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maladies spirituelles, elle doit s'appliquer principalement à deux choses premièrement à connaître le mal et ensuite à chercher des remèdes qui peuvent nous en procurer la guérison. Ces deux desseins partagent la morale; mais ils sont trop vastes et nous mèneraient trop loin. Nous nous bornerons donc au premier, en attendant que la Providence nous donne les moyens de travailler sur l'autre. » C'est donc le mal dont nous souffrons, ou notre corruption qu'Abbadie veut mettre à découvert. Pour cela il devra montrer tout d'abord ce que l'homme devrait être et ensuite ce qu'il est en réalité. Dans la première section l'auteur s'attache à relever l'excellence et la noblesse de l'homme en tant qu'être immortel, fait pour connaître Dieu et l'aimer et trouver en Lui tout son bonheur; dans la seconde, il fait voir que la corruption de l'homme consiste en ce que, étant immortel, il vit comme s'il avait sa fin dans cette existence terrestre, et ayant Dieu pour bien suprême il s'attache aux biens périssables de la vie présente. L'homme, d'après Abbadie, a pour mobile unique et fondamental l'amour de soi; car la recherche du bonheur, que chacun reconnaît être le fond de toutes nos inclinations, n'est pas autre chose que l'amour de nous-mêmes. Seulement cet amour de nous-mêmes revêt un caractère bien différent selon que nous nous considérons comme des êtres dont toute la destinée est enfermée dans cette vie, ou, au contraire, comme des êtres appelés à vivre éternellement. Dans ce second cas l'amour de soi est légitime, il est la source de toutes les vertus. Dans le premier cas, il change de nom, s'appelle l'amour-propre et devient la racine de tous les vices. Toute la doctrine morale de l'Art de se connaître est résumée dans ces quelques lignes. Il est difficile peut-être de faire exactement le départ du vrai et du faux dans cette doctrine. On ne peut méconnaître en effet que l'amour de nous-mêmes ne soit un fait fondamental de notre nature: toute doctrine morale qui prétend le supprimer est par cela même condamnée comme inhumaine. D'autre part, il n'est pas moins certain que la notion vraie du devoir implique le désintéressement et que toute doctrine qui tend à le réduire à l'intérêt bien entendu est par cela même condamnée comme immorale. Entre ces deux principes opposés qui nous sollicitent le devoir et le bonheur, où est la conciliation? Abbadie répond: elle est dans l'amour pour Dieu. Cela est vrai, mais il faut s'entendre. L'amour pour Dieu est, en effet, le suprême devoir et le bonheur parfait. Mais si, dans cet amour, vous nous présentez le bonheur comme but et le devoir comme moyen, alors nous sentons que l'ordre est renversé et la conscience proteste. Faites du bonheur au contraire le moyen, et du devoir le but; concevez (par hypothèse) que l'homme aime Dieu d'abord par besoin (sous l'impression toute vive de l'amour de Dieu pour lui), et qu'il en vienne ensuite à l'aimer par · devoir, c'est-à-dire par le don libre et entier de lui-même, alors sans doute il y a un moment dans la vie morale où il semble que la loi abdique, mais c'est un moment de transition, et l'instant d'après, la loi reparait dans toute son inviolable majesté. Le tort d'Abbadie, c'est d'avoir fait de ce moment transitoire un état définitif. Non pas qu'il ait positivement nié le devoir. Mais il n'en a pas établi distinctement

