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des impiétés et des hérésies manifestes; qui ne se contentent pas de vouloir abuser des fautes de quelques nouveaux théologiens, au désavantage de la doctrine de l'Eglise; mais qui les augmentent encore beaucoup au delà de leur intention, et qui ne prennent jamais de leurs sentiments, que ce qu'il y a de défectueux, en y retranchant tout ce qu'il y a de véritable.

En effet, il n'en faut point d'autre exemple que celui que nous avons maintenant entre les mains. Il est évident que Tostat s'est trompé en ce qu'il a cru, qu'avant l'incarnation, les philosophes païens qui n'ont cu aucune connaissance du Rédempteur à venir, n'ont pas laissé d'être sauvés par le mérite de leur bonne vie. Mais le même Tostat reconnaît que pour le moins depuis l'incarnation, il est absolument impossible d'être sauvé, que par l'instruction de l'Evangile et la foi explicite de Jésus-Christ. Que doit donc faire un bon théologien catholique à cet égard? C'est sans doute de corriger la fausseté de la première proposition, par la vérité de la seconde; mais on voit au contraire que l'on s'efforce d'étouffer la seconde par la première; et il semble que pour anéantir généralement, et non seulement en partie le scandale de la croix, on veut soutenir qu'en tous les temps, depuis la création du monde jusqu'à nous, il s'est sauvé une infinité de païens pour avoir moralement bien vécu, quoiqu'ils ne fussent pas du nombre des fidèles, et qu'ils n'eussent jamais invoqué le Médiateur entre Dieu et les hommes, par lequel seul nous pouvons avoir accès vers le Père.

Nous voyons par là que les disciples de Tostat dans son erreur, sont plus coupables que leur maître, et que son autorité ne leur peut servir de rien pour les mettre à couvert de la censure de l'Eglisc; de même que l'Eglise ne laissa pas de condamner l'erreur de saint Cyprien sur la réitération du baptême que les donatistes soutenaient, quoiqu'elle conservât toujours un extrême respect pour la mémoire de saint Cyprien.

Et c'est ce qui a fait dire encore à Vincent de Lérins, que cela est arrivé par un ordre adorable de la Providence divine, afin de détruire l'artifice et la tromperie de ceux qui veulent couvrir du nom d'autrui, les hérésies qu'ils forment dans leur esprit. Ainsi, dit-il, (1) ils tâchent de trouver quelque endroit dans

(1) Commonit. cap. 7. Quod quidem mihi divinitus videtur promulgatum esse judicium propter eorum maxime fraudulentiam; qui cum sub alieno nomine hæresim concinnare machinentur, captant plerumque veteris cujuspiam viri scripta paulo involutius edita, quæ pro ipsa sui obscuritate dogmati suo quasi congruant, ut illud nescio quid quodcumque proferunt, neque primi, neque soli sentire videantur: quorum ego nequitiam duplici odio dignam judico, vel eo quod hæreseos venenum propinare aliis non extimescunt, vel eo etiam quod sancti cujusque viri memoriam, tan quam sopitos jam cineres profana manu ventilant, el que silentio sepeliri oportebat, rediviva opinione diffamant. Sequentes omnino vestigia auctoris sui Cham, qui nuditatem venerandi Noe non modo ope

les livres anciens, où un auteur ne s'explique pas

si clairement, et où l'obscurité de ses termes semble favoriser leurs erreurs, afin qu'ils ne paraissent pas avoir été les premiers ou les seuls qui aient publié leurs mauvaises maximes; c'est, ajoute Vincent de Lérins, en quoi leur malice paraît digne d'une double haine, el en ce qu'ils ne font point de scrupule de donner à boire aux autres les poisons de l'hérésie, et en ce qu'ils blessent la mémoire d'un homme saint, en remuant d'une main profane un feu déjà éteint, et en ressuscitant des opinions qui devaient demeurer ensevelies dans le silence. C'est ainsi qu'ils imitent Cham, qui non seulement négligea de couvrir la nudité de son père qu'il devait révérer, mais qui en alla encore parler aux autres, afin qu'ils se moquassent comme lui. Et c'est aussi ce qui le rendit si coupable, à cause qu'il avait offense la piété naturelle, que ses enfants mêmes furent enveloppés dans la malédiction que son péché avait méritée; mais ses bienheureux frères ne lui ressemblèrent pas, n'ayant pas voulu blesser par le regard seulement, la nudité d'un père si vénérable, ni l'exposer aux yeux des autres; ainsi ils la couvrirent en se tenant tournés d'un autre côté, pour ne la point voir, comme il est écrit dans l'Histoire sainte. Et cette action montre qu'ils n'approuvèrent ni ne publièrent la faute de ce saint homme; c'est pourquoi ils furent aussi récompensés d'une heureuse bénédiction dans toute leur postérité. CHAPITRE X.

