Images de page
PDF
ePub

sa mort. Tout ce qu'il y a de grand dans le monde s'unit contre cette religion naissante, les savants, les sages, les rois : les uns écrivent, les autres condamnent, les autres tuent. Et malgré toutes ces oppositions voilà JésusChrist, en peu de temps, régnant sur les uns et les autres, et détruisant et le culte judaïque dans Jérusalem, qui en était le centre et dont il fait sa première Eglise, et le culte des idoles dans Rome, qui en était le centre et dont il fait sa principale Eglise.

Des gens simples et sans force, comme les apôtres et les premiers chrétiens, résistent à toutes les puissances de la terre, se soumettent les rois, les savants et les sages, et détruisent l'idolâtrie si établie; et tout cela se fait par la seule force de cette parole qui l'avait prédit.

Les Juifs, en tuant Jésus-Christ pour ne pas le recevoir pour Messie, lui ont donné la dernière marque de Messie; en continuant à le méconnaître ils se sont rendus témoins irréprochables, et en le tuant et continuant à le renier ils ont accompli les prophéties.

Qui ne reconnaîtrait Jésus-Christ à tant de circonstances particulières qui en ont été prédites? car il est dit:

Qu'il aura un précurseur (Malach., III, 1);
Qu'il naîtra enfant (Is., IX, 6);

Qu'il naîtra dans la ville de Bethléem (Mich., V, 2); qu'il sortira de la famille de Juda (Gen., LXIX, 8 et suiv.) et de la postérité de David (II Rois, VII, 12 et suiv.; Is., VII, 13 et suiv.); qu'il paraitra principale ment dans Jérusalem (Malach., III, 1; Agg., II, 10);

Qu'il doit aveugler les sages et les savants Is., VI, 10), et annoncer l'Evangile aux pauvres et aux petits (Id., LXI, 1); ouvrir les yeux des aveugles et rendre la santé aux infirmes (Id., XXXV, 5 et 6), et mener à la lumière ceux qui languissent dans les ténèbres (Id., XLII, 16);

Qu'il doit enseigner la voie parfaite (Id., XXX, 21), et être le précepteur des Gentils (Id., LV, 4);

Qu'il doit être la victime pour les péchés du monde (Id., LIII, 5);

Qu'il doit être la pierre fondamentale et précieuse (Id., XXVIII, 16);

Qu'il doit être la pierre d'achoppement et de scandale (Id., VIII, 14);

Que Jérusalem doit heurter contre cette pierre (Id., VII, 15);

Que les édifiants (1) doivent rejeter celle pierre (Ps. CXVII, 22);

Que Dieu doit faire de cette pierre le chef du coin (2) (Ibid.);

Et que cette pierre doit croître en une montagne immense, et remplir toute la terre (Dan., II, 35);

Qu'ainsi il doit être rejeté (Ps. CXVII, 22), méconnu (Is., LIII, 2 et 3), trahi (Ps. XL, 10), vendu (Zach., XI, 12), souffleté (Is., L, 6), moqué (Id., XXXIV, 16), affligé en unc

(1) Edificantes, ceux qui travaillent à l'édifice du temple spirituel où Dieu vent habiter.

(2) C'est-à-dire de l'angle qui doit réunir les deux peuples, le juif a gentil, dans l'adoration du même Dieu.

infinité de manières (Ps. LXVIII, 27), abreuvé de fiel (Ps. LXVIII, 22); qu'il aurait les pieds et les mains percés (Ps. XXI, 17), qu'on lui cracherait au visage (Is., L, 6); qu'il serait tué (Dan., IX, 26), et ses habits jetés au sort (Ps. XXI, 19);

Qu'il ressusciterait le troisième jour (Ps. XV, 10; Osée, VI, 3);

Qu'il monterait au ciel (Ps. XLVI, 6; et Ps. LXVII, 19), pour s'asseoir à la droite de Dieu (Ps. CIX, 1);

Que les rois s'armeraient contre lui (Ps. II, 2);

Qu'étant à la droite du Père, il sera victorieux de ses ennemis (Ps. CIX, 5);

Que les rois de la terre et tous les peuples l'adoreraient (Ps. LXXI, 11);

Que les Juifs subsisteront en nation (Jér.. XXXI, 36);

Qu'ils seront errants (Amos, IX, 9), sans roi, sans sacrifice, sans autel, etc. (Osée, III, 4), sans prophètes (Ps. LXXIII, 9), attendant le salut, et ne le trouvant point (Is., LIX, 9; Jér., VIII, 15).