l'idée. Abbadie ne veut pas que l'homme soit égoïste, puisqu'il fait de l'égoïsme l'essence même du désordre moral, et il sait bien qu'il n'y a pas d'autre moyen de détruire l'égoïsme que de le remplacer par l'amour pour Dieu. Mais cet amour pour Dieu, il n'en montre pas distinctement les deux moments successifs: celui où il est la satisfaction entière et définitive de l'amour de soi, et celui où il est la destruction de cet amour de soi dans ce qu'il a de personnel et d'exclusif. Il dit, avec un bonheur d'expression qu'il doit en partie à La Rochefoucault : « L'amour de Dieu est le bon sens de l'amour de soi;» mais il n'ajoute pas qu'une fois tourné dans ce bon sens, l'amour de soi cesse d'être et devient l'amour des autres; et que c'est là l'ordre vrai, absolu, définitif, le premier moment de cet amour n'étant que le passage du désordre à l'ordre. Reconnaissons d'ailleurs que ce problème de l'amour est l'écueil même de la conception intellectualiste de l'Evangile. La philosophie de l'idée avait beau faire, elle ne pouvait ni rendre compte de l'amour, ni lui faire sa véritable place dans le système de la pensée et de la vie chrétiennes. Ce qui manquait à Abbadie comme à toute la théologie de son temps pour arriver à comprendre parfaitement l'homme et l'Evangile, c'est la notion précise et vraie du devoir. Abbadie comme prédicateur est encore avant tout et constamment un apologiste. Ses sermons sont pleins de vues historiques et morales d'une justesse et parfois d'une profondeur remarquables. Car il ne faut pas l'oublier: si Abbadie n'a su complétement ni réaliser l'apologétique historique, ni systématiser la morale chrétienne, il a eu, dans ces deux branches de la théologie, des aperçus féconds qui expliquent l'impression produite par ses ouvrages sur ses contemporains et qui lui assurent un rang éminent parmi les penseurs de tous les temps. Or, on sait que c'est dans le sermon surtout que les hommes d'une vraie portée aiment à semer leurs aperçus les plus hardis et leurs pensées les plus intimes. Malheureusement nous n'avons que onze à douze sermons d'Abbadie, et c'est évidemment une bien minime partie de ses travaux comme prédicateur. Quant à la forme de ses sermons, on peut leur reprocher l'abus des divisions, l'emphase, un ton trop constamment solennel, des fautes de goût et des phrases enflées outre mesure d'épithètes accumulées et d'énumérations. Mêmes défauts dans les Panegyriques, sans les qualités de fond qui relèvent les Sermons. On ne s'étonnera pas que nous reconnaissions à Abbadie comme polémiste un mérite hors ligne. Une dialectique serrée, une connaissance approfondie des Ecritures, une exégèse toujours saine et solide, un style nerveux, une parfaite convenance d'expression : telles sont, avec un sérieux qui n'exclut pas à l'occasion un certain enjouement, les qualités qui distinguent l'auteur des Réflexions sur la présence du corps de Christ dans l'Eucharistie. On les retrouve, unies à une grande mais un peu confuse érudition, dans le dernier important ouvrage. de notre auteur : le Triomphe de la Providence et de la religion, 4 vol. in-12, Amst., 1723. Mais peut-être les pages les plus éloquentes qui soient sorties de sa plume dans ce genre d'écrits, sont-elles quelques-unes des premières du volume intitulé: Défense de la nation britannique, in-12, La Haye, 1693. Sources à consulter: La France protestante, art. Abbadie, Are el

2e éditions. Essai sur la vie et les ouvrages d'Abbadie, placé en tête d'une édition en 3 vol. de ses Sermons et panegyriques. Amst., 1760. Viguié, Histoire de l'apologétique réformée.

J. DE VISME.

ABBAYE (abbateia, abteia, abbatia) ou monastère de religieux ou de religieuses régi par un abbé ou une abbesse. On distinguait entre les abbayes royales, fondées et dotées par les rois, qui devaient rendre compte de l'administration de leur temporel aux officiers du roi, et entre les abbayes épiscopales qui n'étaient comptables qu'aux évêques. Les abbayes furent supprimées en France en 4790, et leurs bâtiments aussi bien que leurs revenus réunis au domaine de l'Etat; mais les catholiques, profitant de la liberté d'association dont l'Etat les a laissés jouir, ont reproduit avec autant de fidélité que les tendances nouvelles de la hiérarchie l'ont permis, l'ancienne organisation des abbayes dont Solesmes est aujourd'hui un intéressant spécimen (voy. Moines).

