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leurs voisins, et par la nonchalance des empereurs, leur enlèvent la plus grande partie de l'Orient, eț les tourmentent tellement de ce côté-là, qu'ils ne songent plus à l'Italie. Les Lombards y occupent les plus belles et les plus riches provinces. Rome, réduite à l'extrémité par leurs entreprises continuelles, et demeurée sans détense du côté de ses empereurs, est contrainte de se jeter entre les bras des Français. Pepin roi de France passe les Monts, et réduit les Lombards. Charlemagne, après en avoir éteint la domination, se fait couronner roi d'Italie, où sa seule modération conserve quelques petits restes aux successeurs des Césars; et en l'an 800 de notre Seigneur, élu empereur par les Romains, il fonde le nouvel Empire.

Il est maintenant aisé de connoître les causes de l'élévation et de la chute de Rome.

Vous voyez que cet Etat fondé sur la guerre, et par-là naturellement disposé à empiéter sur ses voisins, a mis tout l'univers sous le joug, pour avoir porté au plus haut point la politique et l'art militaire.

Vous voyez les causes des divisions de la république, et finalement de sa chute, dans les jalousies de ses citoyens, et dans l'amour de la liberté poussé jusqu'à un excès et une délicatesse insupportable.

Vous n'avez plus de peine à distinguer tous les temps de Rome, soit que vous vouliez la considérer en elle-même, soit que vous la regardiez par rapport aux autres peuples; et vous voyez les change

mens qui devoient suivre la disposition des affaires en chaque temps.

En elle-même vous la voyez au commencement dans un état monarchique établi selon ses lois primitives, ensuite dans sa liberté, et enfin soumise encore une fois au gouvernement monarchique, mais par force et par violence.

Il est aisé de concevoir de quelle sorte s'est formé l'état populaire, ensuite des commencemens qu'il avoit dès les temps de la royauté; et vous ne voyez pas dans une moindre évidence, comment dans la liberté s'établissoient peu à peu les fondemens de la

nouvelle monarchie.

Car de même que vous avez vu le projet de république dressé dans la monarchie par Servius Tullius, qui donna comme un premier goût de la liberté au peuple Romain, vous avez aussi observé que la tyrannie de Sylla, quoique passagère, quoique courte, a fait voir que Rome, malgré sa fierté, étoit autant capable de porter le joug, que les peuples qu'elle tenoit asservis.

Pour connoître ce qu'a opéré successivement cette jalousie furieuse entre les ordres, vous n'avez qu'à distinguer les deux temps que je vous ai expressément marqués : l'un, où le peuple étoit retenu dans certaines bornes par les périls qui l'environnoient de tous côtés; et l'autre, où n'ayant plus rien à craindre au dehors, il s'est abandonné sans réserve à sa passion.

Le caractère essentiel de chacun de ces deux temps, est que dans l'un l'amour de la patrie et des

lois retenoit les esprits; et que dans l'autre tout se décidoit par l'intérêt et par la force.

De là s'ensuivoit encore, que dans le premier de ces deux temps, les hommes de commandement, qui aspiroient aux honneurs par les moyens légitimes, tenoient les soldats en bride et attachés à la république; au lieu que dans l'autre temps, où la violence emportoit tout, ils ne songeoient qu'à les ménager, pour les faire entrer dans leurs desseins malgré l'autorité du sénat.

Par ce dernier état la guerre étoit nécessairement dans Rome, et par le génie de la guerre le commandement venoit naturellement entre les mains d'un seul chef: mais parce que dans la guerre, ой les lois ne peuvent plus rien, la seule force décide, il falloit que le plus fort demeurât le maître; par 'conséquent que l'Empire retournât en la puissance d'un seul.

Et les choses s'y disposoient tellement par ellesmêmes, que Polybe, qui a vécu dans le temps le plus florissant de la république, a prévu, par la seule disposition des affaires, que l'Etat de Rome à la longue reviendroit à la monarchie (1).

La raison de ce changement est que la division entre les ordres n'a pu cesser parmi les Romains que par l'autorité d'un maître absolu, et que d'ailleurs la liberté étoit trop aimée pour être abandonnée volontairement. Il falloit donc peu à peu l'affoiblir par des prétextes spécieux, et faire par

(1) Polyb. lib. vi, c. 1 et seq. c. 41 et seq.

ce moyen qu'elle pût être ruinée par la force ou

verte.

La tromperie, selon Aristote (1), devoit commencer en flattant le peuple, et devoit naturellement être suivie de la violence.

Mais de là on devoit tomber dans un autre incon

vénient par la puissance des gens de guerre, mal

inévitable à cet Etat.

Et effet, cette monarchie que formèrent les Césars s'étant érigée par les armes, il falloit qu'elle fût toute militaire; et c'est pourquoi elle s'établit sous le nom d'empereur, titre propre et naturel du commandement des armées.

Par là vous avez pu voir que comme la république avoit son foible inévitable, c'est-à-dire, la jalousie entre le peuple et le sénat, la monarchie des Césars avoit aussi le sien; et ce foible étoit la licence des soldats qui les avoient faits.

Car il n'étoit pas possible que les gens de guerre, qui avoient changé le gouvernement, et établi les empereurs, fussent long-temps sans s'apercevoir que c'étoit eux en effet qui disposoient de l'Empire.

Vous pouvez maintenant ajouter aux temps que vous venez d'observer, ceux qui vous marquent l'état et le changement de la milice; celui où elle est soumise et attachée au sénat et au peuple Romain; celui où elle s'attache à ses généraux; celui où elle les élève à la puissance absolue sous le titre mili

(1) Polit. lib. v, c. 4.

taire d'empereurs; celui où maîtresse en quelque façon de ses propres empereurs, qu'elle créoit, elle les fait et les défait à sa fantaisie. De là le relâche-ment; de là les séditions et les guerres que vous avez vues; de là enfin la ruine de la milice avec celle de l'Empire.

Tels sont les temps remarquables qui nous marquent les changemens de l'Etat de Rome considérée en elle-même. Ceux qui nous la font connoître par rapport aux autres peuples, ne sont pas moins aisés à discerner.

Il y a le temps où elle combat contre ses égaux, et où elle est en péril. Il dure un peu plus de cinq cents ans, et finit à la ruine des Gaulois en Italie, et de l'empire des Carthaginois.

Celui où elle combat, toujours plus forte et sans péril, quelque grandes que soient les guerres qu'elle entreprenne. Il dure deux cents ans, et va jusqu'à l'établissement de l'empire des Césars.

Celui où elle conserve son empire et sa majesté. Il dure quatre cents ans, et finit au règne de Théodose le Grand.

Celui enfin où son empire, entamé de toutes parts, tombe peu à peu. Cet état, qui dure aussi quatre cents ans, commence aux enfans de Théodose, et se termine enfin à Charlemagne.

Je n'ignore pas, Monseigneur, qu'on pourroit ajouter aux causes de la ruine de Rome beaucoup d'incidens particuliers, Les rigueurs des créanciers sur leurs débiteurs ont excité de grandes et de fréquentes révoltes. La prodigieuse quantité de gladia

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