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monde où les nuances précisément étaient tout. A d'autres endroits, je vois Marie-Joseph Chénier, mort en 1811, et Mme Cottin, morte en 1807, placés au rang des écrivains de la Restauration. Ceux-ci, en général, sont jetés dans un pêlemêle qui rappelle le plat que les Espagnols appellent une Escudilla, une véritable macédoine. Parlant dans ce chapitre, à l'occasion du salon de Mme de Montcalm, de M. Pozzo di Borgo, ce Corse spirituel, général et diplomate au service de la Russie, M. de Lamartine l'appelle un « véritable Alcibiade athénien, exilé longtemps dans les domaines de Prusias. » On se demande ce qu'ont à faire ensemble Alcibiade et Prusias, et l'on s'aperçoit que l'auteur, dans sa rapidité d'allusions, aura confondu sans doute Alcibiade et Annibal. Peu importent, encore une fois, ces bagatelles il y a longtemps qu'on a dù en faire son deuil avec M. de Lamartine, ne plus même lui donner de conseils, et se contenter de profiter, en le lisant, de tout ce qui échappe encore d'heureux aux rapidités et aux négligences de son génie.

NOTE.

On lit dans l'Indépendance belge, vers la date du 15 août 1851 : « Une lettre de M. de Lamartine fait connaître, dit-on, à quel point il a été blessé de l'article publié par M. Sainte-Beuve sur son Histoire de la Restauration. M. de Lamartine raconte, dit-on, dans sa réponse, que, le 16 avril, « sa journée et non celle du général Changarnier,» il fut rencontré par M. Sainte-Beuve, qui lui aurait dit, dans une des petites rues qui avoisinent l'Hôtel-de-Ville et devant M. Payer: « Vous avez été aujourd'hui plus grand que Napoléon! »

Si M. de Lamartine raconte cela, il a une de ces illusions et de ces exagérations de souvenir qui lui sont familières car il est impossible que je lui aie dit une telle chose, n'ayant jamais l'habitude de mêler ainsi le nom de Napoléon à tout et de le prendre pour mesure de mon admiration : ce serait la première fois que j'aurais usé de ce langage. Mais, quoi que j'aie pu dire à M. de Lamartine ce jour-là, et quand même, à l'exemple de tant d'autres, il m'aurait échappé en parlant quelque sottise, qu'a de commun, je vous prie, un pareil propos avec un article de critique aussi motivé que celui qu'on vient de lire, et dans lequel il se trouve d'ailleurs, ce me semble, d'assez beaux restes d'admiration? Le hasard, ou plutôt ma curiosité naturelle, veut que j'aie précisément écrit pour moi, le soir même, le récit de ma rencontre et de ma conversation avec M. de Lamartine; je me garderai bien d'en faire part au public, qui est rebattu pour le moment de ces sortes de confidences. Je remarquerai seulement qu'il faut, en effet que la blessure de M. de Lamartine soit bien vive pour le faire recourir à dé telles armes si peu dignes de lui.

Lundi 11 août 1851.

MARIE STUART,

PAR M. MIGNET.

(2 vol. in-8°. - Paulin, 1851.)

<< Eh bien ! on peut dire tout ce qu'on voudra, maint noble cœur prendra parti pour Marie Stuart, même quand tout ce qu'on a dit d'elle serait vrai. » Cette parole que Walter Scott met dans la bouche de l'un des personnages de son roman (l'Abbé), au moment où il prépare le lecteur à l'introduction auprès de la belle reine, reste le dernier mot de la postérité comme des contemporains, la conclusion de l'histoire comme de la poésie. Elisabeth vivante a triomphé, et sa politique, après elle, triomphe et règne encore, si bien que protestantisme et Empire britannique ne sont qu'une seule et même chose. Marie Stuart a succombé de sa personne et dans celle de ses descendants; Charles Ier sous la hache, Jacques II par l'exil, ont continué et accru son héritage de fautes, d'imprudences et de calamités : la race entière a été retranchée et a paru mériter de l'être. Mais, vaincue dans l'ordre réel et sous l'empire du fait ou même sous celui de la raison inexorable, la belle reine a tout regagné dans le domaine de l'imagination et de la pitié. Elle y a retrouvé, de siècle en siècle, des chevaliers, des amoureux et des vengeurs. Il y a quelques années, un Russe de distinction, le prince Alexandre Labanoff, s'est mis à rechercher avec un zèle incomparable, dans les

