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comme le caractère, mérite la plus grande confiance.

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L'assemblée de 1700 avoit, sur la demande de Bossuet, condamné « la proposition 1 où l'on traitoit le jan>> sénisme de fantôme. Mais la censure de cette proposi>>tion n'avoit point adouci pour les jésuites l'amertume >> du calice. >>

La condamnation portée par la même assemblée contre la morale relâchée de plusieurs de leurs casuistes, étoit toujours présente à leur mémoire

« La censure de la proposition janséniste n'avoit >> fait qu'irriter les jansénistes, sans apaiser les jé» suites; et par un malheur inévitable à ceux qui veu>>lent être véritablement justes, l'égalité de la justice qu'on avoit exercée contre les deux partis, n'avoit » servi qu'à les animer encore plus l'un contre l'autre, » et à leur inspirer de nouvelles pensées de guerre, » qui n'attendoient que des conjonctures et des pré>> textes pour éclater.

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>> Le fameux Cas de conscience, qui parut au com>> mencement de l'année 1703, leur en fit naître une >> occasion favorable.

>> On y supposoit un confesseur embarrassé de ré>> pondre aux questions qu'un ecclésiastique de province >> lui avoit proposées, et obligé de s'adresser à des >> docteurs de Sorbonne pour guérir des scrupules, ou >> vrais ou imaginaires. Un de ces scrupules rouloit » sur la nature de la soumission qu'on devoit avoir >> pour les constitutions des papes contre le jansé>>nisme; et l'avis des docteurs portoit qu'à l'égard de >> la question de fait, le silence respectueux suffisoit >> pour rendre à ces constitutions toute l'obéissance qui >> leur étoit due. >>

« On y avoit mêlé avec assez d'art quelques propositions très-plausibles sur l'amour de Dieu, sur la » lecture de la sainte Ecriture en langue vulgaire, et

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'Mémoire du chancelier d'Aguesseau, tom. XII. p. 165.-2 Ibid. 3 Journal manuscrit de l'abbé Ledieu.

>> autres choses connues, pour attirer un plus grand >> nombre de signatures.

» La plupart des docteurs1 à qui la consultation fut » présentée, ne sentirent ni les piéges qu'on leur ten>> doit, ni les conséquences de leur décision. Un seul, >> plus alerte que les autres, s'en défia, et dit, pour >> toute réponse, qu'on n'avoit qu'à lui envoyer cet >> ecclésiastique si scrupuleux, et qu'il lui remettroit l'esprit. Les autres souscrivirent sans beaucoup de » réflexion à la décision qui leur fut présentée, et qui » devint bientôt publique par l'imprudence des jansé» nistes, ou par le zèle au moins indiscret des sulpi>>ciens, ou peut-être par l'habileté et l'industrie des » jésuites.

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» Des ennemis du cardinal de Noailles répandirent » le bruit, et l'ont souvent répété depuis, que ce car>> dinal n'avoit ignoré ni la consultation, ni la réponse » des docteurs, et qu'il avoit approuvé ou toléré leur » avis. Mais j'ai toujours eu de la peine à croire, dit >> le chancelier d'Aguesseau, que ce fait fût véritable; >> et quelque grande que fût la sécurité naturelle de » ce prélat, dont le caractère paisible est rarement » troublé par la prévoyance de l'avenir, il ne paroît >> pas vraisemblable qu'il eût porté assez loin sa tran» quillité, pour ne pas sentir dans le premier moment >> l'orage que le Cas de conscience alloit exciter. Il de>> voit y faire d'autant plus d'attention, qu'il n'ignoroit >> pas que son crédit commençoit à baisser auprès du >> Roi....

>> Le Cas de conscience ne pouvoit donc pas paroître » dans des circonstances plus désavantageuses au car>> dinal de Noailles; et, comme on vit qu'il ne se don»> noit aucun mouvement pour en arrêter le débit dans » son diocèse, ni pour le flétrir par une censure, on »> ne manqua pas de lui faire un crime de sa lenteur, » qui passa d'abord pour une preuve de connivence. » Mémoires du chancelier d'Aguesseau, t, XIII,

II. Sentiments de Bossuet sur cette question.

Au premier éclat que fit cette nouvelle attaque du parti janséniste, Bossuet prit feu. Cependant il affecta ensuite de garder le silence, et d'éviter de s'expliquer; il se prescrivit cette circonspection par plus d'un motif. Son ami l'archevêque de Reims paroissoit un peu favorable à la décision du Cas de conscience.

Mais une considération encore plus importante faisoit à Bossuet une sorte de devoir de cette réserve. Soit que le cardinal de Noailles ne fût pas entièrement étranger au Cas de conscience, comme ses ennemis le croyoient ou affectoient de le croire, soit qu'on n'eût à lui reprocher que de n'avoir pas mis assez d'empressement à le condamner, l'intention de Bossuet étoit de l'amener à agir de concert avec lui.

Dans cette vue, il travailloit en silence à répandre sur cette nouvelle controverse la clarté qu'il étoit accoutumé à porter dans toutes les questions de doctrine. Il se mit à relire tous les écrits qu'il avoit composés dans sa jeunesse sur cette matière, et les principaux ouvrages des partisans et des adversaires du jansénisme. Ce fut à cette occasion qu'il relut sa Lettre aux religieuses de Port-Royal.

