Images de page
PDF
ePub
[ocr errors]

ans, les Egyptiens sont les premiers qui aient écouté ces merveilleux maîtres. Les planètes et les autres astres ne leur ont pas été moins connus; et ils ont trouvé cette grande année qui ramène tout le ciel à son premier point. Pour reconnoître leurs terres tous les ans couvertes par le débordement du Nil, ils ont été obligés de recourir à l'arpentage, qui leur a bientôt appris la géométrie (1). Ils étoient grands observateurs de la nature, qui dans un air si serein, et sous un soleil si ardent, étoit forte et féconde parmi eux (2). C'est aussi ce qui leur a fait inventer ou perfectionner la médecine. Ainsi toutes les sciences ont été en grand honneur parmi eux. Les inventeurs des choses utiles recevoient, et de leur vivant et après leur mort, de dignes récompenses de leurs travaux. C'est ce qui a consacré les livres de leurs deux Mercures, et les a fait regarder comme des livres divins. Le premier de tous les peuples où on voie des bibliothèques, est celui d'Egypte. Le titre qu'on leur donnoit inspiroit l'envie d'y entrer, et d'en pénétrer les secrets: on les appeloit, le trésor des remèdes de l'ame (3). Elle s'y guérissoit de l'ignorance, la plus dangereuse de ses maladies, et la source de toutes les autres.

Une des choses qu'on imprimoit le plus fortement dans l'esprit des Egyptiens, étoit l'estime et l'amour de leur patrie. Elle étoit, disoient-ils, le séjour des dieux : ils y avoient régné durant des milliers infinis d'années. Elle étoit la mère des hommes et des animaux, que la terre d'Egypte arrosée du Nil avoit

(2) Diod. ibid. et 30. Herod.

(1) Diod. lib. 1, sect. 2, n. 29. lib. 11, cap. 4. (3) Diod. lib. 1, sect. 2, n. 5.

'enfantés pendant que le reste de la nature étoit stérile (1). Les prêtres, qui composoient l'histoire d'Egypte de cette suite immense de siècles, qu'ils ne remplissoient que de fables et des généalogies de leurs dieux, le faisoient pour imprimer dans l'esprit des peuples l'antiquité et la noblesse de leur pays. Au reste, leur vraie histoire étoit renfermée dans des bornes raisonnables; mais ils trouvoient beau de se perdre dans un abîme infini de temps qui sembloit les approcher de l'éternité.

Cependant l'amour de la patrie avoit des fondemens plus solides. L'Egypte étoit en effet le plus beau pays de l'univers, le plus abondant par la nature, le mieux cultivé par l'art, le plus riche, le plus commode, et le plus orné par les soins et la magnificence de ses rois.

:

Il n'y avoit rien que de grand dans leurs desseins et dans leurs travaux. Ce qu'ils ont fait du Nil est incroyable. Il pleut rarement en Egypte mais ce fleuve, qui l'arrose toute par ses débordemens réglés, lui apporte les pluies et les neiges des autres pays, Pour multiplier un fleuve si bienfaisant, l'Egypte étoit traversée d'une infinité de canaux d'une longueur et d'une largeur incroyable (2). Le Nil portoit partout la fécondité avec ses eaux salutaires, unissoit les villes entre elles, et la Grande-mer avec la mer Rouge, entretenoit le commerce au dedans et au dehors du royaume, et le fortifioit contre l'ennemi : de sorte qu'il étoit tout ensemble et le nourricier et le défenseur de l'Egypte. On lui abandonnoit la cam

(1) Plat. in. Tim. Diod. lib. 1, sect. 1, n. 5. (2) Herod. lib. 11, c. 108. Diod. lib. 1, sect. 2, n. 10, 14.

pagne mais les villes, rehaussées avec des travaux immenses, et s'élevant comme des îles au milieu des eaux, regardoient avec joie de cette hauteur toute la plaine inondée et tout ensemble fertilisée par le Nil. Lorsqu'il s'enfloit outre mesure, de grands lacs, creusés par les rois, tendoient leur sein aux eaux répandues. Ils avoient leurs décharges préparées : de grandes écluses les ouvroient ou les fermoient selon le besoin; et les eaux ayant leur retraite ne séjournoient sur les terres qu'autant qu'il falloit pour les engraisser.

