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place des vérités anciennes ; ils ont détruit la bonne vie par leur morale corrompue; et maintenant ils veulent détruire les miracles, en détruisant ou leur vérité ou leur conséquence.

Les adversaires de l'Eglise les nient, ou en nient la conséquence : les jésuites de même. Ainsi, pour affaiblir leurs adversaires, ils désarment l'Eglise et se joignent à tous ses enneinis, en empruntant d'eux toutes les raisons par lesquelles ils combattent les miracles. Car l'Eglise a trois sortes d'ennemis : les Juifs, qui n'ont jamais été de son corps; les hérétiques, qui s'en sont retirés; et les mauvais chrétiens, qui la déchirent en dedans.

Ces trois sortes de différents adversaires la combattent d'ordinaire diversement. Mais ici ils la combattent d'une même sorte. Comme ils sont tous sans miracles, et que l'Eglise a toujours eu contre eux des miracles, ils ont tous eu le même intérêt à les éluder, et se sont tous servis de cette défaite, qu'il ne faut pas juger de la doctrine par les miracles, mais des miracles par la doctrine. Il y avait deux partis entre ceux qui écoutaient JésusChrist: les uns qui suivaient sa doctrine par ses miracles; les autres qui disaient chasse les démons au nom de Belzebut. Il y avait deux partis au temps de Calvin : celui de l'Eglise, et celui des sacramentaires qui la combattaient. Il y a maintenant les jésuites et ceux qu'ils appellent jansénistes qui contestent. Mais les miracles étant du côté des jansénistes, les jésuites ont recours à cette défaite générale des Juifs et des hérétiques, qui est qu'il faut juger des miracles par la doctrine.

Ce n'est point ici le pays de la vérité : elle est inconnue parmi les hommes. Dieu l'a couverte d'un voile qui la laisse méconnaître à ceux qui n'entendent pas sa voix. La porte est ouverte aux blasphèmes, et même sur les vérités les plus certaines de la morale. Si l'on publie les vérités de l'Evangile, on en publie de contraires, et on obscurcit les questions: en sorte que le peuple ne peut discerner. Aussi on demande : Qu'avez-vous pour vous faire plutôt croire que les autres, quel signe faites-vous? Vous n'avez que des paroles, et nous aussi. Si vous n'avez point de miracles, on dit que la doctrine doit être soutenue les miracles; cela est une vérité dont on par abuse pour blasphémer la doctrine. Et si les miracles arrivent, on dit que les miracles ne suffisent pas sans la doctrine; et c'est une autre vérité pour blasphémer les miracles.

Que vous êtes aises, mes pères, de savoir les règles générales, pensant par là jeter le trouble, et rendre tout inutile! On vous en empêchera, mes pères; la vérité est une et ferme.

X. Si le diable favorisait la doctrine qui le détruit, il serait divisé : Omne regnum divisum, etc. Car Jésus-Christ agissait contre le diable, et détruisait son empire sur les cœurs, dont l'exorcisme est la figure, pour établir le royaume de Dieu. Et ainsi il ajoute : In digito Dei, etc., Regnum Dei ad vos, etc. (Luc, XI, 17, 20).

Il était impossible qu'au temps de Moïse on réservât sa croyance à l'Antechrist qui leur était inconnu. Mais il est bien aisé au temps de l'Antechrist de croire en Jésus-Christ déjà

connu.

Quand les schismatiques (1) feraient des miracles, ils n'induiraient point à erreur. Et ainsi il n'est pas certain qu'ils ne puissent en faire. Le schisme est visible; le miracle est visible. Mais le schisme est plus marqué d'erreur que le miracle n'est marqué de vérité. Donc le miracle d'un schismatique ne peut induire à l'erreur. Mais hors le schisme, l'erreur n'est pas si visible que le miracle est visible. Donc le miracle induirait à l'erreur. Ainsi un miracle parmi les schismatiques n'est pas tant à craindre; car le schisme, qui est plus visible que le miracle, marque visiblement leur erreur. Mais quand il n'y a point de schisme, et que l'erreur est en dispute, le miracle discerne.

Il en est de même des hérétiques. Les miracles leur seraient inutiles; car l'Eglise, autorisée par les miracles qui ont préoccupé la croyance, nous dit qu'ils n'ont pas la vraie foi. Il n'y a pas de doute qu'ils ne l'ont pas; puisque les premiers miracles de l'Eglise excluent la foi des leurs, quand ils en auraient. Il y aurait ainsi miracles contre miracles, mais premiers et plus grands du côté de l'Eglise; ainsi il faudrait toujours la croire contre les miracles.