ABBÉ, ABBESSE. Le mot abbé, dérivé du syriaque, signifie père et rappelle la nature de l'autorité que les porteurs de ce titre doivent exercer sur leurs subordonnés. A l'origine, ce titre était étendu à tous les solitaires qui, par leurs vertus et leur vie ascétique, avaient droit à la vénération des fidèles. A partir du cinquième siècle, il fut restreint aux supérieurs des monastères. Aujourd'hui, dans plusieurs pays, et notamment en France, il est donné, comme un titre d'honneur, à tous ceux qui portent l'habit ecclésiastique. L'élection des supérieurs de monastères présentait de grandes variations : les uns étaient désignés par tous ceux qui avaient droit de suffrage dans l'enceinte d'un monastère, les autres par un chapitre provincial ou une autre autorité supérieure: l'élection avait lieu soit à terme, soit à vie. Les abbés étaient tenus de faire confirmer leur élection dans un délai de trois mois par l'évêque ou par le pape : ils recevaient alors la bénédiction. Pour être élu abbé, il fallait avoir vingt-cinq ans, être né d'un mariage légitime, être instruit et capable d'instruire, observer la règle et se montrer zélé pour la faire observer. La plupart de ces règles subsistent encore, mais avec les modifications qu'amena inévitablement la concentration des pouvoirs entre les mains d'un chef unique. De fait, l'évêque n'a plus aujourd'hui qu'un pouvoir purement nominal sur les abbés réguliers qui, en réalité, dépendent de Rome. Les canons de l'Eglise placent les abbés immédiatement après les évêques; certains d'entre eux siégent dans les conciles œcuméniques, ont le droit de porter la mitre et le bâton pastoral et exercent une juridiction quasi épiscopale. On distinguait entre les abbés réguliers, astreints à résider dans leurs monastères et à porter l'habit de leur ordre, et entre les abbés séculiers qui, tonsurés ou non tonsurés, jouissant d'une partie ou de la totalité des revenus attachés à leurs bénéfices, investis ou privés du droit de juridiction épiscopale, se faisaient remplacer par des vicaires dans le gouvernement de leurs monastères. C'est aussi à cette catégorie qu'appartiennent les abbés de cour, si nombreux au siècle dernier, qui n'étaient autres que des cadets de famille, en expectative d'une abbaye qu'ils ne possédaient pas encore ou qui jouissaient de ses revenus, sans être jamais entrés même

dans les ordres mineurs. - Les abbesses, éiues par les nonnes au scrutin secret, doivent être issues d'un mariage légitime, âgées de quarante ans et avoir accompli leurs vœux pendant huit ans. Elles reçoivent la bénédiction de l'évêque qui leur remet la crosse et le pectoral. Elles exerçent tous les droits temporels et spirituels compatibles avec leur sexe; le cas échéant, elles se font suppléer par un vicaire. D'anciens canons leur attribuent même le droit de siéger dans les synodes.

ABBON (saint) de Fleury, Abbo Floriacensis abbas, né près d'Orléans de parents libres, entra de bonne heure à l'abbaye de Fleury. Les études étant complétement éteintes en Angleterre, saint Oswald, archevêque d'York, qui avait étudié à Fleury, y envoya demander, en 985, quelque savant moine pour instruire les religieux de l'abbaye de Ramsey. Après s'être acquitté avec éclat de cette mission, Abbon revint à Fleury, en 987, et fut élu abbé l'année suivante. Dès lors, il eut à soutenir contre Arnoul, évêque d'Orléans, les droits de son couvent, qui prétendait « dépendre uniquement du pouvoir royal. » Au concile de Saint-Denis (995), il prit la défense des moines contre les évêques, qui voulaient exiger la dîme des moines et des laïques. Ceux-ci soulevèrent la foule contre les évêques, qui furent frappés et dispersés. Accusé par Arnoul d'être l'instigateur de cette émeute, Abbon adressa la même année son Apologeticus à Hugues-Capet et à Robert; sa justification est en même temps un plaidoyer en faveur des priviléges des moines. En 991, l'abbé de Fleury avait assisté au concile de Saint-Bale, et, sans craindre d'encourir la défaveur d'Hugues-Capet, il s'était constitué le défenseur d'Arnoul, archevêque de Reims, qui fut déposé par le concile. Envoyé pour la seconde fois à Rome, en 996, par le roi Robert, qui lui avait donné la mission d'obtenir la confirmation de son mariage, il fit ratifier par Grégoire V les priviléges de son abbaye, et à son retour il obtint de Robert le renvoi de sa femme Berthe, et fit sortir Arnoul de Reims de sa prison. Honoré de l'amitié du pape et de la confiance du roi, il rétablit l'ordre dans plusieurs couvents, à Marmoutier, à Mici, à Saint-Père de Chartres; enfin, s'étant rendu à la Réole pour réformer le couvent de ce lieu, soumis à Fleury, il fut tué d'un coup de lance, le 13 novembre 1004, dans une émeute des habitants soulevés par les moines. Dès 1031, son office était célébré à Fleury et à la Réole. La vie de ce célèbre abbé, restaurateur des lettres en Angleterre, et qui mérita d'être appelé, en 1031, au concile de Limoges, « philosophe illustre, et le maître le plus fameux de toute la France pour son autorité dans toutes les choses de la religion et du siècle, » a été écrite par son disciple, l'historien Aimoin, moine de Fleury. Ce remarquable morceau est imprimé dans Mabillon (AA. SS. o. Bened. sæc. VI, 1), et en extrait dans Du Chesne, IV, Bouquet, X, etc; Migne, 139. Plusieurs de ses épîtres se trouvent avec l'Apologeticus à la suite du Codex Canonum de Fr. Pithou (P. 1687, fol.) Son Recueil de Canons, adressé à Hugues et à Robert, a été publié par Mabillon (Vet. Anal., II, p. 248 et suiv.). Voyez ses autres ouvrages dans Hist. litt. de la Fr., VII, p. 159 et suiv., Mabillon, AA. SS. Ben. l. l., p. 30 et suiv. Cf. Bull. des Comités histor., avr. 1849. Pardiac: Hist. de Saint-Abbon. P. 1872. L'abbé de Fleury a

