même : Ceci est mon corps. Le sacrement ne s'appelle que pain avant la bénédiction qui se fait par ces divines paroles; mais après la consécration, il est nommé corps de JésusChrist. Il dit aussi du vin, ceci est mon sang. Et ce n'est pas ainsi qu'on le nomme avant la consécration; mais après la consécration on l'appelle sang de Jésus-Christ. Et vous répondez, Amen, c'est-à-dire il est vrai. Croyez-le donc comme vous le dites, et que Vos sentiments s'accordent à vos paroles. Jésus-Christ nourrit son Eglise par les sacrements qui fortifient la substance de notre âme; et c'est en vue de ce continuel accroissement de sa grâce, qu'il dit à cette chaste épouse: Que votre sein est agréable, ma sœur et mon épouse! que le vin l'a embelli! l'odeur de vos habits surpasse tous les parfums, le miel distille de vos lèvres; mon épouse, votre langue est trempée de miel et delaît. L'odeur de vos vêtements ne cède pas aux cèdres du Liban. Vous êtes un jardin fermé, et une fontaine scellée (Cant., IV, 10). Par où il vous apprend, que vous devez conserver ce mystère en vousmême avec un grand soin, de peur de le profaner par de mauvaises actions, ou par la perte de la chasteté; pour ne le pas communiquer à ceux qui en sont indignes, et par une indiscrète légèreté en publier les secrets devant les infidèles. Veillez donc sans cesse à soutenir et fortifier votre foi, et que la pureté de votre vie ni la fidélité de votre secret, ne reçoivent jamais la moindre atteinte. C'est pour cela que l'Eglise, voulant cacher la grandeur de ses mystères, parle en termes figurés, quand elle tâche d'écarter les orages et les tempêtes, et d'attirer la douceur du printemps. Et parce qu'elle sait que son jardin est toujours agréable à son époux, voici comme elle s'en exprime dans le c. IV du Cantique: Levez-vous, aquilon, venez, vents du midi, soufflez sur tout mon jardin, et que mes parfums se répandent de toutes parts. Que mon bien-aimé descende en son jardin pour y manger de ses fruits (Cant., IV, 16). Ĉar ce jardin est planté d'arbres excellents et d'une grande fertilité; parce que leurs racines sont toujours arrosées de la fontaine sacrée qui, renouvelant sans cesse leur fécondité, ne les laisse jamais manquer de fruits. De sorte qu'il n'est pas à craindre pour eux, que le prophète y porte la coignée, puisqu'ils sont toujours dans l'abondance que demande l'Evangile. C'est dans la joie que le Seigneur a de cette abondance, qu'il répond: Je suis entré dans mon jardin, ma sœur et mon épouse; j'y ai recueilli ma myrrhe et mes parfums, j'ai mangé mon pain et mon miel, j'ai bu mon lait et mon vin (Cant., V, 1). Les fidèles entendent assez ce que c'est que ce pain et que ce vin. Et il est certain du reste, qu'il mange et qu'il boit en nous, comme on vous a lu que c'est en nous qu'il dira s'être vu prisonnier. Aussi l'Eglise, ravie de joie pour tant de grâces, appelle ses enfants et ses proches, et les invite à s'approcher à l'envi de ce sacrement. Venez, dit-elle, mes proches, enivrez-vous, mes frères (Ibid.). Et si vous voulez savoir ce que c'est que cette viande et ce breuvage qu'elle nous présente, apprenez-le du prophète, à qui le Saint-Esprit met ces paroles en la bouche: Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux; heureux l'homme qui met en lui toute sa confiance (Ps. XXXIII, 8). Jésus-Christ est dans ce sacrement, puisque son corps y est. Ce n'est donc pas une nourriture corporelle, mais spirituelle, ce qui fait dire à l'Apôtre, en parlant même de ce qui n'en était que la figure, que nos pères ont mangé une viande spirituelle et bu un breuvage spirituel (I Cor., X, 3); car le corps d'un Dieu ne saurait être qu'un corps spirituel. Le corps de Jésus-Christ est le corps d'un Esprit divin, parce que Jésus-Christ est Esprit, selon ces paroles