Voyons par là ce qu'on doit conclure des miracles de Port-Royal.

Les pharisiens disaient: Non est hic homo a Deo, qui sabbatum non custodit (Joan., IX, 16). Les autres disaient : Quomodo potest homo peccator hæc signa facere? Lequel est le plus clair?

Dans la contestation présente, les uns disent: Cette maison n'est pas de Dieu; car on n'y croit pas que les cinq propositions sont dans Jansénius. Les autres: Cette maison est de Dieu; car il s'y fait de grands miracles. Lequel est le plus clair?

Ainsi la même raison qui rend coupables les Juifs de n'avoir pas cru en Jésus-Christ rend les jésuites coupables d'avoir continué de persécuter la maison de Port-Royal.

Il avait été dit aux Juifs, aussi bien qu'aux chrétiens, qu'ils ne crussent pas toujours les prophètes. Mais néanmoins les pharisiens et les scribes font grand état des miracles de Jésus-Christ et essaient de montrer qu'ils sont faux ou faits par le diable : étant nécessités d'être convaincus s'ils reconnaissaient qu'ils fussent de Dieu.

Nous ne sommes pas aujourd'hui dans la peine de faire ce discernement; il est pourtant bien facile à faire. Ceux qui ne nient mi Dieu ni Jésus-Christ ne font point de miracles qui ne soient sûrs; mais nous n'avons point à faire ce discernement. Voici une re lique sacrée : voici une épine de la couronne

(1) Pascal veut parler d'un schisme ouvert et reco

de part et d'autre, tel, par exemple, que celui des don natistes, des calvinistes, etc. Il ne faut point prendre la change.

du Sauveur du monde, en qui le prince de ce monde n'a point de puissance; qui fait des miracles par la propre puissance de ce sang répandu pour nous! Dieu choisit luimême cette maison pour y faire éclater sa puissance.

Ce ne sont point des hommes qui font ces miracles par une vertu inconnue et douteuse, qui nous oblige à un difficile discernement. C'est Dieu même; c'est l'instrument de la passion de son Fils unique, qui, étant en plusieurs lieux, a choisi celui-ci, et fait venir de tous côtés les hommes pour y recevoir ces soulagements miraculeux dans leurs langueurs.

La dureté des jésuites surpasse donc celle des Juifs, puisqu'ils ne refusaient de croire Jésus-Christ innocent que parce qu'ils doutaient si ses miracles étaient de Dieu. Au lieu que les jésuites ne pouvant douter que les miracles de Port-Royal ne soient de Dieu, ils ne laissent pas de douter encore de l'innocence de cette maison.

Mais, disent-ils, les miracles ne sont plus nécessaires, à cause qu'on en a déjà; et ainsi ils ne sont plus des preuves de la vérité de la doctrine. Oui mais quand on n'écoute plus la tradition; qu'on a surpris le peuple, et qu'ainsi, ayant exclu la vraie source de la vérité, qui est la tradition, et ayant prévenu le pape, qui en est le dépositaire, la vérité n'a plus de liberté de paraître : alors les hommes ne parlant plus de la vérité, la vérité doit parler elle-même aux hommes. C'est ce qui arriva au temps d'Arius.

Ceux qui suivent Jésus-Christ à cause de ses miracles honorent sa puissance dans tous les miracles qu'elle produit: mais ceux qui, en faisant profession de le suivre pour ses miracles, ne le suivent en effet que parce qu'il les console et les rassasie des biens du monde, déshonorent ses miracles quand ils sont contraires à leurs commodités.

C'est ce que font les jésuites. Ils relèvent les miracles, ils combattent ceux qui les convainquent. Juges injustes, ne faites pas des lois sur l'heure; jugez par celles qui sont établies par vous-mêmes, vos qui conditis leges iniquas.

La manière dont l'Eglise a subsisté est que la vérité a été sans contestation: ou si elle a été contestée, il y a eu le pape; et sinon, il y a eu l'Eglise.

Le miracle est un effet qui excède la force. naturelle des moyens qu'on y emploie, et le non-miracle est un effet qui n'excède pas la force qu'on y emploie. Ainsi ceux qui guérissent par l'invocation du diable ne font pas un miracle; car cela n'excède pas la force naturelle du diable.