Où l'on répond à l'autorité de Dominique Soto, qu'on prétend être favorable au sentiment du salut des païens.

Le troisième scolastique dont on apporte le témoignage pour autoriser ce sentiment, est Dominique Soto. On dit qu'il ne peut souffrir la doctrine de l'Ecriture sainte, des saints pères et de toute l'Eglise sur le salut des païens; que dans son traité de la Nature et de la Grâce, il la regarde comme injurieuse à la nature humaine; et qu'il soutient que le secours général de Dieu suffit au libre arbitre pour se porter au bien.

Mais on peut dire qu'il est très-aisé de répondre à cette autorité prétendue, en niant absolument que Dominique Soto ait dit dans son traité de la Nature et de la Grâce, ce qu'on lui attribue. Il ne dit quelques paroles approchantes de celles-là, que dans une question toute différente de celle dont il s'agit ici, et qui non seulement ne regarde point le salut des païens, mais on suppose au contraire la damnation: car il prétend seulement que les païens peuvent avec le secours géné.

rire neglexit, verum quoque irridendam cæteris enuntiaverit: unde tantam læsæ pietatis meruit offensam, ut etiam posteri ipsius peccati sui maledictis obligarentur beatis illis fratribus longe dissimilis, qui nuditatem ipsam reverendi patris, neque suis temerate oculis, neque alienis patere voluerunt, sed aversi, ut scribitur, texerunt eum. Quod est erratum sancti viri, nec approbasse, nec prodidisse, atque idcirco beata in posteros benedictione donati sunt.

ral de Dieu, sans une assistance particulière de sa grâce, faire quelques actions moralement bonnes, quoiqu'il avoue comme une vérité catholique, et qu'on ne peut désavouer sans tomber dans le pélagianisme, que ces bonnes œuvres morales, ne les ont point pu délivrer par elles-mêmes de la damnation, ni leur faire acquérir la vie éternelle.

C'est la question que Soto agite dans le vingt et vingt et unième chapitre de son premier livre de la Nature et de la Grâce, qu'il conclut par ces paroles auxquelles seules on peut rapporter ce qu'on en cite. Hæc pressius quam quispiam forte necessarium judicaverit, urgere conatus sum, quia non possum, fateor non ægre ferre quam hoc ætatis naturam humanam nonnulli prostraverint, affirmantes nihil prorsus boni in moribus liberum arbitrium auxilio generali Dei posse: at quicquid ab homine naturaliter procedat peccatum esse. Id quod semper absurdissimum existimavi

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Troisième partie.

OU L'ON RÉFUTE LES RAISONS QU'ON APPORTE POUR AUTORISER CE SENTIMENT, QUE LES PAIENS ONT PU ÊTRE SAUVÉS SANS LA FOI EN JÉSUS-CHRIST.

CHAPITRE PREMIER.

Réponse à la première raison qui est prise de la bonté de Dieu, à laquelle on prétend qu'il est contraire de soutenir que les païens n'ont pu être sauvés sans la foi en Jésus-Christ. Après avoir jusqu'ici examiné et expliqué les autorités des Ecritures saintes, des saints pères et des théologiens, et montré qu'il n'y en a aucun qui puisse servir à autoriser le sentiment du salut des païens ; il faut passer maintenant à examiner les raisons qu'on allègue aussi pour soutenir ce sentiment.

