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Extrait des mêmes conditions d'union, p. 14,

que

art. 15.

1. Notre-Seigneur Jésus-Christ, ayant fait précéder la bénédiction, dit à ses disciples : «Prenez ce pain; mangez-le, car ce que je vous présente avec ce pain ici est mon corps. » 2. Ces choses étant très-véritables, certainement le pain de la cène étant béni est le symbole très-conjoint avec le corps de Christ, toutefois d'une manière inexplicable, auquel sens il est appelé par l'Apôtre la communion au corps de Christ. 3. Notre-Seigneur donne donc à tous ceux qui communient à sa table sacrée son corps et son sang avec les excellents signes et sceaux de cette viande et de ce breuvage céleste, avec le pain, dis-je, et le vin bénis. 4. Mais il les donne en une manière que Dieu ne nous a jamais révélée nulle part, laquelle par conséquent il n'a pas voulu nous sussions et que nous définissions, et conséquemment nul des mortels ne le peut comprendre ni expliquer. 5. C'est donc le devoir de tous les conviés que, dans l'usage du sacré repas, ils rappellent dans leurs esprits avec confiance, avec un désir de la grâce et avec prière, que le corps et le sang du Seigneur leur sont communiqués comme un souverain trésor avec les éléments visibles d'une manière ineffable, afin aussi qu'ils célèbrent la mort du Seigneur avec action de grâces. 6. Quiconque lors oublierait d'avoir un pieux souvenir de la mort de Jésus-Christ serait coupable éternellement pour avoir pris indignement les symboles de ce très-précieux trésor. Quiconque aussi tient le calice du Seigneur pour une augmentation superflue, l'usage duquel il est permis de négliger sans aucun péril de tomber dans la violation, à cause de l'interdiction que les hommes en ont faite et dupéril de l'effusion; 7. Quiconque aussi, pour cette persuasion et pour toutes ces raisons, s'abstient du sacré calice se rend coupable d'un honteux mépris et d'une inexcusable négligence. 8. Or, comme le pain de la sainte table employé contre ou outre l'institution de Christ n'est pas la communion du corps du Seigneur, et n'est point fait tel en sa bénédiction, ainsi l'eau n'est point le lavement de régénération quand on en arrose les cloches et les fenêtres au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit. 9. Au reste, faire servir ce pain et ce vin sacrés et bénis à des usages purement arbitraires, c'est un abus très-honteux qui ne doit nullement être souffert dans l'Eglise de Dieu; car tu ne feras point ce qui te semble bon devant tes yeux. 10. Même quiconque consacre le pain et le vin, le mange et le boit dans la vue que Notre-Seigneur Jésus-Christ soit sous les accidents du pain et du vin, et s'immole réelle ment et de fait à Dieu le Père; celui-là est coupable d'un attentat horrible, superbe et très-criminel. 11. Quiconque consacre le pain et le vin, le mange et le boit, afin de représen ter à Dieu la mort de Jésus-Christ par la consécration et consomption des symboles, celui là agit très-follement, car il n'y a nulle simiJitude entre la passion du Sauveur et la bénédiction et participation des symboles. 12 Au

reste, le pain et le vin doivent être maniés à la sainte table, de telle sorte qu'on ne profane point ce festin royal et qu'on ne le déshonore point par des paroles et par des gestes ridicules. 13. Enfin il ne faut point que ceux qui participent à la table du Seigneur fléchissent les genoux et fassent des prières devant le pain et le vin bénis, à l'honneur de la substance cachée sous les espèces, car les saintes Ecritures ne nous enseignent nulle part qu'il y ait rien autre chose d'enclos et de renfermé dans ces accidents que la substance terrestre du pain et du vin, laquelle, si quelqu'un adorait comme le Fils unique de Dieu, ce serait pour certain une très-méchante et très-criminelle idolâtrie. 14. Cependant ce que les protestants, qui participent à la table du Seigneur Jésus pour la gloire de Jésus-Christ seul, témoignent leur respect dans ce précieux festin, selon les diverses coutumes reçues en chaque Eglise, cela ne peut être désagréable à Dieu, les autres choses étant égales; car la raison pourquoi Dieu a élevé Jésus-Christ, c'est afin qu'au nom de Jésus, c'est-à-dire à la gloire de notre Sauveur, tout genou se ploye de ceux qui sont au ciel et en la terre et dessous la terre. Du livre de M. Jurieu, intitulé : Consultation pour faire un accord entre les protestants. imprimé à Utrecht chez François Halma, 1688, pag. 240.

