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saint en s'adressant à Dieu, de vos grandeurs invisibles; mais ma vue était encore trop faible pour la pouvoir arrêter sur cet objet.... Je cherchais un chemin par lequel je pusse acquérir la force qui m'était nécessaire pour jouir de vous, et je n'en trouvais point; jusqu'à ce que j'eusse reconnu et embrassé par la foi le médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ homme qui est élevé au-dessus de toutes choses, qui est le Dieu qui doit être béni éternellement. C'est lui qui nous appelle et qui nous dit: Je suis la voie, la vérité et la vie. Jusqu'à ce que j'eusse donc goûté cette nourriture sainte dont je ne pouvais user, parce que j'étais trop faible, et qui s'est mêlée avec la chair de l'homme, le Verbe s'étant fait chair afin que votre sagesse, par laquelle vous avez créé tout cet univers, se proportionnát à notre bassesse et devint lait à cause que nous étions des enfants : je ne reconnaissais pas encore mon Seigneur JésusChrist de la manière que je le devais reconnaître, puisqu'étant humble comme il est, il ne peut être reconnu que par les humbles, et je ne l'étais pas alors.

J'ignorais même l'instruction que l'on doit tirer de son abaissement et de son infirmité (1). J'ignorais que votre Verbe, la vérité éternelle, dans cet état suprême d'éminence et de grandeur où elle voit au-dessous de soi les plus éminentes de vos créatures, devrait élever à elle ceux qui lui sont inférieurs et soumis; mais que dans son état d'abaissement, elle s'est bati une maison basse et humble avec la terre dont nous sommes composés; afin que par cette humilité elle rabaissat au-dessous d'eux-mêmes ceux qu'elle voulait soumettre à soi, et les attirat à elle en guérissant l'enflure de leur orgueil, et en nourrissant la chaleur de leur

amour.

C'est aussi de peur que par la confiance qu'ils avaient en eux-mêmes et en leurs propres forces (2), ils n'avançassent trop loin dans le chemin qu'ils tenaient, qu'elle a voulu qu'ils fussent plutôt affaiblis en voyant devant leurs yeux une divinité devenue faible par la participation de notre commune faiblesse, du vétement de notre mortalité; et qu'étant las, ils s'abaissassent sur elle pour se reposer, et qu'elle se levant les relevât.

Nous devons donc adorer la bonté ineffable

Dei et hominum, hominem Christum Jesum, qui est super omnia Deus benedictus in secula, vocantem et dicentem Ego sum via, veritas, et vita. Et cibum cui capiendo invalidus eram miscentem carni.Quoniam Verbum caro factum est ut infantiæ nostræ lactesceret sapientia tua per quam creasti omnia, non enim tenebam Dominum meum Jesum humilis humilem.

(1) Nec cujus rei magistra esset ejus infirmitas noverant; Verbum enim tuum æterna veritas superioribus creaturæ tuæ partibus supereminens subditos erigit ad seipsam, in inferioribus autem ædificavit sibi humilem domum de humo nostra, per quam subdendos deprimeret a seipsis et ad se trajiceret, sanans tumorem et nutriens amorem.

(2) Ne fiducia sui progrederentur longius, sed potius infirmarentur videntes ante pedes suos infimam Divinitatem ex participatione tunica pelliceæ nostræ, el lassi prosternerentur in eam; illa autem surgens levaret eos.