III. Le Messie devait lui seul produire un grand peuple, élu, saint et choisi; le conduire, le nourrir, l'introduire dans le lieu de repos et de sainteté ; le rendre saint à Dieu, en faire le temple de Dieu, le réconcilier à Dieu, le sauver de la colère de Dieu, le délivrer de la servitude du péché, qui règne visiblement dans l'homme; donner des lois à ce peuple, graver ces lois dans leur cœur; s'offrir à Dieu pour eux, se sacrifier pour eux, être une hostie sans tache, et lui-même sacrificateur : il devait s'offrir lui-même et offrir son corps et son sang, et néanmoins offrir pain et vin à Dieu. Jésus-Christ a fait tout cela.

Il est prédit qu'il devait venir un Libérateur qui écraserait la tête au démon, qui devait délivrer son peuple de ses péches: Er omnibus iniquitatibus (Ps. CXXIX, 8); qu'il devait y avoir un nouveau Testament qui serait éternel; qu'il devait y avoir une autre prêtrise selon l'ordre de Melchisédech; que celle-là serait éternelle; que le Christ devait être glorieux, puissant et fort, et néanmoins si misérable qu'il ne serait pas reconnu; qu'on ne le prendrait pas pour ce qu'il est, qu'on le rejetterait, qu'on le tuerait; que son peuple, qui l'aurait renié, ne serait plus son peuple; que les idolâtres le recevraient et auraient recours à lui; qu'il quitterait Sion pour régner au centre de l'idolâtrie; que néanmoins les Juifs subsisteraient toujours; qu'il devait sortir de Juda, et quand il n'y aurait plus de roi.

IV. Qu'on considère que depuis le commencement du monde l'attente où l'adoration do Messie subsiste sans interruption; qu'il a été promis au premier homme aussitôt après sa chute; qu'il s'est trouvé depuis des hommes qui ont dit que Dieu leur avait révélé qu'il devait naître un Rédempteur qui sauverait son peuple (1); qu'Abraham est venu ensuite

(1) C'est-à-dire des hommes qui ont transmis de race en race, depuis Adam jusqu'à Noé, et depuis Noé jusqab Abraham, la promesse qui en avait été faîte au prenner homme. Voyez part. II, art. 4, § 5, où l'auteur entre dass quelques développements à ce sujet.

dire qu'il avait eu révélation qu'il naftrait de lui, par un fils qu'il aurait; que Jacob a déclaré que de ses douze enfants ce serait de Juda qu'il naîtrait; que Moïse et les prophètes sont venus ensuite déclarer le temps et la manière de sa venue; qu'ils ont dit que la loi qu'ils avaient n'était qu'en attendant celle du Messie; que jusque-là elle subsisterait, mais que l'autre durerait éternellement ; qu'ainsi leur loi ou celle du Messie, dont elle était la promesse, serait toujours sur la terre; qu'en effet elle a toujours duré, et qu'enfin JésusChrist est venu dans toutes les circonstances prédites. Cela est admirable.

Si cela était si clairement prédit aux Juifs, dira-l-on, comment ne l'ont-ils pas cru? ou comment n'ont-ils pas été exterminés pour avoir résisté à une chose si claire! je réponds que l'un et l'autre a été prédit, et qu'ils ne croiraient point une chose si claire, et qu'ils ne seraient point exterminés. Et rien n'est plus glorieux au Messie; car il ne suffisait pas qu'il y eût des prophètes; il fallait que leurs prophéties fussent conservées sans soupçon. Or, etc.