Le dernier argument à persuader une mutuelle tolérance est, pour moi, que les réformés n'exigent rien qu'ils n'offrent. Nous demandons une tolérance pour notre dogme que vous appelez le particularisme : proprement une tolérance n'est pas due à la vérité, mais un consentement. Mais posé que le particularisme soit une erreur, nous vous offrons une tolérance pour des erreurs beaucoup plus grandes. Je mets l'article de la cène du Seigneur et de la manière de la présence du corps de Christ dans le pain. Les vôtres appellent cette présence réelle, charnelle, corporelle; or déjà, outre plusieurs absurdités philosophiques, quelles conséquences en naissent? Ceux qui aujourd'hui et depuis plusieurs années souffrent en France la persecution des papistes le savent. On leur inculque sans cesse: N'est-ce pas une très-grande et invincible obstination de ne vouloir pas participer aux sacrements des catholiques, quand vous offrez la paix aux luthériens, qui sont de même sentiment que nous sur la présence réelle et charnelle? Les nôtres répondent Les luthériens n'offrent pas la substance du pain, ils n'adorent pas le sacrement de l'eucharistie, ils ne sacrifient point, ils ne refusent pas la coupe aux laïques. Mais, disent les papistes, en cela les luthériens pèchent et errent par conséquent; car si le corps de Christ est réellement et charnellement present dans l'eucharistie, il y doit être adoré: s'il est présent, il peut être offert à Dieu le Père; s'il est présent, il est tout entier en chaque partie; donc celui qui est privé de la coupe a toutefois Christ tout entier. D'où il s'ensuit que l'Eglise, sans faire aucun tort, aux particuliers, peut ôter la coupe aux lat

ques pour le danger du scandale et de l'effusion. Ne dites pas que ces conséquences à l'égard du sacrement de l'eucharistie ne se peuvent pas bien déduire de votre opinion; car elles coulent bien mieux et plus facilement de votre dogme que ces horribles conséquences que vous attribuez au nôtre, comme nécessairement dérivées du particularisme. Il est certain que ce sentiment que vous avez de la cène du Seigneur a été le premier degré à l'erreur; de là est né ce monstre de la transsubstantiation. Là où il a passé pour certain que le corps de Christ était réellement présent, ç'a été un penchant à des hommes téméraires pour déterminer la manière de cette présence. La transsubstantiation déterminée, même auparavant qu'elle le fût, il a été aisé d'ordonner l'adoration du sacrement, où l'on assure et où l'on croit que Christ est corporellement et charnellement présent. Il n'est pas aisé de chercher ce commandement, car la raison humaine se porte d'elle-même à cela qu'il faut adorer le corps de Christ où il est, non que cette raison soit bonne partout; Dieu est dans le bois et dans la pierre, et toutefois la pierre ne doit pas être adorée; mais pourtant l'esprit est emporté là comme par son propre poids, et au contraire il faut s'efforcer à empêcher qu'il ne tombe dans ce précipice. Je ne doute pas que les ignorants parmi vous ne s'y laissassent aller, si une dispute continuelle avec les papistes ne les en empêchait. Ce n'est donc pas un petit danger, selon votre opinion, de retomber dans l'idolâtrie du pain; et ce danger est de beaucoup plus grand que celui qui vient de quelques questions abstraites qui surpassent la capacité du vulgaire, qui sont plus philosophiques que théologiques, et qui n'influent aucun mal contre les mœurs ni contre le culte. C'est pourquoi, si nous vous offrons de la tolérance sur ceci, vous ne devez pas nous la refuser sur cela; car nous vous relâchons beaucoup plus de notre droit en ces choses-ci que vous du vôtre en celles-là. Mais je ne veux pas traiter cela plus amplement ni avec plus de passion, pour ne pas rouvrir une plaie dont je songe plutôt à fermer la cicatrice.

La même page 269. chap. 3, du livre de M. Ju

rieu.

Qu'il n'est pas nécessaire d'une confession commune différente de la confession d'Augs— bourg; que tous les réformés peuvent souscrire cette confession.

