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sible en tout cas, est sans comparaison plus difficile à comprendre et à croire que celui de l'Eglise, qui d'autre côté n'est point tel qu'une grande partie de nos frères le pensent, séduits par leurs vaines imaginations; comme ceux qui disaient à Notre-Seigneur lui-même: Ces paroles sont dures, qui les peut écouter? Nous n'ajoutons pas que le merveilleux de l'Eglise à des preuves et des autorités convaincantes; et que le merveilleux de Calvin n'en a point. Cela regarde la seconde et la troisième dispute.

La clé de la seconde dispute sur les pas sages de l'Ecriture sainte, est celle-ci : En vain on allègue des exemples: La pierre était Christ. Je suis le cep, etc., pour montrer que les paroles de Notre-Seigneur, Ceci est mon corps, se peuvent entendre au sens figuré. Dans le langage humain les circonstances des choses déterminent le sens des paroles; et suivant que nos expressions sont placées, quelquefois oui veut dire non, et blanc veut dire noir. S'il s'agissait d'une chose ordinaire et naturelle, si les chrétiens n'avaient jamais entendu parler de la présence réelle de NotreSeigneur dans l'eucharistie, et que quelqu'un leur vint annoncer ce dogme nouveau, ils pourraient s'en défendre sans doute et prendre les paroles de Notre-Seigneur au sens figuré: mais s'agissant, par leur consentement commun, d'une chose tout à fait au-dessus de la nature, d'une des plus grandes merveilles et d'un des plus grands mystères de leur religion, le dogme de la présence réelle s'étant trouvé en possession de toute l'Eglise depuis plusieurs siècles, comme on ne le saurait nier, quand on est venu leur annoncer le dogme contraire; enfin dans le cas où nous sommes, dans les circonstances des paroles de Notre-Seigneur, ils n'ont dû, ils ne doivent en façon du monde les prendre au sens figuré et par conséquent ils ne le peuvent. Car ce qui est contraire au devoir et au bon sens, s'appelle impossible entre ceux qui raisonnent aussi bien qu'entre les jurisconsultes; possible en soi à la vérité, mais impossible à ceux qui ne voudront point s'écarter du devoir et de la raison.

La clé de la troisième dispute sur l'autorité des pères est celle-ci. La difficulté n'est pas de trouver des passages pour le dogme catholique; tout en est plein; on en a fait des volumes: elle consiste en quelque petit nombre de passages qu'on oppose comme contraires. Mais il y a un fait dont on est d'accord de part et d'autre, qui peut tout accorder et tout décider: c'est que devant les infidèles, devant ceux qui n'étaient point encore baptisés et iniliés aux mystères, en parlant ou écrivant pour eux les pères n'ont point entièrement expliqué la doctrine de l'Eglise, se sont contentés de dire quelque petite partie de la vérité, l'ont couverte et enveloppée comme d'un voile que les étrangers ne pussent percer, les laissant errer sur cela dans leurs propres pensées. Ce fait posé qui est très-constant les passages en apparence contraires les uns aux autres, quoiqu'ils ne le soient pas en effet, ne doivent plus nous embarrasser. Il

n'est plus question d'entrer dans le détail de chacun, ni de peser à la fausse balance des subtilités humaines, toutes leurs expressions, toutes leurs paroles et jusques à leurs sylla. bes, ce qui va à l'infini. Il n'y a qu'à distinguer, si l'on peut et par quelque bonne marque, quels sont ceux de ces passages où la vérité est tout entière; quels sont ceux où elle n'est qu'en partie et déguisée pour ainsi dire, de peur qu'on ne la connaisse. Nous en avons deux moyens très-naturels, l'un général et l'autre particulier. Le premier est la comparaison de ces passages en leur nombre el en leur qualité. Le second est, que la Providence nous a conservé quatre grandes et longues instructions données à ceux qu'on venait d'initier, ou qu'on allait initier aux 'mystères. Le bon sens ne permet pas de douter que là tous les voiles ne soient levés et tous les rideaux tirés. Or l'Eglise elle-même y parle aux nouveaux fidèles précisément comme nous parlons à nos frères, jusques à prévenir au quatrième siècle les objections qu'ils nous font au dix-septième. Et comment prétendre qu'elle ne crût pas alors ce que nous croyons aujourd'hui ?

