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Quand vous lisez si souvent dans leurs écrits que les rois entreront en foule dans l'Eglise, et qu'ils en seront les protecteurs et les nourriciers, vous reconnoissez à ces paroles les empereurs et les autres princes chrétiens; et comme les rois vos ancêtres se sont signalés plus que tous les autres, en protégeant et en étendant l'Eglise de Dieu, je ne craindrai point de vous assurer que c'est eux qui de tous les rois sont prédits le plus clairement dans ces illustres prophéties.

Dieu donc, qui avoit dessein de se servir des divers empires, pour châtier, ou pour exercer, ou pour étendre, ou pour protéger son peuple, voulant se faire connoître pour l'auteur d'un si admirable conseil, en a découvert le secret à ses prophètes, et leur a fait prédire ce qu'il avoit résolu d'exécuter. C'est pourquoi, comme les empires entroient dans l'ordre des desseins de Dieu sur le peuple qu'il avoit choisi, la fortune de ces empires se trouve annoncée par les mêmes oracles du Saint-Esprit qui prédisent la succession du peuple fidèle.

Plus vous vous accoutumerez à suivre les grandes choses, et à les rappeler à leurs principes, plus vous serez en admiration de ces conseils de la Providence. Il importe que vous en preniez de bonne heure les idées, qui s'éclairciront tous les jours de plus en plus dans votre esprit, et que vous appreniez à rapporter les choses humaines aux ordres de cette sagesse éternelle dont elles dépendent.

Dieu ne déclare pas tous les jours ses volontés par ses prophètes touchant les rois et les monar

chies qu'il élève ou qu'il détruit. Mais l'ayant fait tant de fois dans ces grands empires dont nous venons de parler, il nous montre, par ces exemples fameux, ce qu'il fait dans tous les autres; et il apprend aux rois ces deux vérités fondamentales: : premièrement, que c'est lui qui forme les royaumes pour les donner à qui il lui plaît; et secondement, qu'il sait les faire servir, dans les temps et dans l'ordre qu'il a résolu, aux desseins qu'il a sur son peuple.

C'est ce qui doit tenir tous les princes dans une entière dépendance, et les rendre toujours attentifs aux ordres de Dieu, afin de prêter la main à ce qu'il médite pour sa gloire dans toutes les occasions qu'il leur en présente.

Mais cette suite des empires, même à la considérer plus humainement, a de grandes utilités, principalement pour les princes; puisque l'arrogance, compagne ordinaire d'une condition si éminente, est si fortement rabattue par ce spectacle. Car si les hommes apprennent à se modérer en voyant mourir les rois, combien plus seront-ils frappés en voyant mourir les royaumes mêmes; et où peut-on recevoir une plus belle leçon de la vanité des grandeurs humaines?

Ainsi, quand vous voyez passer comme en un instant devant vos yeux, je ne dis pas les rois et les empereurs, mais ces grands empires qui ont fait trembler tout l'univers; quand vous voyez les Assyriens anciens et nouveaux, les Mèdes, les Perses, les Grecs, les Romains se présenter devant vous successivement, et tomber, pour ainsi dire, les uns

sur les autres ce fracas effroyable vous fait sentir qu'il n'y a rien de solide parmi les hommes, et que l'inconstance et l'agitation est le propre partage des choses humaines.

CHAPITRE II.

Les révolutions des empires ont des causes particulières que les princes doivent étudier.

MAIS ce qui rendra ce spectacle plus utile et plus agréable, ce sera la réflexion que vous ferez, nonseulement sur l'élévation et sur la chute des empires, mais encore sur les causes de leur progrès et sur celles de leur décadence.

Car ce même Dieu qui a fait l'enchaînement de l'univers, et qui tout-puissant par lui-même, a voulu, pour établir l'ordre, que les parties d'un si grand tout dépendissent les unes des autres; ce même Dieu a voulu aussi que le cours des choses humaines eût sa suite et ses proportions: je veux dire les hommes et les nations ont eu des quaque lités proportionnées à l'élévation à laquelle ils étoient destinés; et qu'à la réserve de certains coups extraordinaires, où Dieu vouloit que sa main parût toute seule, il n'est point arrivé de grand changement qui n'ait eu ses causes dans les siècles pré

cédens.

Et comme dans toutes les affaires il y a ce qui les prépare, ce qui détermine à les entreprendre, et ce qui les fait réussir; la vraie science de l'histoire est de remarquer dans chaque temps ces secrètes dispositions qui ont préparé les grands changemens, et

les conjonctures importantes qui les ont fait arriver.

En effet, il ne suffit pas de regarder seulement devant ses yeux, c'est-à-dire, de considérer ces grands événemens qui décident tout-à-coup de la fortune des empires. Qui veut entendre à fond les choses humaines, doit les reprendre de plus haut; et il lui faut observer les inclinations et les mœurs, ou, pour' dire tout en un mot, le caractère, tant des peuples dominans en général que des princes en particulier, et enfin de tous les hommes extraordinaires, qui par l'importance du personnage qu'ils ont eu à faire dans le monde, ont contribué, en bien ou en mal, au changement des Etats et à la fortune publique.

J'ai tâché de vous préparer à ces importantes réflexions dans la première partie de ce Discours; vous y aurez pu observer le génie des peuples et celui des grands hommes qui les ont conduits. Les événemens qui ont porté coup dans la suite ont été montrés; et afin de vous tenir attentif à l'enchaînement des grandes affaires du monde, que je voulois principalement vous faire entendre, j'ai omis beaucoup de faits particuliers dont les suites n'ont pas été si considérables. Mais parce qu'en nous attachant à la suite, nous avons passé trop vite sur beaucoup de choses pour pouvoir faire les réflexions qu'elles méritoient, vous devez maintenant vous y attacher avec une attention plus particulière, et accoutumer votre esprit à rechercher les effets dans leurs causes les plus éloignées.

Par-là vous apprendrez ce qu'il est si nécessaire que vous sachiez; qu'encore qu'à ne regarder que

les

les rencontres particulières, la fortune semble seule décider de l'établissement et de la ruine des empires, à tout prendre il en arrive à peu près comme dans le jeu, où le plus habile l'emporte à la longue.

En effet, dans ce jeu sanglant où les peuples ont disputé de l'empire et de la puissance, qui a prévu de plus loin, qui s'est le plus appliqué, qui a duré le plus long-temps dans les grands travaux, et enfin qui a su le mieux ou pousser ou se ménager suivant la rencontre, à la fin a eu l'avantage, et a fait servir la fortune même à ses desseins.

Ainsi ne vous lassez point d'examiner les causes des grands changemens, puisque rien ne servira jamais tant à votre instruction; mais recherchez - les surtout dans la suite des grands empires, où la grandeur des événemens les rend plus palpables.

CHAPITRE III.

Les Scythes, les Ethiopiens et les Egyptiens.

Je ne compterai pas ici parmi les grands 'empires celui de Bacchus, ni celui d'Hercule, ces célèbres vainqueurs des Indes et de l'Orient. Leurs histoires n'ont rien de certain, leurs conquêtes n'ont rien de suivi il les faut laisser célébrer aux poètes, qui en ont fait le plus grand sujet de leurs fables.

:

Je ne parlerai pas non plus de l'empire que le Madyes d'Hérodote (1), qui ressemble assez à l'Indathyrse de Megasthène (2), et au Tanaüs de Justin (3), établit pour un peu de temps dans la grande

(1) Herod. lib. 1, c. 103.

C. I.

BOSSUET. XXXV.

(2) Strab. init. lib. xv. - ·(3) Justin. lib. 1,

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