V. Les prophètes sont mêlés de prophéties particulières et de celles du Messie, afin que les prophéties du Messie ne fussent pas sans preuves, et que les prophéties particulières ne fussent pas sans fruit.

Non habemus regem nisi Cæsarem', disaient les Juifs (Joann., XIX, 15). Donc JésusChrist était le Messie: puisqu'ils n'avaient plus de roi qu'un étranger, et qu'ils n'en voulaient point d'autre.

Les septante semaines de Daniel sont équivoques pour le terme du commencement, à cause des termes de la prophétie, et pour le terme de la fin, à cause des diversités des chronologistes; mais toute cette différence ne ya qu'à deux cents ans (1).

(1) Il y a évidemment faute ici, et il est surprenant que de tous les éditeurs qui m'ont précédé, celui de 1787 soit le seul qui l'ait fait observer. Pascal, comme on l'a dit, écrivait ses pensées à la hâte, sans suite et comme de simples notes; il y a tout lieu de présumer qu'en voulant meure 20 ans, il aura, par inadvertance, ajouté un zéro qui a formé 200. Pour justifier cette présomption, je ne puis mieux faire que dé rapporter ici la note de l'éditeur de 1787.

• Avant Jésus-Christ, la différence dont il est ici question ne pouvait rouler que sur environ quatre-vingts ans, depuis le premier ordre donné par Cyrus pour renvoyer les Juifs à Jérusalem, vers l'an 536 avant notre ère vulgaire, jusqu'au dernier ordre donné par Artaxerxès (LongueMain) pour le rétablissement des murs de Jérusalem, vers l'an 454. Depuis Jésus-Christ, la différence ne roule plus que sur environ vingt ans : car les chronologistes conviennent assez que les septante semaines ne peuvent commencer que sous le règne d'Artaxerxès (Longue-Main); mais les uns les prennent de la permission donnée à Esdras par ce prince dans la septième année de son règne, et les autres les prennent de la permission donnée à Néhémias par ce mêine prince dans la vingtième année : les uns comptent ces années depuis son association à l'empire par son père Xerxès, vers l'an 474, avant notre ère vulgaire; en sorte que la septième année tomberait en 467, qui est l'année de la mort de Xerxès : les autres les comptent depuis la mort de Xerxès, en sorte que la vingtième tomberait en 447; ce qui donne précisément un intervalle de vingt ans, depuis 467 jusqu'à 447: Les uns pensent que les années dont parle Daniel sont des années lunaires; les autres les prennent pour des années solaires. Enfin tous varient sur l'époque précise de la septième et de la vinglième année; mais aussi tous s'accordent à mettre ces

Les prophéties qui représentent JésusChrist pauvre le représentent aussi maître des nations (Is., LIII, 2 et suiv.; Zach., IX, 9, 10).

Les prophéties qui prédisent le temps ne le prédisent que maître des Gentils et soufrant, et non dans les nues, ni Juge : et celles qui le représentent ainsi, jugeant les nations et glorieux, ne marquent point le temps.

Quand il est parlé du Messie comme grand et glorieux, il est visible que c'est pour juger le monde et non pour le racheter (Is., LXVI, 15, 16).

ARTICLE XII.

Diverses preuves de Jésus-Christ.

1. Pour ne pas croire les apôtres, il faut L'un et l'autre est difficile. Car, pour le predire qu'ils ont été trompés ou trompeurs. mier, il n'est pas possible de s'abuser à prendre un homme pour être ressuscité; et pour l'autre, l'hypothèse qu'ils aient été fourbes est étrangement absurde. Qu'on la suive tout au long; qu'on s'imagine ces douze hommes assemblés après la mort de JésusChrist, faisant le complot de dire qu'il est ressuscité. Ils attaquent par là toutes les puissances. Le cœur des hommes est étrangement penchant à la légèreté, au changement, aux promesses, aux biens. Si peu qu'un d'eux se fût démenti par tous ces attraits, et, qui plus est, par les prisons, par les tortures et par la mort, ils étaient perdus. Qu'on suive cela.