Les miracles prouvent le pouvoir que Dieu a sur les cœurs par celui qu'il exerce sur les corps.

Il importe aux rois, aux princes, d'être en estime de piété; et pour cela, il faut qu'ils se confessent à vous (aux jésuites).

Les jansénistes ressemblent aux bérétiques par la réformation des mœurs; mais vous leur ressemblez en mal.

ARTICLE XVII.

Pensées diverses sur la religion.

I. Le pyrrhonisme a servi à la religion; car, après tout, les hommes avant JesusChrist ne savaient où ils en étaient, ni s'ils étaient grands ou petits. Et ceux qui ont dit l'un ou l'autre n'en savaient rien, et devinaient sans raison et par hasard et même ils croyaient toujours, en excluant l'un ou l'autre (1).

II. Qui blâmera les chrétiens de ne pouvoir rendre raison de leur croyance, eux qui professent une religion dont ils ne peuvent rendre raison? Ils déclarent au contraire, en l'exposant aux Gentils, que c'est une sottise, stultitiam, etc.; et puis vous vous plaignez de ce qu'ils ne la prouvent pas! S'ils la prouvaient, ils ne tiendraient pas parole: c'est en manquant de preuves qu'ils ne manquent pas de sens. Oui; mais encore que cela excuse ceux qui l'offrent telle, et que cela les ôte du blâme de la produire sans raison, cela n'excuse pas ceux qui, sur l'exposition qu'ils en font,refusent de la croire.

III. Croyez-vous qu'il soit impossible que Dieu soit infiui sans parties? Oui. Je veux donc vous faire voir une chose infinie et indivisible: c'est un point se mouvant partout d'une vitesse infinie; car il est en tous lieux, et tout entier dans chaque endroit.

Que cet effet de nature, qui vous semblait impossible auparavant, vous fasse connaître qu'il peut y en avoir d'autres que vous ne connaissez pas encore. Ne tirez pas cette conséquence de votre apprentissage, qu'il ne vous reste rien à savoir; mais qu'il vous reste infiniment à savoir.

IV. La conduite de Dieu, qui dispose toutes choses avec douceur, est de mettre la religion dans l'esprit par les raisons et dans le cœur par sa grâce. Mais de vouloir la mettre dans le cœur et dans l'esprit par la force et par les menaces, ce n'est pas y mettre la religion, mais la terreur. Commencez par plaindre les incrédules; ils sont assez malheureux. Il ne faudrait les injurier qu'au cas que cela servit; mais cela leur nuit.

Toute la foi consiste en Jésus-Christ et en Adam, et toute la morale en la concupiscence et en la grâce (2).

V. Le cœur a ses raisons, que la raison ne connaît pas on le sent en mille manières. Il aime l'Etre universel naturellement, et soimême naturellement, selon qu'il s'y adonne; et il se durcit contre l'un et l'autre à son choix. Vous avez rejeté l'un et conservé l'autre, est-ce par raison?

VI. Le monde subsiste pour exercer misé

(1) En lisant les premières pensées de cet article on y trouve de l'obscurité, et on s'aperçoit que l'auteur ne leur a pas donné le développement dont elles étaient susceptibles. On y découvre aussi une teinte de la doctrine de Jansénius, dont les solitaires de Port-Royal faisaient publiquement profession (Edit. de 1822).

(2) L'auteur veut dire que toute la foi consiste à connaître quels maux nous a causés le péché d'Adam, et quels biens nous a préparés Jésus-Christ; toute la morale, à éviter les maux que nous avons à craindre de la concupi scence, et à chercher les biens que nous ne pouvons attendre que de la grace (Edit. de 1822).

ricorde et jugement, non pas comme si les hommes y étaient sortant des mains de Dieu; mais comme des ennemis de Dieu, auxquels il donne, par sa grâce, assez de lumière pour revenir, s'ils veulent le chercher et le suivre : mais pour les punir, s'ils refusent de le chercher et de le suivre.

VII. On a beau dire, il faut avouer que la religion chrétienne a quelque chose d'étonnant. C'est parce que vous y êtes né, dirat-on tant s'en faut; je me roidis contre par cette raison-là même, de peur que cette prévention ne me suborne. Mais quoique j'y sois né, je ne laisse pas de le trouver ainsi.

