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Sa patrie,

vers 346.

CHAPITRE III.

Rufin, prêtre d'Aquilée [410].

ARTICLE Ier.

HISTOIRE DE SA VIE 1.

1. Rufin, célèbre dans l'histoire de l'E

sa naissance, glise, et par son savoir et par ses démêlés avec saint Jérôme, n'était point né à Aquilée, comme quelques-uns l'ont cru, mais dans la même 2 ville que le vieillard Paul, à qui est adressée la dixième lettre de saint Jérôme, c'est-à-dire à Concorde, petite ville d'Italie. On met sa naissance vers l'an 346. Quoiqu'élevé dans les principes de la religion chrétienne, il passa plusieurs années sans recevoir le baptême, imitant en cela plusieurs personnes de son siècle qui différaient leur baptême jusqu'à une extrême vieillesse, sous le spécieux prétexte de ne pas s'exposer à perdre leur innocence pendant les ardeurs de la jeunesse, mais souvent en effet pour se soustraire aux travaux de la pénitence, et passer sans peine des eaux du baptême à la possession de la vie éternelle. Rufin cultiva son esprit par l'étude des belles-lettres, et surtout de l'éloquence. Le désir de s'y rendre habile le fit venir demeurer à Aquilée, ville si célèbre alors, qu'on l'appelait communément la seconde Rome.

Il se retire dans un monastère; il y

371.

2. Après avoir passé plusieurs années à se rendre habile dans les lettres humaines, il est baptisé en pensa enfin à acquérir la science des saints, et se retira 3 dans un monastère d'Aquilée, dont l'histoire ne nous a fait connaître ni le nom, ni l'institut. Rufin pouvait être alors âgé de vingt-cinq ans. Il y avait dans ce monastère une chapelle où il reçut le baptême des mains de saint Chromace, qui n'était encore que prètre. Ce saint fut accompagné dans cette cérémonie d'Eusèbe, son frère, et de Jovin, l'un archidiacre, l'autre diacre de la même Eglise. Les occupations ordinaires

1 On peut consulter sur Rufin, Bernard, M. de Rubæis, Monuments de l'Eglise d'Aquilée, 1740, in-fol., chap. VIII et chap. X-XIV, et la Dissertation du même auteur sur Rufin, Venise, 1754, in-4°; Cacciari, Dissertation historique sur Rufin, 1740-41, in-4°; Fontanini, Histoire littéraire d'Aquilée, Rome, 1742, in-4o, liv. IV et V. Vallarsi a mis ces deux livres à la tête

de Rufin dans cette retraite furent la lecture et la méditation des divines Ecritures. Il lisait aussi avec soin les écrits des saints docteurs de l'Eglise, c'est-à-dire ceux de l'Eglise latine ou ceux de l'Eglise grecque, qui étaient traduits en latin; car il ne savait encore alors que la langue de son pays.

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3. Vers ce temps-là saint Jérôme, revenant de Rome par Concorde, y apprit d'un t vieillard nommé Paul, que Rufin, l'un des * plus illustres citoyens de cette ville, s'était retiré dans un monastère d'Aquilée, où il faisait de grands progrès dans les sciences et dans la vertu. Saint Jérôme y alla, et pour jouir avec plus de facilité de la conversation de Rufin, il logea dans le même. monastère, et y resta quelque temps. Ils se promirent, en se séparant, une amitié indissoluble. Rufin pria saint Jérôme, qui allait dans les Gaules, de lui chercher un exemplaire des œuvres de saint Hilaire de Poitiers. Ce saint le lui promit, et ajouta qu'après avoir parcouru les provinces de France et d'Allemagne, il reviendrait à Aquilée passer le reste de ses jours. Il y revint en effet chargé de tous les plus curieux manuscrits qu'il avait pu trouver dans les bibliothèques. Il donna à Rufin les ouvrages de saint Hilaire, et ils reprirent ensemble les études de théologie qu'ils avaient commencées quelque temps auparavant sous la conduite de saint Chromace et d'Eusèbe son frère. Mais un tourbillon 5 imprévu arracha saint Jérôme d'entre les bras de Rufin, et il partit d'Aquilée sur la fin de 372, ou au commencement de 373, pour se retirer en Orient.