Tandis que Jésus-Christ était avec eux, il pouvait les soutenir. Mais après cela, s'il ne leur est apparu, qui les a fait agir?

II. Le style de l'Evangile est admirable en une infinité de manières et entre autres en ce qu'il n'y a aucune invective de la part des historiens contre Judas ou Pilate, ni contre aucun des ennemis ou des bourreaux de Jésus-Christ.

Si cette modestie des historiens évangéliques avait été affectée aussi bien que tant d'autres traits d'un si beau caractère, et qu'ils ne l'eussent affectée que pour la faire remarquer; s'ils n'avaient osé la remarquer euxmêmes, ils n'auraient pas manqué de se procurer des amis qui eussent fait ces remarques à leur avantage. Mais comme ils ont agi de la sorte sans affectation et par un mouvement tout désintéressé, ils ne l'ont fait remarquer par personne : je ne sais même si cela a été remarqué jusqu'ici; et c'est ce qui témoigne la naïveté avec laquelle la chose a été faite.

III. Jésus-Christ a fait des miracles, et les apôtres ensuite; et les premiers saints en ont fait aussi beaucoup; parce que les prophéties n'étant pas encore accomplies et s'accomplissant par eux, rien ne rendait témoignage que les miracles. Il était prédit que le Messie convertirait les nations. Comment cette prophéție se fût-elle accomplie sans la conversion deux époques dans l'intervalle de ces vingt années, depuis 467 jusqu'à 447. »

Ces faits et les opinions des chronologistes ne pouvaient être ignorés de Pascal: comment pourrait-il donc se faire qu'il eût mis derx cents ans en connaissance de cause, et par là, affaibli volontairement l'autorité des prophéties, on ne peut raisonnablement le supposer, (Edit. de 1812).

des nations; et comment les nations se fussent-elles converties au Messie, ne voyant pas ce dernier effet des prophéties qui le prouvent? Avant donc qu'il fût mort, qu'il fût ressuscite, et que les nations fussent converlies, tout n'était pas accompli; et ainsi il a fallu des miracles pendant tout ce temps là. Maintenant il n'en faut plus pour prouver la vérité de la religion chrétienne; car les prophéties accomplies sont un miracle subsistant.

IV. L'état où l'on voit les Juifs est encore une grande preuve de la religion. Car c'est une chose étonnante de voir ce peuple subsister depuis tant d'années, et de le voir toujours misérable étant nécessaire pour la preuve de Jésus-Christ, et qu'ils subsistent pour le prouver, et qu'ils soient misérables puisqu'ils l'ont crucifié; et quoiqu'il soit contraire d'être misérable et de subsister, il subsiste néanmoins toujours malgré sa misère.

Mais n'ont-ils pas été presque au même état au temps de la captivité? non. Le sceptre ne fut point interrompu par la captivité de Babylone, à cause que le retour était promis et prédit. Quand Nabuchodonosor emmena le peuple, de peur qu'on ne crût que le sceptre fût ôté de Juda, il leur fut dit auparavant : qu'ils y seraient peu, et qu'ils seraient rétablis. Ils furent toujours consolés par les prophètes, et leurs rois continuèrent. Mais la seconde destruction est sans promesse de rétablissement, sans prophètes, sans roi, sans consolation, sans espérance: parce que le sceptre est ôté pour jamais.

Ce n'est pas avoir été captif que de l'avoir été avec assurance d'être délivré dans soixante-dix ans. Mais maintenant ils le sont sans aucun espoir.

Dieu leur a promis qu'encore qu'il les dispersât aux extrémités du monde, néanmoins s'ils étaient fidèles à sa loi, il les rassemblerait. Ils y sont donc très-fidèles, et demeurent opprimés. Il faut donc que le Messie soit venu, et que la loi qui contenait ces promesses soit finie par l'établissement d'une loi

nouvelle.

V. Si les Juifs eussent été tous convertis par Jésus-Christ, nous n'aurions plus que des témoins suspects; et s'ils avaient été exterminés, nous n'en aurions point du tout.

