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Louis XIV, accoutumé à considérer Bossuet comme le juge le plus éclairé de toutes les questions de doctrine, lui demanda de prendre connoissance de cette affaire, lui en donna même l'ordre à Versailles, le jour de la Pentecôte 1703.

Peu de jours suffirent à Bossuet pour mettre fin à ces interminables discussions. Il commença par se concilier la confiance des prélats qui s'y trouvoient mêlés, et celle de l'abbé Couet lui-même qu'il importoit de ramener à une soumission libre et volontaire.

Il se fit remettre la minute des déclarations exigées par les évêques, et de celles que cet ecclésiastique avoit offertes. Il en élagua tout ce qui étoit inutile, ou qui ne pouvoit servir qu'à faire naître de nouvelles difficultés; et il rédigea un projet de déclaration, conçu dans les termes les plus décisifs et les plus absolus.

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Par cette déclaration, l'abbé Couet reconnoissoit «que 2 l'Eglise est en droit d'obliger tous les fidèles » de souscrire, avec une approbation et une soumis>>sion entière de jugement, à la condamnation non>> seulement des erreurs, mais encore des auteurs et » de leurs écrits..... Qu'il faut aller jusqu'à une en>> tière et absolue persuasion que le sens de Jansénius » est justement condamné *. »

Bossuet communiqua ce projet de déclaration aux évèques de Chartres, de Toul et de Noyon, qui l'approuvèrent sans aucune restriction; et elle fut signée à l'archevêché, le 9 juin 1703, en présence du cardinal de Noailles, de l'archevêque de Lyon et de l'archevêque de Rouen, et de Bossuet. Il s'empressa d'en instruire madame de Maintenon.

« Je crois, Madame, que vous aurez agréable que

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Il est à remarquer qu'après la mort de Bossuet, le pape Clément XI, dans la bulle Vineam Domini Sabaoth, qui condamna en 4705 le Cas de conscience, et qui fut enregistrée dans tous les parlements, après avoir été acceptée de toute l'Eglise de France, se servit presque textuellement des mêmes expressions de Bossuet.

» je prenne la liberté de vous donner avis que M. Couet » a présenté ce matin, signé de sa main, à M. le car>> dinal de Noailles, à M. l'archevêque de Lyon, à » M. de Rouen et à moi, l'acte que nous avions mi» nuté la veille, M. le cardinal et moi, avec MM. de » Toul, de Chartres et de Noyon. Cet acte sera utile >> à confondre ceux dont la désobéissance a scandalisé » l'Eglise. Pour moi, Madame, je crois voir de la doci» lité à M. Couet, et c'est par où j'espère qu'il sera utile » à défendre la vérité. C'est d'ailleurs un homme qui » pourra travailler longtemps; et c'eût été dommage » qu'il se fût rendu inutile. Je souhaite, Madame, que » tout se réduise à l'obéissance. L'ordonnance de M. le » cardinal reçoit beaucoup d'honneur dans l'acte nou» vellement signé. Je crois que M. de Rouen aura >> l'honneur demain de le présenter au Roi, et de rece>> voir les marques de la bonté ordinaire de Sa Majesté. J'espère après cela retourner bientôt à Versailles et » me présenter à vous.

» J. BENIGNE, évêque de Meaux. »>

La fidélité de l'histoire a pu seule nous obliger de rappeler les derniers travaux et les derniers sentiments de Bossuet sur des controverses qui ont fatigué trop longtemps l'Eglise et l'état.

V. Commencements de la maladie de Bossuet.

Au milieu de tous ces soins et de tous ces mouvements, Bossuet ressentoit déjà les atteintes de la maladie qui devoit mettre un terme à sa glorieuse carrière. Pendant le cours de sa vie, sa santé n'avoit presque jamais été altérée. Son excellente constitution l'avoit même préservé des légères infirmités auxquelles une vie sédentaire et une forte application condamnent souvent les hommes qui se refusent jusqu'aux innocentes distractions que l'esprit et le corps semblent également réclamer. A l'exception de quelques accès de fièvre que l'usage du quinquina, nouvellement in

troduit en France, avoit promptement arrêtés, jamais aucune maladie ne l'avoit obligé de suspendre le cours de ses travaux et l'ordre accoutumé de sa vie. Sa vue étoit si parfaite et si distincte, qu'il ne commença à faire usage de lunettes qu'à l'âge de soixantequinze ans.