On dit premièrement qu'il est fondé sur la bonté de Dieu, qui veut, comme dit saint Paul, (I Timoth., II), que tous les hommes soient sauvés, ne les ayant créés que pour les rendre participants de la félicité éternelle, qui est leur fin dernière qu'ainsi on n'en doit pas exclure les païens, à cause qu'ils n'ont pas observé la loi de Moïse, puisque la plupart d'entre eux n'en ont eu aucune connaissance; et que d'ailleurs elle ne les obligeait pas, mais seulement le peuple hébreu à qui elle avait été particulièrement donnée. Qu'autrement il semble que Dieu aurait voulu les obliger à l'impossible, en leur proposant une fin où ils ne pouvaient pas arriver, ce qui ne pourrait être dit saus impiété et sans blasphème.

La première chose que l'on peut répondre à ce raisonnement, est qu'il ne touche en rien l'état de la question, ce qui est un des plus grands vices d'un raisonnement: car il ne s'agit pas dans notre dispute de savoir si les païens sont exclus du bonheur éternel, pour n'avoir pas observé la loi judaïque, puis

qu'on sait bien que toutes les cérémonies de la loi de Moïse n'obligeaient que les Israéfaut point chercher d'autre cause ni d'autre lites, et non les autres peuples; mais il ne raison de la damnation des païens, que le péché originel et que leurs propres péchés, (sans parler des secours qu'ils ont pu avoir et qu'ils ont négligés), dont il est impossible qu'ils aient pu être délivrés que par JésusChrist et par le sang de cet Agneau qui seul peut effacer les péchés du monde.

Or les païens n'ont pas été sauvés par Jésus-Christ, puisque par un juste jugement de Dieu, ils n'ont eu aucune connaissance du mystère ineffable de son incarnation qui est le fondement du salut. Et il est évident que pour sortir de leur état, ils n'ont jamais eu recours qu'à leurs propres forces et à leur propre vanité, sans s'adresser à cet unique Médiateur qui seul les pouvait affranchir de la servitude du démon.

Mais il faut bien remarquer que ce qui embarrasse sur ce sujet les esprits philosophiques, c'est qu'ils ne sont remplis que d'imaginations païennes. Ainsi, ils ne considèrent jamais l'homme qu'en la manière que tous les philosophes l'ont considéré, comme si, il était demeuré dans l'état d'innocence dans lequel Dieu l'avait créé, et que toute la nature humaine ne se fût pas rendue par sa désobéissance l'objet de la colère de Dieu, et n'eût pas mérité la damnation éternelle. C'est pourquoi ils s'imaginent qu'il y aurait de l'impiété et du blasphème à croire que Dieu aurait préparé aux païens une fin où ils n'auraient pu arriver avec la même facilité, que si l'homme n'eût pas péché. Cela serait

très-vrai, s'il s'agissait de la premièrc création de l'homme dans l'état d'innocence. Car il n'y a en effet rien de plus contraire aux lois éternelles et immuables de la justice divine, que de faire une créature intelligente et par conséquent capable de posséder Dieu, sans lui donner tous les moyens de parvenir à cette possession et de jouir éternellement de cet objet adorable, qui peut seul remplir ses désirs et la rendre bienheureuse.

Mais il est certain que de dire la même chose de l'homme déchu par son crime de l'état où Dieu l'avait mis, c'est ruiner le péché originel, c'est désavouer la damnation que nous avons tous encourue par la désobéissance d'Adam, comme dit saint Paul; c'est détruire absolument la religion chrétienne qui n'est fondée que sur Jésus-Christ, c'est anéantir sa croix, et vouloir qu'il soit mort en vain (Galatar. II): Ergo Christus gratis

mortuus est.

Et en effet, il paraît que les termes de blasphème et d'impiété, dont on accuse ceux qui ne sont pas dans le sentiment du salut des païens, ne peuvent avoir de fondement que dans celle imagination, que ce serait faire Dieu injuste, que de vouloir qu'il eût laissé les païens sans moyens pour parvenir actuellement à la fin qu'il leur avait proposée, qui est la béatitude éternelle. Or il n'y a jamais eu que les pélagiens qui aient eu ces sentiments, pour lesquels l'Eglise les a condamnés; et la même Eglise oblige tous les catholiques de croire comme des articles de la foi, que l'homme dans l'état de nature corrompue ne parviendra jamais à la béatitude éternelle sans le secours particulier de la grâce du Sauveur; que cette grâce n'est due à personne, mais dépend entièrement de la pure miséricorde de Dieu, et par conséquent qu'il n'y aurait pas le moindre prétexte d'accuser Dieu d'injustice, quand il la refuserait non seulement à quelques hommes en particulier mais à tous en général.

