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cite, ne soutient point que ceux qui sont dans l'ignorance de Jésus-Christ puissent être sauvés en demeurant dans cette ignorance; mais que cette ignorance n'est pas en eux un péché, Inculpabilem illius ignorantiam habere. Or il faut n'être pas théologien pour confondre ces deux questions, si l'infidélité purement négative est péché ou si l'on peut être sauvé sans foi.

Casalius et tous les autres théologiens que l'on cite, reconnaissent la nécessité de la foi implicite au Médiateur, et ne réduisent pas cette foi implicite à une simple connaissance naturelle de la providence de Dieu, mais à une connaissance fondée sur la foi claire et distincte dans les chefs de la religion, et obscure et voilée dans les autres, mais dont l'objet est un Médiateur et un Réparateur. C'est ainsi que s'explique Sixte de Sienne, qui, bien loin d'être favorable au sentiment que l'on veut établir, apporte la solution au passage de saint Chrysostome, qui est la seule difficulté raisonnable que l'on puisse proposer sur ce sujet. Voici les paroles de cet auteur: Je croirais, dit-il, que saint Chrysostome n'a voulu parler que de cette foi et de cette connaissance que les scolastiques appellent explicite, c'est-à-dire une connaissance claire et distincte de tous les mystères de JésusChrist en particulier, que tous les justes n'ont pas eue avant la venue de Jésus-Christ; car il suffisait aux Juifs simples et moins éclairés d'avoir une connaissance générale de la rédemption du genre humain, et voilée sous les significations des sacrifices et des cérémonies. Et à l'égard des Gentils, si quelqu'un a obtenu le salut sans la connaissance du Médiateur, il leur a suffi d'avoir cette foi renfermée dans la foi en Dieu, c'est-à-dire de croire que Dieu serait le Sauveur du genre humain, selon l'ordre secret de la Providence révélé à quelques personnes inspirées de Dieu, et aux sibylles par un privilège particulier.

Léonard Aretin ne parle point du tout du salut des païens, mais seulement des maximes de l'honnêteté morale, qui sont de tout temps les mêmes.

Raphaël de Volterre ne dit point que Pythagore, Socrate, Aristide, Apollonius, Numa, Nasica, Paul Emile, les Catons, Sénèque, Trajan, Tite et les autres païens qui ont été éclairés des lumières de la sagesse, aient été faits participants de la vie éternelle avec Jésus-Christ qu'ils n'ont point connu; mais seulement que Dieu les a traités plus doucement que les autres : Et cum defunctis mi

tius actum extitisse.

Campanelle est si peu favorable au sentiment qui détruit la nécessité de la foi en Jésus-Christ, qu'il décide nettement dans le passage que l'on allègue, que les enfants et les adultes qui ont été sauvés parmi les Gentils, l'ont été par la foi. Il est vrai qu'il dit que les peuples à qui l'Evangile n'a pas encore été préché, ne sont pas obligés au baptéme, c'est-à-dire que l'omission du baptême et l'infidélité négative ne sont pas un péché en eux, ce que personne ne soutient. Mais DEMONST. ÉVANG. III.

il ne dit point qu'ils puissent être sauvés sans foi et sans baptême.

Jérôme Aléandre dit avec l'auteur du livre de la Vocation des Gentils, qu'on ne peut pas douter que quelques-uns des Gentils n'aient obtenu le salut avant la venue de Jésus Christ. Hé! qui en doute? Mais ils l'ont ob tenu, selon ce même auteur, par la foi en Jésus-Christ.

Saint François de Sales reconnaît des vertus morales et humaines dans les infidèles ; mais il déclare en même temps qu'elles ne peuvent pas être récompensées d'un loyer éternel. C'est aussi le sentiment de monsieur Cerisiers, qui assure que pas un de ceux qui reconnaissent les actions morales des païens pour bonnes, n'a assez de témérité pour assurer qu'elles soient suffisantes au bonheur de la vie éternelle.

