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autoriser la supposition du Pentateuque, et que peut-on objecter à une tradition de trois mille ans, soutenue par sa propre force et par la suite des choses? Rien de suivi, rien de positif, rien d'important; des chicanes sur des nombres, sur des lieux, ou sur des noms et de telles observations, qui dans toute autre matière ne passeroient tout au plus que pour de vaines curiosités incapables de donner atteinte au fond des choses, nous sont ici alléguées comme faisant la décision de l'affaire la plus sérieuse qui fut jamais.

Il y a, dit-on, des difficultés dans l'histoire de l'Ecriture. Il y en a sans doute qui n'y seroient pas si le livre étoit moins ancien, ou s'il avoit été supposé, comme on l'ose dire, par un homme habile et industrieux; si l'on eût été moins religieux à le donner tel qu'on le trouvoit, et qu'on eût pris la liberté d'y corriger ce qui faisoit de la peine. Il y a les difficultés que fait un long temps, lorsque les lieux ont changé de nom ou d'état, lorsque les dates sont oubliées, lorsque les généalogies ne sont plus connues, qu'il n'y a plus de remède aux fautes qu'une copie tant soit peu négligée introduit si aisément en de telles choses, ou que des faits échappés à la mémoire des hommes laissent de l'obscurité dans quelque partie de l'histoire. Mais enfin cette obscurité est-elle dans la suite même, ou dans le fond de l'affaire ? Nullement tout y est suivi; et ce qui reste d'obscur ne sert qu'à faire voir dans les livres saints une antiquité plus vénérable.

Mais il y a des altérations dans le texte : les anciennes versions ne s'accordent pas; l'Hébreu en

divers endroits est différent de lui-même; et le texte des Samaritains, outre le mot qu'on les accuse d'y avoir changé exprès (1) en faveur de leur temple de Garizim, diffère encore en d'autres endroits de celui des Juifs. Et de là que conclura-t-on? que les Juifs ou Esdras auront supposé le Pentateuque au retour de la captivité ? C'est justement tout le contraire qu'il faudroit conclure. Les différences du Samaritain ne servent qu'à confirmer ce que nous avons déjà établi, que leur texte est indépendant de celui des Juifs. Loin qu'on puisse s'imaginer que ces schismatiques aient pris quelque chose des Juifs et d'Esdras, nous avons vu au contraire que c'est en haine des Juifs et d'Esdras, et en haine du premier et du second temple, qu'ils ont inventé leur chimère de Garizim. Qui ne voit donc qu'ils auroient plutôt accusé les impostures des Juifs que de les suivre ? Ces rebelles, qui ont méprisé Esdras et tous les prophètes des Juifs, avec leur temple et Salomon qui l'avoit bâti, aussi bien que David qui en avoit désigné le lieu, qu'ont-ils respecté dans leur Pentateuque, sinon une antiquité supérieure non-seulement à celle d'Esdras et des prophètes, mais encore à celle de Salomon et de David, en un mot, l'antiquité de Moïse dont les deux peuples conviennent? Combien donc est incontestable l'autorité de Moïse et du Pentateuque, que toutes les objections ne font qu'affermir.

Mais d'où viennent ces variétés des textes et des versions? D'où viennent-elles en effet, sinon de l'antiquité du livre même, qui a passé par les mains de (1) Deut. xxvII. 4.

tant de copistes depuis tant de siècles que la langue dans laquelle il est écrit a cessé d'être commune? Mais laissons les vaines disputes, et tranchons en un mot la difficulté par le fond. Qu'on me dise s'il n'est pas constant que de toutes les versions, et de tout le texte quel qu'il soit, il en reviendra toujours les mêmes lois, les mêmes miracles, les mêmes prédictions, la même suite d'histoire, le même corps de doctrine, et enfin la même substance. En quoi nuisent après cela les diversités des textes? Que nous falloit-il davantage que ce fond inaltérable des livres sacrés, et que pouvions-nous demander de plus à la divine providence? Et pour ce qui est des versions, est-ce une marque de supposition ou de nouveauté, que la langue de l'Ecriture soit si ancienne qu'on en ait perdu les délicatesses, et qu'on se trouve empêché à en rendre toute l'élégance ou toute la force dans la dernière rigueur? N'est-ce pas plutôt une preuve de la plus grande antiquité ? Et si on veut s'attacher aux petites choses, qu'on me dise si de tant d'endroits où il y a de l'embarras, on en a jamais rétabli un seul par raisonnement ou par conjecture. On a suivi la foi des exemplaires; et comme la tradition n'a jamais permis que la saine doctrine pût être altérée, on a cru que les autres fautes, s'il y en restoit, ne serviroient qu'à prouver qu'on n'a rien ici innové par son propre esprit.