été souvent confondu avec le poëte Abbon, moine de Saint-Germain, († après 923), auteur d'un poëme sur le siége de Paris par les Normands.

S. BERGER.

en

ABBOT (Georges), né le 29 octobre 1562 à Guilford, après des études brillantes dans sa ville natale, se rendit à Oxford, où il passa trente années d'une existence studieuse et s'éleva peu à peu aux plus hautes dignités universitaires. La part active qu'il prit à la révision de la traduction de la Bible dans la commission instituée par le roi Jacques Ier, 1604, et aux tentatives d'union entre l'Eglise presbytérienne d'Ecosse et l'Eglise anglicane attirèrent sur lui les regards du souverain, qui le nomma successivement dans le court espace de trois années évêque de Lichfield en 1609, de Londres en 1610, et archevêque de Cantorbéry en 1611 à la mort de Bancroft. Abbot sut conserver dans une époque tourmentée un esprit calme, impartial, modéré. Tolérant envers les puritains, plus attaché au fond qu'à la forme, inflexible dans les questions de morale sans craindre d'affronter la disgrâce, partisan convaincu du sabbat rigide, il travailla à négocier le mariage de la princesse Elisabeth avec l'électeur palatin Frédéric V et s'opposa au mariage du prince royal avec une Espagnole. Adversaire inflexible des idées absolutistes et ultra-hiérarchiques de Laud, qu'il avait condamnées dès 1603 à Oxford, il fut victime des intrigues de cour et déposé sans jugement par ordre de Charles Ier en 1628. Il mourut le 4 août 1633 à Craydon, dans un age avancé. Abbot a été l'un des chefs du parti latitudinaire également opposé aux exagérations des puritains et aux excès de la haute Eglise. Il favorisa les efforts tentés par Duræus pour rapprocher les communions protestantes et entretint dans le même esprit une longue correspondance avec le célèbre patriarche grec Cyrille Lucar. Il provoqua en 1610 la publication à Londres, par Saville, des œuvres de Bradwardin. A. PAUMIER.

ABDIAS [Obady âh, cod. Vat. 'O6días, cod. Al. 'Abdías, Abdias], le quatrième des petits prophètes dans le canon hébreu, le cinquième dans le canon des Septante. Nous ne savons absolument rien de sa personne, ce qui a porté plusieurs commentateurs à refuser de voir un nom propre dans le mot 'Obadyah (serviteur de Jéhova), et à traduire le premier verset du livre : « Vision d'un serviteur de Jéhova. » Cette hypothèse est insoutenable. L'oracle d'Abdias se compose d'un seul chapitre et est dirigé contre les Iduméens sur lesquels Jéhova exercera bientôt ses jugements (v. 1-9), parce que ce peuple-frère (v. 12) s'est montré hostile, et n'a pu cacher sa joie au jour de la ruine de Juda (prise de Jérusalem, enlèvement de captifs, etc., v. 10-14); mais les temps vont changer; les fils d'Israël, avec l'aide de Jéhova, vaincront et soumettront leurs ennemis, y compris les Iduméens, et c'est Jéhova qui gouvernera leur empire (v. 15-21). L'auteur a évidemment sous les yeux le spectacle de la désolation présente de Juda. On ne peut guère songer à un autre événement qu'à la ruine de Jérusalem par Nébucadnetsar (586 av. J.-C.), et c'est en effet à cette date que la grande majorité des exégètes reportent la date de la composition du livre d'Abdias (Bleek, Ewald, Kuenen, etc.). Faire remonter cette date jusqu'au temps d'Osias, avec Caspari, Hæver

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