Que reste-t-il donc à ceux qui voudraient soutenir que les païens qui ont vécu moralement bien, ont été sauvés sans la foi en Jésus-Christ, par la seule connaissance d'un Dieu et de sa providence? Ils ont pour protecteurs parmi les anciens (1) les simoniens et les gnostiques qui honoraient les images de Pythagore, de Platon, d'Aristote et des autres philosophes païens; les pélagiens qui prétendaient qu'avant la venue de JésusChrist on avait été sauvé par la loi naturelle ou par celle de Moïse, quoiqu'ils reconnussent que depuis sa venue on ne pût plus être sauvé sans la foi en Jésus-Christ en quoi ils étaient plus raisonnables que les nouveaux défenseurs du salut des infidèles, qui sauvent encore ceux qui n'ont point entendu parler de l'Evangile entre les auteurs du moyen âge, un certain Probus, prêtre de Mayence, qui, peut-être pour se divertir, avait entrepris de faire une satire, pour montrer que Cicéron, Virgile et les autres honnêtes païens étaient du nombre des élus, est blâmé par Loup de Ferrières (Lup., ép, 20), et son ouvrage a été enseveli dans les ténébres parmi les nouveaux, l'hérétique Zuingle, abandonné en cela de tous les autres: le Fèvre d'Etaples, qui a eu des sentiments particuliers, et quelques philosophes qui ne sont pas théologiens, comme est un Licétus, un Pierre Seguier, un Pierre du Jarric, un Horatius Tubero et quelques autres.

Mais quoique ces auteurs indignes d'être écoutés puissent dire, c'est une vérité constante et éternelle qui ne peut souffrir ni d'altération ni de prescription: qu'il n'y a point de salut par aucun autre que par JésusChrist; et que nul autre nom sous le ciel n'a été donné aux hommes, par lequel ils puiss ent être sauvés. Non est in alio aliquo salus, nec enim aliud nomen est sub cœlo datum hominibus, in quo oporteat nos salvos fieri. C'est une vérité sur laquelle la religion chrétienne est fondée, et à laquelle on ne peut donner atteinte sans ouvrir la porte au paganisme, au déisme et à l'indifférence des religions.

(1) S. Iren. l. 1. cont. Hrres. 1. xxiv; S. Epiph. Hæres. xxvII; S. Aug. et Theodoret. 1. de Hæresib.

(Quinze.)

Appendice

A L'OUVRAGE D'ARNAULD, TIRE D'UNE CONFÉRENCE DE M. FRAYSSINOUS.

Le rigorisme dont cet ouvrage n'est peutêtre pas tout à fait exempt et qui semble trahir le penchant de l'auteur pour les doctrines de Jansénius, pourra choquer, au premier abord, la piété du lecteur. Frappés nous-mêmes de la sévérité quelquefois un peu outrée des principes d'Arnaud, nous avons éprouvé le besoin de nous remettre sous les yeux le dogme catholique, dégagé de l'apparence même de l'exagération, et nous nous sommes reportés à une des conférences de M. Frayssinous ayant pour titre : Maximes de l'Eglise catholique sur le salut des hommes. La dernière partie de cette conférence détermine avec tant de clarté, de sagesse et de précision ce qu'il faut penser du sort des infidèles après cette vie, que nous n'avons pu résister au désir d'en tracer ici une esquisse rapide: elle pourra, au besoin, servir de correctif à l'âpreté du théologien de Port-Royal.

Après avoir, dans les deux premières parties de son discours, exposé et discuté la doctrine catholique sur le salut des hérétiques de bonne foi et sur l'avenir des enfants morts sans baptême, l'orateur transporte la question aux infidèles.