(1) Voilà ce que tout chrétien doit croire s'il veut être véritablement catholique, comme

(1) De Gratia et Lib. Arbitr. l. 1. cap. 4. Sit jam tertia propositio. Nulla esset in Deo iniquitas, si non solum aliquibus, sed etiam omnibus hominibus auxilium sufficiens ad salutem negaret. Hæc certissima est apud eos qui ex divinis litteris peccatum originale noverunt : nam cum per peccatum primi hominis nascamur omnes filii ire, ut Apostolus docet ad Ephes. II. nihil nobis jure debetur nisi pœna. Hinc Sap. XII. dicit Spiritus sanctus: Quis stabit contra judicium tuum, aut quis tibi imputabit si perierint nationes quas tu fecisti? Et Apostolus ad Rom. IX. demonstrat solam esse misericordiam qua Deus e massa perditionis aliqua vasa facit in bonorem: unde etiam vasa misericordiæ appellat; et ea causa est ut S. August. docet in epist. 105. cur pauci sint qui salvantur, ut nimirum intelligamus, quid omnibus deberetur. Denique prima gratia datur inimicis, ac per hoc modis omnibus est indebita. Nulli igitur fieret injuria, si ea gratia nemini præberetur. Itaque S. Aug. lib. de Bono persever. cap. 8. Non simus ingrati, quod tam multos liberat wisericors Deus de tam debità perditione, ut si inde neminem liberaret, non esset injustus.

dit le cardinal Bellarmin expressément en ces termes: Etablissons, dit ce cardinal, une troisième conclusion: Il n'y aurait en Dieu aucune injustice, quand il ne donnerait point de secours suffisants pour le salut, non seulement à quelques hommes, mais à tous en général. Cette proposition doit passer pour très-certaine et très-assurée parmi tous ceux à qui les Ecritures saintes ont donné la connaissance du péché originel: car puisque le péché du premier homme fait que nous naissons tous enfants de colère, comme dit l'Apôtre, de droit il ne nous est rien dû que le supplice. De là vient ce que dit le Saint-Esprit par la bouche du Sage: Qui s'élèvera contre votre jugement, ou qui vous reprochera la perte des nations que vous avez créées? Et saint Paul montre dans le chapitre IX de l'Epitre aux Romains, que c'est par pure miséricorde, que Dieu délivre quelques-uns de la masse de perdition pour en faire des vases d'honneur : d'où vient qu'il les appelle des vases de miséricorde. Et la raison, selon saint Augustin, dans l'Epitre 105, pourquoi il y a peu d'hommes sauvés, c'est pour nous donner à entendre par le grand nombre des damnés, que tous généralement méritaient de l'être. Enfin la première gráce est donnée à ceux qui sont encore ennemis de Dieu et ainsi, en quelque manière que ce soit, elle ne peut leur étre due. C'est pourquoi, dit excellemment saint Augustin dans le livre du Don de la persévérance, nous ne devons pas être ingrats envers Dieu, mais reconnaître combien sa miséricorde est grande, de délivrer tant de personnes d'une damnation si justement due à tous les hommes, qui encore qu'il n'en délivrat aucun, ne serait point injuste.