IV. Ce sont les trois clés que nous voulons mettre en main à nos frères: mais qu'ils se souviennent toujours qu'en ces matières nulle clé ne peut ouvrir à celui qui n'a point frappé, qui n'a point cherché, qui n'a point demandé, comme nous l'avons dit dès l'entrée, ou plutôt comme le Seigneur nous l'a dit lui-même. Si ce père des lumières et ce père des miséricordes, en qui et par qui la faiblesse même peut tout, auand il la fortifie, détournant sa vue de notre indignité pour no l'arrêter que sur notre dessein, daigne nous soutenir dans ce travail, ils verront clairement que ces trois moyens généraux que nous avons appelés clés se donnent un grand secours l'un à l'autre. Le merveilleux qu'il faut nécessairement établir par le principe commun de tous les chrétiens explique ou pour mieux dire fait voir qu'il n'y a point à expliquer les paroles de Notre-Seigneur. Ces mêmes paroles et tous les autres passages de l'Ecriture sainte pris ensemble ne se peuvent jamais bien entendre que par le merveilleux de l'Eglise. Ces deux choses ne laissent aucune difficulté aux passages des pères, qui de leur côté ne laissent aucune difficulté en ces deux choses; et nulle opinion enfin, hors le dogme catholique, ne peut accorder et lier les conséquences différentes et nécessaires du principe commun à tous les chrétiens, de tous les passages de l'Ecriture sainte pris ensemble, de tous les passages des pères pris ensemble. Sous ce nom nous comprenons aussi les historiens ecclésiastiques, les conciles et les liturgies ou offices divins. C'est le plan de ce petit traité.

SECTION II

Le traité de l'Eucharistie n'étant pas encore achevé, l'impatience qu'on a de secourir quelques-uns de nos frères qui cherchent la vérité, fait qu'on en donne cette première se tion avec une partie des preuves.

Le public pourra aussi connaître par ce morceau le dessein général de tout l'ouvrage, qui est principalement d'instruire de la tradition ecclésiastique sur tous les points contestés, non seulement nos frères qui errent, mais aussi les nouveaux catholiques et les anciens, par la traduction de diverses pièces choisies, et autant qu'on le pourra tout entières, sans commentaires ni longs discours.

Les traductions ne sont pas de la même main que les réflexions, mais d'une meilleure.

On s'est attaché à la fidélité encore plus qu'à l'élégance, et on a évité avec un soin extrême tout ce qui pouvait servir de prétexte à chicaner sur les expressions plus ou moins fortes, afin de n'être suspect à personne.

On a cru à propos d'ajouter encore l'extrait d'une relation latine écrite en 1682, touchant l'état de la religion en France, parce qu'elle a un fort grand rapport d'un côté avec cette Introduction ou traité général, et de l'autre avec le traité de l'Eucharistie, et peut donner quelque lumière à tous les deux. Dieu veuille répandre sa bénédiction sur ce travail ! Si quelqu'un en profite, il aura la charité de prier pour ceux qui s'y sont employés.

EXTRAIT d'une relation écrite en 1682, tou

chant l'état de la religion en France.

Si je ne parle que de ce diocèse, ce n'est pas qu'il n'en soit de même ailleurs. Par toute la France on travaille avec toute la même bénédiction, à proportion des personnes, des temps et des lieux. Partout, comme si Notre-Seigneur était encore sur le rivage, on voit les filets de saint Pierre se remplir d'un nombre presqu'infini de poissons, et ne se rompre pas. Ce miracle surprend et étonne ceux-là mêmes dont le ciel se sert pour le faire, excellents pêcheurs d'hommes, mais qui avaient travaillé inutilement toute la nuit. Il y faut premièrement reconnaître et révérer le doigt de Dieu, dont les ordres éternels sont que toutes les hérésies aient leur terme fatal, et qu'il n'y ait rien de perpétuel que son Eglise. Si toutefois il nous est permis de nous arrêter aux causes secondes, beaucoup de choses qui n'étaient point autrefois semblent heureusement concourir aux grands et secrets desseins de la Providence. Je ne rappellerai point ici ce que personne n'ignore et que vous savez assurément mieux que personne; je veux dire l'ancienne aigreur des esprits diminuée et presque éteinte, depuis qu'il n'y a plus de guerres civiles; l'état tranquille au dedans et qui n'a rien à craindre au dehors; nul chef de parti, comme autrefois, considérable, ou par sa naissance ou par son mérite; le clergé lui-même, où était la première source du mal, habile, vigilant et sage, d'ignorant, de négligent et de peu réglé qu'il était assez communément au temps de nos pères. Je vous découvrirai peutétre ce qui ne vous est pas si connu; et par

