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LE PRINTEMPS EN BRETAGNE.

Le printemps en Bretagne est plus doux qu'aux environs de Paris et fleurit trois semaines plus tôt. Les cinq oiseaux qui l'annoncent, l'hirondelle, le loriot, le coucou, la caille, et le rossignol, arrivent avec de tièdes brises qu'hébergent les golfes de la péninsule armoricaine.* La terre se couvre de marguerites, de pensées, de jonquilles, de jacinthes, de narcisses, de renoncules, d'anémones, comme les espaces abandonnés qui environnent Saint-Jean-de-Latran et Sainte-Croix de Jérusalem, à Rome. Des clairières se panachent d'élégantes et hautes fougères; des champs de genêts et d'ajoncs resplendissent de fleurs qu'on prendrait pour des papillons d'or posés sur des arbustes verts et bleuâtres.

Les haies, au long desquelles abondent la fraise, la framboise, et la violette, sont décorées d'églantiers, d'aubépine blanche et rose, de boules de neige, de chèvrefeuilles-convolvulus, de buis, de lierre à baies écarlates, de ronces dont les rejets brunis et courbés portent des feuilles et des fruits magnifiques. Tout fourmille d'abeilles et d'oiseaux : les essaims et les nids arrêtent les

enfants à chaque pas. Le myrte et le laurier croissent en pleine terre; la figue mûrit comme en Provence. Chaque pommier, avec ses roses carminées, ressemble à un gros bouquet de fiancée de village.

L'aspect du pays, entrecoupé de fossés boisés, est celui d'une continuelle forêt, et rappelle l'Angleterre. Des vallons étroits et profonds, où coulent, parmi des saussaies et des chènevières, des petites rivières non navigables, présentent des perspectives riantes et solitaires. Les futaies à fonds de bruyères et à cépées de houx, habitées par des sabotiers, des charbonniers, et des verriers tenant du gentilhomme, du commerçant, et du sauvage, les landes nues, les plateaux pelés, les champs

L'Armorique est l'ancien nom de la Bretagne. Elle tire son nom de deux mots celtiques: or, proche, et mor, mer.

rougeâtres de sarrazin, qui séparent ces vallons entre eux, en font mieux sentir la fraîcheur et l'agrément. Sur les côtes se succèdent des tours à fanaux, des clochers de la Renaissance,* des vigies, † des ouvrages romains, des monuments druidiques, des ruines de châteaux: la mer borne le tout. CHATEAUBRIAND.

Observation.-Description charmante, écrite avec tout l'amour que peut inspirer la terre natale. Le style si élevé et si majestueux de M. de Chateaubriand s'est admirablement plié à la forme bucolique: Virgile n'eût pas mieux dit.

LA MAISON, LES AMIS, LES PLAISIRS DE JEAN-JACQUES A LA CAMPAGNE, S'IL ÉTAIT RICHE.

JE n'irais pas me bâtir une ville à la campagne, et mettre au fond d'une province les Tuileries devant mon appartement. Sur le penchant de quelque agréable colline bien ombragée, j'aurais une petite maison rustique, une maison blanche avec des contrevents verts; et, quoiqu'une couverture de chaume soit en toute saison la meilleure, je préférerais magnifiquement, non la triste ardoise, mais la tuile, parce qu'elle a l'air plus propre et plus gaie que le chaume, qu'on ne couvre pas autrement Îes maisons dans mon pays, et que cela me rappellerait un peu l'heureux temps de ma jeunesse. J'aurais pour cour une basse-cour, et pour écurie une étable avec des vaches, pour avoir du laitage que j'aime beaucoup. J'aurais un potager pour jardin, et pour parc un joli verger. Les fruits, à la discrétion des promeneurs, ne seraient ni comptés ni cueillis par mon jardinier, et mon avare magnificence n'étalerait point aux yeux des espaliers superbes auxquels à peine on osât toucher. Or, cette petite prodigalité serait peu coûteuse, parce que j'aurais choisi mon asile dans quelque province éloignée

* La Renaissance (des beaux-arts); ère nouvelle qui date du règne de François Ier.

+ Pointes de rochers isolés au milieu de la mer.

Le palais des Tuileries. On l'appelle ainsi, parce qu'il y avait autrefois des tuileries dans cet endroit.

où l'on voit peu d'argent et beaucoup de denrées, et où règnent l'abondance et la pauvreté.