de l'Ecriture: Le Christ, Notre-Seigneur, est un Esprit qui s'en va devant nous (Lam., Jér., IV, 20); et comme il est dit dans saint Pierre : JésusChrist est mort pour nous ( I Pier., II, 21, el III, 18). Enfin c'est là cette nourriture qui, selon le prophète, fortifie nos cœurs; et c'est là le breuvage qui réjouit le cœur de l'homme (Ps. CIII, 16). Ne doutons plus, après l'avoir reçu, que nous ne soyons véritablement régénérés; qu'il ne nous vienne seulement pas dans l'esprit de demander comment cette régénération s'est faite, et si nous sommes rentrés dans les entrailles de nos mères pour y prendre une nouvelle vie, ni de dire que nous ne reconnaissons rien là de naturel; car il ne faut point chercher l'ordre de la nature, où tout se fait par la grâce. Et pourquoi voudrions-nous que la nature eût part à la régénération, nous qui reconnaissons qu'elle n'en a point eu à la naissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en ne doutant point qu'il ne soit né d'une vierge ? car c'est du Saint-Esprit seul que cette sainte Vierge a conçu son Fils dans ses entrailles, comme il est porté dans l'Evangile (Matth., I, 20). Et s'il est vrai que le Saint-Esprit, survenant en Marie, lui a fait concevoir Jésus-Christ par la seule opération de la grâce, il ne faut pas douter aussi que, survenant aux eaux du baptême, ou dans celui qui le reçoit, il n'y opère une véritable régénération. CHAPITRE XXXVII. De l'Oraison catéchétique de saint Grégoire de Nysse (environ l'an 380). L'homme étant double et composé d'un corps et d'une âme, il n'y a point de salut pour nous si nous ne sommes unis par l'un et par l'autre à celui qui est l'auteur de la vie. L'âme s'y unit par la foi, et trouve ainsi le salut, puisque c'est participer à la vie que d'être uni à la vie; mais l'union du corps se fait par une voie différente (et qui convient à sa nature). Et comme ceux qui ont été em-, poisonnés ne se garantissent de la mori qu'en prenant quelque antidote, il faut que le corps reçoive en soi le remède de la même manière dont il a reçu le poison, et que la vertu de ce remède se répande partout où le poison a pénétré. Ainsi, comme c'est par la bouche que l'homme a reçu ce qui à corrompu sa nature, il faut qu'il prenne de même ce qui la rétablit, et que ce souverain contre-poison, par une opposition naturelle, répare le mal que le poison lui a fait. Mais qu'est-ce que ce contre-poison, sinon ce corps qui a paru le maître de la mort et la source de notre vie? Car comme le peu de levain qu'on met dans la pâte lui communique, selon saint Paul, toute sa force, de même ce corps que Dieu a livré à la mort n'est pas plus tôt entré dans le nôtre qu'il le change tout entier, et se le rend semblable. Et comme l'effet du poison est de corrompre tout ce qu'il y a de sain dans un corps, l'effet du corps immortel est aussi de changer en sa propre nature jusqu'aux moindres parties de celui qui le reçoit. Or, il n'y a que la voie du boire et du manger pour faire que quelque chose se mêle ainsi et s'insinue dans toutes les parties du corps. Il faut donc que la nature corporelle reçoive de cette manière, qui lui est propre, la vertu spirituelle qui donne la vie. Mais parce qu'une telle prérogative n'appartient qu'à ce corps que la Divinité s'est uni, et que nous avons fait voir que le nôtre ne peut acquérir l'immortalité qu'en devenant incorruptible par son union avec l'Etre immortel; il faut maintenant considérer comment il se peut faire que ce corps unique étant tous les jours distribué par toute la terre, à tant de milliers de fidèles, se trouve tout entier en chacun d'eux en particulier, et demeure néanmoins tout entier en lui-même. Et afin que notre foi ne soit troublée par aucun doute sur les conséquences de ce mystère, il sera bon de faire ici