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>> ne laissa que le nom de la liberté, en la faisant pré>> venir par les décrets divins, qui sembloient en ôter » toute la force. »

Il prétendoit que les Grecs et les semi-pélagiens de l'Occident avoient seuls conservé la doctrine de l'ancienne Eglise sur le libre arbitre; et que le grand nom de saint Augustin avoit seul amené la révolution qui s'étoit opérée dans l'Occident sur le concours de la grâce et du libre arbitre.

L'abus que les calvinistes avoient fait de quelques textes mal interprétés de saint Augustin étoit probablement ce qui l'avoit le plus prévenu contre ce Père de l'Eglise. Car le seul sentiment un peu violent qu'ait jamais éprouvé Grotius, naturellement doux et modéré, tenoit à son antipathie pour la doctrine de Calvin. Grotius, à l'exemple de tous les calvinistes raisonnables, s'éleva avec chaleur contre l'opinion ridicule et extravagante des synodes, qui avoient si gravement prononcé que le pape étoit l'antechrist. Il composa même plusieurs écrits pour réfuter une absurdité qui n'avoit pas besoin d'être sérieusement réfutée.

Grotius désavoua même dans la suite les opinions sociniennes qu'il avoit trop légèrement adoptées; « et il » déclara1 nettement qu'il tenoit sur la Trinité et sur >> l'incarnation de Jésus-Christ tout ce qu'en croyoit >> l'Eglise romaine et l'université de Paris. Lorsqu'on >> lui objectoit ses premiers écrits, il répondoit qu'il >> ne falloit pas s'étonner que son jugement devint tous >> les jours plus sain par l'âge, par les conférences » avec les habiles gens, et par la lecture assidue. »

Mais, au milieu même de ces dispositions, il s'abandonnoit quelquefois à des imaginations singulières. Sa vaste érudition lui montroit tant d'incertitude dans les opinions humaines, qu'il voyoit toujours des objections à côté des raisons. Cette anxiété de l'esprit finit nécessairement par ne laisser que des doutes et du vague dans les idées; lorsqu'elle est surtout entre

'Dissertation sur Grotius,

III.

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tenue par cette indécision de caractère, qui paroît avoir été l'habitude de toute la vie de Grotius. Il auroit voulu rencontrer toujours l'évidence, qui ne peut pas toujours se trouver avec les obscurités qui enveloppent de tous côtés l'intelligence humaine; et il oublioit que l'esprit d'une religion révélée consiste dans cette soumission, sans laquelle il n'y auroit pas eu besoin de révélation. Ainsi, dans le temps même où Grotius faisoit ses aveux si décisifs pour la doctrine catholique, on le voit occupé de l'idée la plus bizarre.

Son aversion pour le calvinisme l'avoit déterminé à renoncer à toute communion extérieure avec le culte des réformés; mais, ne pouvant se dissimuler que les hommes ont besoin d'être unis par les liens et les symboles d'un culte public, et n'osant encore se déclarer catholique, il chercha à s'étourdir sur cette espèce d'excommunication absolue, à laquelle il s'étoit luimême condamné.

Il composa un petit traité, où il examinoit la question: « S'il est nécessaire de communier toujours par » les symboles extérieurs, c'est-à-dire par les sacre>>ments. » Il conclut pour la négative, se persuadant qu'il suffisoit de s'unir dans l'intérieur avec les fidèles, sans aucun lien extérieur de communion. Dans ce repos trompeur, il cherchoit à étourdir sa conscience, et il se contentoit de faire dans ses écrits des vœux pour la paix.

Mais il ne pouvoit trouver cette paix intérieure; mécontent de lui-même, mécontent de la turbulence inquiète des sectes avec lesquelles il avoit eu à combattre ; trop sage et trop éclairé pour ne pas sentir que la nature et la raison prescrivent aux hommes de rendre un culte d'amour et de reconnoissance à l'auteur de leur existence, il crut trouver dans l'invention la plus extraordinaire ce calme de l'esprit qui lui échappoit toujours.

Il publia un petit écrit qui avoit pour titre : De 'De Cœnæ administratione, ubi pastores non sunt.

l'Administration de la cène où il n'y a point de pasteurs. Il s'efforçoit de prouver que, dans ce cas chacun devenoit son propre ministre, celui de sa famille et de tous ceux qui vouloient s'unir à lui. « Il n'est pas de ma » connoissance, dit Bossuet, si Grotius en est venu à » la pratique. Quoi qu'il en soit, la spéculation qu'il >> a soutenue étoit propre à favoriser les sentiments de >> ceux qui prétendoient s'affranchir du ministère ecclé» siastique, et se faire, comme Grotius, une religion à >> part.