archives, dans les collections et les bibliothèques de l'Europe, toutes les pièces émanant de Marie Stuart, les plus importantes comme les moindres de ses lettres, pour les réunir et en faire un corps d'histoire, et à la fois un reliquaire authentique, ne doutant pas que l'intérêt, un intérêt sérieux et tendre, ne jaillit plus puissant du sein de la vérité même. C'est à l'occasion de ce Recueil du prince Labanoff que M. Mignet fit paraître, de 1847 à 1850, dans le Journal des Savants, une série d'articles où, non content d'apprécier les documents produits, il introduisait pour sa part de nouvelles pièces jusque-là inédites, et apportait de nouvelles lumières. Depuis lors, laissant la forme de critique et de dissertation, M. Mignet a repris d'ensemble ce beau sujet et en a composé un récit complet, grave, serré, intéressant et définitif, qu'il publie en ce moment.

Dans l'intervalle, et il y a près d'un an (1850), a paru une Histoire de Marie Stuart par M. Dargaud, un écrivain de talent, et dont le livre a été beaucoup loué et beaucoup lu. M. Dargaud a fait, à sa manière, bien des recherches touchant l'héroïne de son choix : il a fait exprès le voyage d'Angleterre et d'Écosse, visitant en pèlerin tous les lieux, théâtre des séjours de Marie Stuart et de ses diverses captivités. En puisant abondamment chez ses devanciers, M. Dargaud leur a rendu justice avec effusion et cordialité; il a fait passer dans les moindres lignes de son Histoire le sentiment de poésie et de pitié exaltée qui l'anime pour les souvenirs de la royale et catholique victime; il a mérité une très-belle lettre que Mme Sand lui a adressée de Nohant (10 avril 1854), et où elle le félicite en le critiquant à peine et en parlant surtout de Marie Stuart avec charme et avec éloquence. Si donc je n'insiste pas plus longuement aujourd'hui sur l'ouvrage de M. Dargaud, c'est que j'avouerai ne point appartenir à cette école trop vive qui attendrit et amollit à ce degré l'histoire. Je ne crois pas que celle-ci doive être nécessairement ennuyeuse et triste, mais je pense encore moins qu'elle doive être à ce point émue, sentimentale et comme magnétique. Sans vouloir déprécier les qualités de M. Dargaud, qui sont trop dans le goût du jour pour ne pas se recommander d'elles-mêmes, je demanderai à suivre de préférence un historien plus sévère, et dont le jugement et la marche m'inspirent toute confiance.

Marie Stuart, née le 8 décembre 1542, six jours avant la

mort de son père, lequel était en lutte, comme tous les rois ses devanciers, avec sa turbulente noblesse, commença en orpheline sa destinée d'inconstance et de malheurs. Elle fut assaillie d'orages dès le berceau,

« Comme si, dès ce temps, la Fortune inhumaine
<< Eût voulu m'allaiter de tristesse et de peine, »

ainsi que lui fait dire un vieux poëte dans je ne sais quelle tragédie. Couronnée à l'âge de neuf mois, déjà disputée en mariage par les partis anglais et français, qui cherchaient à prévaloir en Écosse, elle fut bientôt, par l'influence de sa mère, Marie de Guise, sœur des illustres Guise, accordée au dauphin de France, fils de Henri II. Le 13 août 1548, Marie Stuart, âgée de moins de six ans, débarqua à Brest; fiancée au jeune dauphin qui devint François II, et élevée avec les enfants de Henri II et de Catherine de Médicis, elle resta en France, soit comme dauphine, soit comme reine, jusqu'à la mort si prématurée de son mari. Elle y vécut en tout comme une princesse française. Ces douze ou treize années de séjour en France furent sa joie et son charme, et le principe de sa ruine.

