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chéne. La faiblesse tendre qui a besoin d'appui, la souffrance et le martyre d'un être délicat, se retrouvent mêlés à de l'espièglerie et à de la lutinerie gracieuse dans la Souris blanche ; c'est le plus joli conte de fées et le plus attendrissant; c'est moins naïf que Perrault, mais aussi aimable, aussi léger, et cela ne se peut lire jusqu'à la fin sans une larme dans un şourire. Que dites-vous de cette Fée des Pleurs, la consolatrice des affligés, qui voltige plutôt qu'elle ne marche sur la pointe des gazons et des fleurs? « Elle avait adopté cette allure, de peur, disait-elle à ceux qui s'en étonnaient, de mouiller ses brodequins dans la rosée, mais, en effet, parce qu'elle craignait d'écraser ou de blesser par mégarde la cigale qui chante dans le sillon, et le lézard qui frétille au soleil; car elle était si prodigue de soins et d'amour, la bonne fée! qu'elle en répandait sur les plus humbles créatures de Dieu. » Tel nous apparaît Moreau avant la politique, avant la misère extrême, avant l'aigreur; tel il se retrouva sans doute à l'heure expirante et aux approches du grand moment qui élève les belles âmes et les pacifie. On devine, en lisant ces jolis récits et celui des Petits Souliers, et celui même de Thérèse Sureau, à voir cette imagination, cette gaieté, cette invention de détail, combien il devait être charmant quand il osait être familier, et qu'il consentait à être heureux.

J'ai tâché, en le peignant, de dégager sa figure poétique et naturelle des questions brûlantes et des déclamations de parti auxquelles on a tout fait pour le mêler. Je voudrais faire ainsi en disant quelques mots rapides sur M. Pierre Dupont, qui est un chantre à la fois populaire et de salons, socialiste pur si l'on en croit quelques-uns de ses vers, belliqueux même et violent à de certains jours, rural, agreste et pacifique, je le crois, quand il est dans sa meilleure et sa première nature. M. Pierre Dupont est né à Lyon le 23 avril 1824, d'un père provinois, d'une mère lyonnaise. Ses premiers vers furent consacrés à célébrer Provins, la Voulzie, les traces d'Hégésippe Moreau; il y mêlait volontiers les souvenirs du Rhône et de la Saône, des vertes saulées où avait joué son enfance. Le sentiment de la famille et celui de la campagne furent de bonne heure développés en lui. Il a une sœur et un frère que ses Poésies nous font connaître ; une de ses plus jolies pièces est intitulée Ma Sœur. Par son père et par son grand-père, il tient à la classe

des artisans, et il put en étudier les mœurs dans ce qu'elles ont de plus honorable et de plus laborieux. Ayant perdu sa mère à l'âge de quatre ans, le jeune Pierre Dupont fut recueilli par son parrain et cousin, un vieux prêtre qui avait son presbytère à La Roche-Taillée-sur-Saône. Il y ébaucha librement ses études, qu'il alla suivre et terminer au petit séminaire de Largentière. Mais ne remarquez-vous pas comme tous ces poëtes plébéiens et populaires sont sortis d'une première éducation ecclésiastique? De retour à Lyon après ses études, il y fut placé dans une maison de banque; les promenades rêveuses du soir, au bord du Rhône, ne le consolaient qu'à demi des dégoûts du jour et des ennuis du comptoir. Son grand-père, qui vivait à Saint-Brice, près Provins, l'y attirait quelquefois. C'est là, c'est à Provins que, lors de sa conscription, il vit M. Lebrun, qui le reconnut poëte, s'intéressa à lui, fit souscrire à ses vers par des personnes de la ville, et le dégagea par ce moyen du service militaire auquel il allait être assujetti. M. Lebrun, toujours à l'occasion du même volume de vers (les Deux Anges, 1844), le proposa et le fit agréer à l'Académie française pour le prix fondé par M. de Maillé-La-Tour-Landry. M. Dupont eut même alors dans les bureaux de l'Institut une petite place qui l'attacha quelque temps en qualité d'aide aux travaux du Dictionnaire. Les premiers vers de M. Dupont respirent à chaque page la reconnaissance que lui inspira un procédé si généreux et si soutenu de la part de son premier patron. Je me plais à remarquer et le bienfait et la reconnaissance, pour faire sentir qu'ici encore, moins que jamais, il ne saurait y avoir lieu à toutes les déclamations par lesquelles on se plaît à accuser la société en masse au nom du talent méconnu. A un certain jour pourtant, M. Pierre Dupont sentit en lui le démon plus fort que la règle; il brisa ou délia sa chaîne légère, je ne l'en blâme pas; il voulut être tout à fait libre et indépendant, sans rester moins reconnaissant du passé. Cependant, avec une faculté d'expression vive, expansive et affectueuse, il tâtonnait, il se disposait à tenter le théâtre; il cherchait encore sa veine, lorsque le succès inespéré de la chanson des Bœufs, faite un jour au hasard, lui ouvrit toute une perspective.