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séjour qu'il fit dans cette province, il visita les solitaires qui en habitaient les déserts, et commença ses visites par celle de saint Macaire d'Alexandrie, qui avait alors 75 ans. Saint Jérôme qui était alors dans les déserts de la Palestine, ayant appris l'arrivée de Rufin en Egypte, et ne pouvant l'aller embrasser, retenu par une maladie, lui écrivit dans les termes les plus tendres et les plus affectueux. Nous n'avons point la réponse de Rufin à cette lettre, qui est de l'an 374; mais la suite de celles qu'il écrivit à saint Jérome, ne nous permet guère de douter qu'il n'ait répondu à celle-là. Rufin entendit parler aux solitaires d'Egypte des vertus et de la charité de sainte Mélanie, surnommée l'Ancienne, et il eut la consolation de la voir à Alexandrie, dans un voyage qu'elle y fit en cette année 374, pour y écouter le célèbre Didyme, que l'on regardait comme l'oracle de son siècle. Rufin l'allait souvent entendre ainsi que Mélanie; et ce fut là le commencement de l'union étroite qu'il contracta avec cette sainte dame. La vertu qu'elle remarqua dans Rufin, l'engagea à lui donner sa confiance, qu'elle lui continua pendant tout le temps qu'ils restèrent en Orient, c'est-à-dire environ trente ans.

5. Mais pendant qu'ils étaient l'un et l'auportre assidus à prendre des leçons de Didyme,

et occupés de l'étude des sciences divines, les ariens, qui s'étaient emparés du siége d'Alexandrie, sous la protection de Valens, après la mort de saint Athanase, obtinrent de ce prince un édit qui ordonnait de chasser d'Alexandrie et de toute l'Egypte ceux qui soutenaient la consubstantialité. Rufin fut enveloppé dans cette persécution; on 2 l'enferma dans un cachot, on le battit, on le chargea de chaînes, on le pressa par la faim et par la soif; et comme sa fermeté n'en était point ébranlée, on le relégua dans les lieux les plus affreux de la Palestine. Mélanie, qui employait ses richesses au soulagement des saints évêques chassés de leurs siéges, et des confesseurs de la divinité de Jésus-Christ, emprisonnés ou exilés, racheta Rufin avec plusieurs autres, et se retira avec lui en Palestine. Saint Jérôme, qui croyait qu'ils s'arrêteraient à Jérusalem, adressa une lettre pour Rufin à un nommé

1 Epist. 1, pag. 2.

2 Rufin, Epist. ad Anast. pap., tom. V oper. Hieronym., pag. 259.

Hieronym., Epist. 2, pag. 4.

VII.

Florent, qui demeurait en cette ville. Voici ce qu'il lui disait de Rufin 3 : « Vous verrez briller en sa personne des caractères de sainteté, au lieu que je ne suis que poussière. C'est assez pour moi de supporter avec mes faibles yeux l'éclat de ses vertus; il vient de se laver et de se purifier, et il est maintenant plus blanc que la neige, tandis que je suis souillé de toutes sortes de péchés. » Rufin n'arriva pas toutefois à Jérusalem dans le temps que le croyait saint Jérôme. Il était resté dans la haute Palestine avec Mélanie, occupé avec elle à soulager les confesseurs exilés à Diocésarée. Tous deux eurent de la peine à sortir de cette ville, et ils y souffrirent beaucoup l'un et l'autre de la part du gouverneur.

6. Ce ne fut que vers l'an 377 qu'ils arrivèrent à Jérusalem. Mélanie y bâtit un monastère de filles, qu'elle conduisit pendant vingt-sept ans. Rufin employa une partie de ses biens à bâtir un monastère d'hommes sur le mont des Oliviers, où il assembla en peu de temps un grand nombre de solitaires. Il 5 paraît que Rufin y établit pour règle celle de saint Basile, ou plutôt qu'il tira tant des petites que des grandes règles de ce Père, de quoi former à ses religieux un modèlè de vie. Non content de ce secours pour les animer à la vertu, il les y engageait encore par ses exhortations; et on voit qu'il était même appelé quelquefois par les pasteurs de l'Eglise pour instruire les peuples, car il était dès-lors honoré de la qualité de prêtre. Ses prédications ne furent pas sans fruit. Il convertit un grand nombre de pécheurs, réunit à l'Eglise plus de quatre cents solitaires qui avaient pris part au schisme d'Antioche, et obligea plusieurs macédoniens et plusieurs ariens qui étaient dans la Palestine, de renoncer à leurs erreurs.

