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CLAUDINE.

Quelle douceur!

ANGÉLIQUE.

Il est fâcheux d'être contrainte d'oublier de telles in

jures; mais, quelque violence que je me fasse, c'est à moi de vous obéir.

Pauvre mouton!

CLAUDINE.

M. DE SOTENVILLE, à Angélique.

Approchez.

ANGÉLIQUE.

Tout ce que vous me faites faire ne servira de rien; et vous verrez que ce sera dès demain à recommencer.

M. DE SOTENVILLE.

Nous y donnerons ordre. (à George Dandin.) Allons, mettez-vous à genoux.

A genoux?

Oui; à genoux,

GEORGE DANDIN.

M. DE SOTENVILLE.

et sans tarder.

GEORGE DANDIN, à genoux, une chandelle à la main.

(à part.) (à M. de Sotenville.)

O ciel! Que faut-il dire?

M. DE SOTENVILLE.

Madame, je vous prie de me pardonner...

GEORGE DANDIN.

Madame, je vous prie de me pardonner...

M. DE SOTENVILLE.

L'extravagance que j'ai faite...

GEORGE DANDIN,

L'extravagance que j'ai faite... (à part.) de vous épouser.

M. DE SOTENVILLE.

Et je vous promets de mieux vivre à l'avenir.

GEORGE DANDIN.

Et je vous promets de mieux vivre à l'avenir.

M. DE SOTENVILLE, à George Dandin. Prenez-y garde, et sachez que c'est ici la dernière de vos impertinences que nous souffrirons.

MADAME DE SOTENVILLE.

Jour de Dieu! si vous y retournez, on vous apprendra le respect que vous devez à votre femme, et à ceux de qui

elle sort.

M. DE SOTENVILLE.

Voilà le jour qui va paroître. Adieu.

(à George Dandin.) Rentrez chez vous, et songez

(à madame de Sotenville. }

bi n à être sage.

Et nous, m'amour, allons nous mettre au lit.

MOLIÈRE. 5.

6

82 GEORGE DANDIN. ACTE III, SCÈNE XV.

SCÈNE X V.

GEORGE DANDIN.

Ah! je le quitte maintenant, et je n'y vois plus de remède. Lorsqu'on a, comme moi, épousé une méchante femme, le meilleur parti qu'on puisse prendre, c'est de s'aller jeter dans l'eau la tête la première.

Je le quitte, pour, j'y renonce.

FIN DE GEORGE DANDIN.

SUR

GEORGE DANDIN.

C'EST l'unique fois que Molière a présenté une femme mariée manquant à ses devoirs. Ce sujet, très-délicat par lui-même, parut traité avec tant d'art et de mesure, qu'il n'excita de scandale, ni à la cour de Louis XIV, où la pièce fit partie d'une fête célèbre, ni à la ville, où elle fut jouée avec le plus grand succès. Dans le dix-huitième siècle, un prétendu philosophe, dont nous avons déjà eu l'occasion de parler dans nos réflexions sur L'AVARE, s'éleva contre le sujet de GEORGE DANDIN avec une austérité feinte, et prétendit que Molière avoit attenté aux bonnes mœurs en le développant sur la scène. Il oublioit que lui-même avoit composé des ouvrages bien plus répréhensibles, et qu'en donnant aux égarements les plus condamnables les dehors de la sensibilité et de la vertu, on s'expose plus à corrompre et à dépraver les cœurs que si l'on offre sans détour le vice dans toute sa difformité. Quoi qu'il en soit, voici les questions que J. J. Rousseau agita dans sa LETTRE SUR LES SPECTACLES.

«Quel est le plus criminel, dit-il, d'un paysan assez fou « pour épouser une demoiselle, ou d'une femme qui cherche « à déshonorer son époux? Que penser d'une pièce où le par

« terre applaudit à l'infidélité, au mensonge, à l'impudence « de celle-ci, et rit de la bêtise du manant puni?»

Autant de mots, autant d'erreurs. Molière ne cherche pas quel est le plus criminel des deux époux; ce n'est point l'asfaire du théâtre; il se borne à exposer avec vérité ce qui arrive souvent. Un paysan enrichi a trouvé à son goût la fille d'un gentilhomme de campagne; il l'a épousée sans la consulter ; et les parents, d'accord avec lui, ont seuls fait ce mariage. Que doit-il attendre, non-seulement d'une alliance aussi disproportionnée, mais de la contrainte à laquelle sa jeune femme a été réduite? Ce qui lui arrive. Il sera obligé d'essuyer les hauteurs des nobles parents qui l'ont adopté en le méprisant, et de souffrir patiemment les désordres d'une femme dont il n'a jamais été aimé, et qu'il a épousée malgré elle. Ne mérite-t-il pas son sort? Peut-on taxer de simple sottise la vanité d'un paysan qui a voulu s'unir à une demoiselle, et qui n'a pas eu la précaution de s'assurer de son aveu? Cette vanité ridicule, ce défaut de délicatesse, ne sont-ils pas la cause principale de presque tous les mauvais mariages? Ne doivent-ils pas être considérés comme des vices contraires à la société et à la morale? Et peut-on trouver mauvais que Molière en ait développé les suites funestes?

Le grand écueil du sujet étoit le rôle d'Angélique : si Molière l'eût peinte avec les charmes qu'il se plaît à répandre sur les jeunes personnes qu'il met en scène, on auroit pu le blamer; mais il suit une route différente : le parterre n'applaudit pas, comme le croit Rousseau, à l'infidélité et au mensonge. Le moment où Angélique auroit pu être très-intéressante, est celui où elle répond à George Dandin qui lui fait des reproches sur sa conduite, et qui lui rappelle la foi qu'elle lui a jurée : « Moi, dit-elle, je ne vous l'ai pas donnée de bon cœur,

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