Il établit d'abord, comme autant de principes évidents et conformes à nos saintes Ecritures « Que Dieu demandera beaucoup à celui qui a reçu beaucoup, et moins à celui qui à moins reçu; que le serviteur qui, connaissant la volonté de son maître, ne la fait pas, sera sévèrement châtié, et qu'il n'en sera pas ainsi des autres; que Dieu, l'équité même, ne voudra pas recueillir là où il n'aura pas semé ; que ceux à qui le Ciel a départi avec plus d'abondance ses dons et ses lumières auront à rendre un compte plus rigoureux et plus étendu; » enfin : « que le degré de malice doit se mesurer en grande partie sur celui de l'intelligence.» Cette base une fois posée, et après quelques détails tendant à faire ressortir l'immense avantage des peuples éclairés par la révélation sur ceux auxquels la Providence a refusé ce bienfait, il conclut que « vouloir appliquer indistinctement aux actions des infidèles les règles par les quelles nous jugeons la moralité des nôtres, serait un rigorisme insensé. »

Appuyé sur ces premières considérations, il établit alors cette proposition : Les infidèles «ne seront pas jugés d'après l'Evangile,»> et cite, pour l'appuyer, le passage suivant de Bourdaloue (1): « Il faut, chrétiens, et cette pensée n'est pas de moi, mais de S. Jérôme,

(1) 1" Avent; Sermon pour le premier Dimanche, premier poin.

il faut bien établir dans nos esprits une vérité, à quoi peut-être nous n'avons jamais fait toute la réflexion nécessaire, que, dans le jugement de Dieu, il y aura une différence infinie entre un païen qui n'aura pas connu la loi chrétienne, et un chrétien qui, l'ayant connue, y aura intérieurement renoncé; ét que Dieu, suivant les ordres mêmes de sa justice, traitera l'un bien autrement que l'autre. On sait assez qu'un païen, à qui la loi de Jésus-Christ n'aura point été annoncée, ne sera pas jugé par cette loi, et que Dieu, tout absolu qu'il est, gardera avec lui cette équité naturelle, de ne pas le condamner pour une loi qu'il ne lui aura pas fait connaître; c'est ce que S. Paul enseigne en termes formels : Quicumque sine lege peccaverunt, sine lege peribunt (Rom. II, 12). »

Enfin, après avoir préparé les esprits par la discussion des principes généraux qu'il vient d'établir, l'illustre orateur aborde le fond de la question, et la résout avec autant de modération que de clarté et d'éloquence. Voici ce passage, trop court pour être abrégé, trop substantiel pour être analysé :

« Pourquoi donc Jean-Jacques et d'autres déclamateurs après lui semblent-ils supposer que, suivant la doctrine catholique, il y aura des hommes condamnés à des peines éternelles, précisément pour n'avoir pas connu une foi qu'il n'a pas été en leur pouvoir de connaître ? Cette supposition est chimérique. D'un côté, nul homme ne sera sauvé précisément parce qu'il est né à Rome, parce qu'il connaît et professe la foi véritable. La naissance peut être un avantage, elle n'est pas un mérite; si la foi est un don précieux, la foi sans les œuvres serait un don stérile. Le Dieu de vérité est aussi le Dieu de sainteté, et ne demande pas moins l'observance de sa loi, que la soumission à sa parole. D'un autre côté, nul ne sera condamné au tribunal de Dieu précisément pour être né dans les forêts du nouveau monde, ni précisément pour avoir ignoré les vertus chrétiennes. La naissance peut être un malheur, elle n'est pas un crime, et l'ignorance involontaire de la révélation n'est pas une faute punissable. Si le ciel fait briller la lumière aux yeux de l'infidèle, celui-ci ne peut la reje ter sans être coupable; mais s'il n'a pas eu, s'il n'a pu avoir le moyen de s'éclairer, alors son ignorance est invincible, il est excusable de ne pas connaître. La révélation chrétienne est une loi positive, et il est de la nature d'une loi de n'être obligatoire que lorsqu'elle est publiée et connue. Donc si l'infidèle se trouve condamné au tribunal du souverain Juge, ce ne sera que pour avoir violé ce qu'il

pouvait et devait connaître de cette loi intérieure qui se manifeste par la conscience. Que si Dieu ne juge pas cet infidèle d'après la loi chrétienne, s'il ne le punit point de ce qu'il n'a pas eu la foi, s'il ne le punit que pour des fautes qu'il pouvait éviter, s'il mesure la peine sur le degré de connaissance et de malice, où est l'injustice? Je ne placerai pas cet infidèle dans le royaume de la béatitude céleste; mais suivant sa conduite, il sera plus ou moins rapproché, dans sa destinée, des enfants morts sans baptême, dont nous avons déjà parlé. Nous pourrions nous borner là avec un incrédule; il n'en faut pas davantage pour faire évanouir la difficulté.