de notre Dieu, qui par un artifice que son amour pour les hommes lui a inspiré, a voulu que son Verbe éternel, ce pain qui nourrit les anges, se mêlât à notre chair pour nous donner une nourriture proportionnée à notre faiblesse : comme une bonne mère fait passer dans son estomac la viande solide que son enfant ne pourrait pas digérer, pour la changer en lait, et la rendre par ce moyen plus propre à lui conserver la vic. Mais nous sommes aussi obligés de reconnaître que ce lait divin n'est que pour les petits et pour les infirmes, pour les pauvres qui languissent de faim; pour ceux qui gémissent et qui soupirent dans le sentiment de leur indigence, et non pas pour ces riches orgueilleux, tels qu'ont été ces philosophes et ces sages païens qui se croyaient rassasiés parce qu'ils étaient enflés de vanité et pleins d'eux-mêmes, comme le marque la sainte Vierge dans son cantique: Esurientes implevit bonis, et divites dimisit inanes (Luc, I). Il est vrai que c'est aussi un breuvage salutaire qui nous donne l'immortalité par l'heureux mélange de notre faiblesse avec la vertu divine, qui a en soi le pouvoir de profiter à toutes les âmes, comme le dit saint Prosper (1', mais qui ne guérit que celles qui le reçoivent, et qui n'est reçu que de celles qui se jettent entre les bras du médecin, et qu'un vif sentiment de leurs maux porte à implorer son secours; quoiqu'il soit vrai aussi qu'en cela même, il faut que la bonté du médecin nous prévienne: car c'est un commencement de l'opération de ses remèdes, que de nous reconnaître malades et de désirer son assistance, ce qui fait dire excellemment à saint Prosper (2), qu'avant que quelque rayon de foi vienne dissiper une partie de ces ténèbres profondes, et de cette ombre de la mort où notre nature est ensevelic sous la domination du démon, elle aime sa langueur et ses plaies; et que l'ignorance de son mal lui tient lieu de santé, jusqu'à ce que le malade reçoive comme le premier appareil de ses blessures, la connaissance de son mal, et qu'il commence à désirer le secours du médecin qui le peut guérir: Amat ergo languores suos, et pro sanitate habens quod ægrotare se nescit, donec hæc prima medela conferatur ægroto, ut incipiat nosse quod langueat, et possit opem medici desiderare qua surgat (Actor. XIV).

Mais on peut dire que cette disposition est si nécessaire pour participer aux grâces de Jésus-Christ, et pour recevoir de ce médecin céleste la guérison de l'âme, que c'est une des principales raisons que l'on puisse rendre; pourquoi Dieu a attendu quatre mille

(1) Ad objection. 1 e Vincentianis. Poculum immortalitatis quod confectum est de infirmitate nostra et virtute divina, habet quidem in se ut omnibus prosit, sed si non bibitur non medetur.

(2) Ad Capitula Gallor. objection. 6. Ante illuminationem fidei in tenebris, illud [liberum arbitrium] et in umbra mortis, agere non recte negatur, quoniam priusquam a dominatione diaboli per Dei gratiam liberetur, in illo profundo jacet, in quod se sua libertate demersit. Amat ergo languores suos, etc.

ans à envoyer son Fils dans le monde, pour y établir la loi nouvelle. Il a laissé cependant toutes les nations marcher dans leurs voies corrompues, et la plus grande partie des Juifs gémir sous le joug pesant et inutile de l'ancienne loi, afin que la multitude des péchés où les hommes tomberaient, étant ainsi laissés à eux-mêmes, fût une conviction sensible du misérable état où ils sont réduits pour s'être révoltés contre Dieu, et de l'extrême besoin qu'ils avaient d'un médiateur qui les affranchit de la tyrannie du démon et du péché.