»Ainsi rêvoit savamment, et périlleusement pour » son salut, un homme qui, s'apercevant qu'il étoit » déçu par la religion où il étoit né, ne savoit plus à >> quoi se prendre, et frappoit, pour ainsi dire, à toutes >> les portes où il croyoit pouvoir trouver un refuge » à sa religion chancelante. >>

Ce refuge, ce repos, ce calme, Grotius sentoit luimême qu'il ne pouvoit le trouver que dans l'Eglise catholique, et ses derniers écrits décèlent évidemment que c'étoit là où il auroit fini par reposer toutes ses agitations et fixer toutes ses incertitudes. On ne peut en douter, en lisant ses lettres à son frère, avec lequel il avoit la douce habitude d'ouvrir son cœur dans une entière liberté.

1

C'est là qu'on remarque ces sincères et mémorables paroles « L'Eglise romaine n'est pas seulement ca>> tholique, mais encore elle préside à l'Eglise catho>> lique, comme il paroit par la lettre de saint Jérôme >> au pape Damase: tout le monde la connoît........... >> Tout ce que reçoit universellement en commun l'Eglise d'Occident, qui est unie à l'Eglise romaine, je >> le trouve unanimement enseigné par les Pères grecs >> et latins, dont peu de gens oseront nier qu'il ne >> faille embrasser la communion; en sorte que, pour » établir l'unité de l'Eglise, le principal est, de ne rien >> changer dans la doctrine reçue, dans les mœurs et » dans le régime. »>

1 De Cœnæ administratione, ubi pastores non sunt.

Il en venoit enfin à reconnoître ce qu'il y a de plus essentiel : « que l'Eglise de Jésus-Christ consiste » dans la succession des évêques par l'imposition des » mains, et que cet ordre de la succession doit de>> meurer jusqu'à la fin des siècles, en vertu de cette » promesse de Jésus-Christ: Je suis avec vous. »

C'est ainsi que Grotius s'expliquoit en 1643, deux

ans avant sa mort.

En 1644, c'est-à-dire quelques mois seulement avant de mourir, il s'exprimoit d'une manière encore plus décidée; il conseilloit aux arminiens, dont il avoit peine à se détacher entièrement, « d'établir parmi >> eux des évèques qui fussent ordonnés par un arche>> vêque catholique, s'ils vouloient demeurer dans le >> respect de l'antiquité; qu'ils devoient commencer » par là à rentrer dans les mœurs anciennes et salu>> taires; que ç'avoit été en les méprisant qu'on avoit >> introduit, par de nouvelles opinions, la licence de >> faire de nouvelles églises, sans qu'on puisse savoir » ce qu'elles croiront dans quelques années. >>>

Telle est, pour ainsi dire, la dernière profession de foi de Grotius; elle fait assez connoître la sincérité des sentiments qui avoient enfin fixé ses pensées, si longtemps mobiles et incertaines.

Le célèbre Jérôme Bignon, qui avoit été fort lié avec Grotius, a déclaré depuis sa mort que Grotius lui avoit confié sa résolution de s'unir publiquement à l'Eglise romaine à son retour de Suède, où la reine Christine venoit de l'appeler. Mais il fut arrêté par la mort à Rostock, le 28 avril 1645, lorsqu'il étoit en route pour revenir en France par la Hollande. Il n'étoit âgé que de soixante-deux ans.

Les ouvrages de Bossuet contre Richard Simon et contre Grotius furent les derniers travaux importants qui occupèrent les derniers temps de sa vie. Il observoit avec inquiétude la tendance de tous les esprits vers des opinions hardies et nouvelles. A peine entré dans le dix-huitième siècle, il sembloit être averti par

un triste pressentiment du danger qui menaçoit toutes les institutions politiques et religieuses. Tout ce qui portoit l'empreinte de la nouveauté l'alarmoit et lui étoit suspect. Il faisoit entendre cette voix prophétique qu'on étoit accoutumé depuis si longtemps à respecter, et qui alloit s'éteindre dans le silence du tombeau. Son zèle pour la religion recevoit une nouvelle ardeur de la pensée même du peu de jours qui lui restoient à combattre pour elle.

En envoyant à l'évêque de Fréjus (depuis cardinal de Fleury) son Instruction pastorale contre Richard Simon, Bossuet lui écrivoit : « L'esprit d'incrédulité gagne tous >> les jours dans le monde, et vous pouvez, Monsei>> gneur, m'en avoir souvent entendu faire la réflexion. >> Mais c'est encore pis à présent, puisqu'on se sert de >> l'Evangile même pour corrompre la religion. Je ne >> puis que remercier Dieu de ce qu'à mon âge il me >> laisse encore assez de force pour résister à ce tor>> rent. >>>

LIVRE TREIZIÈME.

AFFAIRE DU CAS DE CONSCIENCE, MALADIE ET MORT DE BOSSUET.

I.- Affaire du Cas de conscience.

LE cardinal de Noailles étoit toujours sûr de retrouver dans Bossuet un ami fidèle et un guide éclairé. Il en fit l'heureuse expérience au commencement de 1703 dans l'affaire du Cas de conscience.

Cette affaire ne pouvant avoir aujourd'hui d'autre intérêt que de rappeler celui que Bossuet fut obligé d'y prendre, nous laisserons parler le chancelier d'Ăguesseau, dont le témoignage, toujours impartial

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