Mais la théologie chrétienne nous fournit encore de nouvelles lumières. D'une part, elle nous dit bien que l'homme, par les seules forces de sa nature, ne peut pas mériter la foi; que même la première grâce est entièrement gratuite: et celui qui avancerait que Dieu la doit comme récompense de quelque mérite précédent, acquis par la seule raison, tomberait dans une erreur souvent condamnée, celle des pélagiens. Mais en même temps nous disons que, parmi les infidèles, il n'en est pas un seul qui soit étranger au bienfait de la rédemption, aux grâces surnaturelles, fruit du sacrifice offert sur la croix pour le salut du monde; que si l'infidèle était docile

à ces premières impressions de grâce toute gratuite, il en recevrait de nouvelles, et que de lumière en lumière il pourrait arriver enfin à la connaissance de la vérité; que Dieu pourrait l'y conduire, soit par la voie ordinaire de la prédication, soit par une révélation spéciale, comme celle qui a été faite aux prophètes et aux apôtres, soit par des impressions intérieures dont il toucherait son âme avant sa mort, soit par d'autres moyens pris dans les trésors de sa puissance et de sa sagesse. Connaissons-nous toutes les opérations secrètes de Dieu dans les âmes, toutes les manières dont il peut les éclairer ? J'aime à croire qu'au grand jour de la manifestation, nous verrons éclater, a ce sujet, des prodiges de miséricorde, qui maintenant nous sont cachés, et qui raviront d'admiration les anges et les hommes. >>

L'orateur conclut en invoquant à l'appui de sa doctrine l'autorité des théologiens et en particulier celle de S. Thomas, dont il rappelle cette parole mémorable, que «Dieu dans sa bonté enverrait plutôt un ange à celui qui, aidé de sa grâce, le cherche dans la simplicite de son cœur, que de le laisser dans ses ténèbres; » puis il ajoute : « Par cette manière de penser, les théologiens, loin de dégrader la Divinité, ne font que donner une excellente idée de la grandeur de sa miséricorde. »>

VIE DE CHOISEUL

CHOISEUL du PLESSIS-PRASLIN (GILBERT de) embrassa l'état ecclésiastique, tandis que ses frères prenaient le parti des armes. Ils se distinguèrent tous également. L'abbé de Choiseul fut reçu docteur de Sorbonne en 1640, et nommé à l'évêché de Comminges en 1644. Choiseul donna une nouvelle face à son diocèse, par ses visites, par ses soins. Il nourrit ses pauvres dans les années de misère, assista les pestiférés dans un temps de contagion, établit des séminaires, réforma son clergé. Devenu évêque de Tournay en 1671, il s'y montra comme à Comminges. Ce prélat mourut à Paris en 1689, à 76 ans. Il avait été employé, en 1663, dans des négociations pour l'accommodement des disputes occasionnées par le livre de Jansénius. Il avait eu aussi beaucoup de part aux conférences qui se tinrent aux états du Languedoc, sur l'affaire des quatre évêques. Toutes ces négociations n'aboutirent à rien et ne servirent qu'à constater l'opiniâtreté des défenseurs du livre de Jansénius, et les liaisons trop étroites que Choiseul avait toujours eues avec ceux de ce parti. On a de lui plusieurs ouvrages: Mémoires touchant la religion, en 3 vol. in-12, contre les athées, les déistes, les libertins et les protestants, et vainement attaqués par ceux-ci. -- Une traduction française des psaumes, des cantiques et des hymnes de l'Eglise, réimprimée plusieurs fois. Mémoires des divers exploits du maréchal du Plessis Praslin, 1676, in-4° « Le maréchal du « Plessis, dit l'abbé Lenglet, a composé ces mémoires à la prière de Segrais, qui les mettait «<au net. Mais Gilbert de Choiseul, évêque de Tournay, les a revus et laissés dans l'état où

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CONTRE LES ATHÉES, LES DÉISTES ET LES LIBERTINS.