C'est cette doctrine de l'Ecriture sainte et des pères, que saint Thomas (1) embrasse expressément dans sa Somme: car ayant mis en question si la loi nouvelle devait être donnée dès le commencement du monde, il dit d'abord que cela semblait assez convenable, parce qu'il n'y a point en Dieu d'acception de personnes. Or, dit-il, tous les hommes ont péché, et tous ont besoin de la grâce de Dieu; et ainsi la loi évangélique, qui n'est autre chose que la grâce du Saint-Esprit, devait être donnée dès le commencement du monde, afin que par elle tous les hommes pussent être secourus. Enfin après avoir balancé les raisons de part et d'autre, pour et contre ce sentiment, il conclut que le retardement dont Dieu s'est servi était plus à propos; et entre les raisons qu'il en apporte : C'est, dit-il, que la loi nouvelle n'est autre chose que la loi de grace; et ainsi, il a fallu que l'homme fût laissé à soi-même dans l'état de la vieille loi, afin que, tombant dans le péché et entrant par ce moyen dans la connaissance de son infirmité, il reconnút le besoin qu'il avait de la grâce (2). C'est aussi la raison que saint Paul en donne, quand il dit que la loi est survenue pour donner lieu à l'abondance et à la multiplication du péché; mais qu'où il y a eu une abondance de péché, Dieu y a répandu une surabondance de grâce. Tertia ratio sumitur ex hoc quod lex nova est lex gratiæ, et ideo primo oportuit quod homo relinqueretur sibi in statu veteris legis, ut in peccatum cadendo suam infirmitatem cognoscens, recognosceret se gratia indigere. Et hanc rationem assignat Apostolus Rom. V. Lex subintravit ut abundaret delictum, ubi autem abundavit delictum superabundavit et gratia (3).

(1) 1. 2. quæst. 106. art. 3 Utrum lex nova debuerit dari a principio mundi. Videtur quod lex nova debuerit dari à principio mundi; non est enim personarum acceptio apud Deum. Sed omnes homines peccaverunt et egent gratia Dei, ut dicitur ad Roman. III. Ergo a principio mundi lex Evangelii dari debuit ut omnibus per eam subveniretur.

(2) Divus Thomas 1. 1. quæst. 106. art. 3. in corpore.

(3) Ibid. ad 1. Ad primum ergo dicendum quod humanum genus propter peccatum primi parentis meruit privari auxilio gratiæ; et ideo quibuscumque non datur, hoc est ex justitia, quibuscumque autem daLur, hoc est ex gratia; ut Augustinus dicit in libro de Perfectione justitiæ; unde non est acceptio personarum apud Deum, ex hoc quod non omnibus a principio mundi legem gratiæ proposuit, quæ erat debito ordine proponenda, ut dictum est.

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Et quant à l'argument contraire qu'il s'était proposé, il y répond que la nature humaine, ayant mérité par le péché du premier homme d'être privée du secours de la grâce, c'est avec justice que Dieu ne la donne pas à ceux à qui elle n'est pas donnée, comme c'est par miséricorde qu'elle est donnée à ceux à qui Dieu la veut donner, comme le dit aussi saint Augustin : c'est pourquoi il n'y a point d'acception de personnes, car l'acception de personnes n'a lieu que quand la justice est violée. Ainsi, si Dieu n'a pas proposé la loi nouvelle dès le commencement du monde, quoique tous en eussent besoin pour être sauvés, c'est qu'il était convenable de garder l'ordre que nous avons dit, c'est-à-dire de ne proposer aux hommes la loi de grâce qu'après qu'ils auraient reconnu, par l'abondance et l'énormité de leurs péchés, combien elle leur était nécessaire.

Mais quoique le dessein que Dieu a eu de faire sentir aux hommes malades l'extrémité de leurs maladies, pour les disposer à la réception du médecin, ait regardé en commun les Juifs et les Gentils, il a néanmoins principalement paru dans la loi qu'il a donnée à Moïse et qu'il a gravée sur des tables de pierre, pour marquer l'endurcissement des hommes qui ne l'accompliraient que quand Jésus-Christ la leur aurait gravée dans le cœur. C'est ce que saint Paul déclare nettement, lorsqu'il dit (Galat. II et III) que cette loi n'a point été donnée pour guérir les hommes, pour les justifier et leur rendre la vie, parce que, si cela était, Jésus-Christ serait donc mort en vain; mais seulement pour les faire entrer dans la connaissance de leur infirmité et de leur faiblesse (Roman. III), par le violement de cette loi; c'était seulement pour dompter l'orgueil des superbes par l'accroissement de leur mal, pour leur faire quitter cette fausse opinion de santé qui les rendait incurables, pour les forcer à n'avoir plus de confiance que dans l'assistance du médecin, pour leur faire connaître leurs péchés, et non pour les effacer.