Les Juifs le refusent, non pas tous. Les saints le reçoivent, et non les charnels. Et fant s'en faut que cela soit contre sa gloire, que c'est le dernier trait qui l'achève. La raison qu'ils en ont, et la seule qui se trouve dans leurs écrits, dans le Talmud et dans les rabbins, n'est que parce que Jésus-Christ n'a pas dompté les nations à main armée. Jésus-Christ a été tué, disent-ils; il a succombé il n'a pas dompté les païens par sa force, il ne nous a pas donné leurs dépouilles; il ne donne point de richesses. N'ont-ils que cela à dire ! c'est en cela qu'il m'est aimable. Je ne voudrais point celui qu'ils se figurent.

VI. Qu'il est beau de voir, par les yeux de la foi, Darius, Cyrus, Alexandre, les Romains, Pompée et Hérode agir, sans le savoir, pour la gloire de l'Evangile!

VII. La religion mahométane a pour fondement l'Alcoran et Mahomet, Mais ce prophète, qui devait être la dernière attente du monde, a-t-il été prédit, et quelle marque a-t-il que n'ait aussi tout homme qui voudra se dire prophète? quels miracles dit-il luimême avoir faits; quel mystère a-t-il enseigné selon sa tradition même, quelle morale et quelle félicité ?

Mahomet est sans autorité; il faudrait donc que ses raisons fussent bien puissantes, n'ayant que leur propre force.

VIII. Si deux hommes disent des choses qui paraissent basses; mais que les discours de l'un aient un double sens, entendu par ceux qui le suivent, et que les discours de l'autre n'aient qu'un seul sens, si quelqu'un, n'étant pas du secret, entend discourir les deux en cette sorte, il en fera un même jugement. Mais si ensuite, dans le reste du discours, l'un dit des choses angéliques et l'autre toujours des choses basses et communes et même des sottises, il jugera que l'un parlait avec mystère et non pas l'autre ; l'un ayant assez montré qu'il est incapable de telles sottises et capable d'être mystérieux; et l'autre qu'il est incapable de mystères et capable de sottises.

IX. Ce n'est pas par ce qu'il y a d'obscur dans Mahomet et qu'on peut faire passer pour avoir un sens mystérieux que je veux qu'on en juge, mais par ce qu'il y a de clair, par son paradis et par le reste. C'est en cela qu'il est ridicule. Il n'en est pas de même de l'Ecriture. Je veux qu'il y ait des obscurités, mais il y a des clartés admirables et des prophéties manifestes accomplies. La partie n'est donc pas égale. Il ne faut pas confondre et égaler les choses qui ne se ressemblent que par l'obscurité et non pas par les clartés qui méritent, quand elles sont divines, qu'on révère les obscurités.

L'Alcoran dit que saint Matthieu était homme de bien. Donc Mahomet était faux prophète, ou en appelant gens de bien des méchants, ou en ne les croyant pas sur ce qu'ils ont dit de Jésus-Christ.

X. Tout homme peut faire ce qu'a fait Ma homet, car il n'a point fait de miracles; il n'a point été prédit, etc. Nul homme ne peut faire ce qu'a fait Jésus-Christ.

Mahomet s'est établi en tuant, Jésus-Christ en faisant tuer les siens; Mahomet en défendant de lire, Jésus-Christ en ordonnant de lire. Enfin cela est si contraire que, si Mahomet a pris la voie de réussir humainement, Jésus-Christ a pris celle de périr humainement. Et au lieu de conclure que puisque Mahomet a réussi, Jésus-Christ bien pu réussir, il faut dire que puisque Mahomet a réussi, le christianisme devait périr s'il n'eût été soutenu par une force toute divine.

ARTICLE XIII.

Dessein de Dieu de se cacher aux uns et de se Jécouvrir aux autres.