donnez-moi, s'il vous plaît, si je m'étends un peu plus qu'il ne faudrait avec vous, sur une matière la plus importante du monde; et, si Dieu le veut, peut-être non pas inutilement ni en vain. Aujourd'hui (ô profondeur de la sagesse divine! combien ses voies sont éloignées de nos voies et ses pensées de nos pensées !), aujourd'hui en France l'hérésie tombe par ses propres forces, est accablée par ses propres armes, percée et blessée mortellement des traits les plus dangereux qu'elle avait préparés contre l'Eglise. Calvin, homme plus habile que savant, très-ingénieux et très-éloquent, mais médiocre en connaissances, avait pris au commencement une excellente méthode pour se tromper et pour tromper les autres. C'était de ne rien approfondir, de ne juger jamais, comme disent nos jurisconsultes, que sur une partie de la loi, sans voir le reste; jamais de dispute suivie et entière, toujours des escarmouches, mais point de combat réglé, donnant tout à ses propres interprétations qu'il nommait la parole de Dieu, sans se mettre en peine de la tradition ecclésiastique et du sentiment des saints pères, qu'il avait même peu étudiés. Si toutefois il trouvait dans leurs écrits quelque petit mot qui semblât le favoriser, tronqué et séparé du reste, il ne manquait pas d'en faire parade, pour persuader à ses sectateurs, trop crédules et trop peu laborieux, qu'il avait épuisé la matière et n'avait rien oublié. Notre siècle au contraire a produit, entre les ministres, chefs de ce mauvais parti, de très-savants hommes. grands personnages s'ils eussent vécu dans l'Eglise, les Daillez, les Aubertin, les Blondel, que nous avons même vus et connns. Ceux-ci, d'une érudition profonde, d'une réputation très-étendue, ont eu honte, et Dieu l'a ainsi permis, ou d'avoir rien ignoré sur les controverses, ou de l'avoir dissimulé de mauvaise foi. Ainsi ils ont traité très-exactement dans leurs écrits de toute la tradition ecclésiastique, depuis le temps des apôtres, sans prendre garde pourtant, qu'après avoir reconnu en ce qu'ils nomment ou superstition, ou erreur, ou quelquefois même idolâtrie, tantôt douze ou treize, tantôt quatorze, quinze on scize siècles d'antiquité; après avoir avoué que tous les pères, qu'ils nomment saints, les pasteurs et les troupeaux, les martyrs mêmes de Notre-Seigneur, sont morts en cette créance, l'entreprise la plus téméraire qui fut jamais, est de vouloir nous persuader une créance contraire. Ils ont cru pourtant le pouvoir faire, tant les personnes d'un génie élevé sont sujettes à se trop promettre de leur esprit et de leurs forces! Mais, Don Dieu! par quels moyens? Par des conjectures et des dissertations de critique, et par un seul argument qu'on appelle ordinairement né galif. Car ils supposent qu'au commencement de l'Eglise il n'en était pas de même, parce que dans le premier et le second siècle. dont il nous reste très-peu d'écrits, on ne trouve pas, à ce qu'ils disent, d'aussi évidents témoignages de cette tradition ecclésiastique, ou même on n'en trouve point du tout, ce