I.

L'esprit humain ne peut être en repos dans l'athéisme, et l'on ne saurait se

défaire entièrement de la créance dans laquelle sont toutes les nations qu'il y a une

divinité. Ce serait une folie insupportable de nier ce que tous les hommes croient, et de prétendre être sage tout seul en désavouant une vérité si généralement reconnue.

II. Il y a des philosophes qui ont découvert que nous avons tous une certaine prévention, que Cicéron appelle anticipation, c'est-à-dire une persuasion qui vient du fond de la nature même, par laquelle, indépendamment de tout raisonnement et antérieurement à toutes nos connaissances, nous sommes emportés par une lumière qui naît avec nous, et comme forcés d'avouer qu'il y a une divinité de laquelle nous dépendons.

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III. Outre ce préjugé du sentiment de tous les peuples, et cette lumière anticipée qui nous est donnée avec l'être, le raisonnement nous conduit par des conséquences très-justes à reconnaître qu'il y a un Dieu : et il se faudrait faire une étrange violence pour conclure qu'il n'y en a point.

IV. Il faut nécessairement qu'il y ait quelque être qui soit éternel et qui n'ait jamais eu de commencement. Il est vrai, qu'à considérer l'éternité en elle-même, l'esprit humain se perd aisément, en remontant dans cette infinité de siècles que l'imagination se représente, et l'on ne comprend pas facilement que quelque chose ait été et n'ait jamais commencé d'être. Il y en cela je ne sais quoi qui choque notre esprit, et nous donnons volontiers un commencement à tout ce que nous connaissons. Mais d'un autre côté, si l'on se représentait que tout eût commencé, il faudrait se figurer que tout serait sorti du sein du néant, sans qu'aucune main l'en eût tiré; ce qui donne rait encore beaucoup plus de peine à notre esprit.

Ainsi, dans la nécessité d'avouer, ou qu'il y a quelque être éternel, ou que tous les étres ont un commencement, l'esprit est plus satisfait de reconnaître l'éternité de quelque chose, que l'éternité d'un néant général; et quelle apparence y a-t-il que tous les êtres aient commencé et soient par conséquent sortis par eux-mêmes et sans secours de ce néant qui, n'étant rien en soi, ne peut rien aussi pour leur production.

V. — S'il faut nécessairement avouer qu'il y a quelque chose d'éternel, l'esprit humain se porte plus aisément à se persuader qu'il y a un être éternel, intelligent, qui a réglé tout le reste des êtres, qu'à se former l'idée seulement d'une nature aveugle, téméraire et fortuite.

La forme, la figure, la distinction, la vicissitude et la subordination de tout ce que nous voyons dans la vaste étendue du monde, marque qu'il y a eu de l'intelligence. Car l'ordre est l'ouvrage de la raison. Ce qui se fait par artifice parmi nous, en est une preuve assez visible. Nous ne voyons point que le hasard, ou la nature seule fasse des palais, des habits, des statues, des peintures, des horloges et mille autres choses que nous estimons et quelquefois que nous admirons. L'art conduit et réglé par l'esprit

humain fait tout cela. Pourquoi n'avoueronsnous pas que ce que nous voyons dans la nature, qui est sans comparaison plus beau, plus grand, plus industrieux, plus parfait que ce que nous formons, a été fait par une intelligence supérieure à la nôtre ?

Non seulement les hommes, mais les animaux mêmes, qui sont inférieurs à l'homme, ont de l'art. Ils se bâtissent des nids, se creusent des cavernes, font des magasins et des provisions pour leur subsistance, se mettent à couvert de l'injure des saisons; trouvent des remèdes à leurs maladies; et l'expérience nous fait voir qu'on ne doit attribuer toutes ces choses qu'à leur industrie. Pourquoi la structure seule de l'univers serait-elle l'ouvrage du hasard ? N'est-il pas juste de dire que plus nous approchons de la suprême intelligence, plus nos ouvrages sont parfaits; et que c'est pour cela que ceux des hommes sont plus excellents que ceux des autres animaux, et que ceux du premier être surpassent infiniment les nôtres L'esprit humain est assurément plus content de penser ainsi, que de ne reconnaître aucune raison au-dessus de la nôtre. Or cette intelligence supérieure à toute autre, est ce que nous appelons Dieu.