VIII. Il y a deux manières de persuader les vérités de notre religion : l'une par la force de la raison, l'autre par l'autorité de celui qui parle. On ne se sert pas de la dernière, mais de la première. On ne dit pas: Il faut croire cela, car l'Écriture, qui le dit, est divine; mais on dit qu'il faut le croire partelle et telle raison qui sont de faibles arguments, la raison étant flexible à tout.

Ceux qui semblent les plus opposés à la gloire de la religion n'y seront pas inutiles pour les autres. Nous en ferons le premier argument, qu'il y a quelque chose de surnaturel car un aveuglement de cette sorte n'est pas une chose naturelle; et si leur folie les rend si contraires à leur propre bien, elle servira à en garantir les autres par l'horreur d'un exemple si déplorable et d'une folie si digne de compassion.

IX. Sans Jésus-Christ, le monde ne subsisterait pas; car il faudrait ou qu'il fût détruit, ou qu'il fût comme un enfer.

Le seul qui connaît la nature ne la connaîtra-t-il que pour être misérable? le seul qui la connaît sera-t-il le seul malheureux?

Il ne faut pas que l'homme ne voie rien du tout, il ne faut pas aussi qu'il en voie assez pour croire qu'il possède la vérité; mais qu'il en voie assez pour connaître qu'il l'a perdue car, pour connaître ce qu'on a perdu, il faut voir et ne pas voir, et c'est précisément l'état où est la nature.

Il fallait que la véritable religion enseignât la grandeur et la misère, portât à l'estime et au mépris de soi, et à l'amour, et à la haine.

Je vois la religion chrétienne fondée sur une religion précédente, et voilà ce que je trouve d'effectif.

Je ne parle pas ici des miracles de Moïse, de Jésus-Christ et des apôtres, parce qu'ils ne paraissent pas d'abord convaincants, et que je ne veux mettre ici en évidence que tous les fondements de cette religion chrétienne qui sont indubitables, et qui ne peuvent être mi, en doute par quelque personne que ce soit.

X. La religion est une chose si grande, qu'il est juste que ceux qui ne voudraient pas prendre la peine de la chercher, si elle est obscure, en soient privés. De quoi donc se plaint-on, si elle est telle qu'on puisse la trouver en la cherchant?

L'orgueil contre-pèse et emporte toutes les misères. Voilà un étrange monstre, et un

égarement bien visible de l'homme. Le voilà tombé de sa place, et il la cherche avec inquiétude.

Après la corruption, il est juste que tous ceux qui sont dans cet état le connaissent, et ceux qui s'y plaisent, et ceux qui s'y déplaisent. Mais il n'est pas juste que tous voient la rédemption.

Quand on dit que Jésus-Christ n'est pas mort pour tous, vous abusez d'un vice des hommes qui s'appliquent incontinent cette exception; ce qui favorise le désespoir, au lieu de les en détourner pour favoriser l'espérance.

XI. Les impies, qui s'abandonnent aveuglément à leurs passions sans connaître Dieu et sans se mettre en peine de le chercher, vérifient par eux-mêmes ce fondement de la foi qu'ils combattent, qui est que la nature des hommes est dans la corruption. Et les Juifs, qui combattent si opiniâtrément la religion chrétienne, vérifient encore cet autre fondement de cette même foi qu'ils attaquent, qui est que Jésus-Christ est le véritable Messie et qu'il est venu racheter les hommes, et les retirer de la corruption et de la misère où ils étaient, tant par l'état où on les voit aujourd'hui et qui se trouve prédit dans les prophéties, que par ces mêmes prophéties qu'ils portent et qu'ils conservent inviolablement comme les marques auxquelles on doit reconnaître le Messie. Ainsi les preuves de la corruption des hommes et de la rédemption de Jésus-Christ, qui sont les deux principales vérités qu'établit le christianisme, se tirent des impies qui vivent dans l'indifférence de la religion et des Juifs qui en sont les ennemis irréconciliables.

XII. La dignité de l'homme consistait, dans son innocence, à dominer sur les créatures et à en user; mais aujourd'hui elle consiste à s'en séparer et à s'y assujettir.

XIII. Il y en a plusieurs qui errent d'antant plus dangereusement qu'ils prennent une vérité pour le principe de leur erreur. Leur faute n'est pas de suivre une fausseté, mais de suivre une vérité à l'exclusion d'une autre.