Aussi est-ce là le grand et le profond mystère caché dans la loi, qui la rend plus digne d'admiration et d'étonnement, selon saint Prosper, que tous les autres ouvrages de la bonté et de la majesté de Dieu. Le grand mystère de la publication de la loi est qu'elle a été donnée, afin que, le péché croissant, les superbes fussent humiliés; et qu'étant humiliés, ils confessassent leurs maux; et que les confessant, ils fussent guéris, dit saint Augustin: Hoc est in lege magnum mysterium. Ideo eam datam esse, ut crescente peccato humiliarentur superbi, humiliati confiterentur, confessi sanarentur (Enarratione in Psal. CII). Mais ce n'est point, ajoute saint Augustin (1), par un esprit de cruauté que Dieu s'est conduit de cette sorte, c'est en sui

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vant l'ordre de la médecine; car quelquefois l'homme se croit sain lorsqu'il est malade; et quoique malade, parce qu'il ne sent point son mal, il ne recherche point le médecin : le mal augmente, la douleur croît, l'on a recours au médecin, et alors tout le corps reçoit sa guérison. Ainsi la loi a été donnée à l'homme pour découvrir sa maladie, et l'obliger au moins, par ce moyen, de rechercher le médecin: car si la maladie eût été légère, on l'eût méprisée; si l'on eût méprié la maladie, l'on n'eût point recherché le médecin; si l'on n'eût point recherché le médecin, la maladie eût duré toujours. Ainsi, maladie a précédé la venue du médecin, afin que le malade qui se croyait sain se reconnût malade.

la

C'est encore ce que le même saint Augustin explique divinement dans le troisième Traité sur saint Jean, par ces excellentes paroles: Il n'y avait point de grâce dans l'Ancien Testament, parce que la loi menaçait et ne secourait point; elle commandait et ne guérissait point; elle découvrait le mal et n'en déLivrait point; mais elle préparait seulement à la réception du médecin qui devait venir avec la grâce et la vérité. C'est de la même manière que ferait un médecin qui enverrait premièrement son serviteur avant lui à celui qu'il voudrait traiter, afin de le trouver lié. Ainsi l'homme était malade et ne voulait pas néanmoins que l'on le guérit; et de peur même que l'on le guérit, il se vantait d'être sain. La loi est donc venue; elle l'a lié, elle l'a fait trouver coupable alors il a commencé à crier et à se plaindre de se voir dans les liens du péché. De sorte que le violement de la loi a causé dans les superbes une maladie sensible, et cette maladie des superbes a produit la confession des humbles. Elle les a obligés de devenir humbles et de confesser leurs misères. Mais puisque les malades commencent à reconnaître qu'ils sont malades, il est temps que le médecin vienne et qu'il les guérisse; et quel est le médecin, sinon Notre-Seigneur Jésus-Christ? Reatus legis fecit ægritudinem superbis: ægritudo superborum facta est confessio humilium. Jam conftentur ægroti quia ægrotant, veniat medicus ut sanet ægrotos: medicus quis? Dominus noster Jesus Christus (1).

Voilà donc l'ordre merveilleux de la médecine céleste, d'où dépend toute l'économie du

salut des hommes. Il n'y a que Jésus-Christ seul qui soit le médecin de notre nature corrompue; elle est malade en tous ses membres, et elle ne peut être guérie qu'en implorant l'assistance de cet unique médecin. Pour l'implorer, il faut que la lumière de la foi le lui fasse reconnaitre; pour le re

(1)Num. XIV. Non erat illa [Gratia] in Veteri Testamento, quia lex minabatur, non opitulabatur, jubebat, non sanabat, languorem ostendebat, non auferebat, sed illi præparabat medico venturo cum gratia et veritate tanquam ad aliquem quem curare vult medicus, mittat primo servum suum ut ligatum illum inveniat. Sanus non erat; sanari nolebat et ne sanaretur, sanum se esse jactabat. Missa lex est, ligavit eum; invenit se reum, jam clamat de ligaturà.