7. Le séjour de cinq ou six ans qu'il avait fait en Egypte, lui ayant donné la facilité d'apprendre la langue grecque, il s'appliqua à traduire en latin les ouvrages des Grecs qui lui parurent les plus intéressants. Il donna d'abord les livres des Antiquités judaïques de Josèphe, puis ses sept livres de la Guerre des Juifs. Son but, dans ce travail, était de faire connaître aux chrétiens qui n'entendaient pas le grec, la liaison qu'il y avait

Rufin., lib. II, tom. V, pag. 287.

* Rufin., lib. II Hist., cap. IV.

6 Hist. Lausiac., cap. cxvi.

29

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Il reçoit la Visite de saint

Edesse.

Il traduit

écrits.

entre l'Ancien et le Nouveau Testament. 8. Cependant saint Jérôme, obligé de quitter son désert, reprit le dessein qu'il avait eu en sortant de Rome, d'aller visiter les saints lieux. Il commença par Jérusalem, où il vit avec plaisir Rufin, Mélanie et Florent. De Jérusalem il passa à Constantinople, si édifié de la conduite de Rufin et de Mélanie, qu'il crut en devoir laisser un témoignage à la postérité dans la Chronique qu'il composa en cette ville, un peu avant d'en sortir. Il y reconnaît que Rufin s'était rendu très-célèbre dans la vie monastique, et par la sainteté de ses mœurs, et par l'éclat de ses vertus. Ce qu'il y dit de Mélanie est aussi honorable pour cette sainte veuve. Rufin n'était pas tellement attaché à la solitude du mont des Oliviers, qu'il ne fit divers voyages, soit pour ses propres affaires, soit pour celles de Mélanie, soit pour les besoins de l'Eglise de Jérusalem. En effet, il nous apprend lui-même qu'il alla en Mésopotamie, et qu'il visita divers solitaires autour d'Edesse et de Carres. C'est de lui encore que nous savons qu'il fit 4 un second voyage à Alexandrie pour y consulter ses anciens maîtres, c'est-à-dire Didyme l'Aveugle, et les deux frères Serapion et Ménite, qui ne cédaient en rien à Didyme pour le mérite et l'érudition. S'il y vit aussi Théophile, il faut mettre son voyage avant l'an 385, puisque saint Jérôme nous assure que Rufin n'alla point à Alexandrie depuis que Théophile en fut évêque.

9. On croit que ce fut par le conseil de ces quelques savants hommes, qu'il continua de traduire en latin des auteurs grecs. Mais il voulut auparavant lire ce qu'il y avait de meilleur parmi eux; ce qu'il fit avec tant d'assiduité et d'application, que, de l'aveu même 5 de saint Jérôme, il se trouvait alors peu de personnes qui eussent une plus grande connaissance que Rufin des anciens auteurs, particulièrement des Grecs. Un d'eux avait composé un livre sous le titre de Sentences de Sixte. Rufin y trouvant de beaux principes de morale, le traduisit en latin 6, croyant qu'il était de saint Sixte, pape et martyr. Il traduisit aussi les œuvres d'Evagre, diacre de Constantinople. Rufin et Mélanie l'avaient reçu dans la Palestine, et ce fut par les conseils de cette vertueuse veuve qu'il embrassa

1 Hieronym., Epist. 18, pag. 27. 2 Idem, in Chronic., ad ann. 378. 3 Rufin., lib. II Hist., cap VIII. ↳ Rufin., lib. II Invect., pag. 288.

la vie monastique sous la conduite des deux Macaire. Ses progrès prodigieux dans la vertu engagèrent Rufin et Mélanie à le venir voir dans sa solitude. C'était en 395, puisque dans ce voyage ils furent présents à la mort de saint Pambon, arrivée en cette année-là. On met aussi vers le même temps le commencement du commerce de lettres entre Proba, dame romaine, veuve depuis quelque temps, et Rufin. Quoique ce commerce ait duré longtemps, il ne nous reste aucune de ces lettres. Gennade, qui avait en main les lettres de Rufin, estime particulièrement celles qui étaient adressées à Proba, disant qu'elles l'emportaient sur toutes les autres, soit pour la pureté du style, soit pour la manière dont les matières les plus spirituelles Ꭹ étaient traitées.