Il y a un grand nombre de vérités, et de foi et de morale, qui semblent répugnante et contraires, et qui subsistent toutes dan un ordre admirable.

La source de toutes les hérésies est l'exclusion de quelques-unes de ces vérités; et la source de toutes les objections que nous font les hérétiques est l'ignorance de quelques-unes de nos vérités.

Et d'ordinaire il arrive que ne pouvant concevoir le rapport de deux vérités opposées, et croyant que l'aveu de l'une renferme l'exclusion de l'autre, ils s'attachent à l'une, et ils excluent l'autre.

Les nestoriens voulaient qu'il y eût deux personnes en Jésus-Christ, parce qu'il y a deux natures; et les eutychiens, au contraire, qu'il n'y eût qu'une nature, parce qu'il n'y a qu'une personne. Les catholiques sont or thodoxes, parcequ'ils joignent ensemble les deux vérités de deux natures et d'une seule personne.

Nous croyons que la substance du pain étant changée en celle du corps de NotreSeigneur Jésus-Christ, il est présent réellement au saint sacrement. Voilà une des vérités. Une autre est que ce sacrement est aussi une figure de la croix et de la gloire et une commémoration des deux. Voilà la foi catholique, qui comprend ces deux vérités qui semblent opposées.

L'hérésie d'aujourd'hui, ne concevant pas que ce sacrement contienne tout ensemble, et la présence de Jésus-Christ et sa figure, et qu'il soit sacrifice et commémoration de sacrifice, croit qu'on ne peut admettre l'une de ces vérités sans exclure l'autre.

Par cette raison ils s'attachent à ce point, que ce sacrement est figuratif; et en cela ils ne sont pas hérétiques. Ils pensent que nous excluons cette vérité; et de là vient qu'ils nous font tant d'objections sur les passages des pères qui le disent. Enfin, ils nient la présence réelle; et en cela ils sont héréti

ques.

C'est pourquoi le plus court moyen pour empêcher les hérésies est d'instruire de toutes les vérités; et le plus sûr moyen de les réfuter est de les déclarer toutes.

La grâce sera toujours dans le monde, et aussi la nature. Il y aura toujours des pélagiens et toujours des catholiques, parce que la première naissance fait les uns, et la seconde naissance fait les autres.

C'est l'Eglise qui mérite avec Jésus-Christ, qui en est inséparable, la conversion de tous ceux qui ne sont pas dans la véritable religion; et ce sont ensuite ces personnes converties qui secourent la mère qui les a délivrées.

Le corps n'est non plus vivant sans le chef que le chef sans le corps. Quiconque se sépare de l'un ou de l'autre n'est plus du corps et n'appartient plus à Jésus-Christ. Toutes les vertus, le martyre, les austérités et toutes les bonnes œuvres sont inutiles hors de l'Eglise et de la communion du chef de l'Eglise, qui est le pape.

Ce sera une des confusions des damnés de voir qu'ils seront condamnés par leur propre raison par laquelle ils ont prétendu condamner la religion chrétienne.

XIV. Il y a cela de commun entre la vie ordinaire des hommes et celle des saints, qu'ils aspirent tous à la félicité; et ils ne diffèrent qu'en l'objet où ils la placent. Les uns et les autres appellent leurs ennemis ceux qui les empêchent d'y arriver.

Il faut juger de ce qui est bon ou mauvais par la volonté de Dieu, qui ne peut être ni injuste ni aveugle, et non pas par la nôtre propre, qui est toujours pleine de malice et d'erreur.

XV. Jésus-Christ a donné dans l'Evangile cette marque pour reconnaître ceux qui ont la foi, qui est qu'ils parleront un langage nouveau; et en effet le renouvellement des pensées et des désirs cause celui des discours. Car ces nouveautés, qui ne peuvent déplaire à Dieu, comme le vieil homme ne peut lui plaire, sont différentes des nou

veautés de la terre en ce que les choses du monde, quelque nouvelles qu'elles soient, vieillissent en durant, au lieu que cet esprit nouveau se renouvelle d'autant plus qu'il dure davantage. L'homme extérieur se détruit, dit saint Paul (II Cor., IV, 16), et l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour; et il ne sera parfaitement nouveau que dans l'éternité, où l'on chantera sans cess ce cantique nouveau dont parle David dans ses Psaumes (Ps. XXXII, 3): c'est-à-dire ce chant qui part de l'esprit nouveau de la charité.