Mais pour ajouter aux raisons de Bellarmin qui sont très-solides un exemple qui ne reçoit point de réplique ; il est certain que quoi qu'on dit que Dieu a préparé généralement à tous les enfants, des moyens de parvenir au salut, on ne peut pas dire que ces moyens soient appliqués à ceux qui meurent dans les entrailles de leur mère, auxquels on ne peut pas donner le baptême, seul sacrement nécessaire, de toute nécessité, pour obtenir la vie éternelle. Cet exemple seul fait voir clairement que l'accusation du blasphème que l'on emploie contre le sentiment du salut des païens, retombe sur ceux qui la font, puisque trouvant qu'il y aurait de l'injustice en Dieu de laisser périr quelqu'un sans lui donner des moyens efficaces de parvenir à sa fin, il faut nécessairement que l'on croie Dieu injuste, de laisser mourir une infinité d'enfants dans une impossibilité tout entière d'arriver à leur fin qui est le bonheur éternel; car ils n'y peuvent arriver que par le baptême qu'il est impossible de leur conférer. Le silence de ces enfants ferme donc sur cela la bouche à tout le monde, comme le disait saint Augustin aux pélagiens Vobis ora obstruunt, et linguas premunt qui loqui nondum valent.

Et quant à ce que l'on prétend fonder le salut des païens sur ce que dit saint Paul,

que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, il faut, pour n'être point trompé dans l'intelligence de ce passage de saint Paul, en chercher le véritable sens dans les livres des saints docteurs qui l'ont expliqué contre les pélagiens et les sémi-pélagiens. Il n'est pas nécessaire d'en faire ici une longue discussion qui pourrait nous mener trop loin; mais on peut dire, sans s'arrêter à cette dispute, que le passage entier de saint Paul condamne manifestement le sentiment du salut des païens, comme saint Augustin l'a fort bien remarqué dans sa lettre 59, où il donne cet avertissement important qui renverse absolument l'opinion du salut des païens (Epistola jam 194, olim 59): Et ne quisquam diceret posse esse salutis viam in bona conversatione, et unius Dei omnipotentis cultu, sine participatione corporis et sanguinis_Christi`: unus enim Deus, inquit, et unus Mediator Dei et hominum homo Christus Jesus, ut illud quod dixerat, omnes homines vult salvos fieri, nullo alio modo intelligatur præstari nisi per Me diatorem, non Deum qui semper Verbum erat, sed hominem Christum Jesum, cum Verbum caro factum est et habitavit in nobis. Voici, dit-il, la signification des paroles de l'Apôtre : Afin que personne ne pût dire que l'on pouvait arriver au salut par la bonne vie et par le culte d'un seul Dieu tout-puissant, sans la participation du corps et du sang de Jésus-Christ, l'Apôtre ajoute ces paroles : car il y a un Dieu, et un Médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ, pour nous donner à entendre que ce qu'il avait dit auparavant, que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, ne se peut accomplir en aucune autre manière que par le Médiateur, non en tant que Dieu, ce que le Verbe a toujours été, mais en tant qu'homme et en tant qu'il est devenu Jésus-Christ, lorsque le Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous.

Ne peut-on pas dire ici que quand saint Paul aurait prévu (comme l'Esprit saint qui parlait en lui le prévoyait bien) que l'on abuserait un jour de ses divines paroles, pour établir la mauvaise doctrine touchant le salut des païens, il ne pouvait rien faire davantage pour empêcher ce mal, que de joindre ensemble, comme les causes principales et absolument nécessaires du salut, la reconnaissance d'un seul Dieu, et celle d'un seul Médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme, afin comme dit saint Augustin (Loco mox citato ex Epist. jam 149, olim 59), que personne ne conçût cette fausse opinion que jamais personne se pût sauver en vivant moralement bien, et en adorant un seul auteur de toutes choses sans aucune instruction du Médiateur, sans jamais invoquer ce nom divin dans lequel seul consiste toute l'espérance de notre salut, et enfin sans être inséré dans son corps par cette foi vive en Jésus-Christ qui nous fait devenir ses membres et une même chose avec lui.

C'est aussi ce qui vérifie ce que ce divin Médiateur dit autrefois à Nicodème (Joan.,

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Réponse à la seconde raison sur laquelle on prétend fonder le sentiment du salut des paiens, savoir : qu'il n'y a point en Dieu d'acception de personnes.