connaître en cette qualité, il faut se reconnaltre malade; pour se reconnaître malade. il a fallu surmonter cet orgueil qui le lenait dans une fausse opinion de santé; el pour dompter cet orgueil, Dieu a donné la loi qui ne pouvait guérir, mais seulement découvrir ses plaies, et les rendre même plus grandes et plus profondes par le violement de ses préceptes; afin que le Libérateur des hommes les vint secourir, lorsqu'ils seraient contraints d'avouer qu'ils ont besoin de la grâce et de la miséricorde du Seigneur, pour obtenir le pardon de leurs péchés, et pour être réconciliés à Dieu dans une nouvelle vie, par celui qui a répandu son sang pour eux. Per legem morbos ostendentem non auferentem, eliam prævaricationis crimine contrita est superbia, ut ipse Liberator liberaret jam coactos confiteri opus sibi esse gratiam, el misericordiam Domini, ut sibi peccata dimitterentur et in nova vita per eum qui pro eis sanguinem fudit reconciliarentur Deo.

CHAPITRE IX.

Que l'humilité nécessaire pour participer à la grâce d'un Dieu humilié, contenant deux parties, et regardant également les péchés à effacer, et les péchés à eviter, les païens n'ont point obtenu, faute de cet esprit d'humilité, la rémission de leurs péchés, ni par conséquent le salut éternel.

Ce qui vient d'être établi dans le chapitre précédent, ainsi supposé, il faut remarquer que l'humilité nécessaire pour participer à la grâce d'un Dieu humilié contient deux parties, et regarde également la vieille et Fr nouvelle vie, les péchés à effacer et les pé→ chés à éviter, le dépouillement du vieil homme et le revêtement du nouveau, la destruction du vice et l'établissement de la vertu.

Or pour le premier point qui concerne 11 rémission des péchés, personne ne la peut obtenir par Jésus-Christ, qu'il n'entre premièrement dans les sentiments que ses crimes l'ont rendu l'objet de la colère de Dieu, qu'il est accablé sous le poids de ses péchés, que de lui-même il lui est impossible de s'en relever, et qu'il puisse jamais par aucun moyen se réconcilier avec le Dieu qu'il a offensé, ni détourner de dessus sa tête l'épée vengeresse de la justice divine: qu'ainsi de quelque côté qu'il se tourne, il ne trouve que des sujets de désespoir, jusqu'à ce que la foi vienne à l'éclairer et lui fasse jeter les yeux sur un Dieu qui s'est fait homme pour la rédemption des hommes, qui s'est chargé de leurs offenses et de leurs crimes pour les noyer dans son sang, qui étant l'innocence même, a voulu recevoir sur lui les effets de la colère de son Père pour en décharger les coupables, qui s'est offert en hostie de propitiation (Colossens. 1) pour pacifier toutes choses dans le ciel et sur la terre; et qui enfin, pour détruire toutes nos craintes et nous donner une sainte confiance pour nous présenter devant le trône de la majesté de Dieu, nous a voulu faire voir en une même personne, comme dit saint Ful

gence (1), le prêtre et le sacrifice, le Dieu et Le temple le prêtre qui nous a réconciliés, le sacrifice par lequel nous sommes réconciliés, Je temple dans lequel nous sommes réconciliés et le Dieu avec lequel nous sommes réconciliés.

Il s'ensuit de là évidemment, qu'il ny a que cette foi, que cette vue d'un Dieu crucifié pour nous, de cet adorable agneau qui a porté sur lui les péchés du monde, qui puisse apaiser les troubles de notre conscience, et nous faire espérer qu'encore que nos péchés nous aient rendus indignes de nous présenter jamais devant la face de Dieu, si néanmoins nous le faisons par l'entremise de ce médiateur, il nous regardera en pitié, il oubliera toutes nos fautes en considération de ce Fils bien-aimé, qui a voulu prendre en main notre cause, qui est mort, qui est ressuscité, qui est assis à la droite du Père et qui intercède pour nous.