XVI. Quand saint Pierre et les apôtres (Act., XV) délibèrent d'abolir la circoncision, où il s'agissait d'agir contre la loi de Dieu, ils ne consultent point les prophètes, mais simplement la réception du Saint-Esprit en la personne des incirconcis. Ils jugent plus sûr que Dieu approuve ceux qu'il remplit de son esprit, que non pas qu'il faille observer la loi: ils savaient que la fin de la loi n'était que le Saint-Esprit; et qu'ainsi, puisqu'on l'avait bien sans circoncision, elle n'était pas nécessaire.

XVII. Deux lois suffisent pour régler toute la république chrétienne mieux que toutes les lois politiques : l'amour de Dieu et celui du prochain.

La religion est proportionnée à toutes sortes d'esprits. Le commun des hommes s'arrête à l'état et à l'établissement où elle est; et cette religion est telle, que son seul établissement est suffisant pour en prouver la vérité. Les autres vont jusqu'aux apôtres. Les plus instruits vont jusqu'au commencement du monde. Les anges la voient encore mieux et de plus loin; car ils la voient en Dieu même.

Ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment de cœur sont bienheureux et bien persuadés. Mais pour ceux qui ne l'ont pas, nous ne pouvons la leur procurer que par raisonnement, en attendant que Dieu la leur imprime lui-même dans le cœur, sans quoi la foi est inutile pour le salut.

Dieu, pour se réserver à lui seul le droit de nous instruire, et pour nous rendre la difficulté de notre être intelligible, nous en a caché le nœud si haut ou, pour mieux dire, si bas, que nous étions incapables d'y arriver de sorte que ce n'est pas par les agitations de notre raison, mais par la simple soumission de la raison, que nous pouvons véritablement nous connaître.

XVIII. Les impies qui font profession de suivre la raison doivent être étrangement forts en raison. Que disent-ils donc? Ne voyons-nous pas, disent-ils, mourir et vivre les bêtes comme les hommes, et les Turcs comme les chrétiens; ils ont leurs cérémonies, leurs prophètes, leurs docteurs, leurs saints, leurs religieux comme nous, etc. Cela est-il contraire à l'Ecriture, ne dit-elle pas tout cela? Si vous ne vous souciez guère de savoir la vérité, en voilà assez pour demeurer en repos mais si vous désirez de tout votre cœur de la connaître, ce n'est pas assez; regardez au détail. C'en serait peut

étre assez pour une vaine question de philosophie; mais ici, où il y va de tout... Et cependant après une réflexion légère de cette sorte, on s'amusera, etc.

C'est une chose horrible de sentir conti ́nuellement s'écouler tout ce qu'on possède ; et qu'on puisse s'y attacher, sans avoir envie de chercher s'il n'y a point quelque chose de permanent.

Il faut vivre autrement dans le monde selon ces diverses suppositions: si on pouvait y être toujours; s'il est sûr qu'on n'y sera pas longtemps, et incertain si on y sera une heure. Cette dernière supposition est la nôtre.

XIX. Par les partis (1), vous devez vous mettre en peine de chercher la vérité. Car si vous mourez sans adorer le vrai principe, yous êtes perdu. Mais, dites-vous, s'il avait voulu que je l'adorasse, il m'aurait laissé des signes de sa volonté. Aussi a-t-il fait ; mais vous les négligez. Cherchez-les du moins; cela le vaut bien.

Les athées doivent dire des choses parfaitement claires. Or il faudrait avoir perdu le bon sens pour dire qu'il est parfaitement clair que l'âme est mortelle. Je trouve bon qu'on n'approfondisse pas l'opinion de Copernic mais il importe à toute la vie de savoir si l'âme est mortelle ou immortelle.

XX. Les prophéties, les miracles mêmes et les autres preuves de notre religion ne sont pas de telle sorte, qu'on puisse dire qu'elles sont géométriquement convaincantes. Mais il me suffit présentement que vous m'accordiez que ce n'est pas pécher contre la raison que de les croire. Elles ont de la clarté et de l'obscurité, pour éclairer les uns et obscurcir les autres. Mais la clarté est telle, qu'elle surpasse, ou égale pour le moins, ce qu'il y a de plus clair au contraire de sorte que ce n'est pas la raison qui puisse déterminer à ne pas la suivre, et ce n'est peut-être que la concupiscence et la malice du cœur. Ainsi il y a assez de clarté pour condamner ceux qui refusent de croire, et non assez pour les gagner: afin qu'il paraisse qu'en ceux qui la suivent c'est la grâce, et non la raison, qui la fait suivre; et qu'en ceux qui la fuient c'est la concupiscence, et nou la raison qui la fait fuir.

