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Maintenon, et il ne lui est commun qu'avec Mme de La Fayette. Toutes les deux coupent court au style traînant, négligé, irrégulier, que les femmes (quand elles n'étaient pas Mme de Sévigné) se permettaient trop au XVIIe siècle. Mme de Maintenon aida autant que personne et tint la main à cette réforme dont le xvIIIe siècle hérita : « Je me corrigerai des fautes de style que vous remarquez dans mes lettres, lui écrivait le duc du Maine; mais je crois que les longues phrases seront pour moi un long défaut. » Mme de Maintenon dit et écrit en perfection. Tout tombe juste, il n'y a pas un pli dans ce style-là. Un seul point de plus et vous arriveriez au tendu et à la sécheresse. Mme Du Deffand, qui est littérairement de la même école, a très-bien rendu l'effet que font les Lettres de Mme de Maintenon, et on ne saurait mieux les définir :

« Ses Lettres sont réfléchies, dit-elle; il y a beaucoup d'esprit, d'un style fort simple; mais elles ne sont point animées, et il s'en faut beaucoup qu'elles soient aussi agréables que celles de Mme de Sévigné ; tout est passion, tout est en action dans celles de cette dernière : elle prend part à tout, tout l'affecte, tout l'intéresse; Mme de Maintenon, tout au contraire, raconte les plus grands événements, où elle jouait un rôle, avec le plus parfait sang-froid; on voit.qu'elle n'aimait ni le roi, ni ses amis, ni ses parents, ni même sa place; sans sentiment, sans imagination, elle ne se fait point d'illusions, elle connaît la valeur intrinsèque de toutes choses; elle s'ennuie de la vie, et elle dit: Il n'y a que la mort qui termine nettement les chagrins et les malheurs..... Il me reste de cette lecture beaucoup d'opinion de son esprit, peu d'estime de son cœur, et nul goût pour sa personne; mais, je le dis, je persiste à ne la pas croire fausse. >>

Elle ne paraît point fausse, en effet, dans ses Lettres, elle n'est que discrète et un peu serrée. Pour se compléter l'idée de Mme de Maintenon, il convient, en les lisant, d'y ajouter un certain enjouement de raison, une certaine grâce vivante qu'elle eut jusqu'à la fin, même dans son austérité; qui tenait à sa personne, à son désir de plaire en présence des qui n'allait pas jusqu'à se fixer par écrit.

gens, mais

Je n'ai pourtant fait qu'ouvrir la tranchée sur Mme de Maintenon. On n'avance pas vite avec elle : j'aurai à y revenir quelque jour en la prenant en tête-à-tête avec Mme des Ursins.

Lundi 4 août 1851.

HISTOIRE DE LA RESTAURATION,

PAR M. DE LAMARTINE.

(Les deux premiers volumes. Pagnerre.)

<«< Nous sommes comme les rivières, qui conservent leur nom, mais dont les eaux changent toujours. » C'est le grand Frédéric qui écrivait cela à d'Alembert, pour lui exprimer le changement qu'opère le temps dans les sentiments et dans les pensées de chaque individu. Si jamais l'âme de l'homme a pu être comparée à un courant d'eau changeant et rapide, c'est assurément de nos jours les grands poëtes de notre âge, en particulier, sont de grands fleuves, et M. de Lamartine est le plus large et le plus beau de tous. Que de rivages il a déjà réfléchis!