J'ai deux grands boeufs dans mon étable,

Deux grands bœufs blancs marqués de roux, etc.

Bien des jolies bouches se mirent à l'instant à répéter à pleine voix cette cantilène piquante et naïve ( naïve à demi) du laboureur, et lui poëte, il sentit qu'il n'avait plus qu'à continuer de chanter dans ce ton les choses de la campagne, un peu à l'usage des villes et des salons, et en se souvenant toutefois de ses origines. Il fit quelques autres de ses jolies mélodies rurales : la Mère Jeanne, ma Vigne, le Cochon, la Vache blanche, que bientôt tout le monde répéta.

Ces sortes de chants sont, à proprement parler, le pendant et l'accompagnement du genre d'épopée rustique et d'idylle que Mme Sand, au même moment, mettait à la mode par le Champi, la Mare-au-Diable et la Petite Fadette. Mme Sand raconte, décrit et peint; elle fait le drame. Pierre Dupont mène le chœur et remplit les intermèdes par ses chansons.

En même temps (et notez-le bien), avant Février 1848, M. Pierre Dupont faisait aussi la Chanson du Pain, un jour que le pain était cher, et le Chant des Ouvriers. En ne vou lant que les réjouir et les réconforter, il les exaltait en des refrains un peu vagues. Ce qu'on peut dire, c'est qu'il faisait cela spontanément alors, par un sentiment de sympathie pour ceux dont il avait observé de près les mœurs. On n'y entendait point trop malice encore.

Cependant la Révolution de Février éclata et vint jeter quelque perturbation dans ces Chants, dont quelques-uns avaient très-peu à faire pour devenir brûlants et tout à fait excitants. Ici, nous le dirons avec franchise et avec l'estime que nous inspire sa nature foncièrement aimable et bienveillante, M. Pierre Dupont s'est laissé plus d'une fois entraîner. Organisation ouverte et mobile, il a réfléchi les échos d'alentour, et y a prêté sa voix. Il a ouvert toutes ses voiles au vent populaire qui le prenait en poupe : il a suivi son succès et ne l'a pas dirigé.. Dans son Recueil d'aujourd'hui, il y a une espèce de Chant prophétique, intitulé: 1852, où résonnent bien des promesses magnifiques et creuses :

Voici la fin de la misère,

Mangeurs de pain noir, buveurs d'eau!

Dire cela au peuple est mal, l'aider à le chanter est pis encore. Ce n'est point ici une question de républicanisme, mais de bonne foi et de bon sens. Quoi! pouvez-vous soutenir sérieu

sement que 1852, par cela seul qu'il remet tout en question, sera la fin de toutes les misères? Eh bien ! ce qu'on n'oserait pas dire et articuler en prose, il ne faut pas qu'on le chante.