I. Dieu a voulu racheter les hommes et ouvrir le salut à ceux qui le chercheraient,

Mais les hommes s'en rendent si indignes, qu'il est juste qu'il refuse à quelques-uns, à cause de leur endurcissement, ce qu'il accorde aux autres par une miséricorde qui ne leur est pas due. S'il eût voulu surmonter l'obstination des plus endurcis, il l'eût pu en se découvrant si manifestement à eux qu'ils n'eussent pu douter de la vérité de son existence, et c'est ainsi qu'il paraîtra au dernier jour, avec un tel éclat de foudres et un tel renversement de la nature, que les plus aveugles le verront.

Ce n'est pas en cette sorte qu'il a voulu paraître dans son avénement de douceur, parce que tant d'hommes se rendant indignes de sa clémence, il a voulu les laisser dans la privation du bien qu'ils ne veulent pas. Il n'était donc pas juste qu'il parût d'une manière manifestement divine et absolument capable de convaincre tous les hommes; mais il n'était pas juste aussi qu'il vint d'une manière si cachée, qu'il ne pût être reconnu de ceux qui le chercheraient sincèrement. Il a voulu se rendre parfaitement connaissable à ceux-là, et ainsi, voulant paraître à découvert à ceux qui le cherchent de tout leur cœur, et caché à ceux qui le fuient de tout leur cœur, il tempère sa connaissance, en sorte qu'il a donné des marques de soi visibles à ceux qui le cherchent, obscures à ceux qui ne le cherchent pas.

II. Il y a assez de lumière pour ceux qui ne désirent que de voir, et assez d'obscurité pour ceux qui ont une disposition contraire. Il y a assez de clarté pour éclairer les élus, et assez d'obscurité pour les humilier. Il y a assez d'obscurité pour aveugler les réprouvés, et assez de clarté pour les condamner et les rendre inexcusables.

Si le monde subsistait pour instruire l'homme de l'existence de Dieu, sa divinité y reluirait de toutes parts d'une manière incontestable; mais comme il ne subsiste que par Jésus-Christ et pour Jésus-Christ, et pour instruire les hommes et de leur corruption et de la rédemption, tout y éclate des preuyes de ces deux vérités. Ce qui y paraît ne marque ni une exclusion totale, ni une présence manifeste de divinité, mais la présence d'un Dicu qui se cache: tout porte ce caractère.

S'il n'avait jamais rien paru de Dieu, cette privation éternelle serait équivoque et pourrait aussi bien se rapporter à l'absence de toute divinité qu'à l'indignité où seraient les hommes de le connaître. Mais de ce qu'il paraft quelquefois et non toujours, cela ôte l'équivoque. S'il paraît une fois, il est toujours, et ainsi on ne peut en conclure autre chose sinon qu'il y a un Dieu, et que les hommes en sont indignes.

III. Le dessein de Dieu est plus de perfectionner la volonté que l'esprit, or la clarté parfaite ne servirait qu'à l'esprit et nuirait à la volonté. S'il n'y avait point d'obscurité, l'homme ne sentirait pas sa corruption; s'il n'y avait point de lumière, l'homme n'espèrerait point de remède. Ainsi il est non seulement juste, mais utile pour nous que Dieu

soit caché en partie et découvert en partic, puisqu'il est également dangereux à l'homme de connaître Dieu sans connaître sa misère et de connaître sa misère sans connaître Dieu.

IV. Tout instruit l'homme de sa condition; mais il faut bien l'entendre, car il n'est pas vrai que Dieu se découvre en tout, et il n'est pas vrai qu'il se cache en tout. Mais il est vrai tout ensemble qu'il se cache à ceux qui le tentent et qu'il se découvre à ceux qui le cherchent; parce que les hommes sont tout ensemble indignes de Dieu et capables de Dieu, indignes par leur corruption, capables par leur première nature.

V. Il n'y a rien sur la terre qui ne montre ou la misère de l'homme, ou la miséricorde de Dieu, ou l'impuissance de l'homme sans Dieu, ou la puissance de l'homme avec Dieu. Tout l'univers apprend à l'homme, ou qu'il est corrompu, ou qu'il est racheté ; tout lui apprend sa grandeur ou sa misère. L'abandon de Dieu paraît dans les païens, la protection de Dieu paraît dans les Juifs.