Il est entièrement impossible de conserver l'unité de la foi, si elle n'est serrée comme par un lien, par un formulaire et confession de foi. C'est pourquoi nous condamnons avec raison les hérétiques et sectaires de notre temps qui détestent tous les formulaires de foi, comme si c'étaient des fers aux pieds et des signes de la captivité des esprits, s'attachant si fort à la lettre et aux paroles de l'Ecriture, qu'ils ne veulent admettre aucune explication comme divine. Car encore que tout ce qui est dans ces formulaires ne soit pas d'une égale nécessité, et que tout ne soit DEMONST. EVANG. III.

pas fondamental à ne s'en pouvoir éloigner tant soit peu sans risque du salut, toutefois l'esprit humain volage et inconstant est retenu par ces attaches; autrement il tourne-f rait sans cesse, il n'y aurait rien de certain dans la religion; une démangeaison de penser et de parler diversement déshonorerait vilainement la face de l'Eglise. Il est mieux que des esprits inquiets soient occupés au dehors qu'au dedans. Il ne faut pas toutefois regarder ces formulaires comme s'ils étaient divisés, en telle sorte que vous traitiez ces sociétés comme hors de l'Eglise qu'ils se servent d'autres formulaires un peu différents des nôtres, pourvu qu'ils conviennent en choses essentielles et fondamentales. Il faut encore remarquer que la prudence ne persuade pas que ces formulaires, qu'on appelle confession de foi, embrassent plusieurs choses également et descendent aux plus petites. J'avoue que l'esprit doit être retenu. et qu'il faut lui jeter un frein: mais il ne faut pas le captiver et le renfermer dans des bornes trop étroites; que les choses les plus générales et les plus nécessaires à croire soient présentées et approuvées de la main et du sceau.

et

Après avoir fait ces petites observations, je ne désapprouve pas qu'un personnage très-docte tende à unir les protestants en leur faisant une confession de foi commune, et qu'il leur ait présenté des conditions de cette pieuse union des Eglises protestantes. Vos conditions ne sont autre chose qu'une confession et formulaire de foi que vous offrez aux protestants pour être approuvée par leur signature. Mais je vous demande pourquoi ce savant homme nous donne une nouvelle confession de foi qu'il a dressée, quand il y en a tant d'autres que plusieurs ont faites, qui sont confirmées et admises pour ne rien dire des autres, vous avez la confession d'Augsbourg faite et publiée du consentement de tant de princes et personnes du premier rang, villes, docteurs, théologiens et personnes de tout état, présentée à l'empereur et répandue par tout le monde. C'est votre confession; nous la traitons comme nôtre. Il n'est donc pas besoin d'une nouvelle confession commune. Nous avons l'ancienne, par laquelle on a suffisamment pris des précautions pour la pureté de la foi: est-ce que depuis il a cru une nouvelle moisson d'articles de foi? Est-ce que nos pères pieux qui ont fait cette confession, avaient moins d'esprit ? qu'ils n'ont pas vu ce qui est nécessaire à salut? et qu'il y a nécessité aujourd'hui d'enchaîner de nouveaux liens les esprits? Cette confession fut honorée par vos auteurs et ancêtres, Luther, Me lanchthon, etc.; il ne vous est donc pas permis, ni de la mépriser, ni d'en composer une autre. C'est pourquoi on ne doit pas exiger autre chose des nôtres, qu'une souscription de cette confession. Mais nous sommes tous prêts à la souscrire. J'entends même dire qu'à présent tous les réformés d'Allemagne qui prennent le degré de doctorat, signent cette confession. Que faut-il de (Trente-trois.}