Mais, en général, le caractère des Chants de M. Pierre Dupont est d'une meilleure nature, d'une nature plus conforme à celle même du poëte et de l'homme, tel qu'il s'est peint à nous dans ses premiers vers. Le caractère propre de la Muse populaire, c'est qu'elle soit avant tout pacifique, consolante, aimante; que la Chanson de chaque métier, par exemple, en exprime la joie, l'orgueil même et la douce satisfaction; qu'elle en accompagne et en soulage le labeur; qu'elle en marque les moments et les rende plus égayés et plus légers. Comment se fait-il, dit Horace dans sa première Satire, que personne ne soit content de son sort ni de son état, et qu'on porte toujours envie à celui du voisin? L'effet de la Chanson de chaque métier doit être, au contraire, de faire que chacun, tandis qu'il la chante, se sente intérieurement fier, orgueilleux même de son état, et le préfère décidément aux autres professions, sans mépris toutefois, sans insulte et sans amertume. C'est justice de rappeler qu'on trouve quelques-unes de ces intentions cordiales réalisées dans le Recueil d'un poëte artisan, dans les Chansons de chaque métier, par Charles Poncy, de Toulon (1). M. Pierre Dupont aussi a bien compris et vivement rendu cet esprit de joie, d'émulation et de sympathie, dans sa Chanson de la Soie, dans celle du Tisserand et dans d'autres.

Au point de vue littéraire, les chants de M. Pierre Dupont perdraient à se séparer de l'air, qui, d'ordinaire, est de son invention ou de son arrangement, et que, sans savoir beaucoup de musique, il trouve et il combine avec une facilité naturelle et un goût qui est un signe évident de vocation. Il faut l'entendre lui-même quand il chante: il commence avec une sorte de peine, avec une voix enrouée, un peu cassée, bientôt entraînante pourtant. Après la première demi-heure, il s'anime, il se déploie, il est dans la plénitude de ses moyens; il jouit de son impression et en fait jouir les autres. Un sentiment sincère et fondamental respire à travers les combinai

(1) J'indiquerai, entre autres, le chant du Forgeron, dont M. Eugène Ortolan a fait la musique.

sons mêmes et le petit jeu de scène qui sont le fait de chaque artiste. La mélancolie rustique, l'insouciance et la bonhomie pas trop accusées, cette façon de chanter comme si l'on s'en revenait au milieu des champs, il sait tout cela sans feinte, et mieux qu'un chanteur de profession. Une fois qu'il tient son auditoire, il le prend, le fait à lui et s'y adapte. Il produit dans un moment donné tout son effet. Je voudrais que, sans nuire aux autres conditions du genre qu'il s'est créé, il s'accoutumât à toujours soigner rigoureusement le style, seule qualité qui fasse vivre la poésie écrite et lui assure un lendemain quand le son fugitif est envolé.

Pour donner une idée du tour aisé et gracieux qui est familier à M. Dupont, je ne citerai que quelques vers de lui déjà anciens. Un jour, il était allé à la Place-Royale faire visite à M. Hugo qu'il ne connaissait pas encore. Ne l'ayant pas rencontré, il fit un tour de promenade dans la Place et écrivit au crayon les vers suivants sur sa carte, qu'il vint remettre l'in-. stant d'après :

Si tu voyais une anémone,

Languissante et près de périr,

Te demander, comme une aumône,
Une goutte d'eau pour fleurir;

Si tu voyais une hirondelle,
Un jour d'hiver, te supplier,
A ta vitre battre de l'aile,
Demander place à ton foyer;
L'hirondelle aurait sa retraite,
L'anéinone, sa goutte d'eau :
Pour toi que ne suis-je, ô Poëte,

Ou l'humble fleur ou l'humble oiseau!

Tous ceux qui connaissent M. Pierre Dupont me le peignent comme un esprit doux, poétique, aimant naturellement le bien, aimant sincèrement la nature, les champs. « Venez-vous voir les blés à Vaugirard? » disait-il un jour à un de ses amis de Paris. Voir les blés verts ou mûrs était pour lui un but et un plaisir. Il a dit, dans sa Chanson des Prés, en y exprimant toute la douceur de son sujet :

Bêlements et mugissements,
Là vous me plaisez davantage;
Les airs des pâtres sont charmants
Dans la senteur du pâturage.

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