On ajoute à la première raison que nous venons d'examiner, que le même saint Paul nous assure (Non est acceptio personarum apud Deum. Romanor. 11; Ephes. VI; Colossens. III) qu'il n'y a point en Dieu d'acception de personne, et que cette sentence qui est de l'Ancien comme du Nouveau Testament, doit avoir lieu aussi bien à l'égard des païens qui ont vécu pendant le temps de la loi, que de ceux qui l'étaient auparavant. C'était là un des plus ordinaires arguments des pélagiens pour prouver, comme on le voudrait faire encore, qu'il n'y a personne qui n'ait son salut entre ses mains, sans avoir besoin du secours de la grâce. Il est vrai qu'il ne paraît pas si étrange dans la personne de ces hérétiques qui niaient le péché originel, au lieu qu'il est insupportable dans la bouche de ceux qui font profession de le reconnaître car l'acception de personne n'est autre chose qu'un vice contre la justice lorsque l'on préfère les uns aux autres dans la distribution des biens qui appartiennent également à tous. Or, qu'est-il dû à toute la nature humaine depuis sa révolte, que la peine et le supplice? Qui peut donc se mettre en l'esprit cette extravagante pensée, que Dieu se rend coupable d'acception de personnes, en distribuant ses grâces comme bon lui semble, à ceux qui n'en méritent aucune, et qui ne sont dignes que de sa colère et de sa vengeance; et délivrant ceux qu'il lui plaît d'une damnation qui est si justement due à tous les hommes, qu'on n'aurait aucun sujet de se plaindre de sa justice quand il n'en aurait délivré personne. Ceux qui tiennent ce langage (1), disait

(1) August. Epist. jam. 194. olim. 106, ad. Sixtum n. 4 et 5. Parum attendunt quod debita reddatur pœ na damnato indebita gratia liberato, ut nec ille se indignum queratur, nec dignum se iste glorietur, atque ibi potius acceptionem nullam fieri personarum, ubi una eademque massa damnationis et offensionis involvit, ut liberatus de non liberato discat quod etiam sibi supplicium conveniret nisi gratia subveniret, si autem gratia utique nullis meritis reddita, sed gratuita bonitate donata. Sed injustum est, inquiunt, in una eademque mala causa, hunc liberari, illum puniri. Nempe ergo justum est utrumque puniri. Quis hoc negaverit? Agamus ergo gratias Salvatori dum nobis non redditum cernimus, quod in damnatione

saint Augustin aux pélagrens qui se servaient des mêmes passages de l'Ecriture sainte pour établir la même doctrine, ne considèrent pas avec assez d'attention que la peine est due à ceux qu'il damne, et que la grâce n'est point due à ceux qu'il sauve, et que l'un a aussi peu de sujet de se plaindre comme s'il n'avait pas mérité la damnation, que l'autre de se glorifier comme s'il avait mérité le salut. Ainsi, bien loin qu'il y ait acception de personnes, il n'y en peut avoir aucune, puisque tout le monde est enveloppé dans une méme masse de péché et de condamnation; de sorte que ceux que Dieu sauve apprennent par l'exemple de ceux qu'il ne sauve pas quels supplices ils auraient encouru si la grâce ne les avait pas secourus; que si c'est par sa gráce, elle ne leur est donc pas accordée par leurs mérites, mais donnée par une bonté gratuite purement libérale.

Ils objecteront peut-être qu'il est injuste qu'en une même et également mauvaise cause, l'un soit sauvé et l'autre puni; mais je réponds que si cela est injuste, il est donc juste que l'un et l'autre soit puni; et qui le pourrait nier? Que nous reste-t-il donc, sinon de rendre grâces au Sauveur lorsque nous voyons qu'il ne nous a pas rendu ce que nous reconnaissons par la damnation de ceux qui étaient en même état que nous, qu'il nous devait rendre comme à eux? Car si tous les hommes étaient sauvés, on ne remarquerait pas ce que la justice doit au péché; et si nul ne l'étail, on ne verrait pas ce ue la grâce donne aux pécheurs.

CHAPITRE III.

Où l'on explique cette maxime de théologie, que Dieu ne refuse jamais sa grâce à ceux qui font ce qu'ils peuvent, sur laquelle on fonde le salut des païens.

On dit que c'est une maxime de théologie, que Dieu ne refuse jamais sa grâce à ceux qui font ce qu'ils peuvent pour s'en rendre dignes; et que les païens qui ont vécu vertueusement en suivant les lumières de la nature, et soumettant leur libre arbitre à la raison, ont fait ce qui était de leur pouvoir, puisqu'ils ne connaissaient point d'autre loi que la naturelle, et qu'ainsi on doit croire que Dieu ne leur a pas dénié sa grâce, et qu'ils peuvent être du nombre des bienheu

reux.