Voila sans doute la doctrine de l'Evangile et celle de toute l'Ecriture sainte. Les apôtres ne nous en ont point enseigné d'autre, et leurs Epîtres sont remplies de cette science divine. Saint Paul nous y assure partout, que c'est par Jésus-Christ, par la foi en son nom, par la foi en son sang, par la foi en sa résurrection, que nous sommes justifiés, que nous sommes réconciliés, que nous avons accès vers le Père, que nous recevons la rémission de nos péchés, que nous sommes délivrés de la colère de Dieu, et que nous sommes faits ses enfants.

Saint Pierre nous assure que tous les prophètes rendent témoignage à cette vérité, et nous confirment dans cette créance divine, que la rémission des péchés ne se peut obtenir que par Jésus-Christ, et ne se peut obtenir par Jésus-Christ, qu'en croyant en JésusChrist: Huic omnes propheta testimonium perhibent remissionem accipere per nomen ejus omnes qui credunt in eum. (Actor., cap. 10).

Mais c'est ce que saint Paul nous a encore voulu marquer plus fortement, lorsqu'il nous enseigne que nous sommes justifiés gratuitement par la grâce de Dieu, par la rédemption qui est en Jésus-Christ, que Dieu a proposé pour être la propitiation, non pas en le faisant simplement mourir pour nous, comme si cette mort suffisait pour nous racheter, sans que nous en eussions aucune connaissance! mais par la foi en son sang: Per fidem in sanguine ipsius (Roman., III). C'est cette foi qui nous est réputée à justice, selon le même Apôtre, sans que les meilleures œuvres du monde faites sans elle y puissent contribuer: Ei autem qui non operatur, credenti autem in eum, qui justificat impium, reputatur fides ejus ad justitiam. (Ibid., IV).

C'est aussi ce qui fait conclure de là à saint Thomas, qu'il ne peut y avoir de justification dans les adultes sans un mouvement de foi et d'amour, et que ce mouvement de foi ne pouvant avoir pour objet tous

(1) Libro I. ad Trasımund. de Mysterio medicatoris. Ipsc sacerdos et victima, unus idemque et oblator muderis, et munus factus est oblatoris.

les articles de notre religior, doit au moins nous porter vers celui qui nous apprend que c'est Dieu qui justifie le pécheur par le mystère de Jésus-Christ: Sicut Apostolus dicit, credenti in eum qui justificat impium, reputabitur fides ejus ad justitiam secundum propositum gratia Dei; ex qua patet quod ad justificalionem impii requiritur actus fidei, quantum ad hoc quod homo credat Deum esse justificatorem hominum per mysterium Christi (1. 2. Quæst. 103. art. 4. ad 3).

C'est aussi ce qui montre aux plus avcugles que l'on ne saurait renverser cette doctrine sans renverser en même temps la religion chrétienne: et c'est ce que le dernier concile (1) œcuménique nous assure être aussi, ce que l'Eglise nous oblige de croire touchant la justification. Car il déclare que tous les hommes étant tombés par le pèché d'Adam dans la servitude du diable, de la mort et du péché, sans que les Gentils par la force de la nature, ni les Juifs par celle de la loi, se pussent relever de ce misérable état, Dieu a envoyé dans le monde son fils unique Notre Seigneur Jésus-Christ, qu'il avait révélé et promis à plusieurs saints pères, devant et durant la loi, afin qu'il rachetât les Juifs qui étaient sous la loi, et que les Gentils qui ne se mettaient point en peine d'être justes devinssent justes. C'est ce qui nous fait clairement connaître qu'avant cette bienheureuse plénitude des temps, dans laquelle Dieu a envoyé son Fils, il n'y avait de sauvés que ce nombre de justes à qui Dieu l'avait révélé et promis, tous les autres, tant Juifs que Gentils, demeurant sous la tyrannie du diable et du péché. C'est ce qui fait aussi que le concile dit au même lieu, pour nous marquer l'unique moyen dont Dieu rachète les hommes par Jésus-Christ, (2) que c'est lui que Dieu nous a proposé pour réconcilialeur par la foi en son sang: et c'est ce que le concile fait voir encore dans le chapitre troisième, en disant que (3) quoique JésusChrist soit mort pour tous les hommes, tous ne reçoivent pas néanmoins le bienfait de sa mort; mais ceux-là seulement à qui le mérite de sa passion est communiqué. Et que, comme nous ne sommes pécheurs par Adam qu'en naissant de lui, nous ne sommes aussi