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10. Saint Jérôme, qui pendant son séjour t à Rome s'y était fait beaucoup d'ennemis, partit de cette ville pour éviter l'orage dont il était menacé, et vint faire sa demeure dans le monastère de Rufin à Jérusalem. Ils passèrent ensemble six ou sept années dans une étroite union, appliqués jour et nuit à l'étude des divines Ecritures et des auteurs ecclésiastiques. Saint Jérôme traduisit, aux instantes prières de Paule et d'Eustochie, les homélies d'Origène sur saint Luc; et Rufin travailla aussi de son côté à traduire quelques autres ouvrages de ce même auteur, trouvant plus de goût à les lire, que dans la lecture des poètes et des autres auteurs profanes, dont saint Jérôme ne laissait pas de faire une partie de ses occupations journalières, y étant obligé par le soin 7 qu'il prenait d'instruire de jeunes enfants dans les lettres humaines. Ce Père aurait souhaité que Rufin l'aidât dans cette étude; il le pria même de lui faire transcrire plusieurs auteurs profanes, n'en ayant point assez dans sa bibliothèque pour fournir à tous ceux qui recevaient ses leçons. Mais Rufin ne voulut point entrer dans ce dessein, et il se contenta de lui faire tirer quelques copies des Dialogues de Cicéron, qu'il lui envoya à Bethléem après les avoir corrigés. Libre donc de toute autre étude, il se donna tout entier à la traduction des œuvres d'Origène, et donna en latin tout ce que ce Père avait fait sur le Pentateuque, savoir: dix-sept

Hieronym., lib. I in Rufin., pag. 367 et 351. 6 Voyez tom. II, pag. 430.

7 Rufin., lib. II in Hieronym, tom. V, pag. 286.

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homélies sur la Genèse, douze sur l'Exode, seize sur le Lévitique, vingt-huit sur les Nombres. Il avait aussi dessein de traduire les homélies d'Origène sur le Deuteronome; mais il ne put trouver de lui que quelques petits discours. Il traduisit encore vingt-six homélies sur Josué, quatre homélies sur le Livre des Juges, la première homélie sur le Livre des Rois, neuf homélies sur les Psaumes, et quatre sur le Cantique des Cantiques. Il dédia la plupart de ces traductions à saint Chromace, évêque d'Aquilée, qui, ce semble, l'avait engagé à ce travail. Mais il ne les fit pas toutes de suite, et ce ne fut que quelque peu de temps avant sa mort qu'il acheva la traduction des homélies sur les Nombres.

11. Il y avait déjà plus de vingt-cinq ans que Rufin et saint Jérôme étaient liés d'une amitié intime, lorsqu'un accident imprévu jeta entre eux les premières semences d'une division qui dura jusqu'à leur mort. Un nommé Aterbius, que l'on croit avoir été du nombre des moines anthropomorphites, étant venu à Jérusalem, entra dans l'église lorsque le peuple y était assemblé, et accusa à haute voix l'évêque Jean, saint Jérome et Rufin de suivre les hérésies d'Origène. Saint Jérôme, qui ne voulait pas s'exposer à la fureur de ces faux zélés, vint le dimanche suivant à l'église faire sa profession de foi devant le peuple, comme il en avait été requis par Aterbius, et déclara publiquement qu'il condamnait les erreurs d'Origene. Cet aveu satisfit Aterbius et ceux de son parti, mais il compromit l'évêque de Jérusalem et Rufin, qui ne crurent pas devoir rendre compte de leur foi à la requête d'un simple particulier. Ils se tinrent enfermés chez eux, et menacèrent de réprimer l'insolence d'Aterbius, s'il ne se retirait. La conduite de saint Jérôme les affligea beaucoup, et ils ne purent regarder que comme une faiblesse indigne de lui, d'avoir publiquement condamné un homme dont il avait paru jusque-là le plus zélé défenseur. C'était en 392. Depuis ce temps-là l'amitié entre saint Jérôme et Rufin se refroidit beaucoup. Le traité des Hommes illustres, que saint Jérome fit paraître en cette année-là, fit connaitre au public son indisposition contre Rufin. Comme il s'y proposait de montrer que