qu'on n'a garde toutefois de leur accorder. Mais cet argument négatif, toujours faible, et en toute sorte de matières, est frivole particulièrement en celle-ci, par mille raisons et par deux entre les autres. La première, que dans le troisième et quatrième siècle, où ils reconnaissent de bonne foi ces erreurs prétendues, qui voudra choisir certains traités particuliers, il fera de gros volumes où il n'en sera pas dit un mot, n'étant ni nécessaire ni possible qu'en tous lieux on parle de toute la créance de l'Eglise. La seconde, que quand dans le troisième siècle par exemple, on trouve un dogme constamment établi par toute la terre, sans que personne en ce temps-là ait réclamé au contraire, ni se soit avisé de l'accuser de nouveauté; c'est une rêverie de croire que ce dogme soit né en ce siècle-là, ou plutôt de ne pas croire qu'il vient des siècles précédents et des apôtres mêmes. On ne saurait assez vous dire quel bien ont fait à l'Eglise les savants travaux de ces derniers hérétiques, que j'appelle quelquefois par cette raison de trèsbons et très-mauvais ouvrages. Auparavant, il fallait une grande résolution pour entreprendre la recherche de la vérité. Il fallait suivre pied à pied la tradition ecclésiastique de siècle en siècle, avoir pour cela jour et nuit entre les mains les originaux grecs et latins des pères et des historiens de l'Eglise. Peu de personnes en étaient capables; les uns n'avaient pas assez de connaissance, les autres n'avaient pas assez de loisir. Aujourd'hui ces difficultés ne doivent plus rebater personne. Avec ces livres, que je viens d'appeler très-bons et très-mauvais, ce grand travail n'est plus nécessaire. Ils ont tout recherché, tout rapporté, tout aplani le fait est maintenant constant, il n'y a plus qu'à se déterminer sur le droit avec un peu de bon sens et de raison. Quiconque les lira en priant, de bonne foi, avec altention, se servant de leur savoir, mais de son jugement propre, prenant comme certain ce qu'ils avouent, rejetant comme très-incertain leurs conjectures de critique et leur misérable argument négatif, il est impossible (j'en prends å témoin ce même père des miséricordes qui a tiré notre salut de nos propres ennemis), il est impossible qu'il ne soit pas catholique. A cela il faut ajouter une espèce de révolte contre Calvin, ou du moins une manière de séparation d'avec lui, non seulement de ces savants hommes, mais du peuple entier, dans le point le plus important de tous, qui est celui de la sainte eucharistie: discorde que vous me permettrez encore, s'il vous plaît, de toucher en peu de mots, car elle met premièrement le trouble et l'épouvante dans l'esprit de ceux qui errent; puis les amène insensiblement à la foi de l'Eglise. En celte controverse de l'eucharistie, Calvin, par je ne sais quelle bizarrerie, ne voulant ni suivre l'Eglise dont il s'était séparé, ni suivre Luther, qui ne disputait contre elle que pour conserver la substance du pain et du vin, ni suivre Zuingle, qui anéantissait tout à fait un si grand mystère, imagina une er

reur entre ces deux-là, mais plus extravagante que l'une ni l'autre; soit que son esprit inquiet et incertain ne pût rien aimer ni approuver que ce qu'il avait inventé luimeme, soit que par un artifice profond il voulût se faire toutes choses à tous; et réunissant les luthériens aux zuingliens, comme il l'avait espéré, devenir l'arbitre et le maître de toutes ces sectes. Encore donc que, par une audace très-impie, il ne complât pour rien ces paroles si claires, si expresses et si précises de Notre-Seigneur: Ceci est mon corps, il disait qu'il ne pouvait résister à ces autres paroles de l'Apôtre, sans doute moins claires et moins expresses: que le pain et le calice qu'on bénit, sont la communion du corps et du sang de Notre-Seigneur: qu'ainsi il ne pouvait jamais recevoir cette simple figure de Zuingle accompagnée de l'opération de la grâce et du Saint-Esprit en nous, qui serait, disait-il, et en cela il avait raison, la communion de l'esprit, mais non pas la communion du corps et du sang du Seigneur. Là-dessus il forma un dogme le plus absurde qui fut peut-être jamais, et qui se contredit manifestement lui-même. Le corps de Notre-Seigneur, dit-il, n'est pas véritablement et réellement en terre; et néanmoins il ne laisse pas d'y être mangé véritablement et réellement; et ce n'est point par foi et en figure seulement. Car encore que la foi serve d'instrument à ce miracle, elle n'est que l'instrument seul; mais c'est sans aucune figure que la substance de ce corps et de ce sang précieux est véritablement et réellement offerte, donnée, communiquée à ceux qui croient. Il ajoute que, si on lui demande comment cela se peut faire, c'est ce qu'il ne faut point demander; qu'il n'en sait rien; qu'il n'y a rien de plus grand, de plus extraordinaire et de plus incroyable; c'est le propre mot dont il se sert, qu'il le faut croire pourtant, puisque l'Apôtre l'a dit. Toute cette bizarre doctrine, il l'enveloppe de si longs discours et de tant d'expressions ambigues, propres à être expliquées en toute sorte de sens, que si vous exceptez un petit nombre d'endroits où il s'est tout à fait expliqué, on lit cinq ou six pages de suite dans ses écrits, sans savoir où l'on en est, et on croit entendre parler, tantôt Luther, tantôt Zuingle, tantôt même un bon catholique. De là il tirait encore un autre avantage, qui était de se servir de tous les passages des pères allégués de part et d'autre, et de n'être embarrassé de pas un. Les passages que Zuingle avait cru le favoriser, il les alléguait, comme Zuingle, contre la présence réelle ; ceux que Luther et que les auteurs catholiques avaient apportés en nombre presque infini, et plus clairs que le jour, pour la présence réelle, il les expliquait facilement de cette manducation réelle qu'il avait forgée exprès, si approchante de la présence réelle, que la pensée humaine ne les peut distinguer: car on ne saurait imaginer qu'une chose soit man-gée en un lieu où elle n'est pas. Tel fut l'artifice de Calvin. Mais ses descendants, à qui il a laissé une confession de foi et un caté