plus? La chose est déjà faite, pourvu que par cette souscription vous vouliez nous embrasser de cœur, comme étant déjà unis et d'accord. Il y a seulement trois articles dans cette confession d'Augsbourg, que vous dites aujourd'hui n'avoir point varié, et à laquelle vous vous tenez, en négligeant celle qu'on dit avoir varié. Il y a, dis-je, seulement trois articles qui peuvent jeter du scrupule dans l'esprit des réformés qui les signeraient. Le dixième de la cène du Seigneur : Sur la cène du Seigneur, ils enseignent que le corps et le sang de Jésus-Christ y sont véritablement et se distribuent à ceux qui le mangent dans la cène du Seigneur, et ils désapprouvent ceux qui enseignent autrement. Les Eglises de France disent et enseignent les mêmes choses dans leur catéchisme, sect. 31: Il faut que nous communiquions véritablement au corps et au sang de Christ. Et sect. 52: Le corps de Christ une fois offert pour notre réconciliation nous est donné au sacrement. Le Seigneur Jésus-Christ nous donne son sang à boire. Et sect. 53: Puisque Christ est la vérité même, il ne faut pas douter que les choses qu'il a promises en la cène ne s'accomplissent en la'cène, et que ce qui y est figuré ne soit véritablement donné. C'est pourquoi je ne doute pas que suivant sa promesse il ne nous fasse participants de sa propre substance. Et en l'article 36 de la confession française: Christ une fois mort et ressuscité des morts pour nous, nous nourrit véritablement dans sa sacrée cène, et nous repait de sa chair et de son sang. Et encore bien qu'il soit au ciel jusqu'à ce qu'il revienne pour juger le monde, nous croyons toutefois que par la force secrète et incompréhensible de son Esprit, il nous nourrit et vivifie de la substance de son corps et de son sang. Ces paroles ne signifient pas moins, et ne disent autre chose que l'article de la confession d'Augsbourg. Ceux qui approuvent donc ces choses, ne refuseront pas de donner les mains à la confession d'Augsbourg. Il n'y aura donc nul empêchement à l'accord en cet article.

Poiret, la Paix des bonnes âmes, tit. de l'Eucharistie és trois parties, sect. 3, art. 3, n. 7, 8, et suivants, pag. 122. Imp. à Amsterdam chez Théodore Boetman 1687.

Peut-être qu'il ne déplaira pas à quelques bonnes âmes, qui ne sont pas encore sans scrupules sur ces matières, que je m'explique sur celles qui donnent le plus de peine à ceux qui veulent entrer dans leur détail; c'est-àdire sur les manières de la présence réelle, sur son utilité et efficace, et sur l'adoration. J'en vais dire assez, ce me semble, pour mettre là-dessus en une tranquillité solide les gens de bien qui aiment la paix.

8. Quant à la présence réelle, j'ai déjà dit qu'on ne doit point nier qu'elle soit possible à Dieu, qui dans sa toute-puissance a des moyens infinis d'exécuter ce que l'esprit humain ne pourrait concevoir; mais je dis de plus que l'on ne manque pas ici de concevoir plusieurs manières générales de la possibilité de cette chose.

Un corps glorifié comme celui du Sauveur, peut faire émaner de soi autant de divine matière qu'il lui plaît, et où il lui plaît. Car outre que la nature, selon les principes que l'on a prouvés ailleurs, est reproductive d'elle-même à l'infini, personne n'ignore qu'il ne transpire continuellement de nos corps, quelque stériles et lourds qu'ils soient à présent, une infinité d'esprits et de matière la plus subtile, et même la meilleure et la plus élabourée : or il n'y a point d'impossibilité que cela ne s'effectue dans la célébration de l'eucharistie; et tout le monde le peut clairement comprendre.

9. L'on me dira que cela ne sert tout au plus qu'à expliquer cette manière de la présence réelle qu'on appelle consubstantiation; mais non pas celle qu'on appelle transsubstantiation. Réponse. Je n'ai garde de prétendre qu'on se doive mettre en peine d'une infinité de vétilles et de creuses pensées, que quantité de docteurs particuliers et de disputeurs du siècle (gens pour la plupart plongés dans les ténèbres de l'esprit) ont débitées sur cette matière, comme s'il est vrai que le corps de Jésus-Christ soit présent quant à sa grandeur naturelle, et cela dans un seul point, et une infinité d'autres questions, qui ne méritent, ni qu'on y pense, ni qu'on les décide; je suis assuré que les vrais dévots ne songent pas à ces formalités-là dans leurs pieux exercices et leurs saintes élévations à Dieu. Peut-être que ceux des bons qui ont pu dire que Jésus-Christ tout entier, ou quant à son tout, était présent sous chaque partie du sacrement, l'ont entendu du tout de l'efficace, et qu'ils ont voulu dire qu'une petite partie du corps ou du sang de Jésus-Christ jointe à la grâce, possède et contient l'efficace du tout (l'on dira tantôt ce qu'est cette efficace), les pointilleux peuvent avoir travaillé làdessus à leur ordinaire : mais cela ne mérite pas que les bons s'en mettent en peine; ils peuvent même, pour avoir la paix, si des docteurs opiniâtres et importuns les pressaient sur leurs fictions particulières, faire semblant d'admettre toutes leurs imaginations comme on fait celles des hypocondriaques aux pensées desquels on ne contredit pas pour avoir la paix et pour les guérir, que ne doit-on pas faire par condescendance à l'esprit malade de l'homme corrompu, pour le tenir ou le conduire à la charité et à la paix qui sont le remède et l'élément qui doivent le guérir? Le meilleur pour les simples est de ne pas vouloir entrer dans cent sortes de particularités de cette nature, de n'y pas penser, ou d'y donner et dé les laisser passer à la bonne foi et sans y rien comprendre. Ce ne sont que des formalités aussi peu nécessaires que de savoir toutes les manières et les voies particulières par lesquelles s'est faite l'incarnation dans le sein de la Vierge, ou comment se feront toutes les circonstances de la résurrection on du jugement dernier.