1 Hieronym., lib. III in Rufin., pag. 466 et 467. * Idem, lib. III in Rufin., pag. 466. Rufin., lib. I in Hieron., tom. V oper. Hieron.,

les ennemis de l'Eglise avaient eu tort de reprocher aux catholiques de n'avoir jamais eu de personnes habiles ni capables d'enseigner, il entrait dans le détail de tous les écrivains ecclésiastiques, et de ceux-là même qui vivaient encore; on fut très-surpris de n'y pas voir figurer Rufin, tandis que l'on y voyait Tatien, Bardesane, Novatien et plusieurs autres hérétiques, des juifs et même des païens, c'est-à-dire Sénèque. Ses livres contre Jovinien, publiés l'année suivante, déplurent encore à Jean de Jérusalem et à Rufin. Ils ne laissaient pas néanmoins de se voir, mais rarement. L'arrivée de saint Epiphane à Jérusalem en 394 fit éclater leurs brouilleries. Saint Jérôme prit parti pour cet évêque, et Rufin pour Jean de Jérusalem; le prêtre Isidore et Théophile d'Alexandrie s'entremirent pour réunir les esprits, mais en vain, et la paix ne se fit entre eux que par l'entremise de Mélanie. Rufin 2 et saint Jérôme, en signe de réconciliation, se donnèrent les mains l'un à l'autre dans l'église de la Résurrection à Jérusalem, et ils y joignirent l'immolation du divin Agneau.

12. L'an 397, Rufin se trouva obligé de faire un voyage à Rome, et saint Jérôme le conduisit lui-même jusqu'au port. Il y avait alors en cette ville un nommé Macaire, homme de distinction, savant, d'une vie exemplaire, et plein de zèle pour la vraie religion. Voyant que les superstitions continuaient dans Rome, et surtout parmi la noblesse, il entreprit de les combattre, en faisant voir la vanité du destin et de l'astrologie judiciaire. La matière n'était point aisée à traiter pour un homme peu instruit des sciences ecclésiastiques, et Macaire se trouvait embarrassé pour rendre raison de certains effets de la Providence. Il proposa ses difficultés à Rufin, et lui demanda en même temps quel était sur ce sujet le sentiment d'Origène. Rufin le renvoya à l'Apologie que saint Pamphile avait faite de cet auteur, disant qu'il en tirerait plus d'éclaircissements qu'il ne pouvait lui en donner lui-même. Macaire, qui ne savait point le grec, pressa Rufin de lui traduire en latin cette Apologie. Celui-ci s'en excusa d'abord; mais il fallut enfin céder aux instances de Macaire. Rufin accompagna cette traduction d'une lettre à