Il n'est donc rien de plus raisonnable que de confesser qu'il y a un Dieu : et je ne crois pas qu'il y ait un homme sur la terre qui soit entièrement confirmé dans l'athéisme, et qui ne reconnaisse effectivement aucune divinité ou s'il y en a qui se soient bien formé l'habitude de cette horrible erreur, ils sont en si petit nombre, qu'on peut dire, à considérer la multitude de ceux qui sont d'un sentiment contraire, qu'il n'y a personne qui la soutienne.

Comment se pourrait-il faire qu'on niât absolument la divinité? Mille raisons nous portent à la reconnaître, et il n'y en a nulle positive qui persuade absolument qu'il n'y en a point. A la vérité il y a des hommes qui, emportés par leurs passions, voudraient qu'il n'y eût point de Dieu qui punit leurs crimes mais nul ne trouve dans le fond de sa raison de quoi se convaincre que la créance de la divinité est une illusion: et tout ce que peut faire la plus fine impiété des ennemis de Dieu, est de trouver de mauvaises réponses aux raisons sur lesquelles la religion appuie la créance qu'ils ont résolu de détruire. Mais si on les presse de donner à leur tour des raisons qui persuadent leur prétendu athéisme, ils n'en ont point, et leur esprit ne saurait venir au secours de leur cœur. De sorte que nous pouvons dire tout le contraire de ce que disait ce philosophe impie et libertin, qui assurait plutôt par le plaisir de dire un bon mot, que par une véritable conviction, que c'était la crainte qui avait établi la créance de la divinité, Primus in Orbe deos fecit timor (Lucret.): car c'est au contraire la seule crainte des châtiments qui fait que quelques-uns cherchent à se persuader qu'il n'y a point

de Dieu.

VI. Il est vrai qu'il est difficile de con

cevoir un être qui ne tombe pas sous les sens. Notre esprit est tellement lié à notre corps et à ce qui est matériel, qu'il lui est comme impossible de s'en dégager et de s'élever au-dessus. Néanmoins comme il est plus aisé, plus naturel et plus raisonnable de rapporter tout à une divinité, que de fouiller dans le sein de la nature, et de creuser inutilement pour trouver les causes de tous les effets dont nous voyons un si merveilleux enchaînement, il n'est pas juste d'assujettir si servilement notre raison à nos sens, que nous démentions ce qu'elle nous suggère, parce que nos sens n'en sont pas d'accord: il faut au contraire que nous assujettissions nos sens à la raison et qu'elle s'assujetisse elle-même à reconnaître cet être souverain qui, étant le formateur, le conservateur et le modérateur de tous les autres, ne doit avoir aussi aucune borne dans l'étendue de sa substance, dans sa durée, dans sa sagesse, dans sa bonté et dans toutes les autres perfections nécessaires pour gouverner le monde.

VII. Nous pouvons même aisément guérir notre esprit de la peine qu'il souffre å se former l'idée d'un être qui ne tombe pas sous nos sens, si nous pensons, qu'à quelque philosophie que nous nous arrêtions, il faut nécessairement que nous concevions des choses qui ne frappent jamais les sens. Plusieurs philosophes soutiennent qu'il y a une matière première qui doit être perfectionnée par des formes substantielles, et embellie de divers accidents qui sont encore d'autres formes. Il y en a qui sont persuadés qu'un concours d'atomes formé tout le monde, et que le seul arrangement des parties fait la différence de tous les composés. D'autres admettent du vide entre ces atomes accrochés les uns aux autres; quelques-uns disent qu'une matière subtile remplit les espaces qui sont entre ces atomes; mais tous ces philosophes ne sont-ils pas obligés d'avouer que, ni la matière première, ni les atomes de Démocrite et d'Epicure, ni toute cette matière subtile que Descartes fait entrer dans la composition des corps, ne tombent pas sous nos sens, si l'on prend tous ces êtres séparément les uns des autres? II n'y a rien de tout cela que nos sens puissent apercevoir, n'y en ayant aucun qui soit assez subtil pour découvrir toutes ces choses en elles-mêmes la raison seule les aperçoit et nous fait concevoir que le composé se peut résoudre en toutes les différentes parties qui ont concouru à le former.