(1) Concil. Trid. sess. 6. de Justifical. cap. 1. Cum omnes homines in prævaricatione Adæ innocentia: perdidissent...... usque adeo servi erant peccati et sub potestate diaboli ac mortis, ut non modo Gentes per vim naturæ, sed ne Judæi quidem per ipsam etiam litteram legis Moysi inde liberari aut surgere possent. Ibid. cap. 2. Quo factum est ut .... Deus filium suum et ante legem et legis tempore multis sanctis patribus declaratum ac promissum, cum venit beata illa plenitudo teniporis ad homines miserit, ut et Judæos qui sub lege erant redimeret, et gentes quæ non sectabantur justitiam justitiam apprehenderent. (2) Ibid. Hunc proposuit Deus propitiatorem per fidem in sanguine ipsius.

(5) Ibid. cap. 3. Etsi ille pro omnibus mortuus est, non omnes tamen mortis ejus beneficium recipiunt, sed illi duntaxat quibus meritum passionis ejus communica tur, nam sicut revera homines nisi ex semine Adæ propagati nascerentur, non nascerentur injusti... ita nisi in Christo renascerentur, nunquam justificaarentur.

justifiés par Jésus-Christ, qu'en renaissant en Jésus-Christ.

Il ajoute dans le chapitre quatrième (1), que l'on peut définir la justification, le passage dans lequel l'homme, fils du premier Adam, nait à l'état de grâce et d'adoption des enfants de Dieu par le second Adam qui est Jésus-Christ notre Sauveur; et que c'est ce qui ne se peut faire, depuis la publication de l'Evangile, que par le baptême en effet ou en désir. Enfin il détermine, dans le chapitre cinquième (2), que cette justification ne se peut obtenir que par des dispositions précédentes, que la grâce de Dieu forme dans le coeur de l'homme. Et il explique dans le chapitre sixième, quelles doivent être les dispositions nécessaires pour être remis en grâce avec Dieu.

Mais le concile explique ces dispositions avec des termes si puissants et si formellement opposés à la doctrine contraire et à toutes les erreurs que l'on pourrait avancer sur ce sujet, qu'il ne faut que les rapporter en la manière que le Saint-Esprit les a inspirées pour en être convaincu: (3) Disponuntur ad ipsam justitiam dum excitati divina gratia et adjuti, fidem ex auditu concipientes libere moventur in Deum, credentes vera esse quæ divinitus revelata et promissa sunt, atque illud imprimis a Deo justificari impium per gratiam ejus per redemptionem quæ est in Christo Jesu, et dum peccatores se esse intelligentes a divine justitiæ timore quo utiliter concutiuntur ad considerandam Dei misericordiam se convertendo in spem eriguntur, fidentes Deum sibi propter Christum propitium fore, illumque tanquam omnis justitiæ fontem diligere incipiunt, etc. Les hommes, dit ce concile, sont disposés à la justification, lorsque prévenus et aidés de la grace de Dieu, et recevant la loi par l'ouïe ils se portent à Dieu par le mouvement libre, de leur volonté, en croyant comme vérités infaillibles, toutes les choses qu'il a révélées, et toutes les promesses qu'il a faites, et particulièrement que le pécheur est justifié par la gráce, par la rédemption qui est en JésusChrist; et lorsque se reconnaissant coupable, il a passé de la crainte de la justice divine, qui lui donne une frayeur salutaire, à la considération de la miséricorde de Dieu, et relevant leur espérance par la confiance qu'ils ont que Dieu leur sera propice par Jésus-Christ, ils commencent à l'aimer comme source de toute justice.