Elle s'y accoutuma au sein de la cour la plus polie, la plus savante, la plus galante d'alors, y brillant en sa fleur naissante comme l'une des plus rares merveilles et des plus admirées, sachant la musique et tous les arts (divinæ Palladis artes), apprenant les langues de l'antiquité, soutenant des thèses en latin, commandant des rhétoriques en français, jouissant de l'entretien de ses poëtes et leur faisant rivalité avec sa propre poésie. L'Écosse, durant tout ce temps, ne lui parut que comme un pays barbare et sauvage, qu'elle espérait bien ne jamais revoir, ou du moins ne jamais habiter. Elle se flattait de la gouverner toujours par sa mère, qui en était régente. Nourrie à une politique toute de cour et toute personnelle, on lui fit signer à Fontainebleau, lors de son mariage (1558), une donation secrète de l'Écosse aux rois de France, vers le même temps où elle adhérait publiquement aux conditions que les commissaires arrivés d'Écosse mettaient à ce mariage, et où elle leur promettait de conserver l'intégrité, les lois et les libertés de son royaume natal. C'est en ce même moment que, sous main, elle faisait don du royaume tout entier par un acte de bon plaisir et de pleine puissance. La Cour

de France lui enseignait cette perfidie imprudente dès l'âge de seize ans. Une autre imprudence bien impolitique qui s'afficha avec éclat, ce fut lorsque Henri II, à la mort de Marie Tudor, fit prendre à Marie Stuart dauphine les armes d'Angleterre à côté des armes d'Écosse, la présentant dès lors en rivale déclarée et en concurrente d'Élisabeth.

Quand Marie Stuart perdit subitement son mari ( 5 décembre 1560), et que, veuve à dix-huit ans, il fut décidé qu'au lieu de rester en son douaire de Touraine, elle retournerait en son royaume d'Écosse pour y mettre ordre aux troubles civils qui s'y étaient élevés, ce fut un deuil universel en France dans le monde des jeunes seigneurs, des nobles dames et des poëtes. Ceux-ci ont consigné leurs regrets dans maintes pièces de vers qui nous peignent au vif Marie Stuart à cette heure décisive, la première heure vraiment douloureuse de sa vie. On l'y voit fine, gracieuse, d'une blancheur de teint éblouissante, d'une taille et d'un corsage de reine ou de déesse, et L'Hôpital luimême, à sa manière, dans un grave Épithalame, l'avait dit :

Adspectu veneranda, putes ut Numen inesse :
Tantus in ore decor, majestas regia tanta est!

d'une main longue, élégante et grêle (gracilis), d'un front d'albâtre et brillant sous le crêpe, avec des cheveux d'or qui méritent une légère remarque. C'est un poëte (Ronsard ) qui a parlé de l'or de ses cheveux annelés et tressés, et les poëtes emploient, on le sait, les mots un peu vaguement. Mme Sand, parlant d'un portrait qu'elle a vu enfant au Couvent des Anglaises, dit sans hésiter : « Marie était belle, mais rousse. » M. Dargaud parle d'un autre portrait où « un rayon de soleil éclaire, dit-il assez singulièrement, des boucles de cheveux vivants et électriques dans la lumière. » Mais Walter Scott, réputé le plus exact des romanciers historiqnes, nous peignant Marie Stuart prisonnière dans le château de Lochleven, nous montre, comme s'il les avait vues, les tresses épaisses d'un brun foncé (dark brown) qui s'échappaient à un 'certain moment de dessous le bonnet de la reine. Nous voilà loin du roux, et je ne vois de moyen de tout concilier que d'en passer par ces cheveux << si beaux, si blonds et cendrés » qu'admirait Brantôme, témoin très-oculaire; cheveux que la captivité devait blanchir, et qui laisseront apparaître à l'heure de la mort et

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