10. Laissant donc les brouilleries particulières des personnes privées, ne considérons que ce qu'on peut penser de la doctrine com

mune de la transsubstantiation. Ceux qui l'ont voulu expliquer par les principes d'Aristote ou de Descartes n'ont absolument rien fait qui vaille on sait quelles contradictions l'on reproche aux premiers, mais il faut avouer que jamais il n'y eut rien de plus contraire à cela que le cartésianisme cela a été hautement et universellement reproché à tous les cartésiens de la communion romaine, et ils n'ont pu tenter de s'en laver qu'en se rendant ridicules, ou en niant des conséquences aussi clairement déduites de leurs principes, que le sont les conclusions d'une démonstration mathématique; et de fait ces deux sortes de philosophes ayant de faux principes, on n'avait garde de réussir, en voulant expliquer par là ce qu'il y a de vrai dans la transsubstantiation, que Dieu opère par sa volonté puissante et par la foi de ceux qui la croient; mais avec des principes plus solides, l'on peut facilement comprendre comment dans l'eucharistie toute la substance du pain et celle du vin peut être changée au corps et au sang du Seigneur, de telle sorte qu'il ne reste plus que les accidents des choses élémentaires.

Il faut pour ce sujet, sans se brouiller la cervelle avec les notions de substance et d'accidents d'Aristote et de Descartes, avoir égard au sens le plus ordinaire, le plus commun et le plus connu aux plus simples du peuple. L'on sait qu'il n'y a rien de plus ordinaire que d'appeler la substance d'une chose, ce qu'il y a en elle de sustentatif, de nourrissant, de solide, qui est une certaine essence subtile qui se sépare, soit par la di-gestion naturelle, soit par l'art, du reste de la masse, et que ce reste n'est proprement qu'une écorce, une chose accessoire et accidentelle (accidens prædicabile, si l'on aime mieux le jargon de l'école) par rapport à cette substance ou à cette essence qui nourrit le corps, et cela est fondé dans la véritable nature, car avant le péché la substance du pain, du vin et de toute autre nourriture n'était que pure essence pour ainsi dire, sans qu'il y eût rien de cette lèpre grossière, de cette terre morte et stérile que l'on sépare maintenant dans la concoction et digestion d'avec la substance nourrissante mais le péché pervertissant toute la nature et l'investissant de corruption, il a revêtu la substance de la nourriture aussi bien que celle de nos corps et de toutes les choses de la nature d'une écorce de matière corrompue, grossière, stérile et opaque, qui nous cache cette substance des choses dont elle n'est que l'extérieur, le véhicule et une espèce de vêtement qui lui est entièrement accidentel.