Il est certain que l'on peut considérer ces paroles, comme autant d'oracles pour détruire de fond en comble la doctrine de ceux

(1) Ibid. cap. 4. Quibus verbis justificationis impii descriptio insinuatur, ut sit translatio ab eo statu'in quo homo nascitur filius primi Adæ in statum gratiæ et adoptionis filiorum Dei per secundum Adam Jesum Chiristum salvatorem nostrum, quæ quidem translatio post Evangelium promulgatum sine lavacro regenerationis aut ejus voto fieri non potest.

(2) Ibid. cap. 5 Declarat justificationis exordium in adultis a Deo per Christum præveniente gratia sumendum esse.

15) Concil. Trid. sess. 6. De justific. cap. 6.

qui prétendent qu'une infinité de païens se sont sauvés et se sauvent encore par la seule lumière de la raison qui les porte à adorer Dieu sans aucune connaissance de JésusChrist. Y a-t-il donc aucun catholique qui puisse douter, après des décisions si claires de l'Eglise universelle, qu'aucun homme ne peut être justifié sans les dispositions de grâce que Dieu demande de nous; et que ces dispositions sont, 1° Qu'aidés de la grâce de Dieu, nous recevions sa foi, ce qui nous marque la nécessité de l'instruction divine par l'organe de l'Eglise et des prédicateurs qu'elle envoie pour avoir la foi véritable qui est né¬ cessaire pour être justifié;

2o De croire comme vérités indubitables les choses que Dieu nous a révélées, et les promesses qu'il nous a faites, ce qui marque encore l'impuissance de la raison pour nous donner cette foi, puisqu'il est entièrement impossible que la raison la plus éclairée du monde puisse deviner si Dieu a fait quelques promesses touchant le salut des hommes, et quelles peuvent être ces pro

messes;

3° Que le point qu'il est nécessaire de croire pour se disposer à la justification est que le pécheur est justifié par la grâce de Dieu, par la rédemption qui est en Jésus-Christ; et, par conséquent, ce serait démentir le concile que de vouloir faire passer pour justes et pour élus une infinité de personues qui n'ont jamais eu la moindre pensée de cette vérité fondamentale du christianisme;

4° Que nous nous devons reconnaître pour pécheurs et redevables de telle sorte à la justice divine que nous entrions avee raison dans la frayeur de ses jugements: ce qui nous apprend que ceux qui n'ont jamais eu que des pensées d'orgueil bien différentes de celles-là ne peuvent avoir eu de part à la rémission des péchés, qui ne se donne qu'aux humbles;

rance,

5° Qu'il faut passer de la crainte à l'espépar la confiance que la foi nous donne que Dieu nous sera propice par Jésus-Christ: d'où nous apprenons que toute autre confiance en la miséricorde de Dieu n'est fondée que sur l'erreur et sur une fausse présomption, étant très-vrai que sans le sacrifice de Jésus-Christ qui a apaisé la colère de son Père, et détourné la vengeance divine de dessus nos têtes, Dieu ne pourrait être considéré avec vérité que comme un juge inexorable. Il est donc absolument nécessaire pour es-pérer comme il faut en la miséricorde de Dieu, que la foi règle notre espérance, en Dous représentant le véritable sujet de notre confiance en Dieu, qui est l'intercession de son Fils, sans laquelle nous ne pourrions avoir la hardiesse de nous présenter devant sa face, que par une audace criminelle.

Cependant le concile de Trente n'en demeure pas là; et pour montrer comme la nécessité de cette foi ne reçoit point d'exception d'aucun temps ni d'aucun lieu, il définit

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