ont laissées.

Aussi se soutiennent-elles les unes les autres avec une force invincible. Les Actes des Apôtres ne font que continuer l'Evangile; leurs Epîtres le supposent nécessairement mais afin que tout soit d'accord, et les Actes et les Epîtres et les Evangiles réclament partout les anciens livres des Juifs (1). Saint Paul et les autres apôtres ne cessent d'alléguer ce que Moïse a dit, ce qu'il a écrit (2), ce que les prophètes ont dit et écrit après Moïse. Jésus-Christ appelle en témoignage la loi de Moïse, les prophètes et les Psaumes (3), comme des témoins qui déposent tous de la même vérité. S'il veut expliquer ses mystères, il commence par Moïse et par les prophètes (4); et quand il dit aux Juifs que Moïse a écrit de lui (5), il pose pour fondement ce qu'il y avoit de plus constant parmi eux, et les ramène à la source même de leurs traditions.

Voyons néanmoins ce qu'on oppose à une autorité si reconnue, et au consentement de tant de siècles car puisque de nos jours on a bien osé publier en toute sorte de langues des livres contre l'Ecriture, il ne faut point dissimuler ce qu'on dit pour décrier ses antiquités. Que dit-on donc pour

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