:

«Je dépasse à peine le milieu de la vie, dit-il dans le Préambule de son. Histoire, et j'ai vécu déjà sous dix dominations, ou sous dix gouvernements différents en France. » Et il énumère tous les gouvernements qui se sont succédé depuis soixante ans, à commencer par Louis XVI. Mais, dès cette première phrase de M. de Lamartine, j'ai vu des personnes se demander ce que l'historien entendait par le milieu de la vie, et si, en effet, nous en étions encore à mesurer l'espace de nos jours et le nombre des soleils qui nous sont accordés, comme on le faisait au temps des patriarches. Il est impertinent de parler d'âge et de date à une femme, mais il est per

mis d'exiger ce compte exact de l'historien: la chronologie, avec la géographie, est un des yeux de l'histoire. Or, ce n'est certainement qu'au moyen d'une licence poétique que M. de Lamartine peut venir se représenter à nous, dès le début, sous ces traits d'une chronologie complaisante et adoucie. Lui, historien de la Restauration, il ne saurait dire, par exemple, de Louis XVIII en 1814, ou de M. de Talleyrand, qu'il appelle à cette même date un vieux diplomate, qu'ils avaient à peine dépassé le milieu de la vie. Eh bien, M. de Lamartine aujourd'hui, si je ne me trompe, a pour le moins l'âge qu'avaient en 1844 Louis XVIII et M. de Talleyrand. Je n'insiste sur cette phrase de début, qui a frappé beaucoup de personnes, que pour montrer qu'on ne saurait raisonnablement attendre de l'historien-poëte un grand scrupule d'exactitude sur ces points de détail et d'humble réalité. Quand la réalité le gêne, il la plie légèrement au besoin de la phrase et de l'harmonie. Pour moi, dans ces deux volumes que je viens de lire avec plaisir et entraînement, je sais bien que je n'ai jamais trouvé une seule date ni en marge ni dans le texte.

Qu'importe? les deux volumes intéressent, et le sujet, à bien des égards, convient à M. de Lamartine. Il lui convient beaucoup mieux que celui de sa première Histoire des Girondins. Cette Histoire des Girondins, qui a si fatalement réussi, était un grand piége que le poëte se tendait à lui-même avant de le tendre aux autres. En effet, M. de Lamartine, avec son talent idéal, avec son optimisme à la fois naturel et calculé, quand il serait propre à être historien, l'était-il à être l'historien de la Révolution française en particulier? Tout cet azur, ces flots de lumière et de couleur, ces fonds d'or et bleu de ciel, qui étaient habituels à sa poésie, et qu'il transporte, en les voilant à peine, dans sa prose, pouvaient-ils se mêler impunément à des tableaux tels que ceux qu'il avait à offrir? Je sais que M. de Lamartine a bien des cordes à sa lyre, qu'il n'a pas seulement la corde voluptueuse et amollie. Dans une belle pièce de ses secondes Méditations, qui a pour titre les Préludes, il se montre à nous sous quatre ou cinq aspects différents, tour à tour nonchalant, rêveur, puis amoureux des tempêtes, puis emporté dans les combats, puis rentrant dans son Arcadie au son de la flûte du pasteur. M. de Lamartine, comme tous les grands poëtes, a plusieurs âmes, il a dit même quelque part

qu'il en avait sept (le nombre n'y fait rien); et certes il a prouvé, en des heures fameuses, que l'énergie, la force, une soudaine vigueur héroïque qui se confond dans un éclair d'éloquence, ne lui sont pas étrangères. Mais, enfin, il a beau faire et se vouloir métamorphoser, les tons dominants et primitifs chez lui sont encore des tons d'éclat, d'harmonie et de lumière. Or, la seule application d'un talent de cet ordre et de cette qualité à un tel sujet, à ces natures hideuses et à ces tableaux livides de la Révolution, était déjà une première cause d'illusion et de séduction insensible, un premier mensonge. Aussi, voyez ce qu'il a fait : il en a dissimulé l'horreur, il y a mis le prestige. Il y a glissé un coin de cette lune du cap Misène qu'il tient toujours en réserve au bord d'un nuage, et qui embellit tout ce qu'elle touche. A travers ce sang et cette boue, il a jeté des restes de voie lactée et d'arc-en-ciel. Sa couleur ment. Même en forçant et en gâtant sa manière, il n'a pas atteint à la réalité de ce qu'il voulait peindre, ou il l'a dépassée. Au lieu d'une horreur sérieuse et profonde, il n'a produit par ses descriptions, comme dans un roman, qu'un genre d'impression presque nerveuse. Je me demandais, en voyant cet effet de la lecture des Girondins surtout chez les femmes, si c'est là l'effet que doit produire l'histoire. Je ne dirai pas que cet ouvrage des Girondins émeut, mais il émotionne mauvais mot, mauvaise chose.

