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J'y passe obstinément les ardeurs du lion,
Et montre pour Paris si peu de passion.
C'est à toi, Lamoignon, que le rang, la naissance,
Le mérite éclatant, et la haute éloquence,
Appellent dans Paris aux sublimes emplois,
Qu'il sied bien d'y veiller pour le maintien des lois.
Tu dois là tous tes soins au bien de ta patrie :
Tu ne t'en peux bannir que l'orphelin ne crie;
Que l'oppresseur ne montre un front audacieux :
Et Thémis pour voir clair a besoin de tes yeux.
Mais pour moi, de Paris, citoyen inhabile,
Qui ne lui puis fournir qu'un rêveur inutile,
Il me faut du repos, des prés et des forêts.
Laisse-moi donc ici, sous leurs ombrages frais,
Attendre que septembre ait ramené l'automne,
Et que Cérès contente ait fait place à Pomone.
Quand Bacchus comblera de ses nouveaux bienfaits
Le vendangeur ravi de ployer sous le faix,
Aussitôt ton ami, redoutant moins la ville,
T'ira joindre à Paris, pour s'enfuir à Bâville.*
Là, dans le seul loisir que Thémis t'a laissé,
Tu me verras souvent, à te suivre empressé,
Pour monter à cheval rappelant mon audace,
Apprenti cavalier galoper sur ta trace.
Tantôt sur l'herbe assis, au pied de ces coteaux
Où Polycrène épand ses libérales eaux,
Lamoignon, nous irons, libres d'inquiétude,
Discourir des vertus dont tu fais ton étude;
Chercher quels sont les biens véritables ou faux;
Si l'honnête homme en soi doit souffrir des défauts ;
Quel chemin le plus droit à la gloire nous guide,
Ou la vaste science, ou la vertu solide.

C'est ainsi que chez toi tu sauras m'attacher.
Heureux si les fâcheux, prompts à nous y chercher,
N'y viennent point semer l'ennuyeuse tristesse !
BOILEAU DESPRÉAUX.-Né en 1636.

* Maison de campagne de M. de Lamoignon.

Mort en 1711.

Fontaine, à une demi-lieue de Bâville, ainsi nommée par le premier président de Lamoignon.

LE

SCÈNE DRAMATIQUE.

COMTE D'ERMONT, lieutenant-général. MADAME THOMAS, maîtresse d'auberge. M. HACHIS, cuisinier. (La scène représente une chambre d'auberge de campagne.)

MAD. THOM. (entrant la première, et fermant la fenêtre.) Monsieur le comte, voilà votre chambre.

LE COMTE. Elle n'a pas trop bonne mine; mais une nuit est bientôt passée.

MAD. THOM. Monsieur, c'est la meilleure de la maison; personne n'a encore couché dans ce lit-là depuis que les matelas ont été rebattus.

LE COMTE. Voulez-vous bien mettre cela quelque part. (Il lui donne son chapeau, son épée et sa canne, et il s'assied.) Ah çà, madame Thomas, qu'est-ce que vous me donnerez à souper?

MAD. THOM. Tout ce que vous voudrez, monsieur le

comte.

LE COMTE. Mais encore?

MAD. THOM. Vous n'avez qu'à dire.

LE COMTE. Qu'est-ce que vous avez?

MAD. THOM. Je ne sais pas bien; mais si vous voulez, je m'en vais faire monter monsieur l'écuyer.

LE COMTE. Ah! oui, je serai fort aise de causer avec monsieur l'écuyer.

MAD. THOM. (criant.) Marianne, dites à monsieur l'écuyer de monter.

LE COMTE. Avez-vous bien du monde, dans ce tempsci, madame Thomas?

MAD. THOM. Monsieur, pas beaucoup depuis qu'on a fait passer la grande route par...chose...

LE COMTE. Je passerai toujours par ici, moi; je suis bien aise de vous voir, madame Thomas.

MAD. THOм. Ah, monsieur, je suis bien votre servante, et vous avez bien de la bonté.

LE COMTE. Il y a longtemps que nous nous connaissons.

MAD. THOM. Monsieur m'a vue bien petite.

LE COMTE. Et Vous m'avez toujours vu grand, vous. C'est bien différent.

(M. HACHIS entre.)

MAD. THOм. Tenez, monsieur l'écuyer, parlez à monsieur le comte.

LE COMTE. Ah! monsieur l'écuyer, qu'est-ce que vous me donnerez à manger?

M. HACH. Monsieur, dans ce temps-ci nous n'avons pas de grandes provisions.

LE COMTE. Mais qu'est-ce que vous avez?

:

M. HACH. Qu'est-ce que monsieur le comte aime ? LE COMTE. Je ne suis pas difficile mais je veux bien souper voyons.

M. HACH. Si monsieur le comte avait aimé le veau. LE COMTE. Oui, pourquoi pas ?

M. HACH. Ce matin, nous avions une noix de veau excellente.

LE COMTE. Hé bien, donnez-la moi.