Mais enfin, et voici le fort de l'objection, n'y a-t-il pas des choses ajoutées dans le texte de Moïse, et d'où vient qu'on trouve sa mort à la fin du livre qu'on lui attribue? Quelle merveille que ceux qui

ont continué son histoire aient ajouté sa fin bienheureuse au reste de ses actions, afin de faire du tout un même corps? Pour les autres additions, voyons ce que c'est. Est-ce quelque loi nouvelle, ou quelque nouvelle cérémonie, quelque dogme, quelque miracle, quelque prédiction? On n'y songe seulement pas : il n'y en a pas le moindre soupçon ni le moindre indice: ç'eût été ajouter à l'œuvre de Dieu : la loi l'avoit défendu (1), et le scandale qu'on eût causé eût été horrible. Quoi donc? on aura continué peut-être une généalogie commencée; on aura peut-être expliqué un nom de ville changé par le temps; à l'occasion de la manne dont le peuple a été nourri durant quarante ans, on aura marqué le temps où cessa cette nourriture céleste, et ce fait, écrit depuis dans un autre livre (2), sera demeuré par remarque dans celui de Moïse (3), comme un fait constant et public dont tout le peuple étoit témoin : quatre ou cinq remarques de cette nature faites par Josué, ou par Såmuël, ou par quelque autre prophète d'une pareille antiquité, parce qu'elles ne regardoient que des faits notoires, et où constamment il n'y avoit point de difficulté, auront naturellement passé dans le texte; et la même tradition nous les aura apportées avec tout le reste aussitôt tout sera perdu; Esdras sera accusé, quoique le Samaritain, où ces remarques se trouvent, nous montre qu'elles ont une antiquité non-seulement au-dessus d'Esdras, mais encore audessus du schisme des dix tribus! N'importe, il faut

:

(1) Deuter. IV. 2. x11. 32. Voy. ci-dessus, II. part. pag. 203. (2) Jos. V. 12. — (3) Exod. xvI. 35.

que tout retombe sur Esdras. Si ces remarques venoient de plus haut, le Pentateuque seroit encore plus ancien qu'il ne faut, et on ne pourroit assez révérer l'antiquité d'un livre dont les notes mêmes auroient un si grand âge. Esdras aura donc tout fait; Esdras aura oublié qu'il vouloit faire parler Moïse, et lui aura fait écrire si grossièrement comme déjà arrivé ce qui s'est passé après lui. Tout un ou vrage sera convaincu de supposition par ce seul endroit; l'autorité de tant de siècles et la foi publique ne lui servira plus de rien : comme si, au contraire, on ne voyoit pas que ces remarques dont on se prévaut sont une nouvelle preuve de sincérité et de bonne foi, non- seulement dans ceux qui les ont faites, mais encore dans ceux qui les ont transcrites. A-t-on jamais jugé de l'autorité, je ne dis pas d'un livre divin, mais de quelque livre que ce soit, par des raisons si légères? Mais c'est que I'Ecriture est un livre ennemi du genre humain; il veut obliger les hommes à soumettre leur esprit à Dieu, et à réprimer leurs passions déréglées : il faut qu'il périsse; et à quelque prix que ce soit, il doit être sacrifié au libertinage.

Au reste, ne croyez pas que l'impiété s'engage sans nécessité dans toutes les absurdités que vous avez vues. Si contre le témoignage du genre humain, et contre toutes les règles du bon sens, elle s'attache à ôter au Pentateuque et aux prophéties leurs auteurs toujours reconnus, et à leur contester leurs dates; c'est que les dates font tout en cette matière, pour deux raisons. Premièrement, parce que des livres pleins de tant de faits miraculeux, qu'on y voit

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