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Macaire, dans laquelle il fait voir que les œuvres d'Origène avaient été falsifiées par les hérétiques. Dans la préface de sa traduction, adressée aussi à Macaire, Rufin dit qu'il s'attend bien qu'en traduisant un livre qui était entièrement en faveur d'Origène, il choquera certaines personnes qui ne peuvent souffrir ceux qui ne se déclarent pas contre ce savant homme. Il le justifie ensuite sur le mystère de la Trinité, et ajoute en des termes très-précis ce qu'il croyait lui-même, tant sur ce mystère que sur celui de la résurrection, disant que sa croyance sur ces deux points est celle de l'évêque de Jérusalem, et la même qu'il enseigne à tout son diocèse. Aussitôt que la traduction de l'Apologie de saint Pamphile parut dans Rome, où il y avait comme ailleurs des esprits prévenus contre Origène, elle y fit du bruit; mais Macaire laissa crier les censeurs, et il fit de1 nouvelles instances à Rufin de mettre aussi en latin le livre des Principes, d'Origène. Sa persévérance l'emporta, et quelque délicate que fût l'entreprise, Rufin travailla avec tant d'assiduité, que dès la fin du carême de l'an 398, les deux premiers livres furent achevés. Il fut plus lent à traduire les autres, parce que Macaire, obligé de s'éloigner de lui, le pressait moins. Il mit en tête de cette traduction une préface adressée au même Macaire, où, après avoir loué les traductions que saint Jérôme avait faites de deux homélies d'Origène sur le Cantique, à la prière de l'évêque Damase, et la préface dans laquelle ce Père relevait si fort les ouvrages d'Origène, qu'il donnait envie à tout le monde de les lire, il ajoute : « Je veux donc suivre, quoique d'un style bien inférieur, ce que Jérôme a commencé et approuvé, et faire connaître cet homme, Origène, qu'il appelle le second docteur de l'Eglise après les Apòtres, et dont il a traduit plus de soixante-dix homélies. Je suivrai aussi sa méthode, en éclaircissant les endroits obscurs, et supprimant ce qui ne s'accorde pas avec ce qu'il a dit ailleurs touchant la foi canonique. >> Rufin dit ensuite que, comme le livre des Principes est un peu obscur, à cause de la précision qu'Origène y a affectée, il en a étendu quelques endroits, par d'autres tirés des ouvrages où cet auteur s'était expliqué avec plus de netteté. Il proteste de la droiture de ses intentions dans la traduction de cet écrit,

1 Rufin., Prolog. ad Macar., tom. V oper. Hieron.,

et finit sa préface en conjurant le copiste de transcrire fidèlement l'ouvrage en la manière qu'il l'avait traduit.

tions

Rece

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253.

13. Rufin, après avoir fini cette traduction, S se retira à Aquilée, avec une lettre de com- br munion du pape saint Sirice, qui mourut late même année 298, le 26 de novembre. Pam- Oper. maque, ami de saint Jérôme, ayant eu communication de l'ouvrage de Rufin, en avertit saint Jérôme; et afin que ce Père fût en état de le réfuter, il lui envoya la version et la préface de Rufin. D'un autre côté, sainte Marcelle, aussi amie de saint Jérôme, cria publiquement contre cette traduction, et plusieurs autres amis de ce Père s'étant joints, on déféra Rufin au pape Anastase, que l'on venait d'élire en la place de saint Sirice. Ce Pape écrivit plusieurs fois à Rufin de venir à Rome se défendre en personne, mais il s'en excusa toujours, et se contenta de lui écrire une lettre où il dit pour excuse, qu'ayant été trente ans sans voir ses parents, il eût été dur de les quitter si tôt, et qu'il était trop fatigué de ses grands voyages. Il ajoute qu'il n'a jamais eu d'autre foi que celle qui se préche à Rome, à Jérusalem et dans toutes les églises catholiques, et que, pour fermer la bouche à ses adversaires, il croit suffisant de leur envoyer sa profession de foi; « cette foi, dit-il, est prouvée en ma personne par l'exil, par les prisons et par les tourments que j'ai soufferts à Alexandrie pour la confession du nom de Jésus-Christ. >>

14. Dans la profession de foi qu'il joignit s à cette lettre, il s'explique d'une manière s très-orthodoxe sur la Trinité, sur l'incarnation, sur la résurrection des corps, sur le jugement dernier, sur l'éternité des peines, sur l'origine de l'âme. Puis, venant à la traduction d'Origène, il dit qu'il n'est ni son défenseur, ni son approbateur, mais seulement son interprète. « Si donc, continue-t-il, il y a quelque chose de bon dans ce que j'ai traduit, il n'est pas de moi; et si l'on y trouve quelque chose de mauvais, je n'y ai aucune part. Je dis plus, je me suis étudié à retrancher du livre des Principes tout ce qui ne me paraissait pas orthodoxe et que je croyais avoir été ajouté par les hérétiques, parce que j'avais lu le contraire dans les autres ouvrages d'Origène. » Il dit encore qu'il n'en est pas le premier interprète, et que d'autres avant lui ont traduit les ouvrages de cel

pag. 254,

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