11. Cela étant, il n'y a rien de plus facile à comprendre que la réalité du changement de la substance du pain et du vin, pendant que toutes les apparences ou tous les accidents demeurent de même qu'auparavant, si la substance de la nourriture que nous prenons se change en notre propre substance par la conformation qu'en fait une partie du sang, ou des esprits, ou de la matière de notre corps, avec quoi elle est mêlée ; à beau

coup plus forte raison quelques émanations sorties du corps de Jésus-Christ, ou la seule force de sa volonté, pourront-elles, comme une teinture sacrée et toute-puissante, changer la substance du pain et du vin, en la substance de son corps et de son sang. Cependant puisqu'il n'y aura que la seule substance du pain et du vin qui en sera changée, toute la matière crasse et corruptible qui lui est annexée, et qui ne lui est qu'accident et qu'écorce purement accessoire, demeurera donc toujours la même, et comme nos corps et nos sens devenus grossiers par le péché, ne sont mus que par cette matière grossière et accessoire qui a couvert la substance des choses, et qu'ils ne peuvent être mus par l'essence subtile et incorruptible qui y est renfermée et cachée, il s'ensuit manifestement que les sens ne doivent nullement s'apercevoir de la présence du corps et du sang du Seigneur, et qu'ils ne doivent voir, sentir et goûter, que ce que nous fait sentir la matière grossière et accessoire qui cache l'essence imperceptible et nourrissante du pain et du vin.

12. On peut, si je ne me trompe, expliquer et soudre par cette voie toutes les difficultés imaginables sur la matière de la transsubstantiation, et sur tous les événements fâcheux qu'on a souvent objectés pour l'impugner et la réduire ad absurdum. Tout ce qui peut arriver d'indigne à l'eucharistie ne touche que ce qu'il y a d'accidentel dans le pain et dans le vin, que cette matière gros sière, accessoire, corruptible, séparable, qui n'est nullement essentielle à la substance du pain et du vin, et beaucoup moins encore au corps et au sang du Seigneur, qui sont une matière invisible, très-subtile, incorruptible, incontaminable, et que le Seigneur peut, s'il lui plaît, extraire et retirer en un moment du reste de cette matière accessoire, si on la mettait dans un lieu ou dans un état où le Seigneur ne voulût pas que fût son corps, sans que cependant cette soustraction causât un changement visible dans la matière accidentelle du pain et du vin, de la même manière qu'à la mort, l'âme et le plus substantiel du corps se séparent du cadavre, sans qu'il paraisse que rien s'en soit retiré ni qu'il soit diminué.

Au moins voilà mes pensées sur la transsubstantiation, je ne sais si elles seront conformes à celles que des personnes illuminées de Dieu pourront avoir eues sur ce sujet : je m'imagine même que, comme les âmes unies à Dieu ne se mettent pas en peine de ces sortes de recherches, du comment et des voies particulières, aussi ne leur en aura-t-il été rien révélé, au lieu que quant à la chose même, je puis assurer que mon cœur, qui' par la grâce de Dieu n'est pas tout à fai aveuglé, a aperçu et reconnu indubitablement dans plusieurs des ouvrages des saints, la voix de Jésus-Christ qui les a assurés de la vérité de cette transsubstantiation, et c'est ce qui m'a fait cesser de la tenir pour une fiction à l'égard de ceux qui en ont la foi, et qui m'a fait rechercher la manière de la comprendro

et de l'expliquer que je viens de dire, et que je ne refuse point de déclarer, sous espérance que cela pourra donner sujet de tranquillité á quelques bonnes âmes scrupuleuses qui sont de cette communion-là, et que ceux qui

n'en sont pas, pourront en prendre occasion de ne pas condamner hautement toutes les choses qu'ils n'ont pas comprises et qu'ils ne pratiquent pas.

VIE DE NICOLE.

NICOLE (PIERRE) naquit à Chartres en 1625. Son père, sous les yeux duquel il avait fait ses humanités, l'envoya à Paris pour faire son cours de philosophie et de théologie. Ce fut pendant son cours qu'il connut les cénobites de Port-Royal. Ils trouvèrent en lui l'esprit et la docilité. Nicole donna une partie de son temps à l'instruction de la jeunesse qu'on élevait dans cette solitude. Après ses trois années de théologie, il se préparait à entrer en licence; mais plusieurs de ses sentiments n'étant pas ceux de la faculté de Paris, il se contenta du baccalauréat, qu'il reçut en 1649. Alors ses engagements avec Port-Royal devinrentplus suivis ; il fréquenta cette maison, et travailla malheureusement avec Arnauld à plusieurs écrits pour la défense de la doctrine de Jansenius. Il se rendit avec lui à Châtillon, près de Paris, et y consacra ses grands talents à écrire contre les calvinistes et les casuistes relâchés. Au commencement de 1676, sollicité d'entrer dans les ordres sacrés, il consulta Pavillon, évêque d'Aleth; après un examen de trois semaines, la conclusion fut qu'il resterait simple tonsuré. Une Lettre qu'il écrivit en 1677, pour les évêques de Saint-Pons et d'Arras, au pape Innocent XI, attira sur lui un orage qui l'obligea de quitter la capitale. A la mort de la duchesse de Longueville, ardente protectrice des nouvelles doctrines alors en vogue, il se retira aux Pays-Bas. Il revint à Paris en 1683, et entra, à la fin de ses jours, dans deux querelles célèbres, celle des études monastiques et celle du Quiétisme. Il défendit les sentiments de Mabillon dans la première, et ceux de Bossuet dans la seconde. Il mourut à Paris en 1695, âgé de 70 ans.