quelque réflexion sur la nature du corps. Il est certain que la vie n'en est pas une propriété essentielle, mais quelque chose qui lui vient de dehors et par le moyen de quoi il se conserve en son état, attirant par une action continuelle ce qui lui manque, et rejetant ce qu'il a de superflu. Et comme un outre plein de quelque liqueur, perd de sa grandeur et de sa figure sitôt qu'il s'écoule par quelque endroit, à moins qu'on ne le remplisse d'autant par une autre; d'où nous comprenons aisément que cette figure ne lui était pas naturelle et n'était qu'un effet de la liqueur qu'il contenait : nous ne voyons rien non plus dans la composition du corps humain qui puisse servir à le conserver en son état, que ce qui lui vient de dehors, et que nous appelons aliment ou nourriture. Il faut remarquer aussi que tous les corps ne se nourrissent pas également de toutes choses, mais que la Providence qui gouverne la nature a destiné à chacun ce qui lui était le plus convenable pour sa subsistance. D'où vient que certains animaux vivent de racines, d'autres paissent l'herbe, d'autres mangent de la chair; mais l'homme se nourrit principalement de pain, et pour entretenir par le boire l'humidité dont il a besoin, il faut aussi qu'il use d'eau, mais qu'il y mêle souvent un peu de vin pour soutenir la chaleur naturelle. Ainsi, qui voit ces aliments, voit en puissance la masse de notre corps; car quand ils y sont, ils deviennent sang et chair par cette faculté nutritive qui les ajuste à la figure du corps, et leur donne sa nature. Cela ainsi expliqué, revenons à notre proposition. Il était question de savoir comment cet unique corps de Jésus-Christ vivifie toute la nature de ceux en qui la foi se trouve, et comment il leur est à tous distribué sans recevoir aucune diminution. Et nous ne sommes peut-être pas loin d'en don ner une solution assez vraisemblable. Nous voyons que la consistance du corps se soutient par la nourriture, c'est-à-dire par le manger et le boire, par du pain et par un mélange du vin et de l'eau. Or le Verbe Dieu qui, comme nous avons dit ailleurs, est en même temps et Dieu et Verbe, s'étant uni la nature humaine, n'a rien changé (à l'égard du corps qu'il avait semblable au nôtre) des règles de cette nature; et il faisait, comme nous, subsister son corps par la voie ordinaire du boire et du manger, et ce manger était du pain. De même donc, comme nous avons souvent dit qu'en voyant du pain, nous voyons en quelque façon le corps humain, parce que le pain se change en sa substance; ainsi ce corps qui est uni à la Divinité, se nourrissant pareillement de pain, était en quelque manière ce pain même, puisque cet aliment se changeait en sa nature. Car ce qui est propre à tout corps se peut dire certainement de cette chair de JésusChrist, savoir, qu'elle était comme la nôtre dans le pain dont elle se nourrissait, quoique par l'inhabitation du Verbe elle eût été élevée jusqu'à la nature même de Dieu. J'ai donc raison de croire aussi que le pain sanctifié par le Verbe de Dieu se change au corps du Verbe Dieu; car déjà ce pain était en puissance de ce corps, et il a été sanctifié par son union avec le Verbe, qui s'est fait de notre chair comme une tente où il a voulu habiter; et par conséquent, comme le changement du pain en son corps communiquait au pain même la divinité, il en arrive de même en ce mystère. Car si, de ce côté-là, le Verbe par så grâce sanctifiait ce corps qui tirait sa substance du pain, et qui était luimême en quelque sorte du pain; ainsi, dans l'eucharistie, selon l'Apôtre, le pain est sanctifié par la parole de Dieu et par la prière; non que ce soit par la voie du boire et du manger qu'il devienne ce corps, mais parce que tout d'un coup il est changé par le Verbe en son corps, selon ces paroles du Verbe: Ceci est mon corps. Mais parce que nous avons aussi besoin d'humecter notre chair, et que sans cela ce que nous avons de terrestre et de solide ne saurait subsister, il faut que nous réparions l'humidité qui se dissipe sans cesse en nous, par quelque chose de même espèce, comme nous réparons et entretenons ce terrestre par les aliments solides. C'est ce qui nous fait user de la boisson, qui se change en notre sang par l'action de la faculté naturelle; surtout si elle se trouve aidée par la chaleur du vin. Et voilà pourquoi cette chair qui a reçu en soi la divinité, a voulu aussi que cette sorte de nourriture entrât en sa composition. Or, comme le Verbe en se rendant visible ne s'est chargé de notre nature mortelle qu'afin de l'élever à la Divinité, en lui communiquant la sienne, c'est pour cela que, par une dispensation de sa grâce, il veut entrer par sa chair dans tous les fidèles, en se mêlant dans leurs corps, dont la substance est formée par le pain et le vin, afin que cette union de l'homme avec le corps immortel lui communiquât l'incorruptibilité. Et c'est ce qu'il fait par la vertu de la bénédiction, en transélémentant (1) en ce corps la nature de ces choses visibles (c'est-à-dire du pain et du vin). Saint Gaudence, évêque de Bresse. II' sermon sur l'Exode, qui se trouve avec quelques autres dans la bibliothèque des pères (environ l'an 390). Jésus-Christ, ressuscité d'entre les morts, accomplit par le sacrement du baptême ce qui avait été figuré par la punition des Egyptiens submergés dans la mer Rouge (Exode, XIV, 28). Tous les démons furent remplis d'épouvante lorsqu'il revint des enfers pour ressusciter son corps: et par là les ennemis de Dieu, c'est-à-dire ceux de son peuple, ont été détruits. C'est sur quoi David s'écriait ainsi par un esprit prophétique: Que le Seigneur s'élève pour perdre ses ennemis; que ceux qui le haissent s'enfuient de devant lui; qu'ils soient dissipés comme de la fumée; que ses regards anéantissent les méchants comme le feu fond la cire, et que les justes se réjouissent comme en un jour de fête (Ps. LXVI, 1). Le père éternel a envoyé un Sauveur à son peuple, selon la sainte alliance qu'il avait faite pour jamais avec Abraham et sa postérité Ps. CX, 9; Luc., 1, 55); car par sa toutepuissance il a fait naître de ces pierres autrefois si dures, de ces Gentils (si rebelles), des enfants à Abraham (Matt., III, 9; Luc., III, 8). Que tous ceux qui ont été rachetés par le Sauveur, qu'il a retirés des mains de leurs ennemis, qu'il a ramassés de toutes parts, du couchant et du levant, du septentrion et du midi, publient maintenant que le Seigneur est bon, et que sa miséricorde est ternelle (Ps. CVI, 1, 11; CXXXV, 1); car au lieu que (du temps de Moïse), lorsque Israël sortit de l'Egypte, que la maison de Jacob fut délivrée de la servitude de ce peuple barbare (Ps. CXII, 1), il n'y eut que la nation juive qui fût choisie pour être consacrée au service de Dieu; c'est présentement un bonheur commun à tous ceux qui craignent le Seigneur et qui marchent dans ses voies (Ps. CXXVII, 1; Ps. XXXI, 1). Bienheureux ceux de qui les iniquités sont remises, et de qui les péchés sont couverts (Rom., X, 12). Il n'y a plus de distinction entre le Juif et le Grec; ils n'ont tous que le même Seigneur, qui répand (abondamment) les richesses de sa grâce sur tous ceux qui invoquent son (saint) nom, (1) C'est le mot grec persoas, qui se trouve aussi en d'autres endroits des Pères, comme celui de trans-élémentation, au même sens où l'Eglise emploie aujourd'hui elui de transsubstantiation. puisqu'il est écrit que tous ceux qui invoquent le nom du Seigneur seront sauvés (Rom., X, 13). Tous, tant que nous sommes, de ce nombre, et qui par le secours de Dieu nous trouvons délivrés de la captivité du démon, apprenons