Là, je rassemblerais une société plus choisie que nombreuse d'amis aimant le plaisir, et s'y connaissant, de femmes qui pussent sortir de leur fauteuil et se prêter aux jeux champêtres, prendre quelquefois, au lieu de la navette et des cartes, la ligne, les gluaux, le rateau des faneuses et le panier des vendangeurs. Là, tous les airs de la ville seraient oubliés; et, devenus villageois au village, nous nous trouverions livrés à des foules d'amusements divers, qui ne nous donneraient chaque soir que l'embarras du choix pour le lendemain. L'exercice et la vie active nous feraient un nouvel estomac et de nouveaux goûts. Tous nos repas seraient des festins, où l'abondance plairait plus que la délicatesse. La gaieté, les travaux rustiques, les folâtres jeux, sont les premiers cuisiniers du monde, et les ragoûts fins sont bien ridicules à des gens en haleine depuis le lever du soleil. Le service n'aurait pas plus d'ordre que d'élégance; la salle à manger serait partout, dans le jardin, dans un bateau, sous un arbre, quelquefois au loin, près d'une source vive, sur l'herbe verdoyante et fraîche, sous des touffes d'aunes et de coudriers: une longue procession de gais convives porterait en chantant l'apprêt du festin; on aurait le gazon pour table et pour chaises; les bords de la fontaine serviraient de buffet, et le dessert pendrait aux arbres. Les mets seraient servis sans ordre, l'appétit dispenserait des façons; chacun, se préférant ouvertement à tout autre, trouverait bon que tout autre se préférât de même à lui: de cette familiarité cordiale et modérée, naîtrait sans grossièreté, sans fausseté, sans contrainte, un conflit badin, plus charmant cent fois que la politesse, et plus fait pour lier les cœurs. Point d'importuns laquais épiant nos discours, critiquant tout bas nos maintiens, comptant nos morceaux d'un œil avide, s'amusant à nous faire attendre à boire, et murmurant d'un trop long dîner. Nous serions nos valets, pour être nos maîtres; chacun serait servi par tous; le temps passerait sans le compter, le repas serait le repos, et durerait autant que l'ardeur du jour. S'il passait près de

nous quelque paysan retournant au travail, ses outils sur l'épaule, je lui réjouirais le cœur par quelques bons propos, par quelques coups de bon vin qui lui feraient porter plus gaiement sa misère; et moi, j'aurais aussi le plaisir de me sentir émouvoir un peu les entrailles, et de ine dire en secret: "Je suis encore homme."

Si

Si quelque fête champêtre rassemblait les habitants du lieu, j'y serais des premiers avec ma troupe. quelques mariages, plus bénis du ciel que ceux des villes, se faisaient à mon voisinage, on saurait que j'aime la joie, et j'y serais invité. Je porterais à ces bonnes gens quelques dons simples comme eux, qui cóntribueraient à la fête, et j'y trouverais en échange des biens d'un prix inestimable, des biens si peu connus de mes égaux, la franchise et le vrai plaisir. Je souperais gaiement au bout de leur longue table, j'y ferais chorus au refrain d'une vieille chanson rustique, et je danserais dans leur grange, de meilleur cœur qu'au bal de l'Opéra. J J. ROUSSEAU.

ÉPITRE A M. DE LAMOIGNON.

Oui, Lamoignon,* je fuis les chagrins de la ville,
Et contre eux la campagne est mon unique asile.
Du lieu qui m'y retient veux-tu voir le tableau ?
C'est un petit village, ou plutôt un hameau,
Bâti sur le penchant d'un long rang de collines,
D'où l'oeil s'égare au loin dans les plaines voisines.
La Seine, au pied des monts que son flot vient laver,
Voit du sein de ses eaux vingt îles s'élever,
Qui, partageant son cours en diverses manières,
D'une rivière seule y forment vingt rivières.
Tous ses bords sont couverts de saules non plantés,
Et de noyers souvent du passant insultés.
Le village au-dessus forme un amphithéâtre :
L'habitant ne connaît ni la chaux ni le plâtre ;

Avocat général en 1674, depuis président à mortier, mort en 1709. Mortier signifie ici une sorte de bonnet rond de velours que portent les Présidents.

Et dans le roc, qui cède et se coupe aisément,
Chacun sait de sa main creuser son logement.
La maison du seigneur, seule un peu plus ornée,
Se présente au dehors de murs environnée.
Le soleil en naissant la regarde d'abord,
Et le mont la défend des outrages du nord.

C'est là, cher Lamoignon, que mon esprit tranquille
Met à profit les jours que la Parque me file.
Ici dans un vallon bornant tous mes désirs,
J'achète à peu de frais de solides plaisirs;
Tantôt, un livre en main, errant dans les prairies,
J'occupe ma raison d'utiles rêveries:

Tantôt, cherchant la fin d'un vers que je construi,
Je trouve au coin d'un bois le mot qui m'avait fui:
Quelquefois, aux appas d'un hameçon perfide,
J'amorce, en badinant, le poisson trop avide;
Ou d'un plomb qui suit l'œil, et part avec l'éclair,
Je vais faire la guerre aux habitants de l'air.
Une table au retour, propre et non magnifique,
Nous présente un repas agréable et rustique:
Là, sans s'assujettir aux dogmes du Broussain,
Tout ce qu'on boit est bon, tout ce qu'on mange est sain;
La maison le fournit, la fermière l'ordonne,
Et mieux que Bergerat* l'appétit l'assaisonne.
O fortuné séjour! ô champs aimés des cieux!
Que, pour jamais foulant vos prés délicieux,
Ne puis-je ici fixer ma course vagabonde,
Et connu de vous seuls oublier tout le monde !

Qu'heureux est le mortel qui, du monde ignoré,
Vit content de soi-même en un coin retiré;
Que l'amour de ce rien, qu'on nomme renommée,
N'a jamais enivré d'une vaine fumée

;

Qui de sa liberté forme tout son plaisir,

Et ne rend qu'à lui seul compte de son loisir !
Il n'a point à souffrir d'affronts ni d'injustices,
Et du peuple inconstant il brave les caprices.

Ne demande donc plus par quelle humeur sauvage
Tout l'été, loin de toi, demeurant au village,

*Fameux traiteur de ce temps.

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