VI. Tout tourne en bien pour les élus, jusqu'aux obscurités de l'Ecriture; car ils les honorent à cause des clartés divines qu'ils y voient, et tout tourne en mal aux réprouvés, jusqu'aux clartés; car ils les blasphèment à cause des obscurités qu'ils n'entendent pas.

VII. Si Jésus-Christ n'était venu que pour sanctifier, toute l'Ecriture et toutes choses y tendraient; et il serait bien aisé de convaincre les infidèles. Mais comme il est venu in sanctificationem et in scandalum, comme dit Isaïe (Is., VIII, 14), nous ne pouvons convaincre l'obstination des infidéles : mais cela ne fait rien contre nous; puisque nous disons qu'il n'y a point de conviction dans toute la conduite de Dieu pour les esprits opiniâtres, et qui ne cherchent pas sincèrement la vérité.

Jésus-Christ est venu afin que ceux qui ne voyaient pas vissent, et que ceux qui voyaient devinssent aveugles: il est venu guérir les malades, et laisser mourir les saints; appeler les pécheurs à la pénitence et les justifier, et laisser ceux qui se croyaient justes dans leurs péchés; remplir les indigents, et laisser les riches vides.

Que disent les prophètes de Jésus-Christ, qu'il sera évidemment Dieu ? non : mais qu'il est un Dieu véritablement caché, qu'il sera méconnu, qu'on ne pensera point que ce soit lui; qu'il sera une pierre d'achoppement, à laquelle plusieurs heurteront, etc.

C'est pour rendre le Messie connaissable aux bons et méconnaissable aux méchants, que Dieu l'a fait prédire de la sorte. Si la manière du Messie eût été prédite clairement, il n'y eût point eu d'obscurité, même pour les méchants. Si le temps eût été prédit obscurément, il y eût obscurité, même pour les bons; car la bonté de leur cœur ne leur eût pas fait entendre qu'un □, par exemple, signifie six cents ans (1). Mais le temps a été

(1) L'auteur fait ici allusion à ce que cnez les Hébreux,

prédit clairement, et la manière en figures.

Par ce moyen, les méchants, prenant les biens promis pour les biens temporels, s'égarent malgré le temps prédit clairement ; et les bons ne s'égarent pas : car l'intelligence des biens promis dépend du cœur, qui appelle bien ce qu'il aime; mais l'intelligence du temps promis ne dépend point du cœur. Et ainsi la prédiction claire du temps et obscure des biens, ne trompe que les méchants.

VIII. Comment fallait-il que fût le Messie: puisque par lui le sceptre devait être éternellement en Juda, et qu'à son arrivée le sceptre devait être ôté de Juda?

Pour faire qu'en voyant ils ne voient point, et qu'en entendant ils n'entendent point, rien ne pouvait être mieux fait.

Au lieu de se plaindre de ce que Dieu s'est caché, il faut lui rendre grâce de ce qu'il s'est tant découvert ; et lui rendre grâce aussi de ce qu'il ne s'est pas découvert aux sages ni aux superbes, indignes de connaître un Dieu si saint.

IX. La généalogie de Jésus-Christ dans l'Ancien Testament est mêlée parmi tant d'autres inutiles, qu'on ne peut presque la discerner. Si Moïse n'eût tenu registre que des ancêtres de Jésus-Christ, cela eût élé trop visible. Mais, après tout, qui regarde de près voit celle de Jésus-Christ bien discernée par Thamar, Ruth, etc.

Les faiblesses les plus apparentes sont des forces à ceux qui prennent bien les choses. Par exemple, les deux généalogies de saint Matthieu et de saint Luc: il est visible que cela n'a pas été fait de concert.

X. Qu'on ne nous reproche donc plus le manque de clarté, puisque nous en faisons profession; mais que l'on reconnaisse la vérité de la religion dans l'obscurité même de la religion, dans le peu de lumière que nous en avons et dans l'indifférence que nous avons de la connaître.