de quelle manière il faut manger la pâque, et ne faisons pas comme ces Juifs insensés qui se tiennent encore aux ombres, après que la vérité même est venue nous éclairer, croyant qu'il n'y a autre chose à faire que de tuer et manger cet agneau en chaque famille le 14 jour du premier mois (Exode, XII, 6). Car depuis que le Seigneur Jésus, ce véritable Agneau de Dieu, dont l'autre n'était que la figure, celui qui efface les péchés du monde, est venu sur la terre, chair et ne buvez mon sang, vous n'aurez et qu'il nous a dit: Si vous ne mangez ma point la vie en vous (Jean, VI, 54); c'est en vain que les Juifs pratiquent selon la chair ce qu'ils devraient faire spirituellement comme nous, s'ils veulent avoir part un jour à cette bienheureuse vie, puisque, selon l'Apôtre, la loi est spirituelle, et que JésusChrist, qui est notre pâque, a été immolé pour nous (Rom., VII, 14; II Cor., VI, 7). Nous vous expliquerons demain, s'il plaît à Dieu, le sens spirituel de tant de choses qui sont marquées dans la célébration de la Pàque, décrite au livre de l'Exode (Exode, XII, 3), ce que c'est que le dixième jour et le quatorzième; pourquoi l'immolation se faisait sur le soir; pourquoi un agneau d'un an, mâle et sans aucun défaut; de quel sang il fallait marquer les portes, comment inviter les voisins; pourquoi ces souliers et ces båtons; ce que c'est que le levain, ou le pain sans levain. Et nous ne parlerons présentement que des choses qui ne doivent pas être découvertes aux catéchumènes, et dont il est nécessaire d'instruire les nouveaux baptisés. Dans cette Pâque de l'ancienne loi, ce temps d'ombres et de figures, il fallait tuer plusieurs agneaux, c'est-à-dire un en chaque maison, parce qu'un seul n'eût pas suffi pour tout le peuple, et que ce mystère n'était que la figure, et non pas la réalité de notre Sauveur; car l'image d'une chose n'en est pas la vérité; elle la représente seule ment de même que l'homme, qui est fait à l'image de Dieu, n'est pas véritablement Dieu, quoiqu'on lui donne quelquefois ce nom par la seule raison de cette ressemblance; ce qui fait que n'y ayant qu'un Dieu par nature, il y en a plusieurs par représentation. Depuis donc que les ombres ont fait place à la vérité dans la loi où nous vivons, un seul (Agneau) est mort pour nous; et c'est le même dans chaque église qui, étant immolé sur nos autels, nous nourrit dans le sacrement du pain et du vin, qui donnent la vie à ceux qui le croient (d'une vive foi), et qui sanctifie ceux-là mêmes qui le consacrent. C'est là (véritablement) la chair, c'est le sang de l'Agneau; car c'est ce même pain vivant descendu du ciel qui a dit: Le pain que je donnerai, c'est ma chair que je donnerai pour la vie du monde (Jean, II, 5, 6). Son sang est aussi fort bien représenté sous l'es pece du vin, puisqu'en disant lui-même dans Evangile Je suis la véritable vigne (Jean. V, 11), il fait assez entendre que tout le vin qu'on offre (sur l'autel) en mémoire de sa passion est son sang. Et c'est à quoi pensait le bienheureux patriarche Jacob lorsqu'il prédit de Jésus-Christ qu'il laverait sa robe dans le vin, et son habit dans le sang de la grappe, parce que par son sang il devait un jour laver nos corps, qui sont comme les vêtements de nos âmes. C'est donc ce même Créateur et le Seigneur de toutes choses qui de la terre ayant formé du pain, fait ensujte de ce même pain son propre corps, parce qu'il le peut et qu'il l'a promis; et c'est luimême aussi qui, ayant autrefois changé l'eau en vin, change maintenant le vin en son sang. Or nous devons comprendre par les paroles de l'Ecriture sainte de quelle manière il faut manger cet agneau. Vous n'en mangerez rien de cru ni de bouilli dans l'eau; mais le tout sera rôti au feu, la tête même, les pieds et les entrailles (Exode, XII, 