chisme en ce sens-là même, et dont ils se servent encore aujourd'hui, ont eu tant de peine cependant, ou à entendre, ou à digérer cette doctrine incroyable, comme il la nomme, qu'ils ont même oublié l'obligation où ils sont de la croire par leur catéchisme et leur confession de foi; de sorte que s'il revenait aujourd'hui au monde, il se trouverait parmi tant de calvinistes le seul calviniste sur cet article. Tous généralement ont passé à l'opinion de Zuingle, qu'il avait formellement rejetée et condamnée: parti très-facile à prendre, si l'on n'écoute que l'homme animal; mais plus difficile que pas un autre, si l'on pense à son salut, ou même à soutenir son sentiment avec quelque sorte d'honneur. En effet on retombe aussitôt dans tous ces inconvénients que Calvin avait eu l'adresse d'éviter par cette manducation réelle et chimérique; et surtout on n'a plus rien à dire contre cette infinité de passages des pères, si clairs et si exprès pour la présence réelle, qu'il faut avouer de nécessité, ou qu'ils avaient perdu l'esprit quand ils s'exprimaient ainsi, où qu'ils avaient dans l'esprit les mêmes choses que nous sur ce grand mystère. Aubertin, leur plus grand et plus célèbre auteur en cette matière, l'un de ceux que j'ai déjà nommés si souvent très-bons et trèsmauvais, ne s'est jamais trouvé si embarrassé qu'en cet endroit. Cet homme, avec un prodigieux travail, publia en latin et en français un grand et ample volume de l'eucharistie, après l'avoir forgé et reforgé durant trente ans ans et davantage. On peut dire aussi avec vérité qu'il n'y a rien omis, hors une chose qu'on ne peut jamais omettre que par un dessein formé, dans un ouvrage d'ailleurs fort méthodique; car au lieu que tous les auteurs de controverses ont accoutumé et se font une loi inviolable d'établir dès l'entrée l'état des questions qu'ils vont trailer, de proposer ce qu'ils ont à défendre et ce qu'ils ont à combattre, celuici, tout au contraire, propose d'abord ce qu'il veut combattre et qu'il ne veut point croire, et ne dit pas un mot de ce qu'il défend et de ce qu'il croit, et cela pour n'être pas obligé, ou d'abandonner d'abord publiquement et manifestement son Calvin sur cette manducation réelle, ou de trahir son sentiment propre et celui de tous les siens, qui n'est plus, comme je l'ai déjà dit, que celui de Zuingle même. Quant à cette manducation réelle séparée de la présence réelle, qui devait être le bouclier d'un véritable calviniste, comme il avait été celui de Calvin contre tous les passages des pères, jamais il ne s'en est servi dans tout son ouvrage, quelque pressé qu'il se trouve. Lors même qu'il n'en peut plus, et qu'il est tout en sueur sur ces passages difficiles et insurmontables, il passe à une autre extrémité terrible, et ose enfin ce que Calvin ni pas un autre n'avaient jamais osé. Il faut avouer, dit-il, et cela non pas une seule fois, mais plusieurs ; il faut avouer que les pères de l'Eglise, même les premiers et les plus anciens, aussitôt après les apôtres, ont cru sur ce sujet plus