S'il n'y avait qu'une religion, Dieu serait trop manifeste; s'il n'y avait des martyrs qu'en notre religion, de même.

Jésus-Christ, pour laisser les méchants dans l'aveuglement, ne dit pas qu'il n'est point de Nazareth, qu'il n'est point fils de Joseph.

XI. Comme Jésus-Christ est demeuré inconnu parmi les hommes, la vérité demeure aussi parmi les opinions communes, sans différence à l'extérieur ainsi l'eucharistie parmi le pain commun.

Si la miséricorde de Dieu est si grande qu'il nous instruit salutairement, même lorsqu'il se cache, quelle lumière ne devonsnous pas en attendre lorsqu'il se découvre!

On n'entend rien aux ouvrages de Dieu, si on ne prend pour principe qu'il aveugle les u.s et éclaire les autres.

comme chez les Grecs, tontes les lettres de l'alphabet ont leur valeur numérale, en sorte qu'elles tiennent lieu de chiffres.

ARTICLE XIV.

Que les vrais chrétiens et les vrais juifs n'ont qu'une même religion.

I. La religion des Juifs semblait consister essentiellement en la paternité d'Abraham, en la circoncision, aux sacrifices, aux cérémonies, en l'arche, au temple de Jérusalem, et enfin en la loi et en l'alliance de Moïse.

Je dis qu'elle ne consistait en aucune de ces choses, mais seulement en l'amour de Dieu; et que Dieu réprouvait toutes les autres choses;

Que Dieu n'avait point d'égard au peuple charnel qui devait sortir d'Abraham;

Que les Juifs seront punis de Dieu comme les étrangers, s'ils l'offensent. Si vous oubliez Dieu, et que vous suiviez des dieux étrangers, je vous prédis que vous périrez de la même manière que les nations que Dieu a exterminées devant vous (Deut., VIII, 19, 20);

Que les étrangers seront reçus de Dieu comme les Juifs, s'ils l'aiment;

Que les vrais Juifs ne considéraient leur mérite que de Dieu, et non d'Abraham. Vous étes véritablement notre Père : et Abraham ne naissance de nous; mais c'est vous qui éles nous a pas connus, et Israël n'a pas eu connotre Père et notre Rédempteur (Is, LXIII, 16).

Moïse même leur a dit que Dieu n'accepterait pas les personnes. Dieu, dit-il, n'accepte pas les personnes, ni les sacrifices ( Deut. X, 17).

Je dis que la circoncision du cœur est ordonnée. Soyez circoncis du cœur ; retranchez les superfluités de votre cœur, et ne vous engrand, puissant et terrible, qui n'accepte pas durcissez pas car votre Dieu est un Dieu les personnes (ibid., 16 et 17: Jérém., IV.);

Que Dieu dit qu'il le ferait un jour. Dieu le circoncira le cœur, et à tes enfants, afin que tu l'aimes de tout ton cœur (Deut., XXX, 6).

Que les incirconcis de cœur seront jugés; car Dieu jugera les peuples incirconcis et tout le peuple d'Israël, parce qu'il est incirconcis de cœur (Jérém., İX, 25, 26).

II. Je dis que la circoncision était une fi→ gure (1) qui avait été établie pour distinguer le peuple juif de toutes les autres nations (Gen., XVII, 11).

Et de là vient qu'étant dans le désert its ne vaient se confondre avec les autres peuples, furent pas circonsis: parce qu'ils ne pouet que, depuis que Jésus-Christ est venu, cela n'est plus nécessaire ;

Que l'amour de Dieu est recommandé en j'ai mis devant vous la mort et la vie; afin que tout. Je prends à témoin le ciel et la terre que vous choisissiez la vie, et que vous aimiez Dieu, et que vous lui obéissiez, car c'est Dieu qui est voire vie (Deut., XXX, 19, 20).

Il est dit que les Juifs, faute de cet amour,

(1) Figure n'est pas le mot propre; il fallait dire un signe, une marque. La Vulgate porte ut signum fæderis inter me el vos.

« PrécédentContinuer »