En attendant qu'il pût traiter cette nouvelle question avec toute l'étendue qu'elle lui paroissoit mériter, il adressa au cardinal de Noailles, le 12 janvier 1703, un Mémoire intitulé : Réflexions sur le Cas de conscience. Il avoit déjà eu plusieurs conférences avec ce prélat, en présence de l'évêque de Chartres; et ce fut trèscertainement Bossuet qui, en cette occasion, traça les mesures sages, régulières et convenables qui furent adoptées.

En conséquence, on voulut bien avoir égard à la bonne foi de ceux qui n'avoient signé le Cas de conscience que dans la persuasion où ils étoient, qu'ils ne faisoient que se conformer au vœu et aux sentiments de leur archevèque. On jugeoit également convenable

de ménager, dans la personne de ces docteurs, le corps respectable dont ils étoient membres.

On s'attacha donc à obtenir de leur part une rétractation volontaire, avant de prononcer une censure solennelle; cet acte de soumission si désirable étoit aussi le moyen le plus propre à assurer l'exécution paisible et régulière de l'ordonnance que le cardinal de Noailles auroit ensuite à prononcer.

Il fallut du temps et des négociations pour amener ces docteurs à un aveu toujours pénible pour l'amour-propre. Le père Noël Alexandre, connu par son Histoire Ecclésiastique, fut le premier à donner l'exemple d'une édifiante rétractation, présentée sous la forme d'une explication. Il déclara dans une lettre qu'il adressa au cardinal de Noailles, que, par le silence respectueux dont il étoit question dans le Cas de conscience, il avoit toujours entendu et voulu exprimer une soumission intérieure et sincère.

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Un exemple aussi recommandable ne suffit pas d'abord pour déterminer ceux de ses collègues qui s'étoient mis à la tête de cette espèce d'intrigue théologique; « et les plus zélés 1 témoignèrent une grande indignation contre le père Alexandre. Les plus opi» niâtres se montroient prêts à se défendre. Ils disoient >> tout haut que les évêques n'avoient qu'à les con» damner; qu'ils attendoient leur censure; qu'ils ver>> roient alors ce qu'ils auroient à faire. En un mot, ils >> étoient plus inébranlables que jamais; et le cardinal >> de Noailles, fort embarrassé, ne savoit quel parti >> prendre, ni à quoi se déterminer. »

Mais Bossuet n'étoit ni aussi aisé à effrayer, ni aussi facile à embarrasser. Pendant tous ces mouvements, il s'occupoit d'un ouvrage important, dans lequel il se proposoit d'établir l'autorité des jugements ecclésiastiques et la soumission due à l'Eglise, même sur les faits. C'est ce qu'il dit à l'abbé Ledieu 2; en ajoutant

Journal manuscrit de l'abbé Ledieu, sous la date du 8 février 1703.-2 Ibid., sous la date du 22 juin 1703.

qu'il vouloit encore rendre ce service à l'Eglise. L'étude qu'il étoit alors occupé à faire de toute la controverse du jansénisme, lui offrit de fréquentes occasions de s'expliquer avec autant de force que de franchise sur les faits et sur les personnes. Il dit à l'abbé Ledieu: « Je viens de relire Jansénius tout en>> tier, comme je fis il y a quarante ans; et j'y trouve » les cinq propositions très-nettement, et leurs prin>>cipes répandus par tout le livre. >>

Le médecin Dodart, très-attaché à Port-Royal, sachant que Bossuet travailloit sur ces matières, le fit inviter par l'abbé Ledieu à relire tous les ouvrages de Port-Royal contre le formulaire.

Bossnet trouva assez singulier qu'on lui proposât sérieusement d'aller relire tous les volumineux écrits des jansénistes, comme si on pouvoit le supposer capable d'énoncer une opinion aussi arrêtée sur de pareilles matières, sans avoir pris la peine de remonter aux sources mêmes de cette controverse. Il déclara donc que, dans cette question, «< il suffisoit de lire Jansenius >> et saint Augustin, qu'il les avoit lus, et qu'il venoit » encore de les relire; qu'il se flattoit de les entendre >> aussi bien que ceux qui affectoient de séparer de l'un » pour défendre l'autre; que la différence, et l'oppo» sition même de leur doctrine, étoit facile à saisir; il

ajouta qu'Arnauld, avec ses grands talents, étoit >> inexcusable de ne les avoir employés qu'à s'efforcer >> de faire illusion au public, en cherchant à persuader » que Jansénius n'avoit pas été condamné ; qu'il n'avoit » écrit sa fameuse Lettre à un duc et pair, que pour >> soutenir cette chimère ; et que sa proposition de saint » Pierre n'avoit eu pour objet que de défendre celle de >> Jansenius sur l'impossibilité de l'accomplissement >> des préceptes divins.

>> Qu'au reste, on ne pouvoit pas dire que ceux qu'on » appelle communément des jansénistes fussent des hé» rétiques, puisqu'ils condamnent les cinq proposi» tions condamnées par l'Eglise ; mais qu'on a droit de

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