Je laisse, on le voit, de côté le but politique, l'intention calculée peut-être, et je ne m'en prends qu'à ce qui est de la couleur littéraire presque inévitable et involontaire chez un talent du genre de celui de M. de Lamartine. On lui a reproché ses indulgences soudaines et ses complaisances de pinceau pour Robespierre et pour d'autres monstres. Quant à moi, au milieu de toutes les preuves de talent, de génie naturel, d'esprit même et de sagacité que donne M. de Lamartine dans les pages flottantes et dans les fresques inachevées de ses Histoires, je m'attendrai toujours à toutes les distractions et à tous les lapsus de pinceau de la part de quelqu'un qui, ayant à parler de Camille Desmoulins pour son Vieux Cordelier, a trouvé moyen de le comparer à Fénelon. Oui, M. de Lamartine a comparé un jour Camille Desmoulins à Fénelon ; étonnez-vous après cela chez lui d'une erreur de tact et d'un hasard de touche!

Heureusement, dans l'Histoire de la Restauration, il a affaire, je ne dirai pas à des souvenirs plus présents, car il se souvient peu et il a la mémoire docile à son imagination, mais il a affaire à de plus honnêtes gens, à des personnages plus dignes en général de ses couleurs. Il les a vus, il les a pratiqués, il les juge aujourd'hui, après avoir été des leurs, et il lui en reste quelque chose. Sa finesse d'observation souvent s'y mêlera et corrigera les inadvertances de pinceau. Son Histoire des Girondins avait choqué bien des gens de l'ancienne connaissance de M. de Lamartine, comme une défection et comme une séduction encourageante et funeste. Dans son Histoire de la Restauration, M. de Lamartine revient aux premières scènes de sa jeunesse, et, bien qu'il y revienne avec un complet dégagement de vues, il saura en ressaisir suffisamment les émotions et le ton: il les embellira même peut-être; mais, qu'il. se montre plus ou moins indulgent ou sévère, il ne saurait ici être dangereux. Enfin, quoi qu'il fasse (pour parler comme au XVIIe siècle), il y aura en lui cette fois bien des restes de l'honnête homme.

Les deux volumes actuellement publiés le prouvent déjà. Ces volumes, je le répète, sont intéressants, bien que remplis de défauts, de négligences et de licences de composition. Je les parcourrai rapidement, moins en juge qu'en lecteur empressé, à la fois séduit et résistant, et qui, pour contrôler ces pages faciles, n'a guère eu recours qu'à ses propres souvenirs.

M. de Lamartine suit dans cette Histoire la division par livres, et les livres sont divisés eux-mêmes, non par chapitres (ce mot est trop vulgaire), mais par chiffres, par nombres, par ces espèces de couplets épiques qui sont si à la mode au> jourd'hui. J'aime peu, je l'avoue, dans l'histoire grave ce mode de division et de coupe; c'est ce que j'appelle de l'histoire par strophes, c'est une gageure perpétuelle d'être éloquent et de dramatiser le récit. L'histoire, dans sa gravité simple et dans le cours naturel de sa marche, doit moins se poser cette nécessité continue; elle ne doit pas, presque à chaque page, recommencer à s'élancer avec le geste d'un Pindare ou d'un tribun.

L'Histoire de la Restauration commence par être une histoire de la fin de l'Empire. Le Napoléon des dernières années y est peint avec des traits où M. de Lamartine a combiné son

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