Cependant, huit ou dix ans auparavant, il avoit pris l'habitude de se servir d'une loupe pour lire à la bougie le grec, les lettres et les impressions en petit caractère. Il avoit, au commencement de 1699, été attaqué d'un érysipele, qui couvrit pendant cinq mois une grande partie de son corps. Mais un régime rafraîchissant, suivi avec assiduité pendant quelques mois, avoit suffi pour calmer cette effervescence du sang, et pour en adoucir l'âcreté. Cette indisposition ne l'avoit pas mème empêché de remplir avec sa régularité ordinaire toutes les fonctions de son ministère. Il avoit persisté à vouloir faire maigre la plus grande partie du carême; mais au mois d'avril, l'inflammation se manifesta par une si forte éruption, qu'il fut obligé d'obéir aux ordonnances de ses médecins ; et ce fut la première fois de sa vie qu'il dérogea au précepte de l'abstinence. Au reste, on l'avoit vu se soumettre avec une parfaite égalité d'humeur aux traitements pénibles et rebutants qu'exigeoit son état. En se voyant couvert de plaies, il se comparoit en riant à Job, et il répétoit les paroles de ce grand modèle de patience : ulceribus plenus. Malgré cet état de gêne et de souffrance, il n'avoit suspendu aucune de ses fonctions épiscopales. Il avoit fait, cette même année 1699, la bénédiction des saintes huiles, l'office de Pâques, de la Pentecôte, de la Fête-Dieu, et même la procession établie dans toute l'Eglise le jour de cette solennité. Il s'étoit seulement abstenu, contre sa coutume invariable, de monter en chaire. L'action qu'il mettoit ordinairement dans ses sermons, l'auroit exposé au danger de voir ses plaies s'envenimer. Cependant à l'ouverture de son synode, au mois de septembre 1699, il avoit adressé une courte exhor

tation à ses auditeurs, sans donner à son discours l'appareil et l'étendue d'un sermon. Enfin, vers le milieu de septembre, sa santé se trouva entièrement rétablie. Sa maladie et sa convalescence furent célébrées dans une pièce de vers latins, qui fut imprimée dans le temps, et que nous avons sous les yeux *.

Mais Bossuet portoit, depuis quelques années, le principe d'une maladie bien plus grave. Dès 1696, il s'étoit assujetti à quelques précautions, qui auroient dû indiquer la nature du mal, et l'inviter peut-être à tenter le seul expédient qui auroit pu en prévenir les suites. Mais il étoit encore bien loin de se croire attaqué de la pierre.

Cependant, au mois de novembre 1701, les vives douleurs qu'il commençoit à ressentir dans les reins, le déterminèrent à consulter Duverney, médecin célèbre par ses connoissances anatomiques, avec lequel il étoit en relation dès le temps de l'éducation de monseigneur le Dauphin. Au mois de décembre de la même année, il crut devoir recourir au médecin Dodard, non moins célèbre, et dont il estimoit la science et la vertu. Dodard reconnut dès le premier moment que Bossuet avoit la pierre; mais il ne voulut pas le lui déclarer à lui-même, dans la crainte de l'effrayer. Il confia ce triste secret à l'abbé Ledieu, en ajoutant, pour rassurer un peu ce fidèle serviteur de Bossuet, <«< qu'il ne falloit pas trop s'en alarmer; que M. de » Meaux pouvoit vivre vingt ans avec ce mal, sans » qu'il devint dangereux ou trop douloureux. » Il l'exhorta seulement à se servir de voitures plus douces, dans ses voyages de Versailles et de Meaux. Bossuet suivit son conseil; et dès la fin du même mois de dé

* L'auteur étoit François Boutard, de l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Il devoit sa réputation et sa fortune à Bossuet, qui lui fit avoir une pension de Louis XIV, et qui le fit conuoitre assez avantageusement, pour le mettre à portée d'obtenir des grâces ecclésiastiques plus considérables. La plupart des vers dont les statues et les monuments érigés en l'honneur de Louis XIV étoient chargés, sont de François Boutard. Il mourut en 1729.

cembre, ce fut en litière qu'il se rendit de Paris à Meaux. Il s'en servit même presque habituellement le reste de sa vie.

Pendant le court séjour de Bossuet à Meaux, à la fin de 1701, et au commencement de 1702, il n'éprouva aucune crise fàcheuse; il put même faire l'ordination de Noël, et officier pontificalement le jour de cette solennité : mais il ne prêcha point. Il revint en litière de Meaux à Paris, et de Paris à Versailles. On commençoit déjà à être inquiet à Paris et à la cour sur la santé de Bossuet; mais il laissoit parler, et montroit une sécurité que peut-être il n'avoit pas.

Nous devons rapporter un exemple remarquable du respect de Bossuet pour les règles de la discipline ecclésiastique. A l'ouverture du carême de 1702, il envoya l'abbé Ledieu demander pour lui, au curé de Versailles, la permission de faire gras à cause de son áge de soixante-quinze ans, et il lui recommanda de ne point en donner d'autre cause. Il vouloit sans doute éviter de donner trop de consistance aux bruits qui s'étoient déjà répandus sur le danger et la nature de la maladie dont il étoit menacé.

Bossuet retourna à Meaux vers la fin de 1702, et pendant un séjour de trois mois qu'il y fit, sa santé parut se rétablir; les accidents fâcheux qui l'avoient effrayé ne s'étoient plus renouvelés; il fut même en état de remplir les fonctions les plus pénibles de son ministère. Quoique âgé de soixante- quinze ans, il avoit profité d'une mission qui s'étoit faite à Jouarre, dans le carème de 1702, pour y réformer quelques abus. En se rappelant tous les combats que Bossuet avoit ens à soutenir pour soumettre cette abbaye à sa juridiction, on sera moins surpris du zèle qu'il apportoit à donner à cette nouvelle conquète cet esprit d'ordre et de régularité, dont toutes les traces s'étoient effacées pendant la longue exemption dont elle avoit joui.

Après y avoir dit la messe, et entendu le sermon de

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