qu'on ne doit croire; non pas, à la vérité, la présence réelle du corps et du sang, mais la présence de toute leur vertu, réellement altachée au pain et au vin, que l'on confond aisément avec le corps et le sang même. Le ministre Claude, qui est aujourd'hui à la tête du parti, inarche sur les traces d'Aubertin, ne se défend que par le même principe; et nous savons avec certitude qu'il s'est ex pliqué en particulier à quelqu'un de ses amis qui le pressait sur ce sujet, que l'opinion de Calvin n'était point la sienne; qu'elle n'avait pas moins d'inconvénients (c'est ainst qu'il s'exprimait) que celle de l'Eglise romaine; enfin qu'elle ne pouvait être défendue ni par lui ni par autre. Figurez-vous donc, s'il vous plaît, en quel état doit se trouver un homme de bien et de bon sens, qui commence à se défier de leurs erreurs; quelle doit être son inquiétude, quel le trouble de son esprit, quel presque son désespoir, quand après une sérieuse réflexion il voit que sur toutes les autres controverses, du consentement même de ses plus savants auteurs, ayant contre lui quatorze ou quinze siècles d'antiquité, ce n'est plus que sur ce faible argument négatif et sur ces frivo es conjectures de critique, qu'il hasarde soa salut éternel; que d'un autre côté, en cett controverse si capitale et si importante de l'eucharistie, il lui faut de nécessité choisir de deux choses l'une, ou bien nier et désavouer en secret cette même confession de foi imprimée, dont il fait profession en public; et dire en même temps avec Aubertin, ce qui fait horreur à penser, que les pères de l'E glise, même les premiers et les plus anciens, aussitôt après les apôtres, se sont grossièrement trompés; ou bien embrasser, avec Cal vin seul, ce dogme qu'il a justement nomme incroyable, et que nul autre n'a pu croire après lui, rejetant ce que toute la terre a trouvé croyable, et qu'elle croit fermement de ce grand mystère, sur le témoignage de tant de grands saints, sur la parole de NotreSeigneur lui-même. Ces difficultés par le grand nombre d'écrits, de conférences et de disputes, ont passé peu à peu des savants an peuple même tout le monde les comprend; ceux qui ne les comprendraient pas sent touchés de l'exemple, dont le pouvoir a toujours été si grand sur l'esprit humain; el voyant dans cette grande multitude de convertis des personnes savantes, éclairées et désintéressées, d'une vie sans reproche, à qui leur changement a fait honneur, ils rejettent cette mauvaise honte, qui seule les retenait auparavant, et se rendent à ce grand, à ce solide et, pour ainsi dire, & ce palpable argument qui commence et qui finit toutes les conversions: qu'il y a un Dieu tout bon, tout sage, qui n'a point voulu attacher le salut à la connaissance du grec et du latin, et n'avoir avec lui que des théologiens et des philosophes, son dessein étant, ainsi quil l'a dit lui-même, que tous soient sauvés; qu'il a véritablement parlé d'une voie étroite pour les mœurs et pour la pénitence, parce qu'elles dépendent de nous; mais que quant à la doc