C'est là encore un langage tout pélagien, 1. en ce qu'il suppose, comme ces hérétiques, que la grâce et l'assistance divine se donne selon les mérites acquis par les forces de la nature, et non pas selon le bon plaisir de Dieu, qui la donne néanmoins souvent aux plus scélérats et aux pécheurs les plus abandonnés, comme à la pécheresse dont parle l'Evangile, à saint Matthieu, à Zachée, au bon larron, à saint Paul, et ne la donne

similium etiam nobis debitum fuisse se cognoscimus. Si enim omnis homo liberaretur, utique lateret quid peccato per justitiam debeatur; si nemo, quid gratia largiretur.

pas à ceux qui paraissent les plus vertueux, comme étaient les pharisiens parmi les juifs du temps de Notre-Seigneur, et Philon et Sénèque du temps des apôtres à Jérusalem et à Rome.

2° En ce qu'il suppose que la loi naturelle se peut accomplir par les seules forces du libre arbitre et de la raison. Mais comme ce sont les mêmes principes qu'établissaient autrefois les hérétiques Pélage et Célestius, son disciple, contre la véritable doctrine dé l'Eglise, il n'y a qu'à y répondre ce que l'Eglise y a répondu par l'organe du grand saint Augustin. Vous êtes pelagiens et célestiens, disait ce saint docteur à ces hérétiques, en ce que vous soutenez qu'il n'y a point d'homme qui ne soit libre à faire le bien sans la grace de Jésus-Christ: Liberum esse quemquam ad agendum bonum sine adjutorio Dei dicitis: hinc estis pelagiani et celestiani (Lib. II, de Nuptiis et Concupiscentia, cap. 3). Et c'est ce qui est principalement vrai selon le consentement de tous les théologiens lorsqu'il s'agit d'une observation de la loi naturelle qui soit de quelque considération en ce qui regarde le salut.

Quant à la maxime de théologie, il faut examiner dans quel sens on l'entend car si on ne la prend que dans le sens que saint Thomas (1) lui donne, et que lui doivent donner tous les catholiques, elle ne serait rien dans notre question, puisque ce saint docteur prétend que cette sentence: Facienti quod in se est Deus non denegat gratiam, ne veut dire autre chose, sinon que Dieu ne dénie point sa grâce à celui qui fait ce qui est en lui en tant qu'il est poussé de Dieu, et que la grâce lui donne le pouvoir d'implorer la grâce suivant cette vérité catholique de saint Prosper (2) Sans la grâce, personne ne court à la grâce : Sine gratid nemo currit ad gratiam. Saint Augustin dit la même chose Désirer la grâce est un commencement de grâce (August. lib. de Corrept. et Grat. cap. 1): Desiderare auxilium gratiæ, initium gratiæ est.

Mais prétendre que cette maxim de l'école nous puisse porter à croire que Dieu fût obligé de donner sa grâce à ces prétendus vertueux du paganisme, pour avoir suivi les lumières de la nature et de la raison, il faudrait auparavant nous avoir fail renoncer à toutes les maximes de la doctrine catholique: car, comme dit fort bien le cardinal Bellarmin (3), ceux qui eroient

(1) 1. 2. q. 109. articul. 6. ad. 2: Cum dicitur homo facere quod in se est; dicitur hoc esse in potestate hominis secundum quod est motus a Deo.

(2) Ad Capitul. Gallor. objection. 8. et carmine de ingratis. Perque ipsum nisi curratur, non itur ad ip

sam.

(3) De Gratia et Lib. Arbitr. lib. vi. cap. 6. Qui do cent hominem faciendo quod in se est, solis naturæ viribus ad gratiam præparari, aut opinantur eum suis viribus posse desiderare et petere a Deo gratiam, et hæc est hæresis pelagiana, ut ex concilio arausicano alisque testimoniis supra citatis probatum est: aut certe existimant posse hominem servare propriis viribus omnia præcepta moralia, et innocentem vilain

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