Qui peut ne pas admirer et embrasser une religion qui connaît à fond ce qu'on reconnait d'autant plus qu'on a plus de lumière?

Un homme qui découvre des preuves de la religion chrétienne est comme un héritier qui trouve les titres de sa maison. Dira-t-il qu'ils sont faux, et négligera-t-il de les exaIniner?

XXI. Deux sortes de personnes connaissent un Dieu : ceux qui ont le cœur humilié et qui aiment le mépris et l'abaissement, quelque degré d'esprit qu'ils aient, bas ou relevé; ou ceux qui ont assez d'esprit pour voir la vérité, quelque opposition qu'ils y aient.

Les sages, parmi les païens qui ont dit qu'il n'y a qu'un Dieu ont été persécutés, les Juifs haïs, les chrétiens encore plus.

(1) Voyez, part. 1, art. 8, § 10, la note sur ce mot partis.

XXII. Je ne vois pas qu'il y ait plus de difficulté de croire la résurrection des corps et l'enfantement de la Vierge que la création. Est-il plus difficile de reproduire un homme que de le produire? Et si on n'avait pas su ce que c'est que génération, trouverait-on plus étrange qu'un enfant vint d'une fille seule que d'un homme et d'une femme ?

XXIII. Il y a grande différence entre repos et sûreté de conscience. Rien ne doit donner le repos que la recherche sincère de la vérité, et rien ne peut donner l'assurance que la vérité.

Il y a deux vérités de foi également constantes l'une, que l'homme dans l'état de la création, ou dans celui de la grâce, est élevé au dessus de toute la nature, rendu semblable à Dieu et participant de la divinité; l'autre, qu'en l'état de corruption et du péché il est déchu de cet état et rendu semblable aux bêtes. Ces deux propositions sont également fermes et certaines. L'Ecriture nous les déclare manifestement, lorsqu'elle dit en quelques lieux: Delicia mea esse cum filiis hominum (Prov. VIII, 31). Effundam spiritum meum super omnem carnem (Joel, II, 28). Dii estis, etc. (Ps. LXXXI, 6); et qu'elle dit en d'autres Omnis caro fænum (Is., XL, 6). Homo comparatus est jumentis insipientibus et similis factus est illis (Ps. XLVIII, 13): Dixi in corde meo de filiis hominum ut probaret eos Deus et ostenderet similes esse bestiis, etc. (Eccles., III, 18).

XXIV. Les exemples des morts généreuses des Lacédémoniens et autres ne nous touchent guère; car qu'est-ce que tout cela nous apporte ? Mais l'exemple de la mort des martyrs nous touche; car ce sont nos membres. Nous avons un lien commun avec eux: leur résolution peut former la nôtre. Il n'est rien de cela aux exemples des païens : nous n'avons point de liaison à eux; comme la richesse d'un étranger ne fait pas la nôtre, mais bien celle d'un père ou d'un mari.

XXV. On ne se détache jamais sans douleur. On ne sent pas son lien quand on suit volontairement celui qui entraîne, comme dit saint Augustin; mais quand on commence à résister et à marcher en s'éloignant, on souffre bien le lien s'étend et endure toute la violence; et ce lien est notre propre corps qui ne se rompt qu'à la mort. Notre-Seigneur a dit que depuis la venue de Jean-Baptiste, c'est-à-dire depuis son avénement dans chaque fidèle, le royaume de Dieu souffre violence, et que les violents le ravissent (Matth., XI, 12). Avant que l'on soit touché, on n'a que le poids de sa concupiscence qui porte à la terre. Quand Dieu attire en haut, ces deux efforts contraires font cette violence que Dieu seul peut faire surmonter. Mais nous pouvons tout, dit saint Léon, avec celui sans lequel nous ne pouvons rien. Il faut donc se résoudre à souffrir cette guerre toute sa vie ; car il n'y a point ici de paix. Jésus-Christ est venu apporter le couteau et non pas la paix (Id., X, 34). Mais néanmoins il faut avouer que comme l'Ecriture dit que la sagesse des hommes n'est que folie devant Dieu (I Cor.

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