trine, où nous n'avons part aucune, et qui ne vient que de lui, il a bien voulu, tout au contraire, marquer un chemin royal et large où l'on ne se peut égarer si on ne le veut; établir enfin sa sainte cité sur la montagne qui ne peut demeurer cachée, et qu'on ne saurait ne point voir si on ne ferme les yeux. Vous voyez donc clairement, si je ne me trompe, quel est notre avantage aujourd'hui; combien les propres travaux de nos adversaires ont changé en notre faveur la face du combat; que leurs troupes, déjà en désordre, pour peu qu'on les pousse, promettent une victoire certaine à l'Eglise ; que les murailles de leur nouvelle Jéricho, déjà ébranlées sur leurs fondements, n'attendent plus pour tomber que le dernier son des trompettes (Jos., VI, 5) un peu plus long et plus éclatant que les précédents. J'entends par ces trompettes le concert si agréable et si charmant pour des oreilles chrétiennes. Sous un roi, surtout plus grand qu'on ne le peut dire, de qui si l'on se promet facilement tout ce qu'il y a de plus difficile, après ce que nous en avons déjà vu, ce ne sera point légèreté, mais sagesse. Ce n'est pas ici le lieu de parler de ses conquêtes, ni de tout ce qu'il a fait d'extraordinaire au dedans et au dehors de l'état; le sujet que je traite m'attache à une seule de ses louanges, mais qui est la source de toutes les autres. Il m'a semblé quelquefois qu'Homère n'avait pensé qu'à lui quand il nomme un de ses héros, mais plus noblement en sa langue que nous ne saurions le faire en la nôtre, le plus roi de tous les rois. Le ciel l'a tellement fait et formé pour ce qu'il devait être, qu'on dirait que gouverner est en lui ce que respirer est en nous, une action naturelle et insensible qui se mêle à toutes les autres sans en interrompre aucune ni qu'aucune l'interrompe. Ni temps, ni lieu, ni occasion ne suspendent et ne retardent ce mouvement continuel, mais réglé et tranquille, de roi et de

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maître. En s'habillant, en se couchant, en marchant, à table, à la promenade, à la chasse, dans les exercices, dans les divertissements, rien n'empêche que partout il n'écoute tout avec autant d'attention que s'il n'avait dans l'esprit qu'une seule chose. On demeure surpris et charmé de le voir à toug moments d'un petit mot répondre non seulement aux propositions, mais aux pensées de ceux qui lui parlent, et comme ne faisant rien, faire incessamment les plus importantes affaires du monde; véritable chef, ou plutôt véritable conseil de son conseil même, comme véritable général de ses plus fameux. généraux, sans que personne s'y puisse mé prendre, et qui n'emprunte point d'autrui la capacité, la sagesse, la justice et la piété qu'on admire en lui, mais les inspire luimême à ceux qui le servent à proportion de la confiance dont il lui plaît de les honorer. De là naît parmi les peuples une admiration el un amour que l'on ne peut exprimer : tous ses sujets sont ses courtisans, également persuadés en tous lieux et dans les provinces les plus reculées, qu'en lui seul sont renfermées toutes nos espérances ou particulières ou publiques, et tout ce que chacun de nous, ou possède, ou attend, ou désire de repos, de tranquillité, de fortune, de bien et d'honneur. Tous généralement, sans en excepter ceux-là mêmes que l'erreur sépare de nous, n'ont en cela qu'un même esprit et qu'un même sentiment, qui est que plaire, quand ils le peuvent, à un si grand, si bon et si sage maître, aller au-devant de ses pensées, lui obéir avant même qu'il commande, n'est pas seulement leur devoir, mais leur propre félicité. On sait, on voit, on sent avec quelle ardeur il désire de ramener tous les Français à la foi de leurs pères. C'en est assez avec toutes les dispositions que nous avons déjà remarquées, pour espérer, comme nous faisons, de voir en France, et durant son règne, un scul troupeau et un seul pasteur."*

REMARQUES

OU PREUVES POUR LE PREMIER TRAITÉ DE L'EXAMEN EN GÉNÉRAL.

SECTION II.

Article I, page 5. Si nous en voulons croire Aristote, c'est le fondement général de tous nos raisonnements, etc. Le passage est au quatrième livre de ses Métaphysiques, chapitre 3, à la fin, d'autant plus remarquable, que quelquesuns ne l'ont pas tout à fait entendu, et que c'est pourtant le fondement de toute sa dialectique, c'est-à-dire du chef-d'œuvre de son esprit.

Il est impossible qu'une même chose soit et ne soit pas en un même sujet et au même sens. Il est impossible que quelqu'un croie qu'une

même chose soit et ne soit pas ; mais il n'est pas nécessaire qu'il croie ce qu'il dit.

C'est pourquoi tous ceux qui font des démonstrations les font aboutir là : [Qu'il vous est impossible de croire vous-mêmes qu'une même chose soit et ne soit pas. ] C'est naturellement le principe des principes et de tous les axiomes. Le traducteur latin, le cardinal Bessarion a mis, cæterarum quoque dignitatum omnium principium; au lieu qu'il s'agit non de dignités, mais d'axiomes, ou en latin petitiones, principes, qu'on demande, dès l'entrée, être supposés d'un consentement commun sans autre preuve.

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