9). Il y a là deux sens spirituels, dont chacun fait entendre l'autre. Toute la sainte Ecriture, tant de l'Ancien que du Nouveau Testament, ne regarde que le Fils de Dieu, soit en promettant son avénement sur la terre, soit en nous avertissant qu'il y est déjà venu. D'où vient que Philippe ayant trouvé Jésus-Christ, dit ensuite à Nathanael Nous avons trouvé celui dont il est parlé dans la loi de Moise et dans les prophéties, et c'est Jésus de Nazareth, le fils de Joseph (Jean, I, 45). En un mot, mes frères, c'est lui qui comprend toute l'ancienne et la nouvelle loi, et qui est lui-même l'âme de cette loi; c'est lui qui a parlé par la bouche de Moïse, comme en effet il lui avait dit : Je dénouerai votre langue, et vous inspirerai tout ce que vous devez dire (Exode, IX, 12). C'est lui qui a parlé par les prophètes, selon ces paroles d'Isaïe: Me voici présent, moi qui parlais autrefois par les prophètes (Isaïe, LII, 6). C'est lui qui parlait par les apôtres, ainsi que le marque saint Paul, quand il dit aux Corinthiens: Est-ce que vous voulez éprouver le pouvoir de Jésus-Christ, qui parle par ma bouche (II Cor., XIII, 2)? Il ne faut donc pas manger crue la chair de cet Agneau immaculé, c'est-à-dire qu'il ne faut pas prendre superficiellement et à la lettre les paroles de Jésus-Christ, mais selon leur sens intérieur. Il ne faut pas qu'elles soient bouillies dans l'eau, c'est-à-dire qu'il ne les faut pas prendre amollies ou affaiblies par les vains discours de ceux dont les pensées toutes terrestres ne s'élèvent jamais vers le ciel. Mais elles doivent être rôties au feu, c'est-à-dire enflammées et animées par l'Esprit divin; car le propre du feu est de tendre en haut, d'où vient que Jésus-Christ disait aux Juifs: Vous étes d'ici-bas, mais pour moi je suis d'en haut (Jean, VIII, 23). Nous avons dit que les membres de l'Agneau de Dieu sont les livres saints; et quand nous disons qu'il en faut prendre la tête avec les pieds et les entrailfes, c'est-à-dire que par la tête nous entendons la Divinité qui est attestée par tous les DEMONST. EVANG. III. évangelistes; que les pieds marquent son incarnation arrivée sur la fin des temps, car les pieds sont les dernières parties du corps: et que les entrailles signifient les mystères secrets de sa doctrine. Vous n'en garderez rien jusqu'au lendemain, dit la loi; vous ne briserez aucun de ses os, et s'il en resle quelque chose vous le réduirez en cendre (Exode, II, 16). Cela signifie que s'il y a quelque chose en ces mystères qui nous soit présentement incompréhensible et qui ne doive être révélé que le jour de la résurrection que nous attendons (selon ces paroles de saint Paul Je n'ai présentement qu'une connaissance imparfaite de Dieu; mais pour lors je le connaîtrai comme il me connaît luimême I Cor., XIII, 2]), il faut faire passer tout cela par le feu, c'est-à-dire qu'il le faut jeter dans le feu du Saint-Esprit, et consumer par l'ardeur d'une foi vive tout ce qui est impénétrable à la raison. Il est dit qu'on n'en brisera point les os (Exode, XII, 46), pour marquer qu'il ne faut pas affaiblir ni ébranler ce que l'Ecriture a de plus constant et de plus solide; mais le laisser en toute sa force, sous peine d'encourir la disgrâce de celui dont on aura brisé les os, comme il l'a fait entendre par ces paroles: Malheur à vous, docteurs de la loi, et pharisiens hypocrites, avec tout le soin que vous avez de payer la dime de la menthe, de l'anet et du cumin, pendant que vous négligez ce qu'il y a dans la loi de plus important, la foi, la justice et la miséricorde (Matth., XXIII, 23). Ce sont là les os de l'Agneau. En un autre endroit, parlant aux mêmes gens: Vous anéantissez le commandement de Dieu pour faire valoir vos traditions (Marc, VII, 9). L'Exode ajoute ensuite: Voici de