Les nombreux ouvrages sortis de la plume de Nicole sont : Essais de morale, en 14 vol. in-12, Paris, 1704, parmi lesquels on trouve 3 vol. de Lettres; et en 25 vol. in-12, Paris, 1741 et 1744. Il règne dans cet ouvrage un ordre qui plaît, et une solidité de réflexions qui convainc; son traité des Moyens de conserver la paix dans la société mérite d'être distingué. « Mais cette paix, dit Voltaire, est peut-être aussi difficile à établir que celle ‹ de l'abbé de Saint-Pierre.› Les Essais de morale (première édition), renferment : les différents Traités de morale, 6 vol.; Réflexions morales sur les Épitres et Évangiles de l'année, en 5 vol. in-12. L'édition de 25 vol. comprend en outre : Instructions théologiques sur les Sacrements, 2 vol.; sur le Symbole, 2 vol.; sur le Pater, 1 vol.; sur le Décalogue, 2 vol.; Traité de la prière, 2 vol.; Lettres diverses, 3 vol.; Vie de Nicole, par Goji, 4 vol.; Esprit de Nicole, par Cerveau, 1 vol.; en tout 25 vol. in-12 ou in-18. Les autres ouvrages de Nicole sont: Traité de la foi humaine, composé avec Arnauld, 1664, in-4°, Lyon, 1693, in-12; plein de vues vraies et solides; La Perpétuité de la foi de l'Église catholique touchant l'Eucharistie, Paris, 1670, 1672 et 1674, 3 vol. in-1". Les tomes suivants, publiés en 1711 et 1713, sont de l'abbé Renaudot et autres auteurs dont nous parlerons. Les Préjugés légitimes, contre les calvinistes; Traité de l'unité de l'Église, contre le ministre Jurieu; Les Prétendus réformés convaincus de schisme, et quelques ouvrages de controverse, tous infiniment estimables par Ja profondeur et la solidité; les Lettres imaginaires et visionnaires, 2 vol. in-12, 1667, contre Desmarets de Saint-Sorlin; un très-grand nombre d'ouvrages pour la défense de Jansénius et d'Arnauld; plusieurs écrits contre la morale des casuistes relâchés ; quelques-uns sur la grâce générale. Il y en a une édition de 1715, en 2 vol. in-12, avec une préface de l'éditeur. On y voit que Nicole n'adopte pas entièrement le système de Jansénius, et qu'il s'en éloigne dans bien des points; Arnauld lui-même rejetait la doctrine fondamentale de Jansenius. Un choix d'Epigrammes latines, intitulé: Epigrammatum delectus, 1659, in-12; Traduction latine des Lettres provinciales, avec des notes publiées sous le nom de Wendrock. La première édition parut en 1658; la quatrième, qui est beaucoup plus ample, est de l'année 1665. Pascal revit cette version. ‹ Quant aux qualités littéraires, ‹ dit l'abbé Bérault, c'est une des meilleures productions de Port-Royal. › Quant à la charité et à la vérité, elles y sont trop souvent blessées, et l'ouvrage est dangereux à lire; de plus, il est défendu par l'Inder et par les statuts de plusieurs diocèses. Au fond, malgré ses erreurs, l'on ne peut s'empêcher de regarder Nicole comme l'un des moralistes les plus profonds, et des controversistes les plus érudits et les plus vigoureux qui aient existé.

AVERTISSEMENT.

Tout ce qui est sorti de la plume féconde de M.Nicole à été et sera toujours estimé et re

cherché des amateurs du vrai et du solide. C'est ce que l'on peut conclure du grand nom

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