S'il y a encore d'autres philosophes qui nient tout ce que nous venons de dire, et qui doutent de tout, comme les sceptiques, ou qui se forment d'autres idées, il n'y en a nul qui ne soit au moins obligé d'avouer qu'il y à quelque chose de caché dans la nature qui ne frappe point nos sens. Les plantes et les minéraux croissent, les animaux sentent, les hommes raisonnent, tous vivent et se meuvent, quel en est le principe?

Que la philosophie donne aux uns l'âme végétative, aux autres la sensitive, aux au

tres la raisonnable: qu'elle se figure, si elle veut, que tout est composé de machines et de ressorts comme une horloge; qu'elle attribue encore, s'il lui plait, tous ces différents effets à une cause universelle, et qu'il l'appelle l'esprit intérieur de la nature, l'âme, la forme du monde, ou tout ce qu'on voudra: qu'elle doute même de tout ce que cela peut être, il est constant qu'il y a un principe de vie, de mouvement, d'action, de sentiment, de raisonnement qui ne tombe pas sous les sens, et qu'il faut toutefois reconnaître, malgré que nous en ayons.

Ce n'est donc point une raison de n'avouer pas qu'il y a un Dieu, parce qu'il ne nous est pas sensible. Nous pouvons bien dire que nous ne saurions comprendre la nature de Dieu, et que nous la pouvons beaucoup moins connaître et définir que ce qui nous est le plus caché dans la nature; mais si nous sommes d'ailleurs persuadés, par de bonnes raisons qu'il y a un Dieu, c'est-àdire un être intelligent, qui gouverne tout, quoique nous n'en comprenions pas les perfections, et si nous avons des arguments qui nous forcent de l'avouer, c'est un étrange déréglement de vouloir, de gaieté de cœur, nier une vérité qui met notre esprit et notre raison en repos, seulement a cause que nos sens n'en sont pas les témoins.

Et puisqu'il est impossible que nous ne confessions point que nos sens n'aperçoivent pas tout ce qu'il y a dans la nature, n'est-ce pas être athée sans fondement et même sans pretexte, que de nier la divinité, parce que Dieu n'est pas assez grossier pour être palpable ou pour être vu des yeux du corps. Il y a donc un Dieu.

VIII. Il y a un Dieu: donc Jésus-Christ est Dieu. Cette conséquence ne paraît pas d'abord fort claire ni fort liée au principe dont elle est tirée: il n'y en eut néanmoins jamais de plus sûre, et il ne peut y avoir de raisonnement mieux lié que celui-ci, quelque obscur qu'il soit avant que d'être développé.

IX. Supposé qu'il y ait un Dieu, il faut nécessairement que son témoignage soit toujours véritable. Dieu doit n'avoir aucune imperfection, ni dans sa puissance, ni dans sa connaissance, ni dans sa bonté. S'il est le principe de toutes choses, il faut que tout soit sous sa main; et c'est être tout-puissant. S'il doit tout régler, rien ne doit échapper à ses lumières et à sa vue; et c'est être infiniment sage. S'il conserve tout, il aime tout; et c'est avoir une bonté sans mesure. Or quiconque dit une fausseté, il la dit, ou parce qu'ayant trop de faiblesse pour faire ce qu'il dit, il veut couvrir cette faiblesse par le mensonge, ou parce qu'il se trompe par le défaut de lumière, ou enfin, parce qu'il trompe les autres par malice: tout cela est incompatible avec cette puissance, cette sagesse, et cette bonté infinie de Dieu; il est donc très-véritable dans ses paroles.

X.-Dieu est véritable: donc il n'y a rien de plus raisonnable que de croire ce qu'il dit ou ce qu'il fait connaître par quelque voie que

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