quelle manière vous mangerez l'agneau. Vous aurez une ceinture sur les reins, des souliers aux pieds, et des bâtons à la main, et vous le mangerez à la háte, car c'est la pâque du Seigneur (Exode. XII, 11). Pour les souliers et les bâtons, il y aurait trop de choses à dire; nous en parlerons ailleurs. Mais à l'égard de cette ceinture sur quoi je me suis fort étendu en d'autres occasions, j'en parlerai encore ici en peu de mots. Dieu dit à Jérémie Ceignez vos reins, et allez dire au peuple, etc. (Jérém., I, 17) ; et à Jacob: Mettez comme un homme, que vous êtes, une ceinture sur vos reins; je vous interrogerai, et vous répondrez: Où étiez-vous lorsque je posais les fondements de la terre? etc. (Job, XXXVIII, 3, 4); et aux apôtres : Ayez une ceinture sur vos reins (Luc, XII, 25). Et l'on voit par l'exemple de saint JeanBaptiste pourquoi cela est si fort recommandé, car il portait toujours une cein ture de cuir. L'Apôtre marque ce qu'on doit entendre par les reins, quand il dit que Lévi était encore en ceux d'Abraham (Hebr., VII, 10), c'est-à-dire dans la race sacerdotale), quand Melchisedech vint au devant de ce patriarche. Cette ceinture de cuir autour des reins n'est donc autre chose que la mortification et l'anéantissement des vicescomme le cuir dont nous nous servons est toujours tiré d'une bête morte. Et si nous (Trente.) voulons satisfaire à l'ordre de Dieu il faut aussi que nous commencions par mortifier les passions et la cupidité, pour prendre ensuite le corps de Jésus-Christ, qui s'est immolé pour nous lorsque nous étions les esclaves du démon. C'est pour cela, dit l'Apôtre, que chacun doit s'éprouver soi-même avant que de manger de ce pain et boire de ce breuvage (I Cor., XI). Quand on nous ordonne de le manger à la hâte, c'est pour nous apprendre à ne pas recevoir négligemment le sacrement du corps et du sang de Notre-Seigneur, mais avec une avidité de gens véritablement pressés de la faim et de la soif de la justice: Heureux, dit Jésus-Christ, ceux qui sont affamés et altérés de la justice, car ils seront rassasiés (Matth., V, 6). L'Ecriture sainte conclut enfin d'une manière admirable et très-digne des grandes choses qu'elle avait dites, lorsqu'elle finit par ces paroles Car c'est la pâque du Seigneur. O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu! car c'est, dit-elle, Pâque, c'est-à-dire le passage du Seigneur (Exode, XII, 11; Rom., XI, 33). Ne regardez donc plus (ce pain et ce vin) comme des choses terrestres. Jésus-Christ y est passé et les a rendues toutes divines en les faisant devenir son corps et son sang. C'est pourquoi nous devons observer particulièrement, en recevant ce mystère de la passion de Notre-Seigneur, ce que nous avons dit en général de la manière de manger l'agneau (pascal), c'est à-dire qu'il ne faut pas se rebuter comme les Juifs, en prenant celte chair et ce sang comme du sang tout cru ou de la chair toute crue, ni dire avec eux: Comment celui-ci nous peutil donner sa chair à manger? Il ne faut non plus considérer ce sacrement comme une chose terrestre et commune ni le prendre avec un cœur charnel; mais tenez pour très-assuré que par le feu du Saint-Esprit il est devenu tel que nous l'a dit Notre-Seigneur, et que ce que vous (y) recevez est le corps dece pain du ciel et le sang de cette vigne sacrée, puisqu'en présentant à ses disciples le pain et le vin qu'il avait consacrés, il leur dit: Ceci est mon corps, ceci est mon sang (Matth., XXVI, 28). Croyons donc, je vous conjure, à celui à qui nous avons commencé de croire. La vérité ne sait point mentir. Aussi dans ce grand étonnement où étaient les Juifs lorsqu'il leur parlait de manger son corps et de boire son sang, et comme ils disaient entre eux en murmurant Voilà d'étranges paroles, et qui est ce qui les peut souffrir (Jean, VI, 61)? il ajouta aussitôt, pour effacer ces basses pensées où nous ne devons jamais entrer et pour les consumer par un feu du ciel : C'est l'esprit qui donne la vie, car la chair ne sert de rien; les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie (Ibid.). C'est pour cela qu'il nous est ordonné de manger et sa tête, qui marque son essence divine, et ses pieds, qui sont son humanité, et ses entrailles, qui sont (l'esprit de vie caché sous) ces mystères, et de croire également tout ce que nous avons appris (là-dessus) de la tradition, prenant bien garde à ne pas briser cet os si solide de l'agneau (c'est-à-dire cette grande vérité contenue en ces paroles : Ceci est mon corps, ceci est mon sang). Que s'il reste encore quelque chose après cette explication, que quelqu'un de vous n'ait pas assez bien compris, il doit achever de le consumer par l'ardeur de la foi; car notre Dieu est un feu qui consume, qui purifie, qui instruit et qui éclaire nos esprits de la connaissance des choses divines, et nous fait entendre les causes et les raisons mêmes de ce sacrifice céleste établi par Jésus-Christ, à qui nous devons rendre des actions de grâces éternelles d'un don si précieux et si ineffable. C'est là le véritable legs qu'il vous a laissé comme un gage de sa présence par son Nouveau Testament, la nuit même qu'il fut trahi pour être livré à la mort. C'est là le viatique qui nous nourrit et qui nous soutient dans le cours de cette vie (mortelle) jusqu'à ce que nous retournions à lui-même au sortir de ce monde, après y avoir fait un bon usage de ces paroles du même Seigneur : Si vous ne mangez ma chair et ne buvez mon sang, vous n'aurez point la vie en vous (Jean, VI, 54). C'est ainsi qu'il a voulu nous faire toujours ressentir l'effet de ses bontés, et que son précieux sang sanctifiât continuellement nos âmes par l'image de sa propre passion; et c'est pour cela qu'après avoir établi ses fidèles disciples les premiers prêtres de son Eglise, il leur ordonna de célébrer sans cesse ces mystères de la vie éternelle comme le doivent faire aussi nécessairement tous les prêtres dans toutes les Eglises du monde, jusqu'au nouvel avénement de Jésus-Christ, afin que, tant les prêtres que tout le peuple fidèle, ayant tous les jours devant les yeux une image de la passion de JésusChrist, et la portant dans nos mains, et la recevant même dans notre bouche et dans notre poitrine, nous ne perdions jamais le souvenir de notre rédemption, et que nous nous trouvions toujours munis d'un préservatif perpétuel et d'un remède assuré contre les poisons du démon, comme nous y exhorte le Saint-Esprit : Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux (Ps. XXXIII, 8). Or, il y a deux raisons pour lesquelles Jésus-Christ nous ordonne d'offrir le sacrement de son corps et de son sang sous les espèces du pain et du vin. Premièrement, comme cet agneau de Dieu était sans tache, il veut aussi qu'un peuple pur sacrifie une hostie pure et immaculée, où il ne soit point besoin de sang ni de bouillon ou jus de viandes, ni de cuisson, et dont l'offrande soit toujours preste et facile; en second lieu, comme il faut que le pain soit composé de plusieurs grains de froment réduits en farine, pétris avec l'eau et cuits par le feu, c'est avec beaucoup de raison que l'on conçoit dans cette matière la figure du corps de Jésus-Christ, que nous savons être un corps formé et, pour ainsi dire, pétri de toute la multitude du genre humain, et qui reçoit sa perfection par le feu du SaintEsprit; car il est né de cet Esprit saint qui descendit sur lui sous la figure d'une colombe, et c'est ainsi qu'il sortit du Jourdain, selon cette parole de l'Evangile : Jésus rempli du Saint-Esprit (Luc, IV, 1. Et parce qu'il était à propos qu'il accomplit toute justice |