Tel étoit l'usage de ce grand lac, qu'on appeloit le lac de Myris ou de Moeris : c'étoit le nom du roi qui l'avoit fait faire (1). On est étonné quand on lit, ce qui néanmoins est certain, qu'il avoit de tour environ cent quatre-vingts de nos lieues. Pour ne point perdre trop de bonnes terres en le creusant, on l'avoit étendu principalement du côté de la Libye. La pêche en valoit au prince des sommes immenses; et ainsi quand la terre ne produisoit rien, on en tiroit des trésors en la couvrant d'eaux. Deux pyramides, dont chacune portoit sur un trône deux statues colossales, l'une de Myris, et l'autre de sa femme, s'élevoient de trois cents pieds au milieu du lac, et occupoient sous les eaux un pareil espace. Ainsi elles faisoient voir qu'on les avoit érigées avant que le creux eût été rempli, et montroient qu'un lac de cette étendue avoit été fait de main d'homme sous un seul prince.

Ceux qui ne savent pas jusques à quel point on peut ménager la terre, prennent pour fable ce qu'on

(1) Herod. lib. 11, c. 101, 149. Diod. lib. 1, sect. 2, n. 8.

raconte du nombre des villes d'Egypte (1), La richesse n'en étoit pas moins incroyable. Il n'y en avoit point qui ne fût remplie de temples magnifiques et de superbes palais (2). L'architecture y montroit partout cette noble simplicité, et cette grandeur qui remplit l'esprit. De longues galeries y étaloient des sculptures que la Grèce prenoit pour modèles. Thèbes le pouvoit disputer aux plus belles villes de l'univers (3). Ses cent portes chantées par Homère sont connues de tout le monde. Elle n'étoit pas moins peuplée qu'elle étoit vaste; et on a dit qu'elle pouvoit faire sortir ensemble dix mille combattans par chacune de ses portes (4). Qu'il y ait, si l'on veut, de l'exagération dans ce nombre, toujours est-il assuré que son peuple étoit innombrable. Les Grecs et les Romains ont célébré sa magnificence et sa grandeur (5), encore qu'ils n'en eussent vu que les ruines tant les restes en étoient augustes.

:

Si nos voyageurs avoient pénétré jusqu'au lieu où cette ville étoit bâtie, ils auroient sans doute encore trouvé quelque chose d'incomparable dans ses ruines car les ouvrages des Egyptiens étoient faits pour tenir contre le temps. Leurs statues étoient des colosses. Leurs colonnes étoient immenses (6). L'Egypte visoit au grand, et vouloit frapper les yeux de loin, mais toujours en les contentant par la justesse des proportions. On a découvert dans le Saïde (vous savez bien que c'est le nom de la Thébaïde)

[ocr errors]

(1) Herod. lib. 11. c. 177. Diod. lib. 1, seet. 2, n. 6 et seq.· - (2) Herod. ibid. c. 148, 153, etc. (3) Diod. ibid. n. 4. (4) Pomp. Mela,

(5) Strab. lib. xvII. Tacit. Annal.

lib. 1, cap. 9.
(6) Herod. et Diod. loc. cit.

[blocks in formation]

des temples et des palais presque encore entiers, aù ces colonnes et ces statues sont innombrables (1). On y admire surtout un palais dont les restes semblent n'avoir subsisté que pour effacer la gloire de tous les plus grands ouvrages. Quatre allées à perte de vue, et bornées de part et d'autre par des sphinx d'une matière aussi rare que leur grandeur est remarquable, servent d'avenues à quatre portiques dont la hauteur étonne les yeux. Quelle magnificence, et quelle étendue! Encore ceux qui nous ont décrit ce prodigieux édifice n'ont-ils pas eu le temps d'en faire le tour, et ne sont pas même assurés d'en avoir vu la moitié; mais tout ce qu'ils y ont vu étoit surprenant. Une salle, qui apparemment faisoit le milieu de ce superbe palais, étoit soutenue de six-vingt colonnes de six brassées de grosseur, grandes à proportion, et entremêlées d'obélisques que tant de siècles n'ont pu abattre. Les couleurs mêmes, c'est-à-dire ce qui éprouve le plus tôt le pouvoir du temps, se soutiennent encore parmi les ruines de cet admirable édifice, et y conservent leur vivacité: tant l'Egypte savoit imprimer le caractère d'immortalité à tous ses ouvrages. Maintenant que le nom du Roi pénètre aux parties du monde les plus inconnues, et que ce prince étend aussi loin les recherches qu'il fait faire des plus beaux ouvrages de la nature et de l'art, ne seroit-ce pas un digne objet de cette noble curiosité, de découvrir les beautés que la Thébaïde renferme dans ses déserts, et d'enrichir notre architecture des inventions de l'Egypte? Quelle puissance et quel art a pu faire d'un tel pays la

(1) Voyages du Levant, par M. Thevenot, liv. 11, chap. 5.

[ocr errors]

merveille

« PrécédentContinuer »