M. HACH. Oui, mais il y a deux messieurs qui l'ont mangée. Cela ne fait rien, on donnera autre chose à monsieur le comte.

LE COMTE. Mais quoi?

M. HACH. Madame Thomas, si nous avions cette outarde de l'autre jour......

LE COMTE. Est-ce qu'il y en a dans ce pays-ci?
MAD. THOM. Oui, monsieur, quelquefois.

LE COMTE. Et vous ne pourriez pas en avoir une ?
M. HACH. Oh! non.

LE COMTE. Pourquoi dit-il que vous en aviez une l'autre jour ?

MAD. THOM. Ce n'est pas nous, ce sont des voyageurs qui passent par ici, et qui nous en font voir, quand ils en ont; et quand il dit l'autre jour, il y a plus de six mois. M. HACH. Six mois ! il n'y en a pas trois.

MAD. THOM. Je dis qu'il y en a six, puisque c'était le jour du mariage de monsieur le Bailli.

M. HACH. Vous croyez ?

MAD. THOM. J'en suis sûre.

LE COMTE. Oui, mais avec tout cela, je meurs de faim, et je ne sais pas encore ce que j'aurai à souper.

MAD. THOM. Il n'y a qu'à commencer par faire une fricassée de poulets.

M. HACH. Oui, cela se peut faire, et cela n'est pas long.

LE COMTE. Hé bien, allez donc toujours. rons après.

Nous ver

M. HACH. Allons, allons. (Il s'en va et revient.) Je songe une chose : nous n'en avons pas de poulet; nous n'avons que ceux qui sont éclos ce matin, et ils sont trop petits.

MAD. THOM. Hé bien, nous donnerons autre chose à monsieur.

LE COMTE. Mais dépêchez-vous.

MAD. THOM. Il n'y a qu'à faire une compote de pigeons.

M. HACH. Vous savez bien que depuis qu'on a jeté un sort sur le colombier, il n'y en revient plus.

MAD. THOM. C'est vrai, je n'y pensais pas.

LE COMTE. Mais donnez-moi de la viande de boucherie, et finissons.

MAD. THOM. Monsieur l'écuyer n'est pas long, il est accoutumé à servir promptement.

LE COMTE. Donnez-moi des côtelettes.

M. HACH. On a mangé les dernières à dîner.
LE COMTE. N'y a-t-il pas ici un boucher?

MAD. THOM. Oui, monsieur; mais c'est aujourd'hui jeudi, il ne tuera que demain.

LE COMTE. Quoi, je ne pourrai donc rien avoir?

M. HACH. Pardonnez-moi; mais c'est qu'il faut savoir le goût de monsieur.

LE COMTE. Mais j'aime tout, et vous n'avez rien.
M. HACH. Si monsieur voulait un gigot, par exemple?
LE COMTE. Oui, et vous n'en aurez point?

M. HACH. Je vous demande pardon, nous en avons un. LE COMTE. Ah! voilà donc quelque chose! et il sera bien dur?

M. HACH. Non, monsieur, il sera fort tendre, j'en réponds.

LE COMTE. Hé bien, mettez-le à la broche tout de suite.
M. HACH. Allons, allons, il sera bientôt cuit.

LE COMTE. Vous n'avez pas autre chose?

M. HACH. Non, monsieur, pour le présent; mais si vous repassiez dans huit jours......

LE COMTE. Hé, va te promener. Allons, ne perdez pas de temps.

M. HACH. J'y vais, j'y vais.

MAD. THOM. Et moi, je m'en vais mettre le couvert, en attendant.

LE COMTE. Allons, dépêchez-vous, tous les deux.
MAD. THOM. Vous n'attendrez pas. (Elle sort.)

LE COMTE. (seul, prenant du tabac.) Quelle misérable auberge! (Il se promène.) On ne m'y rattrapera plus. (Il regarde à la fenêtre, et lit l'enseigne.) "Ici l'on fait noces et festins." Ce sont de jolis festins, je crois.

CARMONTELLE.

LE VIEILLARD ET LES TROIS JEUNES
HOMMES.

UN octogénaire plantait.

Passe encor de bâtir; mais planter à cet âge!
Disaient trois jouvenceaux, enfants du voisinage :
Assurément il radotait.

Car, au nom des dieux, je vous prie,
Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir ?
Autant qu'un patriarche il vous faudrait vieillir.
A quoi bon charger votre vie

Des soins d'un avenir qui n'est pas fait pour vous ?
Ne songez désormais qu'à vos erreurs passées :
Quittez le long espoir et les vastes pensées;
Tout cela ne convient qu'à nous.

Il ne convient

Repartit le vieillard.

pas à vous-mêmes,

Tout établissement

Vient tard et dure peu. La main des Parques blêmes
De vos jours et des miens se joue également.

Nos termes sont pareils par leur courte durée.
Qui de nous, des clartés de la voûte azurée

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